Partie I - Généralités   Chapitre III - Alchimie et nonagones   Alchimie   

Le pèlerinage de Compostelle connaît un essor très important au XIème et XIIème siècle, qui met l’Espagne en relation avec le reste de la chrétienté européenne, ce qui contribue à répandre le corpus ésotérique.

À Tolède, nombre de textes d’alchimie, de magie et d’astrologie sont traduits. C’est la traduction des textes arabes qui a ouvert la voie au développement occidental de l’alchimie. L’année 1144, qui voit l’ascension des Plantagenêt et l’épanouissement de la poésie des troubadours, est considérée comme celle qui marque les débuts en Occident de l’Art royal. A cette date, Robert de Chester, archidiacre à Pampelune traduit le Morienus, texte dont la préface rapporte la légende des trois Hermès. En Espagne encore, dans les années 1140-1150, Hugo de Santalla traduit d’après l’arabe le Livre du secret de la création. Dans cet ouvrage, Balînûs, c’est-à-dire Apollonius de Tyane, raconte sa découverte de la tombe d’Hermès Trismégiste, dans laquelle il a trouvé la Table d’Émeraude. À Tolède toujours, Gérard de Crémone (1114-1187) apprend l’arabe et traduit les textes de l’immense corpus de Geber et Rhasès, tandis que Juan de Toledo, Juif converti, traduit le Sifr-al-asrâr (Le Secret des Secrets) du Pseudo-Aristote, un texte fondamental de l’alchimie.

Un rapport de l’alchimie avec le chiffre 9 se manifeste à Troyes, qui n’est pas sur les nonagones, dans l’église Sainte-Madeleine où des verriers ont créé des vitraux alchimiques. « On y voit Dieu qui donne naissance à neuf cercles, les dilate, y place les éléments de la manifestation, la terre, les quatre orients du monde. Parmi les inscriptions qui commencent les scènes, on peut lire : « Comment il te faut faire. ». [1]» Les 9 sphères correspondent sans doute aux neuf sphères célestes pythagoriciennes, celles du soleil, de la lune, de la terre et des 5 planètes plus celle divine. Différents lieux sur les nonagones ont en effet une réputation alchimique. En premier on peut compter des villes possédant une cathédrale dont les sculptures se laissent interpréter dans ce sens : Lyon, Rouen, Chartres, Nantes, Paris, Laon ; des cités comme Melle, Arcy-sur-Cure avec son Château de Chastenay, Romorantin, Saint-Pourçain-sur-Besbre. Mais aussi, les nombreuses abbayes telles Ban-Saint-Martin, Bénévent-l’Abbaye, Bernay, Chambon-sur-Voueize, Fontevrault, Fontgombault, Grandmont, La Bénissons Dieu, Ligugé, Mouzon (Ardennes), Redon, Sablonceaux et Saint-Sever, confirment le fait que jusqu’à la fin du XIIIème siècle « on étudiait et pratiquait l’alchimie en relative tranquillité à l’intérieur des couvents des divers ordres monastiques. La science secrète y tenait le rang d’une forme de philosophie naturelle, calquée sur le déroulement de la genèse et dirigée entièrement vers la connaissance de Dieu [2]». Albert le Grand et Thomas d’Aquin, réputé alchimistes, étaient de l’ordre de saint Dominique, né à Caleruega en Castille. Les « cuisines » de Fontevrault auraient pu être un laboratoire consacré à l’Art royal. Fontevrault, Grandmont et Prémontrésont à la fois des abbayes mais aussi des ordres monastiques.

La décapitation a une signification proprement alchimique. Les rosicruciennes Noces chymiques en sont pleines. Saint Jacques lui-même, patron des alchimistes, fut décollé. Sur une face du pilier gauche du portail sud de la cathédrale de Chartres, dit portail des chevaliers, une scène représentant ce martyr. Or sur une autre face du même pilier figure la décapitation à l’épée d’un homme dans une tour qui est interprétée par Eugène Canseliet comme la décapitation du Roi, étape du Grand Œuvre. L’aspect spirituel de la décapitation en alchimie entre en résonance avec le procédé chamanique au cours duquel le chaman a la tête tranchée et se voit forger une autre tête par des forgerons sur une enclume spéciale. « Durant leurs « rêves initiatiques », les apprentis chamans assistent à leur propre dépècement par des « esprits » ou des « démons » qui tiennent le rôle de maîtres de l’initiation : on leur coupe la tête, on met leur corps en petits morceau, on leur nettoie les os, et, à la fin, les « démons » regroupent les os et les recouvrent d’une chair neuve. Nous sommes ici en présence d’expériences extatiques de structure initiatique : une mort symbolique est suivie d’un renouvellement des organes et de la résurrection du candidat.[3] » Un tel schéma est décrit par l’alchimiste grec du IVème siècle Zosime : les membres et la tête d’or du supplicié sont tranchés par le bourreau à la tête noire tenant un feuillet disant : « je t’ai tué pour que tu regorges de vie et je cacherai ta tête pour que le monde ne te voie pas [4]». Les alchimistes se définissent eux-mêmes comme « ceux à la tête d’or » sans doute par héritage de lointaines pratiques chamaniques. Le dépeçage chamanique est associé à l’ascension au Ciel au moyen de la corde dans de nombreuses traditions et en particulier dans le folklore irlandais. Un jongleur lance un fil de soie dans le ciel qui s’accroche à un nuage. Il y fait monter divers animaux, un jeune homme et une fille. Le jongleur tranche la tête du garçon qui a laissé le chien manger le lapin. Mais, à la prière du seigneur, il ressuscite le jeune homme. Le fil ou la corde qui relie au ciel sert aussi de symbole de ce qui réunit les membres épars d’un corps ou les instances du psychisme par un élément extérieur, voire divin. Finalement c’est le lien avec l’autre qui assure la cohérence de la personnalité dans un principe de réalité, et son refus conduit à la folie.

La décapitation des saints rappelle celle d’Orphée démembré par les Ménades qui jetèrent sa tête dans l’Hébros, tête qui surnagea jusqu’à l’île de Lesbos et continuait à chanter. Elle rendait des oracles et faisait péricliter les autres centres oraculaires d’Apollon qui la fit taire. Depuis la tête est silencieuse. On retrouve un tel schéma chez les Iban Dayans au Sarawak. « Lorsque les chasseurs de têtes rentraient, après une expédition couronnée de succès, les femmes Iban employaient les trophées pour fertiliser les rivières par des invocations. On faisait chanter la tête, on la faisait se lamenter, répondre à des questions et on la berçait tendrement jusqu’à ce qu’elle consente à entrer finalement dans un sanctuaire oraculaire où elle donnait des conseils sur tous les événements importants, et, à l’instar des têtes d’Eurysthée, de Bran et d’Adam, elle protégeait contre les invasions [5]». Les « idoles » en forme de têtes honorées par les Templiers semblent avoir quelque rapport avec ces pratiques religieuses, si elles ont vraiment existé. Orphée « a inspiré certains auteurs chrétiens des premiers siècles qui voyaient en [lui] le vainqueur des forces brutales de la nature (Dionysos), semblable à Jésus qui avait triomphé de Satan [6]». Les Templiers Hugues du Faure et Antoine de Verceil ont raconté, lors de leur déposition au cours du procès de l’Ordre, une légende dont ils disent avoir eu connaissance de Templiers d’outre-mer. Un chevalier de Sidon s’éprit d’une jeune fille qui mourut avant que d’être conquise. Son désir l’emportant, le soir de l’enterrement il viola la tombe et la morte. Une voix venant de nulle part lui annonça que s’il revenait dans neuf mois, il trouverait une tête qui répondrait à tous ses souhaits. De retour à la date indiquée, il trouva la fameuse tête qui accomplit la promesse qui lui avait été faite. Un poète anglais, Roger de Hoveden, ajoute à la légende la précision du nom de la jeune fille : Yse. La légende fait écho aux traités d’alchimie qui annoncent souvent que « la matière première se recueille au sexe d’Isis ».

Le premier pape français, Gerbert d’Aurillac, qui porta le nom de Sylvestre II, qui importa la numération arabe en Europe, s’était fabriqué, dit-on, une tête qui répondait par oui ou par non aux questions qu’il lui posait et lui prédisait l’avenir.

Il ne s’agit pas ici de retracer toutes les phases de la réalisation de la Pierre philosophale, qui varient suivant les auteurs et dont la complexité me dépasse, mais de constater que les lieux en rapport avec les tracés des nonagones révèlent qu’un des rites qui permettraient d’agir le pentacle qu’ils constituent, pourrait bien être l’alchimie elle-même.

Pour cela je m’attarderai sur le martyr de Saint Quentin, dont la cité éponyme dans l’Aisne se trouve dans le cercle templier de Homblières et sur le petit nonagone. Ce martyr est décrit dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. Le nom même du livre ainsi que le jugement sévère de l’humaniste espagnol Vives sur son auteur - «  un homme à la bouche de fer et au cœur de plomb » - nous fait penser à la transmutation métallique qui constitue l’un des objets de l’alchimie. Il est à noter que Jacques de Voragine était dominicain comme son contemporain Albert le Grand, patron des scientifiques depuis 1941, à qui est attribué l’ouvrage De Alchimia. Une légende de la fin du Moyen Âge raconte même que c’est saint Dominique qui transmit son savoir hermétique à Albert le Grand. Un autre dominicain, Vincent de Beauvais, rédigera l’un des écrits les importants de cette période, le Speculum Naturalis, vers 1250.

Le texte du martyr de saint Quentin est tiré de la Légende dorée de Jacques de Voragine, aux éditions Garnier Flammarion, traduction de l’abbé Roze, ceux d’Esprit Gobineau de Montluisant et de Dom Belin du livre de Claude d’Ygé, Nouvelle assemblée des philosophes chymiques, aux éditions J.C. Bailly.

« Quentin, noble citoyen romain, vint à Amiens où ayant fait beaucoup de miracles, il fut pris par l’ordre de Maximien, préfet de la ville, et battu de verges, jusqu’à l’entier épuisement des bourreaux ; après quoi il fut jeté en prison. Mais un ange l’ayant délivré, il alla au milieu de la ville prêcher le peuple. ». Cette libération rappelle une opération de la préparation de la matière première. On lit dans La parole délaissée de Bernard le Trévisan que « dans le premier degré de la Pierre physique nous devons faire notre Mercure végétal net et pur, qui est appelé par les Philosophes Soufre blanc, non urent, lequel sert de moyen pour conjoindre les soufres et les corps ». Dans les entrailles d’Or et d’Argent, « comme dans le ventre de sa Mère, l’Argent vif est contenu multiplié, purgé et converti en Soufre blanc non urant, par l’action de la chaleur du feu, étant là-dedans informé régulièrement par l’Art ». Chez un autre auteur, dans La lumière sortant des Ténèbres, cette partie de l’œuvre est plus imagée : « Mais où est donc ce Mercure aurifique qui résout en soufre et en sel devient humide radical des métaux, leur semence animée ? Hélas, il est emprisonné en un cachot si dur que la Nature même ne saurait le tirer de sa prison rocheuse, si l’Art magistral ne lui ouvrait les voies ». L’Art magistral joue ici le rôle de l’ange.

« Pris une seconde fois, étiré du haut du chevalet jusqu’à ce que ses veines eussent été rompues, rudement battu à coups de nerfs de bœuf, il endura l’huile, la poix, la graisse bouillante ; comme il se moquait du président, celui-ci irrité lui fit jeter dans la bouche de la chaux, du vinaigre et de la moutarde ». Le deuxième degré dans la parole délaissée de Bernard le Trévisan indique : « Si tu veux avoir une bonne multiplication en très fortes Qualités et Vertus Minérales par les Opérations du deuxième degré, moyennant Nature, prends les Corps nets et unis avec eux ce Mercure, selon poids connu des Philosophes et conjoints cette Eau sèche, qui a en soi le Soufre des Eléments et qui est appelée Huile de Nature et Mercure sublimé et subtilié, dissous et endurci par les préparations du premier degré, en séparant toujours et rejetant les résidences ou fèces qu’il fait dans la Sublimation, comme étant d’aucune valeur ». « Après donc que notre Compôt est fait, on doit le mettre dans un vaisseau secret, cuire à feu très lent, ou sec, ou humide, et lui en faire boire notre Eau permanente, peu à peu, en dissolvant et congelant tant de fois que la Terre monte feuillée, laquelle ensuite doit être calcinée et finalement incérée, en la fixant avec la même Eau qui est appelée Huile fixe et incombustible, jusqu’à ce qu’elle flue ou fonde promptement comme la cire ». L’eau permanente est appelée dans la Tourbe des Philosophes, recueil alchimique arabe du haut moyen âge traduit en latin, Vinaigre très aigre et très aigu. Divisée en deux partie, cette Eau « dissout le Corps en le calcinant, c’est-à-dire en le réduisant en Chaux et en le congelant ». D’autre part : « Observez donc que quand notre Compôt commence à être abreuvé de notre Eau permanente, alors il est entièrement tourné en manière de Poix fondue, et devenu noir comme charbon ; en cet état il est appelé la Poix noire… ».

« Mais il demeurait encore inébranlable ; alors il fut conduit à Vermand, où le président lui fit enfoncer deux broches qui allaient de sa tête à ses cuisses, et dix clous entre ses ongles et sa chair ». On a vu dans le deuxième degré décrit par Bernard le Trévisan que la Terre doit être fixée. On trouve chez Esprit Gobineau de Montluisant, dans son Explication très curieuse des énigmes et figures hiérogliphiques physiques qui interprète certaines sculpture de Notre Dame de Paris, les termes enclouer et fixer employés ensemble pour expliquer la constitution des choses d’ici-bas. « La figure posée au premier cercle du portail, vis-à-vis l’Hôtel-Dieu, représente au plus haut, Dieu le Père, Créateur de l’Univers, étendant ses bras et tenant en chacune de ses mains une figure d’homme, en forme d’Ange ». Ce sont l’Âme universelle et l’Esprit catholique. Chacun respectivement émané dans le ciel élémentaire donne le soufre et le mercure. Le Sel céleste procède de l’Âme et de l’Esprit. « Ce Sel est celui de la Sapience, c’est-à-dire la copule et le ligament du feu et de l’eau, du chaud et de l’humide en parfaite Homogénéité, et qui est le troisième principe : il ne se rend point visible ni tangible dans l’air que nous respirons, où il est subtil et fluide, et il ne manifeste son corps visible, que par son séjour et dépôt en résidu dans les mixtes, ou composés d’éléments qu’il fixe et encloue, en se mêlant intimement au Souffre, Mercure et Sel, qui sont les principes naturels à lui fort analogues, et Constituteurs des Créatures Sublunaires […] D’où il faut conclure que ces 3 substances, Souffre, Mercure et Sel universel, célestes sont les vrais principes principians de la génération de toutes choses, et que ces 3 substances naturelles et sublunaires dans lesquelles les 3 premières se rendent infuses et corporifiées, sont les véritables principes principiés, constituteurs de la génération des Corps, par l’enclouement et la fixation qu’ils font des qualités élémentaires propres à la température des individus selon les Décrets de la Providence ».

« et il fut décapité ». Toujours dans La parole délaissée : « Cette Masse noire ou noircie est la clef, le commencement et le signe d’une parfaite manière d’opérer au second régime de notre Pierre précieuse. Aussi Hermès dit-il en voyant cette noirceur : Croyez que vous avez opéré dans la bonne voie ». Ici nous devons faire appel à d’autres auteurs pour faire correspondre le martyr de saint Quentin au grand Œuvre. Dom Pernety, dans son Dictionnaire mytho-hermétique, à ce moment des travaux, écrit : « Lorsque la matière est comme de la poix noire fondue, ils l’appellent le « Noir plus noir que le noir même, leur plomb, leur Saturne, leur Corbeau etc. ». Et ils disent qu’il faut alors couper la tête du Corbeau avec le glaive ou l’épée, c’est-à-dire avec le feu, jusqu’à ce que le Corbeau se blanchit ». Et Nicolas Flamel dans ses Figues hiéroglyphiques : « ôte la tête à cet homme noir ; coupe la tête du corbeau, c’est à dire blanchit notre sable ». Je ne sais s’il faut garder la tête ou la jeter comme le dit Eugène Canseliet, mais Dom Jean Albert Belin, dans Les Aventures du Philosophe inconnu, note : « Quand tu verras la teste du Corbeau, prend nostre coustelas, car il faut la coupper, et mettre la Colombe à sa place. […] Prends donc mon fils, la teste du Corbeau, et par decoction augmentant le feu de quelque poinct, oste luy sa noirceur ».

Son corps fut jeté dans un fleuve, y resta caché 55 ans, et fut retrouvé par Eusébie, une noble dame romaine aveugle depuis neuf années et que trois songes conduisent sur les rives de la Somme. Elle se rend alors au camp de Vermand au bord du fleuve. Le corps de saint Quentin arrive en surface, intact, et sa tête émerge un peu plus loin dans une odeur suave. Elle l’ensevelit et recouvre l’usage de la vue. Elle bâtit ensuite en cet endroit une église, après quoi elle se retira dans ses domaines. Le fait d’être jeté à l’eau rend compte de la suite des travaux. Bernard le Trévisan le déclare : « Observez que la manière d’opérer au Noir, au Blanc et au Rouge est toujours la même, à savoir cuire le Compôt en le nourrissant de notre Eau permanente, c’est-à-dire le Blanc d’Eau blanche, et le Rouge d’Eau rouge ».

Finalement le corps du Saint se retrouve en odeur de sainteté et entier, tel un « Corps beau » réalisé en Pierre philosophale qui guérit, en particulier la cécité de la noble dame romaine. La durée de 55 ans, pendant laquelle le corps du saint reste caché, peut renvoyer au temps nécessaire pour achever le grand Œuvre. Bernard le Trévisan, n’aurait réussi qu’à l’âge de 82 ans, alors qu’il avait commencé l’entreprise à 14 ans. Nicolas Flamel avoue dans ses Figures hiéroglyphiques avoir errer 21 ans avant que de partir pour Compostelle en 1378 et d’atteindre la Pierre 4 ans plus tard le 17 janvier 1382, un lundi, aux environs de midi. Pour ce qui est de la guérison de la cécité de la noble dame, le Songe-verd dont l’auteur est peut-être Bernard le Trévisan présente une allégorie dans laquelle il « se plaignit de devenir aveugle et on lui frotta les yeux avec une herbe magique qui lui permit de recouvrer la vue : symbole transparent de l’Adepte qui s’éveille à la compréhension réelle des choses. [7]»

Petit tour des lieux alchimiques, reconnus par Josane Charpentier dans son livre La France des lieux et des demeures alchimiques, rencontrés sur les nonagones

Il ne s’agit pas ici de faire une description précise de chaque motif décorant les monuments dits alchimiques, mais de donner juste une indication sur la réalité de telles constructions.

Amiens

A droite du porche central, on observe une femme menaçant d’une épée un moine tenant un livre fermé : la matière est encore vierge, qu’il faut dégager de sa gangue, l’ouvrir. Un autre quatre-feuilles présente un chevalier ayant laissé tomber son épée, devant un arbre où est perché un oiseau et au pied duquel est un lapin : lapin et oiseau représentent la nature fuyante et volatile du mercure sorti de sa gangue, l’épée est devenue inutile. Encore une autre quatre-feuilles présente un vieillard pensif devant une double roue à 9 rayons qui symboliserait le Philosophe alchimiste surveillant le "feu de roue". Au porche du Sauveur, un médaillon représente un homme assis, les pieds sur des ossements, et tenant un livre : la matière est travaillée et les ossements indiquent que la putréfaction, première phase de l’Œuvre, est accomplie. Un autre motif montre un homme, le pied sur une pierre, qui tombe à la renverse : symbole de l’échec du philosophe tout près du but.

Bourges

Jacques Cœur commence la construction de son palais en 1443, alors qu’il est encore Grand Argentier du roi Charles VII. Sur le tympan central des trois portes conduisant à la chapelle, on peut voir trois hommes dont les actes sont proprement alchimiques : « A droite du bas-relief, un personnage recouvre l’autel  d’un voile, tel un bedeau qui range tout, une fois la messe dite. Mais cet autel ressemble plus à la pierre cubique qu’à un autel véritable, et pour que nous ne nous y trompions pas, on remarque sculpté au centre du cube, un matras contenant un cœur et une coquille, surmontés d’une croix ; ainsi nous sont indiqués le creuset (croix), le mercure (la coquille), et le soufre (le cœur). Donc, plutôt que l’autel, il est permis de penser que ce cube représente le fourneau par lequel vient d’être opéré le travail alchimique : l’union du soufre et du mercure. ». Dans la cathédrale Saint-Étienne, la chapelle funéraire que se destinait Jacques Cœur est éclairée par des vitraux où figurent saint Jacques et sainte Catherine, autre décapitée. Eugène Canseliet écrivait au sujet de la femme sans tête de la rue Le Regrattier de l’Île Saint-Louis qu’elle représentait le dissolvant universel, l’épouse blanchie et décapitée. Jacques Cœur mourut 9 ans après la réalisation de ce vitrail, le jour de la sainte Catherine. Toujours à Bourges, mais à l’Hôtel Lallemant, la loggia dans la cour d’honneur, recèle un bas relief de pierre peinte représentant saint Christophe déposant l’enfant Jésus sur un rocher, avec un ermite venant à leur rencontre en portant une lanterne. Selon Fulcanelli Christophe est Chrusophoros, celui qui porte l’or, et Jésus est « le soufre solaire ou or naissant élevé sur les ondes mercurielles et porté ensuite par l’énergie propre de ce mercure au degré de puissance que possède l’élixir [8]». Sur ce bas relief on compte 9 pierres, comme sur celui de la chapelle illustrant la Toison d’or « énigme complète du travail alchimique ». Le plafond de la chapelle est constitué de 30 caissons ornés de figures alchimiques : la colombe rayonnante, le corbeau juché sur un crâne, une ruche entourée d’abeilles (dans les armoiries d’Elbeuf et de Brioude).

Charlieu

Au portail nord, sur le pied-droit à gauche, une femme allaite un crapaud et se défend d’un serpent qui monte le long de sa jambe. Au-dessous un lion couronné, un oiseau et une rose à 6 pétales signent le caractère alchimique du bas-relief. Le crapaud qui porte, selon la légende, dans sa tête la pierre appelée crapaudine, est le symbole de la matière première contenant en puissance la pierre. Le lait de vierge dont s’abreuve le crapaud est le Mercure représenté aussi par le serpent qui s’avance vers le vagin, image du matras. Le lion est le principe fixe, l’oiseau le volatil, et la rose, sceau de Salomon et pierre réalisée.

Chartres

La cathédrale abrite deux vierges noires symbole de la matière première, que l’on extrait de la mine, avant de la travailler. L’une, Notre-Dame-De-dessous-Terre, dans la crypte, porte un nom particulièrement approprié. Un chapiteau de la tour nord présente « une femme tient trois branches […] terminées non par des fleurs mais par des grenades encore fermées. […] Elles représentent les trois phases du Grand Œuvre ; et le Sagittaire qui s’apprête à décocher une flèche indique que nous sommes au premier stade de l’œuvre : la séparation à l’aide du fer ». Stade décrit par Dom Jean Albert Belin dans Les Aventures du Philosophe inconnu : « Prends de l’acier bien affiné et ouvre luy les entrailles, et tu trouveras cette seconde matière des Philosophes tant recherchées dès si longtemps, mais sans acier bien raffiné et travaillé par la main d’un bon Maistre, n’en pense pas venir à bout ».

Lyon

La cathédrale Saint-Jean Baptiste s’orne sur une rangée verticale à gauche du portail central d’une Vierge au livre ouvert dans lequel un ange lui désigne un passage. Ce livre ouvert représente la matière première travaillée. A droite du portail, une tête du saint décapité, comme saint Jacques ou saint Quentin, symbole de la tête du corbeau de l’œuvre au noir.

A droite du portail de droite, on peut voir un singe, image de l’alchimiste imitateur de la Nature, lire toujours le livre ouvert. Ailleurs un pélican s’ouvre le ventre pour nourrir ses trois petits, correspondant à la phase appelée sublimations. Le pélican est aussi le nom d’un appareil de distillation ainsi nommé en raison de sa forme. Un quadrilobe représente un athanor au-dessus duquel s’élève la tête d’un roi couronné, le sel des philosophes. Puis une sirène tient une cithare au-dessous de laquelle s’épanouit une rose, symbole de la Pierre philosophale obtenue à la dernière phase de l’œuvre appelée Art de Musique.

Nantes  

Le tombeau du duc François II et de sa femme Marguerite de Foix commandité par leur fille la reine de France Anne de Bretagne, a été étudié par Fulcanelli. Il est entouré à ses quatre coins des vertus cardinales : la Justice, la Force, la Tempérance et la Prudence. La Justice porte l’épée au pommeau en soleil rayonnant, qui permet de trancher dans la matière première représentée par le livre fermé, et de l’ouvrir. La statue porte un voile retenu par les bras pliés comme celui dont été revêtu celle de la déesse de la Sagesse, Minerve. La Force tord le coup à un dragon tiré d’une tour, symbole du Mercure extrait de la gangue de la minière. La Tempérance tient en main un mors de cheval, symbole de la cabale, de telle sorte « que la tempérance et la Science cabalistique s’identifient sous une seule forme symbolique ». La Prudence présente deux visages opposés, celui d’une jeune femme et celui d’un vieillard, semblant célébrer les noces chymiques « du vieillard sain et vigoureux avec une jeune et belle vierge » d’où doit naître l’enfant androgyne ayant les propriétés du soufre et du mercure.

Paris

Notre Dame a été étudiée au XVIIème siècle par Esprit Gobineau de Montluisant, gentilhomme chartrain. En particulier le portail qui présente sur sa gauche une figure humaine ayant sous ses pieds le dragon volant dévorant sa queue par lequel est représentée la Pierre philosophale, une autre figure foulant deux chiens s’entredévorant qui sont appelés par les Philosophes chien d’Arménie et chienne de Corascène qui signifient que « le combat des deux substances de la Pierre est d’une seule racine ; car l’humide agissant contre le sec, se dissout, et ensuite le sec agissant contre l’humide… est englouti par le même sec, et réduit en eau sèche, et cela s’appelle prendre dissolution de corps et congellation de l’esprit ; ce qui est tout le travail de l’œuvre hermétique ». Au pilier du milieu du portail, on trouve la figure d’un évêque mettant sa crosse dans la gueule d’un dragon qui étreint de ses pattes un athanor, et entoure de sa queue une tête de roi à la triple couronne entre deux eaux. « Cet évêque représente le sage Artiste Chimique, lequel fait par son art congeler la substance volatile et sortir du vase qui le contient, sous la forme d’eau ondoyante, c’est-à-dire qu’il est excité à ce mouvement interne par une douce chaleur externe ; et ce Roi couronné est le souffre de nature, qui est fait par l’union phisique et excentrique des trois substances homogènes mais séparées par l’Artiste de la première matière Catholique, lesquelles trois substances sont l’esprit éthéré mercuriel, le sel sulfureux, ou nitreux, et le sel alkali ou fixe, et qui conserve son nom de sel entre les trois principes principians et les trois principes principiés, qui tous trois étaient contenus dans le chaos humide, dans lequel ce Roi se noye, et semble demander secours, qu’il n’obtient de l’Artiste alchimique qu’après s’être dissous dans le dissolvant de sa propre substance, qui lui est semblable, après quoi il aura mérité d’être satisfait en sa demande, c’est à dire qu’après qu’il a été englouti, et fait eau par son eau, il se congèle par sa chaleur interne, excité par son sel, ou sa propre terre ; par laquelle opération simple, naturelle, et sans mélange, se fait le Magistère des Sages, qui n’est autre chose que dissoudre les corps, et congeler l’esprit , après avoir mis dans l’œuf cristallin le poids convenable de l’une et l’autre substance, qui sont triple, et une ; car tout le travail de l’Œuvre est de monter et descendre successivement, qu’on appelle ascension et descension, jusqu’à ce que de quatre qualités élémentées contraires, homogénéisées, l’on fasse trois principes constitutifs et ordonnateurs ; que des trois l’on fasse apparoir le feu et l’eau, le sec et l’humide, que de ces deux l’on fasse un seul parfait pétréifié en sel, qui contient tout ; le Ciel et la terre, en épuration et cuisson des hétérogènes. »

On ne peut parler de l’alchimie parisienne sans dire un mot de Nicolas Flamel. Né aux environs de 1330 à Pontoise, Nicolas Flamel s’installa écrivain public à Paris. Il épousa une femme deux fois veuve de 20 ans plus âgée que lui, qui lui apporta une certaine aisance. Une nuit, le rêve ou la vision d’un ange lui montrant un livre le fit basculer dans l’hermétisme. Il retrouva le fameux livre chez un libraire dont l’auteur était « Abraham le juif, prince, prêtre, lévite, astrologue et philosophe ». Plus de 20 années de vain décryptage l’amenèrent à faire le voyage de Saint-Jacques de Compostelle, dans la région où il pourrait recevoir de l’aide. Il rencontre au retour, à Léon, un juif converti qui le mettra sur la voie et mourra dans ses bras à Orléans. 4 ans encore d’effort lui permettront, le 17 janvier 1382, de réaliser la Pierre philosophale. Notons en passant l’importance de la date nonagonale du 17 janvier dans l’histoire du curé de Rennes-le-Château, Béranger Saunière. Sa richesse s’accrut rapidement, les dons qu’il fit se multiplièrent, si bien qu’il fit l’objet d’une enquête ordonnée par Charles VI qui n’aboutit pas. Il meurt en 1418 en léguant toute sa fortune à la paroisse de Saint-Jacques-la-Boucherie. Sa pierre tumulaire se trouve au Musée de Cluny sur laquelle sont gravés une étoile flamboyante à 9 branches ainsi qu’un corps en putréfaction.

Pierre tombale de Nicolas Flamel, Musée de Cluny, Paris

Une telle étoile se recontre aussi dans un caisson de la galerie haute du château de Dampierre-sur-Boutonne que Fulcanelli a interprété. Etoile qui serait un soleil : « Caisson 9 : - le soleil, perçant les nues, darde ses rayons vers un nid [...] contenant un petit oeuf [...]. Le phylactère, qui donne au bas-relief sa signification, porte l'inscritption :

.NEC.TE.NEC.SINE.TE

Non pas toi, mais rien sans toi. Allusion au soleil, père de la pierre, suivant Hermès et la pluralité des philosophes hermétiques. L'astre symbolique, figuré dans sa splendeur radiante, tient la place du soleil métallique, ou soufre, que beaucoup d'artiste ont cru être l'or naturel. [C'est ce] soufre, conjoint au mercure, qui collabore à la génération de notre oeuf en lui donnant la faculté végétative. Ce père réel de la pierre est donc indépendant d'elle, puisque la pierre provient de lui, d'où la première partie de l'axiome : nec te ; et comme il est impossible de rien obtenir sans l'aide du soufre, la seconde proposition se trouve justifiée : nec sine te. Or, ce que nous disons du soufre est vrai pour le mercure. De sorte que l'oeuf, manifestation de la nouvelle forme métallique émanée du principe mercuriel, s'il doit sa substance au mercure ou Lune hermétique tire sa vitalité et sa possibilité de développement du soufre ou soleil des sages.

Romorantin

Le logis de bois du XVème siècle, le Carroir doré, présente sur un corbeau un bas-relief de la lutte du chevalier et du lion, comme on pouvait le voir à Coucy, symbole de la fixation du mercure philosophal quand il s’agit du lion volant.

Rouen

Comme à Chartres, sur le piédroit à droite du portail nord de la cathédrale, on retrouve le Sagittaire décochant sa flèche, mais aussi un fou, symbole du Mercure, tenant un matras, vase à long col servant aux opérations alchimiques, prêt à être pourfendu par un homme brandissant un coutelas. Puis une sirène, symbolisant les deux natures unies et pacifiées.

J’ajouterais à cette liste :

Arcy-sur-Cure, château de Chastenay

Dans la même famille depuis 1086, le château de Chastenay est un haut lieu de l’alchimie par sa décoration. La tour Saint-Jean porte une coquille Saint-Jacques à 9 pans, signe de l’initiation, de même que le château était un relais de pèlerins. Au fronton se trouvent les représentations des adeptes Jean de Lys et Jean Flamel qui était aussi juriste.

Beausoleil, baronnie

La baronnie de Beausoleil se trouve sur la commune de Saint-Cyr-de-Gault. Elle appartenait à Martine de Bertereau, minéralogiste, astronome et alchimiste du XVIIème siècle. Martine naît vers 1580 dans l'Orléanais. Elle est la fille de Pierre de Bertereau, chevalier, seigneur de Montigny. Vers 1600, elle épouse Jean du Chastelet, originaire du Brabant, déjà reconnu pour ses talents de minéralogiste. Elle lui apporte en dot la baronnie de Beau-Soleil (près de Lancôme dans le Loir-et-Cher). Martine s'adonne alors à la descente dans les puits et canaux des mines, ainsi qu'à l'exercice quotidien des fontes, séparations et épreuves. Installés elle et son mari en Bretagne, ils sont inquiétés par la justice. Leur technique de prospection s'apparenterait selon les on-dit à la sorcellerie. La baronne, emprisonnée à Vincennes en 1641 par ordre du cardinal Richelieu, y finira sa vie. Elle fut pourtant la première révélatrice des richesses souterraines de la France en faisant la liste de toutes les mines du pays.

Cheverny

Il a servi de modèle au château de Moulinsart créé par Hergé. Terminé en 1634 sur les plans de l’architecte Boyer, il recèle un ensemble de peinture dans les appartements, dont la chambre du roi, dues à Jean Mosnier, et racontant les histoires de Don Quichotte, Adonis, Ulysse, Persée, Théagène et Chariclée. Ces derniers, sont les héros des Ethiopiques, œuvre d’Héliodore d’Emèse. Chariclée, fille du roi d’Ethiopie Hydrapas et abandonnée à sa naissance, en raison de sa carnation blanche, par sa mère Persine qui avait contemplé l’image d’Andromède pendant sa grossesse, se fiance en secret à Delphes à un jeune Thessalien, Théagène. Embarqués pour l’Egypte, ils sont séparés l’un de l’autre par des pirates. Après mille péripéties, ils se retrouvent chez le roi d’Ethiopie où ils sont reconnus, Chariclée pour la fille du roi, Théagène pour un puissant prince. Le mariage final, la couleur noire attachée à l’Ethiopie, autoriseraient une interprétation alchimique du roman, qui fut apprécié d’Amyot et de Racine. En effet, citons Paulette Duval : « Nous reconnaissons des thèmes familiers : le roi noir (éthiops) et cependant aqueux (hydrapas) est le symbole du noir Saturne, ou du plomb noir, en alchimie, et l’on se souvient que Aquarius a pour maître astrologique aussi le noir Saturne ; la fille blanche du roi « noir », c’est le premier mercure [9]».

Ecuillé

Sur la commune d'Ecuillé, se trouve le château du Plessis-Bourré construit de 1468 à 1472 par Jean Bourré, grand argentier et confident de Louis XI. Il tenait donc le même rôle que Jacques Coeur auprès de Charles VII, père de Louis XI. L'édifice a été étudié par Eugène Canseliet dans son livre « Deux logis alchimiques ». Notons "La fontaine indécente" où l'on voit une femme uriner debout jupe retroussée dans un récipient tenu par un homme tandis qu'un autre se repose ou bien "La sirène obscure et enceinte" qui est noire et tient un miroir, symbole de la Virgo paritura, qui doit enfanter, étape précédent la Vierge noire portant l'Enfant sur ses genoux. Notons que Plessis vient du latin plexus, (entrelacé), et signifie clôture de branches entrecroisées. Plessis nous renvoie à la barrière qui enclot l'hermine au caisson 8 de la 7ème série du plafond de la galerie haute du château de Dampierre-sur-Boutonne étudié par Fulcanelli, figure de l'enveloppe du mercure animé.

Edimbourg

La cadran solaire d'Holyrood (Sundial) a été réalisé à la demande du roi Charles Ier en 1633 par son maître maçon John Milne avec John Bartoun. C'est un isocaèdre posé sur un piédestal dressé sur une base pentagonale formée de trois degrés plans. Pour Fulcanelli le Sundial est une traduction cachée du Grand OEuvre philosophique, symbolisant le cristal inconnu ou Sel de Sapience. Comme l'emblème du chardon écossais décore le monument en plusieurs endroits, Fulcanelli le relie à l'Ordre du Chardon, fondé par Jacques V en 1540, et qui fut supprimé en 1587 pour renaître en 1687. Y aurait-il un rapport avec Hilaire de Chardonnet, proposé étant Fulcanelli ? L'Ecosse est terre d'alchimie. Le roi Jacques IV, tué à la bataille de Flodden en 1513, fut passionné par l'Art royal et finança l'aventurier John Damian pour rechercher la quinte essence, permettant de réaliser la pierre philosophale. Un siècle plus tard la légende raconte les aventures d'Alexandre Seton dont on parle au sujet d'Oldmeldrum. Je renvoie aux Demeures philosophales pour plus de détails.

Flers

Le trio d'alchimistes qui travaillait à Flers en Normandie, au début du XVème siècle, était composé du seigneur de Grosparmy, de son ami Nicolas Valois et de leur chapelain Vicot. Il ressort nettement des manuscrits que Valois fut l'âme du groupe, Grosparmy jouant les mécènes, se piquant de traiter de science. « Vicot l'illuminé, à l'affût de recettes nouvelles, essayait de découvrir celle enfin capable de faire de l'or ! Aucune des oeuvres des adeptes de Flers ne fut imprimée; cependant il en existe de multiples copies manuscrites généralement très bien exécutées. Ces copies, et surtout les plus anciennes, contiennent des notices historiques, témoignage de la curiosité que nos Normands ont provoquée. Leurs oeuvres auraient été composées de 1430 à 1450 alors que toutes les copies que possèdent les bibliothèques sont au plus tôt du XVIIe siècle. [En fait] Vicot n'a laissé aucune trace dans les archives des chartriers seigneuriaux [10]». On ne peut rattacher Nicolas Le Valois à la maison des seigneurs d'Escoville avec certitude. Les Le Valois d’Escoville apparaissent en la personne de Jean Le Valois dont le fils Nicolas, né en 1494, fit construire un hôtel orné de sculptures symboliques dans le goût du temps, à Caen.

« La pensée des trois alchimistes de Flers reste connue par leurs ouvrages. Nicolas Grosparmy composa deux traités: l'Abrégé de Théorique et le Secret des Secrets, traduction assez libre de La Clé d’une plus grande sagesse, de l'alchimiste arabe Artéfius. C'est ce traité dont parle Chevreul dans sa série d'articles sur Artephius : en effet, jusqu'en 1850, la Clef de la Sapience était attribuée à Alphonse X le Sage. Chevreul prouve que ce traité est de la main d'Artephius ; seul problème : Artephius n'a jamais existé... [11]». Ces traités sont contenus dans le manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal - ms 160. in-4. -, du XVIe siècle, qui est remarquable par la beauté et par l'élégance de son écriture. On y lit sur le verso de la 1ère feuille, ces lignes :

« Grosparmy était un gentilhomme du pays de Caux en Normandie ; il y avait, dit-on, trouvé la pierre philosophale dans son château, où il y avait une vieille tour qui fut abattue longtemps après sa mort, et dans laquelle le comte de Flers, son héritier, avait, dit-on, trouvé la poudre de projection qu'a faite Grosparmy et son ami Valois. L'abbé Vicot était précepteur des fils de Grosparmy, et il mettait en vers les découvertes alchimiques du seigneur chez qui il demeurait. » . Ce traité est suivi des cinq livres de Nicolas Valois, compagnon du seigneur Grosparmy, et de celui du prêtre Vicot.

Gambais

Henri Désiré Landru a rendu célèbre cette commune dans laquelle il loua une maison, L’Ermitage. Dans Lumières de l’alchimie, Arnold Waldstein fait part du côté hermétiste de Landru. Il est resté en effet muet sur les onze crimes qu’on lui a imputés, mais il s’exprimait aussi d’une manière sibylline avec son avocat ou avec le juge. Il montra un jour le plan de « The Lodge » à son avocat avec l’inscription « : « Tout s’est passé à l’intérieur ». Au juge il répondait quand il lui posait des questions sur sa vie privée : « Le mur ». Enfin, avant son exécution, il demanda à se laver les pieds selon un rite obscur. Landru avait laissé la liste de 283 femmes qu’il avait rencontrées. L’enquête avait déterminé le nom de onze personnes dont la trace n’avait pas été retrouvée. Landru s’en était fait connaître sous différents noms : Emile Diard pour Madame Cuchet et son fils, de Cuchet pour Mesdames Laborde-Line et Guillin, de Georges Frémyet pour Mesdames Buisson, Collomb et la jeune Andrée Babelay, de Petit pour Madame Héon, de Forest de Barzieux pour Madame Pascal, de Lucien Guillet pour Mesdames Jaume, Marchadier. C’est sous ce nom qu’il fréquentait Fernande Segret, sa dernière maîtresse, la cantatrice, qui se suicida en se jetant dans les douves du château de Flers, la ville des alchimistes Grosparmy et Valois. En 1968, Landru passait aux aveux posthumes. « Le bâtonnier Claude Lussau et la fille de Me Navières du Treuil annonçaient qu’ils allaient donner une conférence de presse pour révéler au public l’ultime rebondissement de l’affaire Landru. Peu avant sa mort, survenue l’année précédente, Me Navières du Treuil avait confié à sa fille un document que Landru avait demandé qu’on lui remît après son exécution. Il s’agissait d’un dessin de sa main représentant la maison de Gambais avec la sinistre cuisine en premier plan. Le condamné y avait porté deux légendes. L’une, au resto, rapportait la déclaration de Madame Falque : « Landru m’a dit qu’on pouvait y brûler tout ce qu’on coulait. » L’autre, au verso, était une appréciation de l’assassin : « Cela démontre la bêtise des témoins. Rien ne s’est passé devant le mur, mais dans la maison. » [12]»

Joyeuse

Les armes de la maison de Joyeuse portent : palé d'or et d'azur, au chef de gueules, chargé de trois hydres d'or. Les hydres ont sept têtes comme sur les monnaies grecques anciennes. Mais comme pieuvre sacrée, déguisement de Thétis, l'hydre avait 8 bras terminés par des têtes et un tronc avec une neuvième tête. Euripide va jusqu'à en dénombrer 10 000. Mais l'hydre a une signification alchimique :

« HYDRE. Matiere du magistère avant la déalbation. " Notre Lion, dit Philalethe, étant mis dans notre mer, devient notre Hydre : elle mange ses têtes et sa queue. Et sa tête et sa queue sont son esprit et son âme. Cette âme et cet esprit sont sortis de la boue, dans laquelle sont deux choses contraires, l'eau et le feu. L'un vivifie I'autre, et celui-ci tue celui-là. Il faut les plonger dans notre Hydre, et puis sept fois dans notre mer, jusqu'à ce que tout soit absolument sec, c'est-à-dire, jusqu'au blanc." Hydre. Serpent à plusieurs têtes qu'Hercule tua dans le marais de Lerna. Les Philosophes Spagyriques disent que l'Hydre représente la semence métallique, laquelle si l'on digère, et si l'on cuit dans le vase philosophique, s'altère et se change de maniere qu'elle subit une espèce de mort, et semble acquérir à chaque instant un nouveau genre de vie par les différents degrés de perfection qu'elle prend, de même que l'Hydre prenait dix nouvelles têtes quand Hercule lui en coupait une; ce qui est très clairement le symbole de la multiplication de la pierre. Car autant de fois que l'on recuit et que l'on dissout la pierre avec du nouveau mercure, elle acquiert le décuple de vertu, et a dix fois autant de force transmutatoire qu'elle en avait avant cette nouvelle décoction. Voyez les Fables Egypt. et Grecq. dévoilées, Liv. 5, chap. 4.» [13]

Karlstadt

Johann Rudolph Glauber (1604 – 1670) est né à Karlstadt en Bavière et fut orphelin de bonne heure. Il avait la bougeotte, voyageant sans cesse à travers l’Europe. Un jour, il tomba malade à Vienne en Autriche, frappé du mal hongrois, une sorte de typhus. Il guérit grâce à une eau minérale qu’il distilla en découvrant le sulfate de sodium appelé par lui sel admirable des philosophes, dont la forme décahydratée donne la forme de magnifiques cristaux selon lui. Surnommé le Paracelse du XVIIème siècle, il découvrit le phénol, l’acide acétique et l’acroléine. Il réalisa la synthèse de l’acide chlorhydrique par action de l’acide sulfurique sur le chlorure de sodium. Il distribuait sans compter sa panacée antimoniale (pentasulfure d’antimoine) sensée tout soigner. Il mourut à 70 ans à Amsterdam d’un lent empoisonnement qui le paralysait peu à peu. Glauber a écrit de nombreux ouvrages d’alchimie, de métallurgie et de médecine un peu obscurs mais richement illustrés.

Ces remèdes ne sont autre chose que le blé et l’eau concentrée, ou réduite en une substance plus épaisse, celui-là pour apaiser la faim, et celle-ci pour apaiser la soif […]. Du seigle, de l’avoine, du froment, de l’orge, et autre sorte de blé, on en fait une bouillie comme on a accoutumé dans la cuisson de la bière, et l’on en ôte tout ce qu’il y a de bon suc, comme si on en voulait faire de la petite bière. Ensuite on fait cuire peu à peu cette liqueur dans de larges et profonds vaisseaux de cuivres jusques à consistance de miel. On donne aux bestiaux la paille et le son, pour leur servir de nourriture, mais le suc se peut commodément emporter sur mer, et si l’on veut y ajouter de l’eau et du houblon ou en peut faire de la bière. […] Or il en vient encore une autre commodité, si vous en faites du pain avec de la farine de seigle, lequel est bien plus nourrissant que le pain commun, et a même la vertu de remettre les malades. C’est pourquoi nos Prédécesseur avaient raison de pétrir la farine avec du miel épuré au lieu d’eau, dont ils faisaient du pain qu’ils appelaient des gâteaux de vie.[14]

Malves-Minervois

Le château du XVIème avec ses 4 tours rondes d'angle conserve une cheminée Renaissance en bois sculpté, 2 dalles commémoratives de 1724, la chambre du roi qui reçut Charles VIII et surtout des fresques dans les greniers, appelés chambre de la prisonnière : plafond et murs peints d'une " Dispute d'Ulysse et d'Ajax " et d'un " Festin des Dieux ". Ovide dans ses Métamorphoses offre à Ajax qui meurt en se suicidant par dépit de ne pas recevoir les armes d'Achille accordées finalement à Ulysse, avec la métamorphose de son sang en fleur rouge, une compensation métaphorique, qui transforme le " mirage paternel idéal " en une paternité symbolique. Il accorde, au héro dont l'identité s'était annulée dans celles d'Achille puis d'Ulysse, une reconnaissance de son nom, mais incomplète, car, Ajax n'a droit qu'à la première moitié de son nom, redoublée (AI AI), mais s'identifiant à la plainte suscitée par la mort d'un autre, d'Achille. Cette moitié de nom perdu dans la plainte figure l'indifférence dans laquelle se déroule la mort d'Ajax, que personne ne pleure. La fleur rouge, un lis selon Ovide, métamorphose du sang d'Ajax, est une image de l'écriture, dans sa fonction réparatrice, mais aussi dans sa cruauté, puisqu'elle fixe pour l'éternité les échecs et les souffrances des êtres [15]. La fleur d'Ajax réédite celle de Hyacinthe mort par la faute d'Apollon. Mais on retrouve les lis dans l'enlèvement de Perséphone, fleurs que fait apparaître Hadès pour distraire et attirer la jeune fille. Or Hadès est appelé AIDONEE de AIDES (l'invisible)avec encore AI comme premières lettres.

Avant de mourrir, Ajax prit de folie d'avoir été dédaigné crut massacrer ses compagnons d'armes alors qu'il égorgeait un troupeau de moutons. On a put voir dans cet épisode de la guerre de Troie un aspect alchimique. « Il s'agit là de signes caractéristiques d'une imprégnation mercurielle et nous avons été amenés à penser depuis longtemps que les Grecs, dans la guerre de Troie, en constituaient la part mercurielle, parce qu'Achille est d'essence divine, alors qu'Hector est un humain à part entière. Ovide, s'il était besoin, nous conforterait dans cette vue : il conte, dans ses Métamorphoses, que le sang d'Ajax donna naissance à une fleur, l'hyacinthe, dont les premières lettres, , sont celles d'Ajax. Ajax, c'est aussi le cygne qui meurt par ses propres plumes : ne se suicide-t-il pas avec sa propre arme ? Et en donnant naissance ainsi à la terre, dont la fleur constitue la première manifestation ? AIA, c'est aussi GAIA, la terre. »[16] Nous ajouterons que AIA est aussi un ancien nom de la Colchide, pays de la Toison d'Or...

On peut aussi lire dans le Psautier d'Hermophile : « Or ce mercure double et blanc, d’une blancheur étincelante, tiré par l’eau première, devient rouge, s’il est mêlé simplement avec l’eau seconde, qui est fort blanche au-dehors, et rouge au-dedans. », sachant que la gémellité est bien présente dans l'Illiade. En effet Ajax le Grand fils de Télamon, roi de Salamine, est accompagné d'Ajax le Petit, le Locrien et combattent ensemble. Ajax et Ulysse sont les deux plus valeureux guerriers après Achille et c'est la raison pour laquelle ils sont en concurrence pour se disputer les armes du valeureux héro. Et l'eau seconde peut être symbolisée par l'eau de mer dans laquelle Ajax dit devoir se tremper avant de se retirer dans un lieu désert pour échapper à la vengeance d'Athéna (Robert Graves) en se tuant avec l'épée à la poignée d'argent reçue d'Hector en échange de son baudrier rouge. De plus les lettres AI commencent aussi le mot grec AITHON qui signifie "brillant".

Chez Sophocle, Ajax ne peut se transpercer avec son épée qu'à l'aisselle, seul endroit où l'onguent d'Héraclès ne fut pas passé. Or l'étymologie latine, et non grecque il est vrai, d'aisselle est axilla, signifiant petite aile. Ainsi Ajax, symboliquement se coupe les ailes. L'aspect mercuriel d'Ajax se complète. En effet le mercure double, lien entre le fixe et le volatile, perd ses ailes tout en restant volatil. Il tombe alors dans le compost. On trouve chez Basile Valentin, dans Les douzes clés de la philosophie, un texte portant sur le mercure philosophique. Mais est-il double, je ne sais : "Mercure devint tellement orgueilleux qu'avec peine il se reconnu lui-même. Il rejeta ses ailes d'aigle, dévora sa queue glissante de dragon et provoqua Mars au combat". L'orgueil démesuré du Mercure correspond bien à la folie d'Ajax.

Marcolès

Le village est la patrie de Jean de Roquetaillade (mort vers 1366) auquel on attribue le Livre de la quintessence et le Liber luci. Il a laissé le souvenir en Auvergne d’un illuminé, d’un prophète – lui-même ne se disant pas prophète, mais se proclamant comme un simple instrument de la Providence, comparable à l'ânesse de Balaam de la Bible - prédisant aux humbles et aux grands, et d’un alchimiste. Il fit, à Toulouse de 1328 à 1332, des études de philosophie qu’il poursuivit lorsqu’il entra dans l’ordre franciscain. De retour à Aurillac en 1340, il sera jeté en prison par son provincial Guillaume Farinier, selon son autobiographie qui peut se lire allégoriquement, changeant de lieux de détention – il connaîtra les prisons du pape à Avignon - et n’en sortant que pour comparaître devant ses juges. « Nous imaginons que les raisons de son emprisonnement furent les suivantes : idéal de pauvreté absolue, idées ascétiques et eschatologiques entachées de béguinisme […] Dans le Liber Ostensor, en effet, Jean de Roquetaillade nous dit lui-même qu’il était très vif, très enclin à la colère, très orgueilleux, qu’il devenait dans ses accès une véritable brute. De plus dès 1332, il était favorisé de visions qui n’étaient peut-être pas considérées comme très orthodoxes [17]». Il raconte avec insistance, que, s’étant cassé une jambe et ne pouvant plus se déplacer, ses geôliers le laissaient dans ses excréments. Léon Gineste associe cet épisode à l’œuvre au noir, en grec le terme rupos, ordures, traduit en rupia désignant cette phase. Le nom latin de Roquetaillade est Rupescissa qui s’apparente en effet au mot grec.

Obsédé par la venue imminente de l’Antéchrist qu’il vit, au cours d’une vision, enfant en Chine, il tenait à faire concorder ses prévisions avec l'évolution du cours de l'histoire la plus récente. Il fut donc obligé réajuster ses prévisions d'un ouvrage à l'autre. Ainsi 1355, le jeune prince Louis de Sicile, mort en 1355 et Antéchrist désigné dans le Liber secretorum eventuum (1349), fut remplacé par le roi de Castille Pierre Ier le Cruel, autre figure de mauvais souverain. Il prophétisera aussi la venue d’un pape angélique, corrector et reparator, qui trouvera refuge auprès de la royauté française.

Mais pour ce qu’il est ordonné aux hommes de mourir une  fois (comme dit notre très vrai Philosophe Saint Paul, en Epître aux Hébreux, au neuvième chapitre), ce serait  chose fantastique de travailler en cette vie mortelle, pour chercher une chose  qui puisse faire que notre corps qui est mortel soit immortel. […] Comme duit Job : les jours de l’homme sont brefs, le nombre de ses mois est envers toi. Tu as ordonné ses termes, qui ne passeront point outre. Doncques c’est chose inutile et vaine, de chercher aide pour prolonger celui terme de notre vie. Il nous reste donc à chercher la chose laquelle puisse garder et conserver notre corps de putréfaction jusques au terme ordonné de Dieu pour notre vie, et l’entretenir en santé et s’il est malade le guérir, et étant débilité et quasi mort le restaurer, jusques que la mort préordonné, selon le terme dit, vienne. […] Si tu as ouï cela que je t’ai révélé auparavant, extrait des grands secrets, quand je t’ai dit qu’en toute chose la Quinte Essence demeure pure et sans corruption : ce serait très grande chose si je te déclarais le moyen de tirer ladite Quinte essence du sang humain, de la chair de toutes sortes d’animaux, des œufs, et de toutes choses semblables. Or donc, vu que le sang humain est le plus parfait ouvrage de la Nature en nous, en tant qu’il attouche pour accroître la jeunesse dépendue, il est certain que Nature parfait tellement la Quinte essence, que soudain sans grand appareil elle transmue le sang des veines en pure chair. […] Nul ne peut avoir l’intelligence des grands secrets de l’Alkimie, si son esprit et entendement n’est déifié par la haute contemplation, et sainte vie, tellement qu’il connaisse pas tant seulement les entrailles de nature, mais aussi bien il doit savoir transmuer les choses transmuables.[18]

Milan

Bernardino Luini (Luino, vers 1480 - Milan, 1532) a réalisé, probablement à la Casa Rabia à Milan, dans les années 1520, pour Gerolamo Rabia une série de fresques portant sur la légende mythologique de Céphale et Procris d'après la pièce de Niccolò da Correggio, Cefalo, jouée pour la première fois en 1487. Ces peintures ont été portées sur des panneaux, au début du XIXème siècle, qui se trouvent aujourd'hui à la National Gallery of Art of Washington DC. Comme l'histoire n'est pas entièrement traitée sur les 9 panneaux présents au musée américain, on suppose que la série est incomplète. Un aspect alchimique peut être trouvé dans ces peintures. En particulier l'invention de Luini au 9ème panneau d'une licorne faisant la révérence devant Procris, ressuscitée dans la pièce de Corregio par Diane pour favoriser la réconciliation de Céphale et de sa dulcinée. Dans plusieurs autres panneaux, Céphale est doublement représenté : lorsqu'il creuse la terre pour cacher les bijoux qu'il avait offert à Procris sous l'apparence d'un autre pour tester la fidélité de sa bien- aimée ; lorsque, Procris s'étant enfuie dans la montagne, Céphale refuse d'être consolé par un berger. Faut-il y voir une réminiscence de Basile Valentin avec son " homme double igné ", image du Rebis, à qui l'on doit donner à manger un cygne représenté à Dampierre sur Boutonne transpercé d'une flèche comme Procris sera percée accidentellement avec une lance magique par Céphale parti à la chasse ?

On ne peut parler de Procris sans dire un mot d'un célèbre tableau de Piero Cosimo : La mort de Procris. Le titre de l'œuvre est contesté. En effet, toujours supposé inspiré de Corregio, l'environnement du tableau, près d'un fleuve ou d'un lac, ne correspond pas au paysage forestier du mythe grec relaté par Ovide et même de la pièce. Si chez Corregio apparaît bien un satyre, celui-ci ne veille pas le corps de Procris. Ni Céphale, ni la lance qui tua Procris n'apparaissent sur la toile. Ne peut-on voir dans la peinture de Cosimo un autre sujet mythologique ? La blessure de la jeune femme est située au cou, à la gorge et non à la poitrine ou au ventre pour Procris. Une recherche sur les femmes atteintes au cou ou à la gorge me conduit à considérer la mort de Polyxène. Qui était Polyxène, dont parle Boccace dans Des Dames de renom (1360) ? Fille des Troyens Priam et d'Hécabé (Hécube chez les Latins), elle fut aimée de l'Achéen Achille et est le centre d'une scène tragique de l'Illiade. Le camp des Achéens était situé près de l'embouchure du Scamandre, fleuve de la plaine de Troie appelé aussi Xanthos (jaune en grec). Les batailles de la guerre de Troie se placent aussi dans la plaine du fleuve. On peut voir en effet dans le tableau de Cosimo un fleuve très paisible qui semble se jeter dans le fond dans une étendue d'eau plus large. Sur la berge un chemin en dessous du pélican trace un S dans le sable jaune : S comme Scamandre. Et le pélican, selon Rémy de Gourmont, dans Esthétique de la langue française, se dit aussi platea en latin (comme pelicanus ou pelecanus). Or les Plateae sont deux îles près de la Troade d'après Pline. Nous serions bien à Troie et non en Attique, où se situent les aventures de Procris et Céphale.

Laissons parler Quintus de Smyrne, auteur du IVème siècle après J.-C., qui dans la Suite d'Homère, fait connaître les peines et exploits des Achéens, de la chute de Troie au retour en Grèce. Livre - XIV - Le départ :

" Du sein de l'Océan, l'Aurore au trône d'or s'élançait dans le ciel ; le Chaos engloutit la Nuit. Les Argiens avaient détruit les armes à la main la puissante Ilion et pillé ses immenses richesses. […] Les Danaens, après l'incendie de Troie, emportaient toutes les richesses dans leurs vaisseaux rapides ; ils emmenaient aussi les Troyennes, les unes qui n'avaient pas encore connu l'hymen, les autres qui avaient goûté depuis peu l'amour de leurs maris, d'autres couvertes de cheveux blancs, d'autres enfin plus jeunes au sein desquelles on avait arraché les petits enfants, tandis que, pour la dernière fois, leurs lèvres demandaient le lait maternel. […] Alors, en voyant le ravage de sa chère cité, le Xanthe, à peine respirant du carnage, pleura avec les Nymphes le malheur qui fondait sur Troie et qui avait détruit la ville de Priam. […] un grand deuil accabla le cœur du Xanthe à la ruine d'Ilion ; une grande tristesse l'assombrissait, quoiqu'il fût immortel. L'Ida gémissait alentour avec le Simoïs jusque dans leurs cavernes profondes ; tous pleuraient la ville de Priam. […] La moitié de la nuit s'était écoulée dans la joie du festin : [les Danaens] finirent de boire et de manger, pour goûter un tranquille repos […] Un tranquille sommeil les saisit enfin. A ce moment l'âme vaillante du divin Achille se dressa au chevet de son fils ; il semblait vivre encore, comme aux jours où il était la terreur des Troyens et la joie des Achéens ; il embrassait le cou et les yeux entr'ouverts de son fils et doucement lui disait : " Je veux et désire avant toutes choses qu'on me réserve dans le partage des dépouilles Polyxène au beau péplum et qu'on l'immole à ma mémoire ; je suis irrité contre les Danaens plus que je l'étais pour Briséis ; je troublerai l'eau de la mer, j'exciterai tempête sur tempête, je les punirai de leur oubli, et je les condamnerai à rester sur ce rivage jusqu'au jour où ils m'offriront des libations pour favoriser leur retour ; quand ils auront immolé la jeune fille, ils pourront l'ensevelir non loin de moi, j'y consens ". Ayant ainsi parlé, il disparut semblable à une vapeur légère, et rentra dans les Champs Elysées où les immortels trouvent un accès et une issue faciles. Néoptolème à son réveil se rappela son père, et son cœur généreux fut rempli de joie. Quand l'Aurore, chassant la Nuit, s'élança dans le ciel immense, et fit reparaître aux yeux la terre et l'azur, les fils des Achéens quittèrent leurs couches, dans l'espoir du retour ; et ils tiraient en grande hâte leurs vaisseaux vers la mer ; mais le vaillant fils d'Achille arrêta leur empressement, les appela à l'assemblée et leur exposa le vœu de son père. […] Déjà les flots se soulevaient plus profonds et plus rapides qu'auparavant, le vent soufflait avec fureur et la grande mer s'agitait sous la main de Posidon, car il voulait faire honneur à Achille ; et, à sa voix, toutes les tempêtes se déchaînaient sur les vagues. [Les Danaens] courent au tombeau d'Achille ; ils y amènent la jeune fille comme des bergers traînent aux autels d'un dieu une génisse qui, arrachée à sa mère dans les forêts, témoigne son effroi par ses longs mugissements ; ainsi la fille de Priam poussait de longs cris, entre les mains de ses ennemis, et ses larmes coulaient à flots […] son sein en était couvert et sa peau semblable à un ivoire précieux en était inondée. A cette vue l'âme de la misérable Hécube, accablée par tant de douleurs, éprouva une douleur plus terrible encore ; elle se rappelait un songe affreux qui l'avait effrayée pendant son sommeil, la nuit précédente ; elle avait cru se voir près du tombeau du divin Achille, pleurant, et laissant tomber jusqu'à terre ses cheveux tandis que de son sein coulait sur la poussière un lait mêlé de sang qui arrosait le tombeau. Parfois une chienne inquiète, les seins gonflés de lait, pousse de longs hurlements, devant une maison : car ses petits, avant d'avoir vu le jour, ont été jetés çà et là par le maître pour servir de proie aux oiseaux ; elle se plaint en aboyant et en hurlant, mais ses plaintes se perdent dans les airs […] Cependant les Danaens étaient arrivés au pied du tombeau du divin Achille : alors son fils chéri tira son épée tranchante [et] il plonge l'épée meurtrière dans la gorge de la jeune fille ; aussitôt la douce vie l'abandonne, au milieu d'un gémissement suprême ; elle tombe sur la terre ; son cou blanc est inondé d'un sang rouge ; ainsi la neige des montagnes est rougie par le sang vermeil d'un sanglier ou d'un ours qu'une lance a blessé. Les Argiens emportent son corps dans la ville à la maison du divin Anténor ; car ce héros avait élevé Polyxène pour la marier plus tard à son divin fils Eurymaque. Il ensevelit la noble fille de Priam près de sa maison, devant l'autel sacré de Ganymède, en face du temple d'Atrytone. Alors l'onde se calma, la tempête horrible se tut, et la paix régna sur les flots. […] Tous se disposaient au départ. Mais alors un prodige admirable se manifesta à leurs yeux ; la femme du lamentable Priam fut changée subitement en chienne, à la vue des peuples étonnés ; un dieu pétrifia ses membres, et sa statue demeure un éternel sujet d'admiration pour tous les hommes à venir " (voir www.mediterranees.net/mythes/troie/posthomerica/chant14.html).

Euripide, dans sa tragédie Hécube, précise : " O Argiens, qui avez ravagé ma cité, c'est de plein gré que je meurs. Que nul ne touche mon corps ! Je tendrai la gorge d'un cœur vaillant. Laissez- moi libre par les dieux ! Que je meure libre sous vos coups ! Être appelée esclave chez les morts, moi, princesse, j'en rougirais. […] Elle saisit alors ses voiles, et du haut de l'épaule les déchira jusqu'au milieu du flanc près du nombril, découvrant ses seins et son admirable poitrine de statue. Puis mettant un genou en terre, elle dit ces mots d'une incomparable bravoure : " Voici ma poitrine, jeune homme ; si c'est là que tu veux frapper, frappe ; si c'est au cou, voici ma gorge prête. " Lui, partagé entre deux volontés contraires par pitié pour la jeune fille, il tranche avec le fer le passage du souffle ; et un jet de sang se mit à couler. " (Hécube, 547- 570 trad. Louis Méridier).

Polyxène sacrifiée par Néoptolème sur la tombe d'Achille, amphore tyrrhénienne à figures noires, 570-550 av. J.-C., British Museum

Photographe : Marie-Lan Nguyen, 2007

(voir Wikimedia - Polyxène)

La jeune fille de Cosimo a en effet la poitrine découverte, et un jet de sang s'échappe de la blessure de son cou.

Toujours selon Euripide, Hécabé, après le sacrifice de Polyxène et sa découverte du corps de son jeune fils Polydoros assassiné par Polymnestor, crève les yeux de celui-ci et tue ses deux fils. Puis, alors que les notables de Thrace s'apprêtent à la lapider, elle se métamorphose en chienne appelée Maera et les fait fuir. Maera est aussi le nom de la chienne fidèle d'Icarios, inventeur du vin, qui fut tué par des bergers enivrés à qui il a avait fait goûter un échantillon de sa production. Sa fille Erigoné se pendit de désespoir en découvrant grâce à la chienne le cadavre d'Icarios. Maera sera placée parmi les constellations en devenant le Petit Chien, Erigoné la Vierge et Icarios le Bouvier. Robert Graves relie les deux animaux à la déesse Hécate à qui les chiens étaient consacrés. Le chien attristé de Cosimo pourrait donc être la mère de la jeune fille.

Le poète d'épigrammes grec Pollien en écrivit un sur la chienne Maera : " Tu es donc morte, ô Maera, près d'un buisson épais, jeune Locrienne, la plus rapide des chiennes aux voix aimées. Qu'il était subtil et funeste, le poison qu'injecta dans ta patte légère une vipère au cou tacheté ! " et un qui se trouve sur une statue de Polyxène du sculpteur Polyclète : " Aucune autre main n'a touché à cette œuvre divine, fraternel pendant de la Junon. Le voile de la jeune Troyenne est déchiré, mais voyez comme elle cache d'une main pudique ses charmes mis à nu. L'infortunée demande la vie, et dans ses yeux de jeune fille se peignent toutes les douleurs de la guerre de Troie." (voir remacle.org/bloodwolf/erudits/Anthologie/index.htm). Le chien de Cosimo se trouve près d'un buisson mais point de serpent à l'horizon.

Le satyre reste une interrogation. Point de satyre dans l'histoire de Polyxène. Hécube d'Euripide où l'on trouve le sacrifice de Polyxène est une tragédie, l'œuvre de Corregio où l'on a cru trouver le sujet du tableau une pièce de théâtre. La présence du satyre ferait de la peinture de Cosimo un drame satyrique. Qu'est-ce ? Selon le pseudo-Démétrios de Phalère, le drame satyrique est une " tragédie qui s'amuse " (Du style, 169) où intervient un chœur de satyres, en face d'un héros mythologique, selon une structure similaire à celle de la tragédie : prologue, entrée du chœur, épisodes et sortie. D'une forme donc assez proche de la tragédie, le drame satyrique contribuera à " apprivoiser " Dionysos, le dieu originel et sauvage célébré d'abord dans le dithyrambe composé de chants et de danses, en un dieu moins inquiétant. C'est ainsi que dans le tableau de Cosimo, le satyre humanisé, même s'il ne fait plus rire, est plein de compassion pour la jeune fille étendue à ses genoux. Ce genre demi-sérieux demi-bouffon aurait été introduit par Pratinas de Phliunte, Dorien du Péloponnèse. La tragédie se consacra au sujet sérieux, la plaisanterie, les quolibets, les danses égrillardes, furent dévolus aux satyres du drame qui fut incorporé comme quatrième élément au groupement de trois pièces tragiques (trilogie) pour former une tétralogie.

S'il est une personne à s'amuser de cette composition, c'est sans doute Piero di Cosimo lui-même, aménageant des chausse-trappes dans lesquelles se perdent les commentateurs. Un satyre à contre- emploi peut-il faire naître un sourire ou un rire ? Le drame satyrique dont Nietzsche souligne l'importance dans La Naissance de la tragédie provoque la confrontation du comique et de l'horreur. Le satyre, irréel lui-même, intervenant sur la scène tragique signifie au spectateur l'inanité du réel et la nullité de son existence, personnifie la désintégration du sujet, et met en question le principe d'individuation (voir www.centrepompidou.fr/Pompidou/Manifs.nsf/AllCycle/L'Horreur%20comique?OpenDocument).

Mais Cosimo ne fait peut-être que retranscrire des pratiques ayant existé réellement. Comme l'écrit Walter Burckert dans Homo necans (les belles lettres, pp. 63, 68 et 69) : " Ainsi, lorsqu'une tension agressive exarcerbée atteint son point culminant, notamment au moment de la victoire, elle peut inopinément devenir sexuelle. Quand un adversaire a été vaincu, cette tension frappe dans le vide, et doit se libérer d'une autre manière. dans les rituels de chasse, de sacrifice, et de combat guerrier, et même dans le culte funéraire, il y a souvent des periods of licence, pendant lesquelles une activité sexuelle exarcerbée peut s'exprimer librement. Ces pratiques, observées par les ethnologues, avaient déjà été abolies dans la civilisation urbaine des Grecs, mais l'amphibologie propre à l'extraordianire, n'avait pu être entièrement supprimée. La jeune fille qui persait sa virginité lors d'une fête sacrificielle était devenue un sujet de nouvelles et de comédies - avatar quasiment inévitable [...] Si le sacrifice précède la Guerre de Troie, le sacrifice de Polyxène lui succède. Et Achille reçoit sa part de femmes capturées [...] La description la pus détaillée d'une crémation accompagnée du sacirfice d'une jeune fille a été fournie par un émissaire arabe auprès des "Russes" de la Volga. Là, avant d'être étranglée sur le bûcher du mort, la victime, une volontaire, devait s'offrir à tous les participants des funérailles. Le nom de Polyxène [très hospitalière] renvoie-t-il secrètement à des pratiques similaires ? Tout ce qui relève de l'extraordinaire a la possibilité de se libérer dans une period of licence ; un nouvel acte de meurtre achève de transformer cette expérience extraordinaire en ordre du renoncement."

Montclar (Saint-Georges-de-Montclar)

Montclar a eu pour seigneur Le Louis d'Estissac dont parle Fulcanelli dans ses Demeures Philosophales. Rabelais, Montaigne, La Rochefoucauld et plus récemment Catherine Pozzi et Paul Valéry sont passé à Montclar. Rabelais était en effet le protégé de Geoffroy d'Estissac, oncle de Louis, supérieur de l'abbate bénédictine de Maillezais qui avait établi son prieuré à Ligugé. Rabelais était en 1525 à Ligugé et Fulcabelli suppose qu'il y aurait pu être le précepteur de Louis d'Estissac. Celui-ci fit construire le château de Coulonges-sur-Autize dont les ornements intérieurs furent déménagés au château de Terre-Neuve à Fontenay-le-Comte par Etienne-Octave de Guillaume de Rochebrune au XIXème siècle. Ses ornements sont étudiés par Fulcanelli dans les Demeures. Notons que Louis d'Estissac se maria une premières fois avec Anne de Daillon du Lude qui était la cousine de Jeanne de Vivonne qui commandita la construction du château de Dampierre-sur-Boutonne étudié lui aussi par Fulcanelli.

Oldmeldrum

La famille de Jean O'Bethelnie ou Jeanne Meldrum possédait une grande partie du pays dont Fyvie, Meldrum et Tolquhon Castle. Les Meldrums vendirent Fyvie Castle à Alexander Seton qui devint Lord of Fyvie et Lord Dunfermline. Jeanne était aussi appelée Glenlogie qui est le titre d'une ballade dont la première forme est donnée par Francis J. Child en 1768 et qui commence par les vers suivants :

There wis nine and nine nobles

Rode through Banchory fair,

And bonnie Glenlogie,

Wis the pride that wis there ;

There wis six and six maidens

Dined in the King's ha,

Bonnie Jean o Bethelnie

Wis the flooer o them aa.

Doun cam Jeannie Meldrum,

She cam trippin dounstair,

And she's chosen Glenlogie

Amang aa that wis there;

She called on his footboy,

Who walked by his side,

Spierin, "Fa is that young man,

An far does he bide?"

Je note cette ballade pour les " nine " qui s'y promènent mais il n'y a pas que ça. Apparaît dans cette région de l'Ecosse le nom des Seton qui fut aussi celui d'un célèbre alchimiste appelé aussi le Cosmopolite. Alexander Seton (1555 - 1622) fut un homme de loi et un home politique écossais. Né à Seton (East Lothian), Alexander Seton devint Privy Councillor en 1585 and nommé Lord of Session comme Lord Urquhart en 1586. Les Seton étaient catholiques et avaient supporté Mary Stuart. Lord President of the Court of Session, il fut créé Lord Fyvie en 1598. Conseiller de James VI et tuteur de Charles Ier, il fut nommé Lord Chancellor of Scotland en 1604 et créé comte de Dumferline l'année suivante. Il se maria trois fois, avec Lilias Drummond, Grizel Leslie et Margaret Hay. Il mourut à Pinkie et fut inhumé dans le caveau familial à Dalgety Church, près de Dunfermline. L'histoire ou la légende fait mourir l'alchimiste Alexandre Seton à Cracovie, ville de l'alchimiste Pierre Twardowski qui vécut au XVIème siècle, après s'être échappé des prisons de Christian II de Saxe avec l'aide de Sendivogius. Cracovie serait la ville de Krak (Corbeau). Sous la colline du Wawel se cachait un dragon qui dévorait le bétail et les passants alentours. Le roi Krak désireux de s'en débarrasser proposa la main de sa fille à celui qui le tuerait. Seul, le petit cordonnier Skuba réussit à vaincre le monstre. Il laissa près de l'antre du dragon un bélier farci de soufre, de sel, et de goudron. Le dragon l'avala et, la bouche et l'estomac en feu, alla s'abreuver dans Vistule. Il but au point que son ventre éclata. Dragon, corbeau, soufre, goudron, feu, bélier (Ariès) sont des termes bien alchimiques pour ne pas révéler dans l'histoire de Seton un sens caché qui en fait une pieuse légende de l'Art royal. D'autant que l'expression Aller à Cracovie veut dire mentir... Le domestique qui le suivit en Europe continentale et rentra en Ecosse après le mariage et avant la mort de son maître, s'appelait William Hamilton. Le nom d'Hamilton est très répandu en Ecosse et l'on compte une grande famille de ce nom. Lord Claud Hamilton, baron Paisley, baptisé le 9 Juin 1546 au château d' Edimbourg, est mort avant le 3 Mai 1621. Il se maria le 1er Août 1574 à Niddry Castle avec Margaret Seton, fille de George Seton, 5ème Lord Seton, et d'Isabel Hamilton. Margaret Seton était la sœur d'Alexander Seton qui était donc le beau-frère de Claud Hamilton. On trouve en effet, parmi la grande famille Hamilton, un William Hamilton of Wishaw (avant 1593 - 1642), fils de John Hamilton of Udston, qui se maria en 1621 à Beatrix Douglas, fille de James Douglas of Morton.

Ripley (Anleterre – Yorkshire) a vu naître George Ripley vers 1450.

Ripley était entré dans l’ordre des Augustins tout en poursuivant des recherches alchimiques. Mécontent des enseignements qu’il y recevait il partit en voyage à travers l’Europe et fut nommé camérier du pape Innocent VIII. A Rome, il entra, dit-on, dans la société secrète Voarchadumia dont la plupart des membres se trouvaient à Venise. Le nom de la secte aurait donné son titre à l’ouvrage de Pantheus paru en 1518 à Venise et traitant de la transmutation des métaux. Ripley a publié divers livres dont le plus célèbre en 1471 : Les douze portes d’alchimie. Il est un des derniers alchimistes ecclésiastiques, qui d’ailleurs n’eut aucune maille à partir avec l’Eglise contrairement à un Roger Bacon par exemple.

Certains pensent que Ripley est né à Ripley dans le Surrey, mais ayant trouvé un poste de chapelain à Bridlington dans le Yorkshire, on peut penser qu’il y naquit.

Et dans son sein un Lion vert reposait

Qu’un aigle continûment nourrissait ;

Du flanc du Lion un sang vermeil coulait

Que, de la main de Mercure, la Vierge buvait.[19]

Roanne est la patrie de Dom Pernety.

Antoine-Joseph Pernety est né en 1716 et est mort à Valence (Drôme) en 1801. Il prononce ses voeux à Clermont (Clermont-Ferrand) en 1732 et entre dans les ordres chez les Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, il se consacre à des travaux de théologie, géographie, mythologie, philosophie et mathématiques, mais devient célèbre pour ses recherches dans les sciences occultes. Il fonde l'Académie des Illuminés d'Avignon, installée dans le mas de Monthabor près de Bédarrides, qui influença la Franc-Maçonnerie qui lui doit le 21ème grade du Rite Ecossais ancien et accepté connu comme Chevalier du Soleil ou Prince Adepte. Il a aussi laissé des traces dans l'Ordre martiniste. Les idées de pernety sont inspirées de celles de Swedenborg. Il croit en Dieu et en la sainte Trinité, aux anges et à la communication des initiés avec eux. Pernety et ses adeptes vouaient un culte à la Vierge confinant à la mariolâtrie.

Saint-Pourçain-sur-Besbre

Sur un chapiteau de l’église est sculptée une salamandre qui, dans les flammes, est le symbole du soufre philosophal soumis au feu, et que l’on retrouve à l’Hôtel de Bourgtheroulde à Rouen en face de la porte d’entrée entre les deux fenêtres du premier étage.

Saint-Pourçain-sur-Sioule patrie de Blaise de Vigenère (1523 - 1596)

Alchimiste, kabbaliste, archéologue, diplomate, écrivain, historien, traducteur, Blaise de Vigenère qui pratiquait 5 à 6 langues fut au service des Ducs de Nevers et des Rois de France, parcourant les chemins d’une Europe alors agitée. Il se consacra aussi à la littérature : traduction et commentaires de textes difficiles de l’Antiquité (Platon et Cicéron par exemple), du Moyen âge, de la Renaissance, de la Bible ; un traité de cryptographie (Traité des chiffres), et un d’alchimie (Traité du feu et du sel).

Les mythes, les fables, les formes, les symboles, les langues anciennes, hiéroglyphes, grec, latin, hébreu, sont pour lui les réceptacles d’une révélation dispersée et enfouie par l’âge de fer, mais qu’il faut déchiffrer et faire revenir au jour en français pour éclairer le royaume alors tourmenté et ensanglanté[20].

L’Homme donc qui est l’image du grand monde, et est de là appelé le microcosme ou petit monde ; comme le monde qui est fait à la ressemblance de son archétype, est dit le grand homme ; étant composé des quatre Eléments, aura aussi son ciel ; et sa terre. L’âme et l’entendement sont son ciel ; le corps et la sensualité, sa terre. Tellement que connaître le ciel et la terre de l’homme, est d’avoir pleine et entière connaissance de tout l’Univers, et de la nature des choses. De la connaissance du monde sensible, nous venons à celle du Créateur, et du monde intelligible : Per creaturam creator intelligitur, dit saint Augustin. Le feu au reste donne au corps le mouvement ; l’air, le sentiment ; l’eau, la nourriture ; et la terre, la subsistance. Le ciel outre plus désigne le monde intelligible, et la terre le sensible : chacun desquels est sous-divisé en deux (en tout cas je ne parle qu’après le Zohar, et les anciens Rabbins), l’intelligible au paradis, et à l’enfer ; et le sensible au monde céleste et l’élémentaire.[21]b>

Venise

Johannes Augustinus Pantheus, est l’auteur de Voarchadumia datée 1530 qui était cher à John Dee et qui entretient de nombreux rapports avec sa Monas Hieroglyphica.

La Voarchadumia se veut une troisième et authentique voie pour purifier les métaux, après la « vulgaire » alchimie et l’archimie. La sophia est la quatrième voie qui permet de multiplier l’or et l’argent obtenu par la voarchadumia.

« Voarchadumia was also the name of a secret society, which twice got into trouble with the Venetian state and had to be forbidden. The members were unrealistic dreamers, who tried to reform the state by using in a practical manner the higher truths as taught by the Cabbala and by the alchemical adepts: the schools and academies were to teach the Cabbala and the laws of the state were to be modified so that they would be based on "wisdom" rather than "power". Legend has it that Giorgione was a member of these society ; it is a fact that all his paintings can be said to be composed of representations of cabbalistic symbolism »[22].

En 1518, Pantheus publiait un Ars transmutationis metallicae cum Leonis X ponti, max. et conci. capi. decemvirorum Venetorum edicti.

Au commencement est la toute puissance : Nature des natures ; Temps des temps ; Seigneur éternel ; Universel ; Suréminent ; Seul et unique Dieu. Un seul Père ; Fils ; Esprit-Saint ; et Trinité une. Une seule unité ; Substance ; Divinité ; Gloire ; Majesté ; Essence ; Archétype ; Trône ; Tabernacle ; et Totalité. Ton : Seconde ; Tierce ; Quarte ; Quinte ; Diapason ; et Harmonie. Matière : Cercle ; Point ; Ligne ; Mètres ; Diamètres ; Circonférence ; Triangle ; Carré ; Pentagone ; Hexagone ; Septagone ; Octogone ; et Nonagone. Nombre : Un ; Deux ; Trois ; Quatre ; Cinq ; Six ; Sept ; Huit ; et Neuf…[23]

Villeneuve-les-Maguelonne pourrait avoir vu naître Arnaud de Villeneuve (1240 – 1311), qui disait être catalan. En 1240, Villeneuve était en effet possession en du roi d’Aragon qui était unie à la Catalogne depuis 1162. Mais d’autres Villeneuve existent en Catalogne (Vilanova de Sau, Vilanova de la Muga). Arnaud fit ses études à Aix-en-Provence, alors que la faculté de Montpellier existait depuis 1220. Il passa par Paris avant d’approfondir ses connaissances à Montpellier. Il voyagera en Europe et en Afrique du Nord. Homme d’une grande culture, il soigna souverains et papes. Son Traité sur l’Antéchrist qui prophétisait la fin du monde pour le siècle suivant le conduisit au procès, à Paris, alors qu’il était en ambassade pour le compte de Jacques II d’Aragon. Ses œuvres furent condamnées à être brûlées. Le plus célèbres de ses écrits est le Rosaire des Philosophes qui fait l’apologie de l’alchimie. Il mourut en vue des côtes de Gênes alors qu’il était au service de Frédéric de Sicile.

Villiers-Saint-Benoît accompagné de Villiers-sur-Loir, Courgis, Chassy, Lanneray, Saulcet, Carennac, dans l'Yonne, sur le rayon allant à Ban-Saint-Martin : Saint-Fargeau, Parly et Lindry, Rocamadour, et Ricey-Bas.

Tous ces lieux abritent, dans leur église, une peinture, souvent monumentale et très abîmée, du « dit des trois morts et des trois vifs ». Trois vivants, en général des puissants, rencontrent trois morts en état de squelette ou de décomposition. La plus ancienne représentation peinte, du XIIIe siècle, devait être celle de l'église Sainte-Ségolène de Metz, qui a disparu lors de travaux de restauration, entre 1895 et 1910. Sachons qu'il y a 92 de ses repérsentations en France, sans compter celle dans toute l'Europe. A Ricey-Bas, il s'agit d'un vitrail.

La question se pose de savoir si ce "dict" a une acception alchimique. J'effleurerai le sujet avec ce qui suit. Les trois morts peuvent renvoyer à certaine déclaration d'ouvrage alchimique. En effet dans Le Psautier d'Hermophile envoyé à Philalète attribué à Pierre-Joseph de la Salette, disciple d'Eteilla, on peut lire : « Nous avons besoin de ce levain ou mercure pour les trois dissolutions nécessaires à l'œuvre des philosophes. La première regarde le corps crud pour en tirer l'esprit séparé de son corps, qui nous est nécessaire pour donner la vie aux morts et pour guérir les maladies. La seconde est la solution de l'or et de l'argent qui composent par leur union la terre minérale. La troisième dissolution est ce qu'on appelle emploi pour la multiplication, la première qui est spirituelle sert pour la fermentation du corps impur, la deuxième radicale du pur, et la troisième multiplicative du très pur.»

Ce qui signifie en traduisant « ce passage entièrement cabalistique : la première dissolution est la putréfaction ; la seconde est l'albification puisqu'il est question de l'Amalgame or-argent ; la troisième est l'accroissement de la pierre qui survient lors de l'assation. Le Breton dans ses Clefs de la Philosophie spagyrique dit aussi que dans l'œuvre, il y a plusieurs putréfactions[24]

Nous avons bien trois dissolutions. Or comme l'affirme Fulcanelli : « Considérée au point de vue de son action chimique sur les substances des trois règnes, la mort est nettement caractérisée par la dissolution intime, profonde et radicale des corps. C'est pourquoi la dissolution, appelée mort par les vieux auteurs, s'affirme comme étant la première et la plus importante des opérations de l'œuvre, celle que l'artiste doit s'efforcer de réaliser avant tout autre. Celui qui découvrira l'artifice de la véritable dissolution et verra s'accomplir la putréfaction consécutive, aura en son pouvoir le plus grand secret du monde[25]. »

La peinture de Villiers-Saint-Benoît est accompagné d'un petit chien qui fonce sur les trois morts. A Villiers-sur-Loir, c'est une meute, avec un chien sur les marche du calvaire. A Chassy, deux chiens sont placé en-dessous de la fresque. Le chien est indéniablement une figure alchimique. « Le chien aidera l'Artiste à se guider dans les ténèbres de la mort, pendant la dissolution qui s'exerce encore au premier décan du Lion. Il assure ainsi la transition entre l'eau et la lune, par l'intermède de la Lune. On le voit lié à Hécate, Hermès ; il prête son visage à ceux qui guident les âmes. Noël, dans son Dictionnaire de la Fable, écrit que " le chien était consacré à Mercure comme au plus vigilant et au plus rusé de tous les dieux ". [...] Voilà le lieu du calvaire de l'alchimiste, là où l'Artiste a besoin d'un conducteur d'âmes, d'un aimant, rôle joué par le chien. Le carrefour offre la signification d'un lieu de passage d'un monde à un autre, que l'on peut prendre dans des sens très différents, selon le motif cruciforme de l'entrecroisement[26]. »

Ajoutons que le chien de Corascène est aussi emblème du soufre, accompagné par la chienne d'Arménie, symbole du mercure.

Certains ont vu à Villiers-sur-Loir trois faucons sur chacun des cavaliers. Faut-il les interpréter comme les 9 sublimations, appelées aussi aigles, nécessaires au travail alchimique ? Ces 9 aigles sont visibles sur une miniature d'un manuscrit du XVème de L'Aurora consurgens relatant la parabole de la Table d'émeraude. Dans une église vue en coupe, un vieux moine peut-être l'alchimiste arabe Senior Zadith, tient en ses mains un manuscrit enluminé qui porte des symboles de l'Art. Un autre moine, accompagné de deux autres, désigne une colonne surmontée d'une sorte de matras où se trouve un coeur blanc. Les aigles sont sur le toit rouge de l'église et pointent leur arme sur la scène.

Le dit des trois morts et des trois vifs a été pris comme sujet dans la littérature. Ainsi les derniers vers du poème de Baudouin de Condé, ménestrel de Marguerite II, comtesse de Flandres (1244-1280), sont les suivants :

Priiés pour nous au Patre nostre,

S'en dites un patrenostre,

Tout troi de boin cuer et de fin,

Que Diex vous prenge en boin defin.

Le patenôtre, pater noster, autre nom du rosaire, symbolise parfois le soufre philosophique le " père de la pierre ".

 


[1] Christian Jacq, « Le message des constructeurs de cathédrales », J’ai lu – Editions du Rocher, p. 129

[2] Andrea Aromatico, « Alchimie, le grand secret », Gallimard, p. 104

[3] Mircea Eliade, « Méphistophélès et l’androgyne », Gallimard, p. 240

[4] cf. la tête d’or du parc du même nom à Lyon

[5] Robert Graves, « Les mythes grecs », Hachette, p. 128

[6] Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, « Dictionnaire des symboles », Laffont, p. 712

[7] Jacques Sadoul, « Le trésor des Alchimistes », Editions J’ai lu et Editions Publications premières, p. 122

[8] Aimé Michel, « Histoire et guide de la France secrète », Planète, p. 240

[9] Paulette Duval, « La pensée alchimique et le Conte du graal », Champion, p. 255-256

[10] hdelboy.club.fr/tresor_grosparmy.html

[11] Ibid.

[12] Pierre Darmon, « Landru », Plon, p. 291-292

[13] hdelboy.club.fr/atalanta_xliv.html

[14] J.R. Glauber, « Traité de la Médecine universelle ou le vrai Or potable », cité par F. Bonardel, « Philosopher par le feu », Seuil, pp. 437-438

[15] www.ac-strasbourg.fr/sections/enseignements/secondaire/pedagogie/les_disciplines/lettres/lycee/formation_sur_ovide/downloadFile/attachedFile/Vial_Metamorphoses.pdf?nocache=1145693494.5

[16] hdelboy.club.fr/fontenay.html

[18] Jean de Ruspicessa, « La vertu et Propriété de la Quinte essence de toutes choses », cité par F. Bonardel, « Philosopher par le feu », Seuil, pp. 389, 393, 147

[19] George Ripley, « Cantilène », cité par Françoise Bonardel, « Philosopher par le feu », Seuil, p. 181

[20] Maurice Sarazin , « Blaise de Vigenere »", Editions des cahiers bourbonnais

[21] Blaise de Vigenère, « Traité du feu et du sel », cité par F. Bonardel, « Philosopher par le feu », Seuil, p. 209

[22] Clay Holden, cholden@netcom.com - http://www.dnai.com/~cholden

[23] Johannes Augustus Pantheus, « Art de la transmutation », cité par F. Bonardel, « Philosopher par le feu », Seuil, p. 104

[24] hdelboy.club.fr/psautier_hermophile.html

[25] Fulcanelli, « Les demeures Philosophales », tome II, pauvert, p. 325

[26] hdelboy.club.fr/atalanta_xliv.html