Partie IV - Techniques et sciences   Chapitre XXXIX - Sciences   Mathématiques   

Les mathématiques européennes ont beaucoup appris des savants islamiques. Dès le XIIIème siècle, Johannes de Sacrobosco (Halifax, fin XIIème. – Paris, vers 1250), qui devint professeur de mathématique à l’Université de Paris, fut l’un des premiers à exposer l’arithmétique et l’algèbre arabes. Plus tard, Luca Pacioli (Borgo San Sepolcro, vers 1445 – Rome, vers 1510) a rédigé une somme de connaissances mathématiques de l’époque, comprenant les acquis algébriques arabes. Il utilise déjà des abréviations. Léonard de Vinci a illustré son De divina proportione.

Au cours des XVIème et XVII siècles, l’Europe apporta son lot d’innovations fructueuses. Jérôme Cardan (Pavie, 1504 – Rome, 1576) a attaché son nom à la résolution des équations du troisième degré, bien que cette découverte soit attribuée de nos jours à Tartaglia. Il a été amené dans ses recherches mathématiques à considérer des racines carrées de nombres négatifs (nos nombres imaginaires). En mécanique, son nom a été donné à un système de suspension qu’il a décrit.

Déjà, dans la « simple » arithmétique, Bertrand François Barrême (Lyon, 1640 – Paris, 1703), connu pour ses manuels d’arithmétique, de calcul d’intérêts, sur les monnaies étrangères et les changes, a donné son nom à une table de correspondance.

René Descartes (Châtellerault ?, 1596 – Stockholm 1650) contribua à l’avancée des mathématiques en introduisant l’algèbre dans la géométrie.

Des outils sophistiqués sont aussi développés. Nikolaus Kauffman dit Mercator (Eutin, vers 1619 – Paris, 1687) rédigea des manuels de trigonométrie sphérique et son ouvrage le plus connu est Logarithmotechnia qui donne la définition moderne des logarithmes - en germe chez Nicolas Chuquet (Triparty en la science des nombres, 1484), et pleinement découverts par Napier - et le développement de Log(1+x) en puissances de x.

Pierre Varignon (Caen, 1654 – Paris, 1722) est un des premiers partisans français du calcul infinitésimal, inventé indépendamment par Newton (« Fluxions ») et Leibniz, s’opposant à Michel Rolle (Ambert, 1652 – Paris, 1719) qui a laissé son nom à un théorème selon lequel « une fonction ne peut s’annuler plus d’une fois dans l’intervalle séparant deux racines réelles consécutives de sa dérivée ». Membre de l’Académie des sciences en 1688, Varignon entre au Collège de France en 1704, et a une correspondance suivie avec Jean Ier Bernoulli. Il énonce la règle de composition des forces concourantes dans sa Nouvelle mécanique (1725). En Italie, une femme, Maria Gaetana Agnesi (Milan, 1718 – 1799), est la première à juxtaposer la méthode des fluxions de Newton et celle des différentielles de Leibniz. C’est aussi en Italie que l’on trouve un précurseur du calcul intégral : Bonaventura Cavalieri (Milan, 1598 – Bologne, 1647), disciple de Galilée, qui développa la théorie des indivisibles.

Louis de Lagrange (Turin, 1736 – Paris, 1813), nourri de la pensée d’Euler et de Newton, place l’analyse au cœur des mathématiques. Lagrange, avec Laplace fit faire de grands progrès au calcul intégral grâce à la notation de Leibniz que l’Angleterre n’adopta qu’au XIXème siècle, utilisant jusque là celle, malcommode, de Newton, sans faire de grands progrès.

Gabriel Cramer (Genève, 1704 - Bagnols-sur-Cèze) enseigne la philosophie et les mathématiques à Genève. Son nom reste attaché à l’ouvrage Introduction à l’analyse des lignes courbes algébriques le plus original du XVIIIème siècle. Il a laissé un algorithme de résolution de systèmes d’équations linéaires à plusieurs inconnues, équivalent aux déterminants.

Charles Emile Picard (Paris, 1856 – 1941) est l’un des mathématiciens les plus importants de sa génération. Il est l’auteur de deux théorèmes le conduisant à une classification des fonctions analytiques régulières.

Georg Cantor (Saint-Petersbourg, 1845 – Halle, 1918) s’est fait connaître pour sa construction des Nombres Réels, pour sa Théorie des ensembles, et sa Théorie des infinis. La théorie des ensembles constitue le langage et la fondation des sciences mathématiques : ensemble, éléments, applications et bijections : "La théorie des ensembles, ce paradis dont nul ne doit pouvoir nous chasser", dit David Hilbert.

Au début du XIXème siècle, apparaissent cependant, chez Cauchy ou Bernhard Bolzano, des tentatives de définition des notions premières de l'Analyse : la continuité, de la limite, de la convergence. Vers 1870 sont publiées les premières définitions parfaitement rigoureuses de ce qu'est un Nombre Réel (un nombre associé à un point sur une droite), chez divers mathématiciens : Dedekind, Weierstrass, Méray, et Cantor lui-même.

L’objet de la Théorie des Ensembles, fondée simultanément par Cantor et Dedekind, est de redéfinir les objets mathématiques. Dedekind y est amené par des problèmes algébriques, Cantor par des questions d’Analyse. Dedekind définit donc les éléments, qui peuvent former des ensembles, s'ils « sont considérés comme rassemblés sous un même point de vue ». Il définit l'ensemble réunion de deux ensembles, leur intersection... La théorie des ensembles va se trouver confrontée à quelques difficultés. Par exemple, soit E l'ensemble des ensembles qui ne s'appartiennent pas. E s'appartient-il ? (Si non, alors oui ; si oui, alors non).

La théorie des ensembles s'élargit, et débouche sur la Théorie des Infinis, à l'occasion d'une magnifique correspondance entre Cantor et Dedekind. Ils se posent le problème de savoir s'il y a autant d'éléments (au sens de l'existence d'une bijection du premier ensemble dans le second), dans N que dans NxN, dans N que dans Q, dans N que dans R, dans R que dans RxR etc. Ils arrivent à des conclusions qui les étonnent beaucoup, car nul avant eux n’avait sérieusement réfléchi aux sous-ensembles de la droite réelle. Cantor élargit cette problématique en une Théorie des Infinis. Il définit entre autres les Cardinaux Infinis, deux ensembles pouvant être mis en bijection l'un avec l'autre correspondant à un même cardinal : N et R n'ont pas le même cardinal.

Cantor parvenait ainsi à donner une définition mathématique précise de l'Infini Actuel, qui pourtant était rejeté avec énergie du champ de la raison depuis Aristote. Esprit religieux, Cantor ne séparait pas ses recherches mathématiques d'un certain mysticisme. D'une grande beauté, et d'une grande importance en philosophie ou en épistémologie, la théorie des infinis s'est peut-être révélée moins féconde, au sein des mathématiques, qu'on aurait pu l'espérer.

L’œuvre de Cantor est loin de se limiter à la Théorie des Ensembles ou à celle des Infinis. Il a fait également des découvertes sur les séries trigonométriques, en Topologie Générale, dans la théorie de la mesure. On peut citer l'ensemble triadique de Cantor, sorte de poussière de points (totalement discontinu, sans points isolés, non dénombrable, de mesure nulle), que l'on pourrait appeler, à la suite de Benoît Mandelbrot, un ensemble fractal.

Cantor passa la majeure partie de sa carrière à l'université de Halle. Fragile psychologiquement, Cantor connut des graves périodes dépressives, particulièrement vers la fin de sa vie.

La théorie des ensembles fut illustrée par un contemporain français de Cantor, Camille Jordan (Lyon, 1838 – Paris, 1922) qui fut le maître incontesté de la théorie des groupes pendant quarante ans. Il reformula et développa les idées d’Evariste Galois.

Louis Poinsot (Paris, 1777 – 1859) a étudié les polygones et polyèdres étoilés réguliers et est le père du concept de couple en mécanique. Il a montré l’existence d’axes de rotation permanents autour du centre de gravité.

Gérard Desargues (Lyon, 1591 – 1661) participa au siège de La Rochelle puis s’installe à Paris où il fréquente l’académie de Mersenne. Il s’intéresse aux coniques, à la perspective lançant, en 1639, les bases de la géométrie projective à laquelle s’intéressera Pascal mais qui ne se développera qu’au XIXème siècle, à la taille des pierres et au tracé des cadrans solaires auxquels il consacre des écrits. Jean Victor Poncelet (Metz, 1788 – Paris, 1867) peut être considéré comme le refondateur de la géométrie projective, dont il jette les nouvelles bases alors qu’il était prisonnier des Russes à la suite de la Campagne de Russie.