Partie II - Voyage dans le temps   Chapitre XV - Nostradamus   

Alors que la Provence était devenue un champ de bataille entre François Ier et Charles Quint, Michel de Nostredame quitta Montpellier où il avait obtenu son diplôme de bachelier en médecine. Il ne pouvait exercer ni en ville ni dans ses faubourgs, mais était autorisé à assister en temps qu’« écuyer » un médecin en titre. C’est à Toulouse qu’il trouva son maître, devenu bientôt un ami, Ulrich de Mayence. Nous retrouvons les deux compères à Bordeaux en octobre 1527 alors que sévissait une épidémie de peste bubonique (la « bosse »). Une relation de leur pratique médicale fut faite par un interne de l’hôpital des pestiférés à la demande du doyen du chapitre de Saint-Miquen. Ulrich se présenta sous le nom de Peter Van Hog, barbier d’Anvers. Il fit enfermer tous les animaux domestiques encore en vie dans des cages et réclama des rats. Il s’enferma ensuite dans une retraite pendant deux mois. A l’aube du 24 décembre, Nostredame convoqua les autorités de l’hôpital et des médecins pour minuit. Dans la chapelle Saint-Michel, Ulrich énonça sa théorie. Il fallait piquer les malades avec des aiguilles afin que la pensée du praticien pénètre dans le corps des malades afin d’agir sur celui-ci : c’était l’envoûtement rouge. Puis Ulrich procéda à une sorte de vaccination, donnant deux coups du couteau qui avait été dressé sur l’autel de la chapelle sur le gras de l’épaule de chaque membre de la réunion et versa sur la blessure le contenu de la fiole confiée à Nostredame dont le contenu « brûle tel feu de gehenne ». La mixture était obtenue par opérations alchimiques à partir du sang des animaux domestiques et de rats. Le narrateur condamna la procédure comme « moult peu chrétienne ».

Michel de Nostredame revint à Montpellier en 1529 pour préparer sa licence et son doctorat qu’il dut obtenir en 1532. Il ne revit Ulrich de Mayence que 20 ans plus tard à Salon. Ne retournant pas en Provence, il passa par Narbonne puis par Toulouse où il rencontra Etienne Dolet qui sera connu pour ses éditions des auteurs antiques et son martyr place Maubert à Paris. L’ébullition religieuse de cette période dans la région coûta cher au professeur de l’Université de Toulouse Jean de Caturce qui fut brûlé vif. Nostredame, ne se sentant pas en sécurité, préféra s’éloigner et se rendit à Agen. Il prit contact avec Jules César Scaliger qui avait le projet d’écrire un ouvrage en vingt livres sur les plantes de Provence. Michel profita aussi de la vaste culture des classiques possédée par le maître véronais qui l’introduisit dans la bonne société agenaise. Il se maria eut deux enfants. Femme et progéniture succombèrent à une maladie en 1538. En 1534, Scaliger et Nostredame se vouèrent à soigner les malades de la peste qui, partie de Provence toucha Agen.

L’affaire des placards du 17 octobre 1534 provoqua la colère de François Ier. En quelques semaines le Parlement de Paris prononça plus de 120 condamnations à mort. L’édit du 11 janvier 1535 instaurait le supplice de la roue à toutes sortes de crime dont l’hérésie. Deux jours plus tard, tous livres sans privilège royal étaient interdits. Matthieu Orry, ancien prieur du couvent des frères prêcheurs à Paris, et Grand Inquisiteur de France fut autorisé à exercer « la charge d’inquisiteur de la foi en France... afin d’extirper l’hérésie luthérienne ». A Agen, le maître d’école Philibert Sarrazin et ses amis s’affichaient ouvertement luthériens. Parmi eux se trouvait le frère augustin Marc Richard, ami de Nostredame. Le cercle réuni autour de Scaliger commença à être inquiété. Jules César, grâce à ses protections, échappa aux sanctions. Nostredame préféra fuir et se réfugia un temps à Port-Sainte-Marie chez l’apothicaire Pierre Rivière qui, lui, était tout à fait protestant. Puis il partit quelques mois à Bordeaux chez un autre apothicaire, Léonard Bandon. Il prendra la route de la Provence - il écrit dans le Traité des Confitures : « J’ai autrefois pratiqué en la cité de Thoulouse, de Narbonne et de Carcassonne » - où il arrive en 1539. L’année suivante il voyage à nouveau : Valence, Vienne, Lyon puis il atteint la Lorraine.

Etienne Jaubert, dans ses Eclaircissements des véritables quatrains de Maistre Michel Nostradamus, parus en 1656, note l’anecdote suivante (vraie ou fausse) situé à Fains, près de Bar-le-Duc: « Monsieur de Florainville, se promenant en la Basse-Cour de son château, en la compagnie de Sieur Nostradamus, vit deux petits cochons de lait, l’un blanc, l’autre noir. A cet aspect, il s’enquit du sieur Nostradamus par récréation, que deviendraient ces deux bêtes. Il répondit en même temps : « Nous mangerons le noir, et le loup mangera le blanc. » Monsieur de Florainville voulant faire mentir le prophète, commanda secrètement au cuisinier de tuer le blanc, et de le présenter au souper. Il tua le blanc, l’habilla, et le mit en broche prêt à être rôti, quand l’heure serait venue. Cependant ayant à faire hors de la cuisine, un petit louveteau que l’on nourrissait pour l’apprivoiser, y entra, et mangea les fesses du petit cochon blanc prêt à être rôti. Le cuisinier arriva là-dessus, et craignant être crié de son maître, se saisit du noir, le tua, l’apprêta, et le présenta au soir au souper. Alors Monsieur de Florainville, croyant avoir remporté la victoire, ne sachant rien de l’accident arrivé, dit au sieur Nostradamus : « Eh bien, Monsieur, nous mangeons à présent le cochon blanc et le loup n’y touchera pas. – Je ne le crois pas, dit Nostradamus, c’est le noir qui est sur la table. » Aussitôt on fit venir le cuisinier, lequel avoua l’accident, qui servit d’un autre plus agréable mets à la compagnie. » Etienne Jaubert rapporte encore des habitants de Fains que Nostradamus disait « que, dans la montagne qui côtoyait le château, il y avait un trésor caché, lequel ne serait jamais trouvé, quand on le chercherait, mais qu’il serait découvert lorsque par un autre dessein on y creuserait »[1]. Faut-il voir dans cette histoire une réminiscence du dieu Seth qui sous la forme du cochon noir dévore l’œil d’Horus, le cochon blanc de la lune ? « Set, the black boar of evil, devoured the waning moon, and in doing so he devoured his brother Osiris. When the Egyptians, therefore, sacrificed a pig to the moon, and feasted upon it like Set, they ate the god. They did not eat the pig sacrificed to Osiris, because apparently it represented the enemy of the god ; they simply slew it, and thus slew Set. It would appear that there were originally two moon pigs - the "lucky pig" of the waxing moon and the black pig of the waning moon. These were the animal forms of the moon god and of the demon who devoured the moon - the animal form of the love god and the thwarted rebel god ; they also symbolized growth and decay - Osiris was growth, and Set symbolized the slaughter of growth : he killed the corn god. The primitive lunar myth is symbolized in the legend which tells that Set hunted the boar in the Delta marshes. He set out at full moon, just when the conflict between the demon and the lunar deity might be expected to begin, and he found the body of Osiris, which he broke up into fourteen parts - a suggestion of the fourteen phases of lunar decline. We know that Set was the moon-eating pig. The black boar of night therefore hunts, slays, and devours the white boar of the moon. But the generative organ of Osiris is thrown into the river, and is swallowed by a fish : similarly Set flings the wrenched-out "eye" of Horus into the Nile. »[2]

Nostradamus fit le voyage d’Italie, pendant un an et demi environ, en 1543-1544. La lettre qu’il a dédicacée au légat d’Avignon lors de la sortie de l’Almanach pour 1563 montre aisément qu’il parlait italien. Nostradamus n’a pas laissé de relation de son voyage.

Bareste raconte dans l’introduction à son Edition des Centuries (Paris, 1840) une anecdote. Alors qu’il se trouvait dans la Marche d’Ancône, Nostredame rencontra un cordelier, Félix Peretti, né à Grottammare en 1521, et qu’il le salua un genou à terre. On lui en demanda la raison. Il répondit qu’il devait se soumettre et ployer le genou devant sa sainteté. Peretti deviendra pape sous le nom de Sixte Quint en 1585.

Après avoir soigné la peste à Aix et à Marseille, il s’attela à la tâche à Lyon au début de 1547. Il y retrouva Philibert Sarrazin, indirectement à l’origine de sa fuite d’Agen, qu’il qualifie de « notable personnage ». La mort de son père en 1546 obligea Nostredame à revenir en Provence pour régler la succession. Et en 1548, il se marie avec Anne Ponce Gemelle (jumelle) et se retire à Salon-de-Provence.

Alors que Robert de Lenoncourt (Lenoncourt, vers 1510 – La Charité-sur-Loire, 1561) était archevêque d’Arles, le duc de Savoie, de retour du sacre du roi de France François II qui eut lieu le 21 septembre 1559, s’arrêta à Salon de Provence car la peste ravageait ses Etats. Sa femme Marguerite, sœur de Henri II, qu’il avait épousée le 9 juillet, le rejoignit. Ils logèrent au château de l’Empéri mis à leur disposition par l’archevêque. Le couple princier y invita souvent Nostradamus. En 1561, ils firent venir le prophète à Nice pour pronostiquer sur la prochaine naissance de leur héritier Charles-Emmanuel.

Avec des Si on mettrait Bordeaux en bouteille…

Nostradamus aurait fait un voyage en 1556 à Turin qui a honoré sa visite d’une plaque, à la Cascina Morozzo, au 68 de la rue Michèle Lessona, posée l’année de sa mort en 1566, selon M. Carrera qui la décrivait dans Le Courrier de Turin, le 26 décembre 1807 :

NOSTRADAMUS A LOGE ICI

OU IL HA LE PARADI, LENFER

LE PURGATOIRE. IE MAPELLE

LA VICTOIRE. QUI M'HONORE

AURA LA VICTOIRE. QUI ME

MEPRISE AURA LA

RUINE ENTIERE.

Si les premières lettres des vers du sixain forment acrostiche, on pourrait y lire NOLLAMR.

" Nolla " peut avoir plusieurs significations. En latin d'église on retrouve ce terme dans la Vita Sti Ymerii : « Interea accessit vir vite reverendus ad corilum, amputavitque ex ea quendam furculum in quo nollam appensam repererat; quem decorticans sustentaculi ferulam fecit, super quam incumbens diutius sanctus oravit Ymerius ut summi Dei pietas fontis sibi venam aperiret. » (traduction : Là-dessus, l'homme de sainte vie approcha du coudrier y coupa la branche où il avait trouvé la clochette suspendue, lui ôta son écorce pour l'utiliser comme bâton et, s'appuyant dessus pendant un temps assez long, saint Himier pria afin que la bonté du Très-Haut lui ouvre un filet de source.)[3]. " Nolla " prend le sens de clochette, cloche alors que l'orthographe correcte est " nola ".

Il faut chercher dans le suédois (ou le finnois) pour trouver un terme correspondant : nullité, zéro. Si un tel qualificatif est appliqué à Nostradamus, il faut le mettre en rapport avec ce que raconte Guichenon sur l'aversion que la duchesse de Savoie avait des astrologues. Il dit en effet que Nostradamus, lorsqu'il vint à Nice, visita Marguerite en qualité de médecin et non d'astrologue car " elle haïssait ceux qui faisaient profession d'astrologie ". Ecrivant en 1660, Guichenon lui en faisait reproche car il considérait cela comme de l'impiété. C'est Emmanuel-Philibert son mari, qui était féru d'alchimie et de mathématiques.

Comment remonte-on à la Suède ? Les relations commerciales européennes étaient fort développées au XVIème siècle et avant. Dès 1476, la société des Fugger en Allemagne retirait de l'argent de Suède pour le donner au pape. Notons aussi que le peintre Pâris Bordone (Trévise, vers 1500 - Venise, 1570 ou 1571) qui selon Vasari peignit un Vénus et Cupidon endormis, sous la garde d'un esclave pour la duchesse Marguerite de Savoie, fit le voyage d'Allemagne à Augsbourg. Il y travailla pour les Fugger, les Prineri, le cardinal Otto Truchsess von Waldburg, et peignit le portrait de Thomas Stahel, daté de 1540. En 1936, Karl Haberstock vendit à Hitler pour 65 000 Reichmarks le Venus et Amour qu'il avait acheté en 1928 d'Otto Neumann de Londres pour la moitié moins.

Un autre Bordone, Giulio Cesar (Riva, 1484 - Agen, 1558), qui se fera appelé Jules César Scaliger, se disant descendant des Della Scala de Vérone, a un rapport étroit avec Nostradamus. Il serait entré quelque temps dans un monastère franciscain à Venise vers 1505, puis mena la vie de militaire de 1509 à 1515, comme page de l'empereur Maximilien Ier. Il étudia ensuite la philosophie à Bologne (notamment celle de Duns Scot) et la médecine à l'Université de Padoue (1519, docteur ès-arts). Venu en France comme médecin auprès d'Antonio della Rovere, évêque d'Agen, il sera naturalisé français en 1528 sous le nom de Jules César de l'Escale de Bordonis. Praticien célèbre et respecté, et il fut consul d'Agen (1532-33), et de 1548 à 1549, médecin personnel du roi de Navarre. Partisan du cicéronisme, il commença sa carrière d'humaniste par un pamphlet contre Erasme (1531). Il s'intéressait en particulier à la botanique, et classifia les plantes non sur leur propriétés et mais sur leurs caractéristiques distinctives. Dolet recommanda donc Nostradamus à Scaliger, en 1533, en le présentant comme un spécialiste des plantes méridionales. En échange, Scaliger fit connaître à Nostredame les auteurs classiques. Ils combattirent ensemble la peste qui se déclencha au printemps 1534 à Agen.

Lorsque Nostradamus connaîtra la gloire, Jules-César Scaliger écrira trois épigrammes dirigés contre lui, par jalousie peut-être, qui seront publiés en 1574 dans les Viri clarissimi poemata :

De Nostradamo

Cur Nostradamus se esse ait prophetam ?

Quia dicit ortum a beniamin prophetis.

Quod si Mahomet, qui fuit propheta

Bis Nostradamus sic erit propheta.

Le père de Scaliger était Benedetto Bordone (Padoue, vers 1450, vers 1531) qui fut un enlumineur, miniaturiste et cartographe, émigré à Venise dans le quartier Della Scala (d'où le nom pris par son fils) vers les années 1492-1494. Il a d'abord illustré des livres et des documents officiels pour les érudits et l'administration de Venise. Puis il s'adonne à la gravure sur bois pour réaliser des illustrations et des cartes. Connu pour sa " Sphère du Monde " de 1508 comprenant les Grandes Antilles, son œuvre majeure le " Libro di Bendetto Bordone Nel quale si ragiona de tutte l'Isole del mondo " publiée vers 1528, présente les différentes îles des Antilles. C'est le premier " Isolario " portant sur le nouveau monde, dont le modèle date du début du XVème siècle le " Liber insularum Archipelagi " du prêtre florentin Cristoforo Buondelmonti. En 1528 encore, Benedetto Bordone dresse la carte de la ville de Venise, pour la première fois au milieu de sa lagune, dont Jacopo de Barbari et l'éditeur Anton Kolb avient publié la vue à vol d'oiseau, dans son enceinte d'eau (http://geoweb.venezia.sbn.it/geoweb/HSL/Venise/VeniseVed.html).

MR pourrait être la signature de ce poème. L'existence d'un Michel Roté, " clerc d'office de Renée, duchesse de Ferrare et tante de Marguerite de France, traducteur de Mario Equicola (Apologie de Marius Equicolus, gentilhomme italian, contre les mesdisantz de la nation Françoise, traduicte de latin en françois, Paris, Sertenas, 1550), de Matteo Ricci, un peu trop jeune en 1566, me conduisit vers Henri de Mesmes dont l'érudition et la protection qu'il témoignait envers les poètes et savants à qui il ouvrait sa bibliothèque de son hôtel parisien rue de Jouy. Il était surnommé Memmius, du nom du protecteur de Lucrèce qui lui dédia son De Natura Rerum et était seigneur de Roissy (Roissy-en-France) dont son père partageait la seigneurie avec un certain Richard d'Elbène. On trouve une des dénominations de Jean-Jacques de Mesmes telle que Memmius Rosiacus. Henri de Mesmes était généralement appelé Monsieur de Roissy. Catherine de Médicis fit faire un "mirouer rond son couverque et de l'autre côté pour mectre une pinture avec la devise que M. De Roysi leur devisera" par l'orfèvre du roi Dujardin à destination de Marguerite de France, duchesse de Savoie.

Les Indiens appelèrent le chiffre 0 du nom shûnya, bindu ou châkrâ selon sa forme. Les Arabes lui donnèrent le nom " sifr " qui signifie le " vide ". Fibonacci le traduisit en latin médiéval en "zephirum". Il devint cephirum, cifra, cyphra, sifra, cyfra, zyphra. En Allemagne, on utilisa le mot "cifra" puis le mot "ziffer" et enfin "null". On peut rapprocher " cyphra " de Cypris, nom latin de l'île de Chypre. Marguerite, duchesse de Savoie, portait uassi le titre de reine de Chypre. César de Notredame, le fils de Nostradamus, rappelle avec fierté que son père avait écrit quelques vers qui avaient été dispersés dans Salon à la demande des magistrats et principaux de la ville pour l'arrivée des époux princiers de Savoie : " Sanguine Trojano, Trojano stripe creata/Et Regina Cypri " (Fille de sang troyen et de souche troyenne, Reine de Chypre). MR pourrait ainsi signifier Margarita Regina, en forme de signature de Marguerite elle-même.

Pour corroborer les déclarations de Guichenon, ajoutons que Michel de l'Hospital, proche de la princesse et qui fut son chancelier au duché de Berry, fut un des auteurs de l'Ordonnance d'Orléans du 31 janvier 1561 qui stipulait dans son article 26 : " Et parce que ceux qui se meslent de prognostiquer les choses advenir, publiant leurs almanachs & Prognostications, passent les termes de l'Astrologie, contre l'expres commandement de Dieu, chose qui ne doit estre tolleree par Princes Chestiens : Nous defendons à tous Imprimeurs & Libraires, à peine de prison & d'amende arbitraire, d'imprimer ou exposer en vente aucuns Almanachs & Prognostications, que premierement ils n'ayent esté visitez par l'Archevesque ou Evesque, ou ceux qu'il commettra. Et contre celuy qui aura fait ou composé les dits Almanachs, sera procedé par nos Juges extraordinairement, & par punition corporelle. "

Michel de L'Hôpital accompagna la princesse dans son voyage de Nice, célébré dans son poème Iter Nicaeum, écrit en 1560 et dont une strophe, traduite ici par Pierre Brind'amour, s'attaque directement à Nostradamus : " Apparaissent au loin les toits de Salon la pierreuse ; c'est là que Nostradamus en mentant rendait des oracles ambigus au peuple qui le questionnait. Déjà (quelle folie !) il régnait par ses déclarations dans les esprits et les cœurs des souverains et des nobles. Cette clairvoyance ne vient pas de Dieu : car il n'a pas permis aux mortels de prévoir les événements à venir "(http://ramkat.free.fr).

L'entourage de Henri de Mesmes

Nicolas Perrot, humaniste, conseiller au Parlement et conseiller de la ville de Paris était lié avec Christophe de Thou, Michel de l'Hospital et Henri de Mesmes. Il était frère de François Perrot, écrivain de langue française et italienne, qui était parent de Claude Fauchet (Paris, 1530 - 1602), fils d'un procureur au Châtelet et d'une De Thou. Fauchet fit le voyage d'Italie entre 1550 et 1555. La lecture du De vulgari eloquantia de Dante et la fréquentation de l'érudit Sperone Speroni l'engagent dans les études linguistiques et l'histoire (Les Antiquitez gauloises et françoises). Il fréquentait la bibliothèque d'Henri de Mesmes. Il était l'ami d'Antoine de Baïf, de Pierre Pithou (Troyes, 1539 - Nogent-sur-Seine, 1596). Celui-ci abjura le protestantisme un an après avoir échappé au massacre de la Saint-Barthélemy. Il est un des auteurs de la Satire Ménippée. Il publie en 1594 les Libertés de l'Eglise gallicane qui serviront de base à la déclaration des Quatre Articles de 1682.

Jacques Peletier (Le Mans, 1517 - 1582) étudie au Collège de Navarre et fréquente chez l'imprimeur Vascosan Jean martin, Denis Sauvage, Théodore de Bèze et un certain Dauron. Il publie à Poitiers une Arithmétique, l'une des premières à être écrites en français. Il quitte le Poitou, et entre au service, au Piémont, comme précepteur de son fils Timoléon, du maréchal de Cossé- Brissac auprès duquel se trouve François de Boyvin du Villars qui laissa des Mémoires. Boyvin fit plusieurs fois l'aller retour entre France et Turin de 1562 à 1574. Catherine de Médicis le mentionne plusieurs fois dans sa correspondance comme courrier entre la reine et Emmanuel-Philibert. En 1583, il figure comme échanson de la reine Louise de Lorraine, femme de Henri III, pour laquelle Henri de Mesmes remplit la fonction de chancelier dont il fut chassé en 1582 pour d'obscures raisons. Peletier fut l'auteur du seul véritable manifeste poétique de la Pléiade L'Art poétique, publié en 1555.

L'un des plus éminent ami de Mesmes est Jacques Gohory (Paris, 1520 - 1576), homme encyclopédique, mathématicien, alchimiste, botaniste, poète, médecin paracelsien, historien et avocat. Il signait JGP, Le Solitaire, Leo Suavius. Traducteur de Machiavel, de l'Histoire de la terre Neuve du Peru (1545), il poursuit la quête de l'Or de l'Eldorado dans son oeuvre alchimique (Historia Jasonis (1563), Theophrasti Paracelsi plilisophae et medicinae... chez Rovillé (1567), Discours responsif à celui d'Alexandre de La Tourrete sur les secretz de l'art alchimique et confection de l'or potable (1575)), en digne disciple de Paracelse. Il applique une méthode d'interprétation foisonante sur les romans du cycle arthurien ou antiques, y décelant une prisca sapienta voilée sous les fables. Gohory était l'ami d'Etienne Pasquier (Paris, 1529 - 1615), un des rares à célébrés au XVIème siècle la mémoire de Jeanne d'Arc. L'avocat Pasquier était un politique, partisan du roi, tenant à égale distance ligueurs et protestants, un gallican, attaché à la liberté de l'Eglise de France et un opposant aux Jésuites (Catéchisme des Jésuites ou examen de leur doctrine). Il signait SPP (Stéphanus Paschasius Parisiensis).

Jean Passerat (Troyes, 1534 - Paris, 1602) commença à enseigner très jeune dans divers collèges parisiens. En 1565, il accompagna à Bourges l'abbé Alphonse d'Elbène (Lyon, 1538 - 1608), lui-même lié avec Papire Masson auteur d'une Vie de Dante, et repris des études de droit sous Jacques Cujas (Toulouse, 1522 - Bourges, 1590) qui avait été appelé dans cette ville par Marguerite de France, duchesse de Berry. On suppose qu'il fit ensuite, avec le même abbé d'Elbène, originaire de Florence, un voyage en Italie. Au retour, il s'arrêta dans sa ville natale, puis revint à Paris, vers 1569, et s'y fixa définitivement. Henri de Mesmes, magistrat aimant et protégeant les lettres, l'accueillit, dans sa maison, où Passerat vécut les vingt-neuf dernières années de sa vie, traité par de Mesmes en égal et en ami.

Dante et La Commedia

Le poème de Turin fait explicitement référence à la Commedia de Dante dont la réputation en France au XVIème était surpassée par celle de Pétrarque. « Le nom du poète florentin faisait partie de l'histoire des lettres italiennes comme un nom emblématique, c'était la première des trois couronnes de l'Italie, le premier des tres Hetruriae proceres, l'ancêtre sinon le fondateur de la langue vulgaire. Cette histoire était celle qu'avaient transmise les érudits transalpins aux érudits français. Ceux-ci se bornaient à reprendre leurs formules dans le discours très cohérent qu'ils tenaient sur les lettres italiennes, toujours considérées dans une relation de subordination aux lettres fiançaises. Dante était au mieux le premier en date, mais non pas le plus important des promoteurs du vulgaire; l'italien naissait véritablement avec Pétrarque. Dans une élégie adressée à son ami le poète Bartolomeo Del Bene, Ronsard traçait nettement la ligne de partage entre la lumière et les ténèbres, entre la grande poésie et les balbutiements de la langue, entre Pétrarque et la Nuit de Dante et de Cavalcanti »[4].

Le cardinal de Bourbon possédait une édition de Dante de 1571 publiée par Rouillé, comme Catherine de Médicis. Un des graveurs qui travaillaient avec Guillaume Rovillé, le mystérieux Pierre Vase, selon le Dictionnaire de Mgr Grente, (fils de Jacob Eskreich de Fribourg en Suisse), est probablement l'auteur du portrait de Dante et des trois vignettes en tête de chacun des trois chants de la Commedia. Les éditions de Dante de Rovillé sont dédicacées au Florentin Lucantonio Ridolfi (1510-1570), qui vint à Lyon pour commercer et qui travailla finalement pour Rovillé comme an éditeur et traducteur de textes italiens. L'œuvre de Rovillé portant sur les classiques italiens surpasse celle de Tournes, et eut un success certain : 5 éditions de Pétrarque (1550, 1551, 1558, 1564 et 1574), 4 de Dante (1551, 1552, 1571 et 1575), une du Decameron de Boccace (1555), 2 de Il Cortegiano de Baldassare Castiglione (1553 et 1562) et 6 du Orlando furioso de Lodovico Ariosto (1557, 1561, 1569, 1570, 1579 and 1580)[5]. Rovillé publie aussi en 1553, un Promptuaire des Médailles dédié à Marguerite de France, futur duchesse de Savoie.

« Le nom de Dante était parfois invoqué dans le discours réticent que les érudits français tenaient sur les lettres italiennes. Il servit avec plus de force dans la polémique anti-romaine, point de rencontre politique des propagandes gallicane et protestante. Au mois de septembre 1585, par la bulle Ab immensa aeterni regis potentia, Sixte Quint excommuniait Henri de Condé et son cousin Henri de Navarre, qu'il excluait ipso facto de la succession au trône de France préparée par Henri III. Cette mesure suscita l'indignation du prétendant, du roi et du Parlement, et fit naître des libelles hostiles à l'ingérence pontificale dans les affaires de France. L'ambassadeur de Savoie, René de Lucinge, écrivit au duc pour expliquer le mystère d'une unanimité retrouvée entre catholiques et protestants: ils tiennent icy que les roys de France sont exempts des censures de l'Eglise pour l'accord faict par Philippe le Bel avec le successeur de Boniface VIII duquel il avoit esté excommunié »[6].

En 1559, le libraire bâlois Johann Oporinus publia le recueil de textes italiens consacrés à la définition de l'imperium, dont le traité de Dante, De Monarchia. Papire Masson, qui écrivit une Vie de Dante publiée en 1587, et Etienne Pasquier forcèrent à leur tour le guelfisme de l'oeuvre de Dante pour affirmer la position gallicane de la royauté envers l'Eglise. Pasquier avec Jean de Notredame, frère de Nostradamus qui publia en 1575, les fort critiquées Vies des plus célèbres et anciens poètes provensaulx, rendaient redevable Dante des oeuvres des poètes provençaux, rappelant le séjour que le poète exilé avait fait à Paris, afin de revendiquer la primauté de la culture française.

Blanc Lys

Raisonnons mathématiquement. Le plus appelle le moins, une chose son complémentaire. Ce qui laisserait supposer l'existence d'une société secrète ou discrète face à la Rose-croix ou la précédant. La littérature est parsemée de juxtapositions du lys blanc et de la rose rouge.

" Vermeille ert [elle était] come rose, blanche com flor de lis " dans Berte, XX. Anonyme ;

" il bianco giglio e la vermiglia rosa " dans L'Orlando Furioso de Ludovico Ariosto (Canto Trentaduesimo) ;

" con la rosa purpurea il bianco giglio " dans l'Adone de Giovan Battista Marino (Canto sedicesimo)

De Jean Robertet, qui oppose blanc et rouge :

Blanc :

Entre toutes couleurs suis la première.

Humilité signiffie, et simplesse,

dont le lys blanc est des fleurs la maistresse ;

Saincte Escripture en donne foy plainière.

Rouge :

Rouge ne doit des autres couleurs moindre

Soy réputter, car il monstre victoire,

Pompe, orgueil, arrogant veyne gloire :

Qui ne peult hault et bas ne veult descendre.

De William Shakespeare - Sonnet 98 :

...

Yet nor the lays of birds nor the sweet smell

Of different flowers in odour and in hue

Could make me any summer's story tell,

Or from their proud lap pluck them where they grew;

Nor did I wonder at the lily's white,

Nor praise the deep vermilion in the rose;

Si l'on trouve encore chez un protestant le symbole du lys blanc avec Marin Le Saulx, Théanthropogamie, Londres, 1577 dans le Sonnet 138 :

Quand je touche de près le blanc poli albâtre

De cette belle main, et ce bras blanchissant,

Qui pille en mon Jardin mon blanc lis fleurissant...

Rose et lys apparaissent dans la figure seconde de l'Azoth des Philosophes attribué à Basile Valentin.

                           

Le Lys blanc est essentiellement catholique consacré à la Vierge : " Salut, ô blanc Lis de la Trinité resplendissante et toujours tranquille. Salut, ô Rose de beauté céleste ! C'est de vous que le Roi des cieux a voulu naître ; c'est de votre lait qu'il a voulu être nourri ; daignez aussi nourrir nos âmes des divines influences." (Sainte Gertrude, « Le Héraut de l'Amour divin », t. I, Tours, Mame, 1921).

Dans la chapelle des Familles, probablement du XIXème siècle (entre 1870 et 1878) de la Chartreuse de la Valbonne dans le cercle templier gardois, un bas relief de l'autel représente l'arrivée de la Vierge Marie chez sa cousine Elisabeth. Cette dernière est sur le seuil de la porte et elle accueille sa jeune cousine par ses mots : "Oh ! Heureuse, celle qui a cru !" A droite, l'emblème d'Elisabeth, la femme de Zacharie : des roses. A gauche, l'emblème de Marie : le lys, au sein d'un buisson d'épines. La scène, gravée sur l'autel, représente symboliquement la réunion des deux familles de Jésus et de Jean-Baptiste d'où le nom donné à cette chapelle. Par transmission de mère à fils, peut-on voir la rose comme symbole johannique et le lys comme symbole christique ? C'est aussi le symbole de la miséricorde divine remplaçant le deuxième glaive des représentations du Christ-Juge germaniques comme on peut l'admirer dans Le Jugement dernier attribué à Rogier Van der Weyden, exposé aux Hopsices de Beaune et dont le commanditaire était Nicolas Rolin, présenté en tant que seigneur d' Authumes dans l'acte de fondation de l'établissement.

Les d'Elbène ou Delbene ou D'Albeyne ou Del Bene etc.)

La famille Del Bene est une famille de banquiers florentins, établis à Lyon, au début du 16ème siècle. La famille Del Bene est originaire de Florence. Elle s'établit à Lyon à la suite d'un complot manqué contre les Médicis. Alphonse Del Bene, protégé de la duchesse de Savoie Marguerite de France, reçoit en commende l'abbaye d'Hautecombe en 1560. En 1574, il est nommé sénateur de Savoie et se lie d'amitié avec le président Antoine Favre. Sur les instances de sa compatriote Catherine de Médicis, il est promu archevêque d'Albi en 1588. En 1603, il échange l'abbaye d'Hautecombe contre celle de Maizières (Saint-Loup-Géanges) en Bourgogne. Cet historien de grande érudition et auteur de talent fut l'ami de Ronsard. Les armes de la famille Del Bene étant d'azur à deux bâtons en sautoir fleurdelisés et enracinés d'argent, le prélat s'en inspira pour signer ses ouvrages sous le pseudonyme de " Blanc Lys ". Il remplit la charge d'historiographe du duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier. On lui doit des ouvrages sur la maison de Savoie, le royaume de Bourgogne transjurane, l'Ordre de Cîteaux en Savoie, les Capétiens, les comtes de Toulouse. Mgr Del Bene a un fils naturel, Marc-Antoine, qui est légitimé en 1594. Celui-ci prend le nom de Del Bene de Blanc Lys qui passera à une maison forte, sise à Saint-Félix, sous la forme de Blanly. Marc-Antoine Del Bene de Blanly fait souche dans la région en épousant Sébastienne Lanzard.

Le père d'Alphonse, Barthélemy (Bartolomeo) Del Bene, est né à Val d'Elsa en 1515. Il quitte l'Italie pour se fixer à Lyon et est naturalisé français le 23 juin 1533. Il devient valet de chambre, gentilhomme ordinaire de la chambre du du roi Henri II. Vers 1554-1559, il est attaché au service de Marguerite de France (1523-1574), sœur du roi Henri II, en qualité de gentilhomme servant. Quand Marguerite devint Duchesse de Savoie par son mariage avec Emmanuel-Philibert, Barthélemy Del Bene la suivit à Turin. Il deviendra plus tard son maitre d'hôtel de 1568 à 1570, et restera à son service jusqu'à sa mort en 1574. Il rentre alors définitivement à la cour de France sous Henri III et sera chargé plusieurs fois de missions de confiance par Emmanuel-Philibert et Catherine de Médicis. Il fit partie de l'Académie du Palais fondé par Henri III, et fut membre de l'Académie des Alterati en 1580. En 1583, il se rend propriétaire à Albi de moulins, situés sur le Tarn. Il teste le 14 août 1593. Il meurt en 1595, alors qu'il était revenu en France. Homme d'esprit et d'une rare culture, il composera en italien, des poésies très estimées de son temps et écrira un ouvrage en latin Civitas Veri sive Morum, qui ne sera publié qu'en 1609, après sa mort.

A Paris, cette année-là, les imprimeurs Ambroise et Jérôme Drouart publient un volume portent le titre de Civitas Veri sive Morum (La Cité de la Vérité). C'est un poème allégorique en latin avec un commentaire et des notes du savant humaniste Théodore Marcile (1548-1617). L'introduction de Marcile est datée de 1585, mais Barthélémy Del Bene avait commencé l'ouvrage en 1565 sous le titre de l'Anno, adaptation de l'Ethique à Nicomaque de Platon, dont le Civitas est une partie. Le texte est illustré par une douzaine de gravures. La page de titre a été dessinée Thomas de Leu. Mario Praz, dans ses Studies in Seventeenth-Century Literature, compare les autres gravures aux emblèmes du Veridicus Christianus de Jan David, qui furent probablement exécutées par Théodore Galle (Anvers, 1571 - Anvers, 1633). En 1612, Théodore prend la direction de l'imprimerie fondée par son père alors décédé, et nommée " Au Lys Blanc ".

Le Civitas décrit le voyage de Marguerite, Duchesse de Savoie, dans la Cité du Vrai, de ses cinq portes (une pour chaque sens) à travers divers palais et jardins dont le Temple de l'Intelligence où elle rencontre Aristote lui-même et le Temple de la Sagesse. La Cité du Vrai de Delbene est un microcosme à la manière de l'Utopie de Thomas More, de Eudæmonensium Republica de Kaspar Stiblin. Elle anticipe la Christianopolis de Johann Valentin Andreae, la Cité du Soleil de Tommaso Campanella et la New Atlantis de Bacon. Le protagoniste du poème est donc Marguerite de France, duchesse de Berry, puis duchesse de Savoie, sœur du roi Henri II. C'était une érudite, fort versée dans le latin, le grec et l'italien. Une Ode de Ronsard la décrit lisant Platon. Les poètes de la Pléiade la comparent à une nouvelle Minerve ou Pallas. La structure physique de la Cité du Vrai est pentagonale et reproduit le plan de la Citadelle de Turin que fit construite Emmanuel-Philibert de Savoie, mari de Marguerite. Après avoir repris possession de ses territoires à la suite de la victoire remportée lors de la bataille de Saint-Quentin et du traité de Cateau- Cambrésis (1559), le duc choisit Turin comme nouvelle capitale de l'Etat de Savoie. Favorisant la reprise économique, productive et culturelle de la ville, d'après le modèle des grandes capitales européennes, le duc s'attèle principalement à la réorganisation stratégique de l'Etat. Le Capitaine et Architecte Francesco Pacciotto, né à Urbino, est chargé de restructurer les forteresses médiévales. La construction de la Citadelle, une structure fortifiée en forme d'étoile à 5 branches, commence en 1564. Sa porte principale, appelée "Mastio" (Donjon), est toujours debout et abrite aujourd'hui le siège du Musée National de l'Artillerie. La force de cet édifice était son réseau de près de 14 kilomètres de galeries de mine et de contre-mine, développé, en général, sur deux niveaux reliés entre eux par des escaliers.

L'Ethique à Nicomaque est l'œuvre centrale d'Aristote pour les humanistes du XVIème siècle. « Dans la première moitié du XVIème siècle, des plus petites classes aux bancs de l'Université, Aristote exerce sur la pensée morale une hégémonie qui semble inébranlable. Sa définition de la vertu, entendue comme une moyenne entre deux extrêmes opposés, est partout enseignée, apprise, répétée […] Aristote admet la difficulté de trouver le juste milieu, mais ne s'interroge pas sur l'impossibilité éventuelle d'en déterminer les limites ni, par conséquent, sur les risques d'un relativisme vers lequel sa morale semble pourtant s'orienter parfois. Ce dernier problème, qui se pose avec acuité à propos de la vertu, concerne aussi des activités telles que l'exercice de la justice. Et pour cause : la tâche du juge, autrement appelé " médiateur ", est de rétablir un équilibre entre le " trop " de " l'injustice commise " et le " trop peu " de " l'injustice subie " ; pour faire preuve d'équité, il doit adapter les généralités excessives de la loi, sans s'abîmer cependant dans l'autre extrême que serait la prise en compte de circonstances trop particulières »[7].

L'érudit, en particulier humaniste, navigue entre connaissance trop généraliste des arts et disciplines qu'il étudie et une prétendue omniscience. Pour pallier à ses écueils, Érasme, Guillaume Budé et d'autres proposent un moyen terme : l'idéal encyclopédique. « Reste qu'il est impossible d'assigner des limites, sinon arbitraires, à ce moyen terme. Et c'est ainsi que bien des humanistes poursuivent un savoir démesuré, au risque de l'insensibilité, de la mort, ou pis, pour les chrétiens qu'ils sont cependant : de l'orgueil. Leurs études, dont ils voudraient qu'elles les mènent vers Dieu, n'ont pas de fin. Ils le devinent, en souffrent parfois, mais ne peuvent se résoudre à le reconnaître. Sauf à se renier, aucun d'entre eux ne peut admettre l'inutilité de ses études profanes. Il leur faut trouver ce passage entre paganisme et christianisme que Guillaume Budé appelle transitus. Un passage qui ne serait pas une conversion du tout au tout, mais qui ne peut être non plus un juste milieu impie entre Dieu et le monde. Un passage que pour la plupart, et Budé ne fait pas exception, ils ne parviennent pas à se frayer, malgré leurs efforts. »[8]

Le juste milieux sera aussi illustré en France et en politique par Michel de l'Hôpital, grand ami de Marguerite et qui fut son chancelier dans le duché de Berry en 1550. Son échec est illustré par le naufrage du colloque de Poissy (1561). Marguerite, duchesse de Savoie, elle, accueillait les exilés de tout horizon qui fuyaient l'intolérance comme Jacques Grévin (Clermont-en-Beauvaisis, 1538 - Turin, 1562), qui était protestant avant 1560, et qui devint son médecin. Il y eut aussi Francesco de Vicomercato (Milan, vers 1512 - Turin, 1571), qui passait pour athée, médecin et professeur de philosophie. Médecin ordinaire de François Ier, il fut choisit par le roi pour défendre Aristote face à Ramus (Pierre de La Ramée). Et encore Antoine Govean (vers 1505 - Turin, 1566), qui passait aussi pour athée. Portugais fils d'un marrane ou d'un juif converti, il fit ses études à Paris et eut un goût décidé pour Aristote, qu'il défendit avec Vicomercato. Marguerite usa de toute son influence pour arrêter la répression contre les Vaudois engagée par son mari. Marguerite devançait son temps et sa conduite annonçait cette politique de tolérance qui, à la fin du siècle, allait triompher en France. Ses tendances mystiques ne sont certes pas une objection contre son catholicisme. Sur son inspiration, Françoise de Passier de Bourneville traduisit une œuvre mystique du français Antoine de Nervèze, inspiré de Thérèse d'Avila, en espagnol (Cartas Morales y Consolatorias del Senor de Narveza, 1605). Après minutieuse enquête, l'ambassadeur de Venise conclut que Marguerite était vraiment catholique et très bonne chrétienne (cattolica e buonissima christiana). Elle ne pencha pas comme Renée de France, sa tante, vers le protestantisme. Si les papes Pie IV, Pie V et Grégoire XIII la comblèrent de marques d'estime et d'affection, c'est peut-être pour la retenir.[9]

Le manuscrit Voynich

Le manuscrit Voynich (voir le chapitre Le Code Voynich) a été rapproché du Civitas Veri de par la géométrie des figures et de la présence de motifs pentagonaux, tel la Cité du Vrai. Ernest A. Lillie en a fait aussi un commentaire chiffré de la Divine Comédie de Dante. La lettre de Marcus Marci de Cronland, trouvée dans le manuscrit permet de reconstituer le cheminement de l'œuvre de 1608 à nos jours. Avant 1608, le manuscrit semble avoir été étudié par John Dee. Voynich raconte que le fils de John Dee avait eu pour souvenir que son un père avait étudié un livre entièrement écrit en hiéroglyphes, vers 1586. John Dee se rendit en effet en Bohème entre 1584 et 1588, période pendant laquelle que le manuscrit fut acheté à un inconnu par Rodolphe II de Bohème. Le manuscrit fut la possession de Jacobus Horcicky (Sinapius) de Tepenecz, dont un examen du manuscrit permit de découvrir le nom, après 1608 et jusqu'avant sa mort en 1622. De là jusqu'à 1665-1666, le manuscrit disparaît à nouveau. Marci raconte qu'un inconnu tenta de le déchiffrer et qu'il lui transmit à sa mort. Une lettre de Marci au père Athanasius Kircher nous apprend qu'il tenait le livre de Georg Baresch dont on trouve une lettre dans la correspondance du jésuite. Marci légua rapidement le manuscrit à Kircher qui vivait à Rome ; il lui écrivit la lettre, qui indiquait aussi que Roger Bacon était l'auteur du manuscrit. Ce n'est qu'en 1912 que Wilfrid Voynich découvre à nouveau le manuscrit dans la bibliothèque de la Villa Mandragone, propriété des Jésuites, à Frascati, non loin de Rome. Depuis, le manuscrit a été étudié par des personnalités diverses sans solution satisfaisante.[10]


[1] Louis Schlosser, « La vie de Nostradamus », Belfond, p. 125

[2] Donald Mackenzie, « Egyptian myth and legend », 1907, http://www.sacred-texts.com/egy/eml/index.htm

[3] http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/imier/page34.html

[4] Jean Balsamo, « Dante, l'Aviso piacevole et Henri de Navarre Italique, n°1 (1998), pp.79-94 » - http://www.fondation-barbier-mueller.org/articles/italic01/balsamo.html

[5] http://www.italnet.nd.edu/Dante/text/1551.lyons.html

[6] Jean Balsamo, « Dante, l'Aviso piacevole et Henri de Navarre », Italique, n°1 (1998), pp.79-94 - http://www.fondation-barbier-mueller.org/articles/italic01/balsamo.html

[7] Tristan Vigliano, « Humanisme et juste milieu au siècle de Rabelais (1494-1552) : résumé de thèse » - http://tristan.vigliano.free.fr/activites_scien.html

[8] Tristan Vigliano, « Humanisme et juste milieu au siècle de Rabelais (1494-1552) : résumé de thèse » - http://tristan.vigliano.free.fr/activites_scien.html

[9] Roger Peyre, « Une princesse de la renaissance, Marguerite de France », Emile Paul

[10] « Antoine Casanova, Une contribution à l’étude du manuscrit de Voynich »