Partie IV - Techniques et sciences   Chapitre XXXIX - Sciences   Physique   

Thermodynamique

Denis Papin (Chitenay, 1647 – Londres, 1712) peut être considéré comme un précurseur de l’invention des machines à vapeur dont il donne une description dans un article publié en 1690 décrivant l’action de la vapeur sur un piston dans un cylindre. Ces machines seront construites par Savery et Newcomen vers 1700 en Angleterre. Papin avait fait des études de médecine à Angers puis à Paris où il est en contact avec Huygens. Il travaille avec Boyle en 1675 à Londres. Il conçoit en 1679 le « digesteur » un autocuiseur, connu comme la célèbre « marmite de Papin », avec une soupape de sécurité, ainsi qu’une arme de jet basée sur l’effet du vide et ajoute un deuxième cylindre à la machine pneumatique. Retournant à Paris, il entre à l’Académie des Sciences physiques mais fuit la France après la révocation de l’Edit de Nantes, parce qu’il était protestant. Il est accueilli par l’Electeur de Hesse-Kassel afin d’enseigner les mathématiques à l’université de Marburg. A Kassel, il élabore un ventilateur centrifuge pour l’aération des mines et un fourneau pour fondre les glaces. En 1707, il construit le premier bateau à vapeur avec lequel il espère regagner l’Angleterre. Les bateliers des environs de Minden, jaloux de leurs privilèges, le détruiront. Il quittera l’Allemagne pour finir ses jours à Londres dans l’oubli et la misère.

La chaleur était généralement considérée au XVIIIème siècle, à la suite de Lavoisier, comme un fluide calorique. Joseph Black distingua vers 1760 la quantité de chaleur et la température et introduisit les notions de chaleur spécifique et de chaleur latente de changement d’état. Il pensait à juste titre que les corps avaient des capacités caloriques différentes. Watt lui fut lié et développa à partir des ses recherches un condensateur séparé pour une machine à vapeur qui en fit une affaire rentable.

Pierre Dulong (Rouen, 1785 – Paris, 1838), qui fut victime d’un accident de laboratoire perdant un doigt et un œil, s’est rendu célèbre par la règle qui porte son nom et celui d’Alexis Petit selon laquelle, pour les corps simples solides de masse atomique supérieure à 35, le produit de la chaleur massique par la masse atomique est presque constante. « Cette loi est approximative à température assez élevée, bien qu’elle souffre de quelques exceptions (par exemple pour C et Si). A température plus basse, la valeur de la chaleur spécifique diminue. La forme de la dépendance n’a été expliquée qu’au début du XXème siècle, grâce à un traitement quantique de la répartition de l’énergie introduit par A. Einstein puis par P. Debye ». Arnold Eucken (Iéna, 1884 – Chiemsee, 1950) établira la loi T3 de la variation de la chaleur spécifique en fonction de la température selon les idées de Debye.

Germain Hess (Genève, 1802 – Saint-Pétersbourg, 1850) est considéré comme le fondateur de la thermochimie. Il a énoncé la loi de la constance de la somme des chaleurs de réactions, qui est un cas particulier de ce qui sera le premier principe de la thermodynamique : la loi de conservation de l’énergie, premier principe de Nicolas-Léonard-Sadi Carnot (Paris, 1796 – 1832) établi en 1830.

William Thompson, Lord Kelvin, (Belfast, 1824 – Netherhall, 1907) a aussi étudié la chaleur et l’électricité. Ses travaux de thermodynamique ont permis d’introduire la notion de température thermodynamique (ou absolue). Il montra avec Clausius que la chaleur n’est pas un fluide mais une forme d’énergie. Ce terme d’énergie a été introduit par William Rankine (Edimbourg, 1820 – Glasgow, 1872), constructeur de voies ferrées, qui distingua énergie potentielle et énergie cinétique. Kelvin définit une échelle thermométrique partant du point de congélation de l’eau (0°) à son point d’ébullition (100°) reprenant celle de Linné qui avait lui-même inversé celle de Celsius. Thomas Charles Hope (Edimbourg, 1766 – 1844) réalisa sur l’eau, qui était une référence en physique, l’expérience classique qui prouva que l’eau atteint son maximum de densité à 4°C. Kelvin a aussi contribué à la théorie mathématique d’électrostatique et à la géophysique d’une manière fondamentale. Il a mis au point en 1876 un dispositif d’intégration permettant d’arriver à une solution mécanique des équations différentielles, ce qui fait de lui le créateur des calculateurs analogiques.

Electricité et électromagnétisme

Le XVIIIème siècle est le siècle de l’expérimentation de l’électricité après les recherches sur l’électricité statique de William Gilbert ou de Otto Von Guericke. L’invention en 1745 à Leyde du condensateur par Pieter Van Musschenbroek permit d’apprivoiser l’électricité. Ce premier condensateur ou bouteille de Leyde fut utilisé par Benjamin Franklin pour démonter la nature électrique des éclairs. Jacques de Romas (Nérac, 1713 – 1776) eut l’idée, comme Franklin, d’utiliser un cerf-volant pour capter l’électricité atmosphérique (1752). Par la suite Giovanni Battista Beccaria (Mondovi, 1716 – Turin, 1781) démontra l’existence de deux sortes de charges électriques. Lavoisier reconnut l’antériorité de ses recherches sur la combustion en chimie. Il mesura aussi un degré du méridien en Piémont.

« Tout l’électromagnétisme commence avec Oersted », prénommé, comme Andersen son ami, Hans Christian, né à Rudkøbing au Danemark en 1777 et mort à Copenhague en 1851. Dans une expérience de physique, il plaça au voisinage d’un conducteur électrique une boussole qui subit alors une dérivation. Ce résultat expérimental est le point de départ des travaux de savant comme Ampère, Arago, et Faraday.

André Marie Ampère (Poleymieux, 1775 – Marseille, 1836) fait ses principales découvertes dans le domaine de la physique. Il édifie la théorie de l’expérience d’Oersted en montrant que l’électricité en mouvement est la cause des actions magnétiques. Il crée l’électrodynamique en prouvant que deux courants fermés agissent l’un sur l’autre. Précurseur de la théorie électronique, il suppose que les molécules d’un corps sont parcourues par des courants (mot créé par lui ainsi que celui de tension) particulaires dirigeables par l’aimantation. Il émet l’hypothèse que les gaz renferment à volume égal le même nombre de molécules, et qu’Avogadro avait déjà faite sans que tous deux ne se soient concertés.

Jean-Baptiste Biot (Paris, 1774 – Paris, 1862) et Félix Savart (Mézières, 1791, - Paris, 1841) détectent la force magnétique produite par un courant électrique on observant l’oscillation d’une aiguille aimantée. La loi de Biot et Savart sur l’interaction magnétique entre deux courants dit : « La force magnétique générée en un point de l’espace par un élément de fil conducteur est proportionnelle au courant, à la longueur de l’élément, à l’inverse du carré de la distance au fil et au sinus de l’angle entre la direction du courant et le vecteur qui relie l’élément de courant à la position du point ».

Les expériences de Faraday sur l’électricité conduiront à l’invention du téléphone par Graham Bell (Edimbourg, 1847 – Canada, 1922). Celui-ci se consacre à la phonétique comme son père, après avoir fait des études de musiques pour lesquelles il était très doué. Il émigre au Canada puis aux Etats-Unis où il est nommé professeur de physiologie vocale à Boston. En cherchant à faire entendre les sourds auxquels il avait enseigné le langage des signes, il invente le téléphone en 1876. Graham Bell était entré en relation épistolaire avec Charles Bourseul, considéré en France en 1889 comme le véritable inventeur du téléphone, qui vécut et mourut à Saint-Céré. Il fit toute sa carrière dans l’administration des postes et télégraphes. Il perfectionna le système du télégraphe alors utilisé et eut l’idée de la transmission électrique de la parole. Faute d’encouragement, il abandonna ses recherches bien qu’il eût créé les plans du premier appareil téléphonique en 1854.

James Clerk Maxwell (Edimbourg, 1831 – Cambridge, 1879) développe la théorie cinétique des gaz, selon laquelle la pression d’un gaz est due au choc des molécules qui le constituent et sa température est fonction de la vitesse de celles-ci. Il donne surtout les équations générales du champ électromagnétique. Il montre aussi le caractère électromagnétique de la lumière en raison, en particulier, du fait de la propagation dans l’espace des champs électrique et magnétique résultant de ses équations. Sa théorie reprend comme élément déterminant la première mesure du rapport entre l’unité du champ électrostatique et celle du champ magnétostatique, proche du carré de la vitesse de la lumière et définie par Rudolf Kohlrausch (Göttingen, 1809 – Erlangen, 1858) et Wilhelm Weber (Wittenberg, 1804 – Göttingen, 1891). Ses travaux permettaient de concevoir des ondes électromagnétiques plus courtes et plus longues que la lumière. Les ondes radio découvertes par Hertz sont une conséquence des recherches de Maxwell. On parviendra avec Marconi à la première transmission d’ondes radio à Bologne en 1896 grâce au cohéreur à limaille d’Edouard Branly (Amiens, 1844 – Paris, 1940), à l’éclateur de Hertz et à l’antenne de Popov.

Walter Bothe (Oranienburg, 1891 – Heidelberg, 1957) donna, avec Geiger, une des premières preuves que les diffusions de photons peuvent être traitées individuellement. En 1929, avec Kolhörster, il prouve aussi que le rayonnement cosmique contient en plus du rayonnement électromagnétique, des particules pénétrantes. Professeur à Giessen puis à Heidelberg, il reçoit le prix Nobel de Physique en 1954 avec Max Born.

Aimé Cotton (Bourg-en-Bresse, 1869 – Sèvres, 1951) a étudié les propriétés électro-optiques des cristaux et des liquides. Professeur à la Sorbonne en 1921, il participe à la construction de l’électro-aimant de Bellevue d’une centaine de tonnes utilisé pour de nombreuses expériences sur la mesure des champs magnétiques intenses.

Broglie

C’est à Broglie dans l’Eure, que l’on retrouve deux scientifiques qui ont marqué l’histoire des sciences : Augustin Fresnel et Louis de Broglie. Augustin Fresnel (1788-1827), natif de Broglie, physicien spécialisé en optique qui prouva la théorie ondulatoire de la lumière en découvrant le phénomène de diffraction, faisant suite à la découverte des interférences lumineuse par Young qui avança l’hypothèse ondulatoire de la lumière constituée d’ondes transversales. Fresnel aussi introduisit les célèbres intégrales portant son nom. Il travailla avec Arago et mourut de phtisie à l’âge de 39 ans. L’hypothèse ondulatoire de la lumière avait été avancée par le jésuite Ignace Pardies (Pau, 1636 – Paris, 1673) qui semble avoir inspiré Huygens dans l’introduction des concepts d’onde et de vibration lumineuse. Il était en relation avec de nombreux savants, et enseigna au Collège de Clermont de 1670 à sa mort.

La famille de Broglie arriva en France avec Mazarin. Charles Sturm (Genève, 1803 – Paris, 1855) qui détermina avec Colladon la vitesse du son dans l’eau du lac Léman, fut précepteur des enfants de la famille de Broglie, faisant la connaissance de tous les grands savants de son époque d’Arago à Ampère. Il est l’auteur d’un théorème qui permet de déterminer le nombre de racines d’une équation algébrique.

La famille de Broglie s’illustre particulièrement avec les physiciens Maurice et Louis de Broglie. Louis est né à Dieppe en 1892 et est le créateur de la théorie de la mécanique ondulatoire.

« Ainsi se retrouvent Fresnel qui a imposé la théorie ondulatoire de la lumière et de Broglie qui va imposer la théorie ondulatoire de la matière. En dehors de cette identité de vue sur l’importance des phénomènes vibratoires et de l’immense admiration que Louis de Broglie portait à cet autre génie précoce – entré à Polytechnique à l’âge de 16 ans et demi – un autre lien les unit très étroitement : par un de ces mystérieux hasards de l’histoire, Fresnel était né dans le domaine familial de Broglie. En effet, son père architecte avait en son temps dirigé les réparations au château de la famille de Broglie où l’avait introduit son beau-père François Mérimée, grand-père de Prosper [1]».

La physique de la fin du XIXème siècle avait trois problèmes à résoudre : l’incohérence de la théorie et de l’expérience concernant l’émission d’énergie des corps noirs, l’effet photoélectrique et la stabilité des atomes. Otto Lummer (Iéna, 1860 – Breslau, 1925) réalisa, avec Wien, en 1895, un four électrique qui constitua à cette époque la meilleure approximation d’un corps noir.

Selon la théorie alors en vigueur, les corps noirs auraient dû émettre une quantité d’énergie de plus en plus grande dans les courtes longueurs d’onde sans qu’il y ait de limite. Cela était absurde et traduit par l’expression « catastrophe ultraviolette » par l’ami d’Einstein, Paul Ehrenfest. L’effet photoélectrique, lui, surprenait les scientifiques car il se traduisait par le fait que la vitesse des électrons émis par un métal éclairée par une lumière à partir d’une certaine fréquence dépendait de la fréquence de cette lumière et non de son intensité qui, elle, avait une incidence sur le nombre d’électrons produits. Quant à la stabilité de l’atome, sa représentation en « système solaire » en réduction qui est due à Jean-Baptiste Perrin (Lille, 1870 – New York, 1942), confirmée par les expériences de Rutherford, condamnait les électrons, animés d’un mouvement courbe et devant perdre beaucoup d’énergie, à s’écraser sur le noyau.

Max Planck (Kiel, 1858 – Göttingen, 1947), qui termina sa carrière à l’université de Göttingen, réussit à trouver une formule conforme à l’expérience de l’émission d’énergie des corps noirs, en 1900, année de la publication de L’Interprétation des rêves de Freud. Pour expliquer théoriquement sa formule, il fait appel aux quanta de lumière, paquets correspondant à une énergie proportionnelle à la fréquence de la radiation dont l’amplitude des vibrations varie de manière discontinue. Einstein va plus loin. En 1905, son étude sur le mouvement brownien, qui doit son appellation à l’observation mouvement désordonné de particules de pollen sur un liquide par naturaliste Robert Brown (Melrose, 1773 – Londres, 1858), apporte la preuve de la structure discontinue de la matière, et un de ses articles définit la lumière comme composée de corpuscules, appelés photon en 1926 par Lewis. A chaque fréquence différente de la lumière correspondent des photons caractérisés par des quantités d’énergie différentes.

En 1913, Bohr introduit la quantification dans l’atome. Avec Sommerfeld en 1916 qui étend sa théorie aux orbites elliptiques, Bohr affirme que les rayons des électrons ne peuvent prendre que certaines valeurs avec une limite inférieure dite orbite fondamentale. L’énergie associée à ses orbites est fonction d’un nombre entier, et les électrons n’émettent de rayonnement que lorsqu’ils changent d’orbite.

C’est en 1923, que Louis de Broglie se penche sur la question. Il remarque que les nombres entiers apparaissent aussi dans le cas des ondes stationnaires. Si la lumière décrite comme une onde électromagnétique a été associée à des corpuscules, l’inverse peut être vrai, les électrons peuvent être à leur tour liés à une onde. Les raisonnements de Broglie le conduisent à établir que la longueur d’onde de l’électron est proportionnelle à l’énergie et la longueur d’onde inversement proportionnelle à la quantité de mouvement. Sa théorie, s’inspirant des vibrations des cordes d’une guitare, explique la quantification de Bohr : Dans un atome, l’onde de Broglie est stationnaire quand la circonférence de l’orbite de l’électron est un multiple entier de sa longueur d’onde, comme la longueur de la corde de la guitare doit être un multiple de la longueur d’onde correspondant à la note émise par la corde. « Un coup de génie » dira Einstein de cette théorie qui vaudra à de Broglie le prix Nobel en 1929, ajoutant que de Broglie avait « soulever un coin du grand voile ».

En 1927, Clinton Davisson et Lester Germer apportent la preuve éclatante de la réalité de la théorie de de Broglie en découvrant les propriétés de diffraction de l’électron comme pour une onde. L’expérience est reprise par G. Thomson, fils de celui qui avait reçu le prix Nobel pour avoir prouvé l’aspect corpusculaire de l’électron, et qui, à son tour recevra ce prix, pour avoir démontré cette fois l’aspect ondulatoire de la particule.

Une première application de la découverte de de Broglie est faite par Ernst Ruska qui invente le microscope électronique. Grâce à la petitesse des longueurs d’onde de l’électron, il était possible d’augmenter les performances des microscopes et de procéder à des grossissements de l’ordre du million.

De Broglie abandonnera ses recherches sur la théorie de la double solution associant une onde de Schrödinger à une autre qui présente une singularité assimilable à la particule, pour enseigner la théorie orthodoxe de la mécanique quantique fondée sur les recherches de Heisenberg, Bohr et Born autour desquels se constitue l’école de Copenhague. Born et Heisenberg avaient élaboré la mécanique des matrices utilisant des tableaux, inventés par Cayley, dans lesquels figurent les fréquences émises par un atome et l’intensité de ces émissions. Pour eux c’est la seule manière de caractériser un atome, inconnaissable par ailleurs. Ils mettent en évidence deux caractéristiques de la mécanique quantique : la non-commutativité et le principe d’indétermination. Leur physique quantique se fonde sur un constat appelé « principe de complémentarité » :

« Tout phénomène mécanique est susceptible au niveau microscopique de deux descriptions :

-           une description corpusculaire, qui se caractérise par des impacts ponctuels sur un écran, comme ceux d’un projectile sur une cible,

-           une description ondulatoire, qui se traduit par l’existence de phénomènes de diffraction et d’interférence comme pour la lumière.

Ces deux descriptions théoriques sont aussi valables l’une que l’autre et constituent deux aspects complémentaires de la même réalité. Elles sont :

-           mutuellement exclusives : un objet ne peut présenter simultanément les caractères d’une onde et d’une particule. Aucune expérience ne peut mettre en évidence simultanément le caractère corpusculaire et le caractère ondulatoire d’un objet.

-           Incomplètes en elles-mêmes : aucune de ces deux descriptions ne fournit la totalité des informations qu’il est possible d’obtenir sur le phénomène.

-           Indissociables : ces deux descriptions sont nécessaires pour épuiser en totalité les informations qu’il est possible d’obtenir sur le phénomène.

-           Incompatibles, incombinables : aucun objet mathématique ne présente simultanément les caractéristiques d’une onde et d’une particule. [2]».

Pour de Broglie, ce principe de complémentarité n’est en rien une explication du double aspect des particules. Pour lui, l’aspect ondulatoire est une réalité – il est un « réaliste » - alors que pour les orthodoxes les ondes ne sont que des ondes de probabilité et non réelles,. La fonction d’onde mesure la probabilité de trouver l’électron en un point de l’espace. La physique quantique est probabiliste et pour elle la réalité l’est aussi. Il n’est pas question ici de l’insuffisance des moyens humains pour l’approcher. Ce débat entre de Broglie et les tenants de l’école de Copenhague rappelle celui de l’époque médiévale entre réalistes et nominalistes, dont les idéalistes sont les héritiers, qui disputaient pour savoir si les universaux avaient ou non une réalité. Le rôle de l’universel est ici joué par l’onde associée qui ne serait qu’un concept mathématique sans réalité physique. Confortant les tenants de l’école de Copenhague, les inégalités de Bell formulées en 1964 par John Stewart Bell (Belfast, 1928 – Genève, 1990), infirment les modèles à variables cachées locales qui visaient à éliminer l’aspect probabiliste de la mécanique quantique. La réalité quantique établie à ce jour reste déconcertante car comportant une action immédiate à distance.

En 1934, de Broglie réalise une autre avancée scientifique. Il conçoit le photon comme une paire de particule de Dirac, dont l’équation d’onde constitue l’équation de la mécanique ondulatoire du photon. Il montre que si cette onde porte un grand nombre de photons, elle constitue une onde solution des équations de Maxwell. Cette découverte est saluée par son adversaire Heisenberg.

Hendrick Kramers (Rotterdam, 1894 – Oegsgeest, 1952) prendra place dans la communauté scientifique par l’établissement des formules quantiques de dispersion. Avec Heisenberg, il prédit l’existence de l’effet Raman. En 1938, il émet l’idée de la renormalisation de la théorie des champs.

Il préside aux Etats-Unis au sortir de la guerre une Commission internationale de l’Energie qui se proposait de rapprocher les blocs de l’Est et de l’Ouest et dont l’influence fut réduite à néant par la guerre froide.

La mécanique quantique est à l’origine de l’invention des transistors, qui ont permis le développement de l’électronique, de l’informatique et des télécommunications. « Les premiers calculs en mécanique quantique ont porté sur les états d’énergie des électrons dans un atome. Puis on a essayé de comprendre comment ces états étaient modifiés lorsqu’on a un ensemble d’atomes. On a alors découvert que certains électrons ne sont plus attachés à un atome mais sont partagés par l’ensemble et que la structure peut de ce fait être conductrice ou isolante ou encore semi-conductrice. Enfin on a compris que cette propriété pouvait être modifiée par l’adjonction d’atomes différents appelés dopants ». C’est à partir de ces découvertes qu’en 1948, une équipe des Bell Labs formée de Bardeen, Brattain et Shockley inventait le transistor.

Faire un parallèle entre conceptions alchimiques et physique actuelle est délicat. Si la dualité de la matière associant réellement onde et corpuscule est avérée, conception de de Broglie qui est contredite par l’orthodoxie, alors elle fait écho à la dualité du feu divin, le Fiat Lux igné, mâle, dont la vibration anime et ordonne la matière première, femelle, comparée à une immense matrice, le Chaos indifférencié. On pourrait assimiler ce Chaos au milieu sub-quantique imaginé par Bohm et Vigier qui trouve une nouvelle expression dans la dynamique sub-quantique de Wehler faisant de l’espace-temps une réserve d’énergie en dessous du niveau des quanta. Bohm et Vigier s’inspiraient de de Broglie qui supposait un thermostat caché dans le vide qui expliquait la variation continue de la masse des particules et qui échangerait avec elles de la chaleur, échanges liés aux variations de l’amplitude de l’onde qui servirait ainsi d’intermédiaire entre particule et thermostat. Cette théorie visait à redonner une vue déterministe à la mécanique quantique avec l’hypothèse de variables cachées. Dans le même esprit, de Broglie avançait encore sa théorie de la double solution. Elle fait exister une onde réelle n, guidant la particule qui lui est associée, à laquelle est associée une autre onde fictive y qui permet de calculer la probabilité de la présence de la particule en un endroit. Ces considérations permettent de rejeter l’affirmation que la particule passe à la fois par deux trous en même temps dans l’expérience de Young puisque l’on perçoit des interférences produites par l’onde associée passant par les trous assurant qu’elle n’y est pas nulle et donc que les probabilité de la particule de passer par les deux trous ne l’étaient pas non plus.

Le Chaos devient ainsi le Cosmos. L’atome est en effet structuré, ordonné, dans l’association de l’onde (vibration) et de la particule (matière), l’électron parcourant des orbites définies suivant des multiples entiers de la longueur de son onde associée.

Les trois principes alchimiques Sel, Mercure et Soufre rencontrent la constitution des hadrons (protons, neutrons, baryons et mésons) par trois quarks, combinaison parmi les 6 dont l’existence est supposée aujourd’hui. Le mot quark est tiré de l’œuvre de James Joyce, Finnegans Wake, dont le sens est proche d’ « ordure » qui désigne justement chez certains auteurs la matière première du grand œuvre.

Comme pour les alchimistes pour qui tout est dans un et l’unité de la matière ne fait aucun doute, les physiciens actuels sont à la recherche de la théorie de la grande unification des forces mais aussi de celle des forces et de la matière, des bosons et des fermions. Cette dernière théorie crée un partenaire supersymétrique à toutes les particules connues. Ce n’est pas un hasard si le grand physicien Sheldon Glashow, auteur de l’unification de la force faible et de l’électromagnétisme, utilise le serpent qui se mord la queue pour représenter l’ultime unification. Ce serpent est l’Ouroboros hermétique. « Si l’on admet que la matière des objets est composée de configurations ondulatoires interférant avec les configurations d’énergie, l’image qui en découle est celle d’une configuration, similaire à l’hologramme, de matière et d’énergie se propageant sans cesse à travers tout l’univers. Chaque région de l’espace, aussi petite soit-elle, en descendant jusqu’au simple photon, qui est aussi une onde ou « un paquet d’onde », contient, comme chaque région de la plaque holographique, la configuration de l’ensemble. Ce qui se passe sur notre minuscule planète est dicté par toutes les hiérarchies des structures de l’univers. Nous en sommes arrivés à une vision stupéfiante : un univers holographique où chaque région, bien qu’étant distincte, contient le tout. Nous aboutissons au principe d’un univers sans discontinuité, holistiquement ordonné, magistralement agencé au sein d’une symétrie cristalline : tout reflète tout le reste ; tout est dans tout [3]». C’est ainsi que pour la Table d’émeraude, tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et pour les alchimistes le microcosme est le reflet du macrocosme.

La mécanique quantique se caractérise par l’indéterminisme, l’objectivité faible et la non-séparabilité. L’objectivité faible de la physique quantique fait douter de la possibilité de décrire la totalité de ce qui existe. « L’action exercée par les conditions de l’expérience sur les processus eux-mêmes étant incontrôlables, il est impossible d’opérer la soustraction qui permettrait de retrouver la manifestation à « l’état pur ». Nous n’avons accès qu’à une « allégorie du réel », non au réel lui-même [4]». L’expérimentateur fait partie de ces conditions. L’alchimie insiste sur l’inspiration que doit trouver l’adepte dans son « oratoire ». C’est précisément une mise en condition qui modifie l’état de conscience de l’alchimiste capable de la faire réussir son travail dans le laboratoire.

Le principe de non-séparabilité assure que « deux objets ayant interagi et ayant développé des corrélations dans le passé doivent être vus comme un tout indissociable, et il est dénué de sens de parler des propriétés de l’un ou de l’autre de façon séparée [5]». Le néo-platonicien Jamblique ne déclarait-il pas : « Le monde est un animal vivant, dont touts les parties, quelle qu’en soit la distance, sont liées entre elles d’une manière nécessaire » ? Claudel écrivit aussi dans Art poétique que « chaque chose ne subsiste pas sur elle seule, mais dans un rapport infini avec toutes les autres ».

La transmutation d’un corps en un autre fut réalisée par Rutherford en 1919 en bombardant de l’azote avec des rayons alpha qui devint de l’hydrogène. L’affirmation des alchimistes de sa possibilité est donc justifiée sans que l’on sache si, vraiment, ils purent, avec les moyens qu’on leur connaît ou d’autres insoupçonnés, parvenir à la réaliser.

 


[1] Patrice Crespin, « De Broglie et la mécanique quantique, je connais », Mallard, p. 19

[2] ibid., p. 44

[3] Maurice-Edouard Berthon, « Le défi quantique », Publication universitaire, p. 321

[4] ibid., p. 253

[5] ibid., p. 403