Partie IX - Synthèse   Chapitre LXI - Grands thèmes   

Ce chapitre est construit à partir de l'article de Silvia Mancini : Le rituel du labyrinthe dans l'idéologie de la mort en Corse, et du livre de Patrick Conty : L'Esprit du Labyrinthe, Albin Michel.

Le symbole du labyrinthe trouve son origine dans les spirales gravées à Malta en Sibérie sur une plaque d'os de mammouth au Paléolithique, sur les pierres du cairn de Newgrange, où elles s'imbriquent en formes complexes au Néolithique ou dans les temples mégalithique de l'île de Malte. Le village néolithique de Dimini en Grèce annonce Troie avec ses labyrinthes de rues en impasse et son acropole.

En Europe du Nord et de l'Ouest, des labyrinthes constitués d'alignements mégalithiques disposés en spirale datent tous du Néolithique, qui, dans ces régions, s'est prolongé un peu plus tardivement que dans le Bassin méditerranéen. Personne n'a encore pu en percer la signification, mais les traditions locales leur ont donné des noms qui, même s'ils remontent probablement à la fin du Moyen Age, nous ramènent d'une certaine façon à notre sujet. L'expression la plus communément employée est " Château de Troie " ; en Laponie et en Russie, on les appelle " Babylone ", " Ninive ", " Jéricho ", ou bien " La destruction de Jérusalem ". En Scandinavie, les noms qui reviennent le plus souvent sont Troiborg, Trojeburg, Trojburg ; en Angleterre, " Walls of Troy ". Le labyrinthe sculpté dans la roche à Tintagel en Cornouaille passe pour avoir été le lieu de naissance et de résidence du roi Arthur dont la figure du roi Arthur entretient des liens avec le royaume des morts. Un autre se trouve au Mont Bego.

La majorité des labyrinthes de gazon se rencontrent en Angleterre, notamment dans le comté du Dorset, dans un champ, creusé sous forme de tranchée, sur une colline dessiné à la craie. Ces dédales, appelé " mizmaze ", étaient souvent associés à des pratiques de sorcellerie.

En Angleterre on retrouve des panneaux où est gravé le parcours d'un jeu appelé " Nine men's morris ". Ce jeu renvoie aux labyrinthes non seulement par ses autres noms : " siège de Troie " et " jeu de Troie ", par son dessin, qui est le schéma d'un labyrinthe élémentaire mais aussi par ce qui le rattache au jeu de la marelle dont il existe plusieurs variantes. Quelques uns impliquent des mouvements circulaires ou spiraliformes ce qui, le jeu étant fort ancien, pourrait être une réminiscence des danses du labyrinthe. D'ailleurs, dans l'antiquité, la marelle est un labyrinthe où l'on pousse une pierre - c'est à dire l'âme - vers la sortie.

Dans l'aire méditerranéenne, les documents archéologiques et historiques ont mis en lumière l'existence d'une idéologie religieuse dominée par le couple agriculture-mort. Que la moisson ait été vécue dans la conscience des paysans de l'Antiquité comme une " mort du blé ", tout cela est attesté par les sources. Outre le fait que, dans l'iconographie et le langage, la Mort soit représentée métaphoriquement par une moissonneuse armée d'une faux, la perception de la moisson comme un " meurtre " des récoltes a eu des prolongements lointains dans le folklore méditerranéen.

Au niveau rituel, le dispositif mythico-rituel destiné à objectiver et à résoudre culturellement ce dramatique moment de crise se manifestait à travers la mise en scène de la " négation du meurtre " du blé et le déplacement de la responsabilité de ce geste sur un agent extérieur (un animal, un étranger, le dernier moissonneur, etc.). En endossant la faute d'un acte considéré comme sacrilège, ces agents symboliques permettaient de dédouaner les véritables responsables qui, seulement alors, avaient libre accès aux récoltes. D'où ces pratiques de type " bouc émissaire ", recueillies par J. Frazer et attestées jusqu'à une date récente (Blé et résurrection).

Au niveau mythique, un procédé culturel rendait aussi possible cette négation symbolique de l'action de moissonner. C'est le thème de la " passion végétale ", qui avait pour personnage central un dieu victime d'une mort violente, dont le corps aurait donné naissance aux plantes cultivées. Suivie du récit convenu de la réintégration du dieu assassiné - qui renaissait sous la forme du blé ou d'autres produits végétaux -, cette mort mythique mettait en œuvre une dynamique symbolique propre. Grâce à la projection de la moisson en train de se faire sur un modèle mythique, la responsabilité historique de l'acte de faucher était amoindrie ou banalisée, car perçue comme la simple répétition d'un geste accompli par d'autres. En outre, la résurrection du dieu impliquait la renaissance obligée du blé et levait donc l'hypothèque qui pesait sur les récoltes à venir.

Dans les sociétés diversifiées et organisées en Etats centralisés de la Méditerranée antique, la conception cyclique de la réalité liée aux rythmes agraires et mythiquement remodelée dans l'aventure d'un dieu qui meurt et ressuscite sert de support à de nouveaux objectifs culturels, en se mettant au service d'une nouvelle sacralité, celle de la royauté dynastique qui a continué à conditionner pendant des siècles l'imaginaire du monde antique, même quand les sociétés classiques (grecque et romaine) en ont nié les principes et se sont construites contre elle. Cette dialectique de la mort et de la résurrection pouvait donner un sens au caractère immortel du lignage royal et légitimer par là même la pérennité de l'institution royale. Elle permet d'énoncer le caractère cyclique du principe de la succession au trône comme une nécessité ontologique inexorable et éternelle, dont le cycle agraire fournirait le modèle naturel et la mythologie divine le modèle surnaturel.

Beaucoup de héros ou de divinités qui sont au centre de " passions végétales " sont présentés comme des rois ou des fils de roi. Le type même en revient à Osiris, la divinité symbole de la royauté sacrée égyptienne, sur laquelle reposait la structure politique, sociale et idéologique de l'Egypte ancienne. La dialectique mort/résurrection dont le cycle agraire fournit le signifiant naturel le plus immédiat constitue le fondement logique et ontologique de l'institution royale décrite dans le mythe. Osiris meurt mais continue à régner à travers son fils Horus.

Les études sur les civilisations archaïques ont démontré que la spirale pouvait être interprétée comme le symbole du labyrinthe. On en retrouve sur des tablettes d'argile de Mésopotamie à but divinatoire et elles tendraient à reproduire une configuration précise du labyrinthe, celle qu'on a appelée " à paquet de viscères " ou à méandres (Point particulier : Le Sarnieu). Le symbole du labyrinthe se retrouve dans d'autres civilisations de la Méditerranée antique, en Egypte mais aussi en Crète qui avait entretenu des relations culturelles très étroites avec l'Egypte. La représentation de la spirale sur les sceaux et les décorations murales découvertes au début de ce siècle au palais de Cnossos a été interprétée par l'archéologue Evans comme le " signe du Palais " et elle figurerait la marque du pouvoir dérivant du palais royal-labyrinthe. Le modèle dynastique égyptien proposait un élément inédit : le roi participait de sa tombe au pouvoir du roi vivant. Le symbole du labyrinthe évoquerait justement ce principe comme représentation de la tombe royale, qui avait effectivement un plan labyrinthique, et comme emblème du pouvoir royal exercé par le pharaon vivant. La spirale ou le méandre symbolisent non pas le palais royal en tant que source du pouvoir, mais la tombe royale conçue selon un plan labyrinthique en vue d'en protéger le centre, lieu inviolable d'où émane le pouvoir de l'institution pharaonique.

Où nous retrouvons les tombes néolithiques européennes décorés de spirales comme à Gavrinis bien antérieures au labyrinthe égyptien d'Aménémhat III.

Le terme de labyrinthe est d'origine grecque et on entend par Labyrinthe le palais crétois. Nous avons vu que les relations entre l'Egypte et la Crète furent très étroites, comme le faisait déjà remarquer Hérodote qui fut par ailleurs le premier à utiliser le terme de labyrinthe. Toutes les informations que nous possédons sur le Labyrinthe crétois nous viennent de sources grecques et sont donc conditionnées par l'idée que les Grecs se faisaient d'une Crète disparue depuis plusieurs siècles. Or, la royauté fut importée de Crète en Grèce à l'époque mycénienne (1200 av. J.-C.) et conservée jusqu'au VIIIème-VIIème siècle av. J.-C, époque à laquelle se produisit la révolution anti-oligarchique qui aboutit à la polis démocratique. Acceptée par les Grecs à l'origine, l'institution monarchique fut repoussée par eux comme un modèle inadapté. C'est pourquoi le discours grec sur le Labyrinthe exige d'être décodé à partir du présupposé que la Crète représentait dans l'imaginaire grec l'anti-Grèce par excellence.

Tout comme chaque temple égyptien correspondait à un mythe particulier ou à une combinaison entre des mythes, le labyrinthe représentait aussi la façon dont tous les mythes étaient imbriqués et tissés ensemble. C'est cette sorte de dédale que Thésée avait à démêler. Comme aux mythes égyptiens s'opposaient des mythes crétois puis des mythes grecs correspondant à l'histoire de la Grèce, le système de combinaisons entier devait être décodé et déconstruit pour être traduit et recombiné selon les termes grecs (Patrick Conty : L'Esprit du Labyrinthe, p. 97).

La tendance anti-oligarchique qui caractérise l'histoire politique grecque à partir du VIème siècle av. J.-C. a donc utilisé le dispositif mythique - en particulier le mythe de Thésée qui décrit un modèle crétois de royauté imparfaite - pour disjoindre la relation entre la royauté et le labyrinthe et, par là, séparer le principe de descendance de l'exercice du pouvoir. Lieu symbolique lié aussi bien à la royauté (l'accès au pouvoir) qu'à la mort (condition d'accès au pouvoir), le Labyrinthe a continué pourtant à remplir dans l'imaginaire grec une fonction culturelle bien précise, qui nous intéresse ici dans la mesure où elle lui a permis d'acquérir la signification qui nous apparaît familière aujourd'hui. L'entreprise de Thésée dans le Labyrinthe a généralement été interprétée comme une aventure initiatique. Ce voyage dans le monde des morts pourrait représenter aussi bien une initiation régalienne pour Thésée qui, par la suite, est monté sur le trône d'Athènes, qu'une initiation commune pour les victimes désignées du Minotaure. Ces jeunes gens des deux sexes ont justement l'âge auquel étaient réalisées en Grèce les initiations qui donnaient l'accès aux institutions politiques de la cité instaurées en remplacement de l'ancien ordre aristocratique et gentilice hérité de la société mycénienne.

Comme aux mythes égyptiens s'opposaient des mythes crétois puis des mythes grecs correspondant à l'histoire de la Grèce, le système de combinaisons entier devait être décodé et déconstruit pour être traduit et recombiné selon les termes grecs. (Patrick Conty : L'Esprit du Labyrinthe, p. 97).

Pour les Grecs, le Labyrinthe continua à être associé au monde des morts, soit à cause de sa relation avec la royauté et ses implications funéraires, soit parce que l'imaginaire hellénique voyait dans la Crète un univers touchant aux " choses mortes ". Ariane était ainsi fortement associée à Kôré/Perséphone (Point particulier : l'Île d'Yeu). Mieux que tout autre, ce lieu se prêtait à servir d'arrière-plan mythique à une aventure initiatique, car l'initié pouvait y mourir à sa condition naturelle de descendant d'un lignage déterminé et y renaître à sa condition culturelle de citoyen.

Une scholie transmise par Plutarque raconte l'existence à Délos d'une danse appelée géranos, inventée par Dédale et enseignée par lui à Thésée en souvenir de son aventure. Elle mimait le chemin parcouru pour entrer dans le Labyrinthe et en sortir. Mais le témoignage le plus ancien sur cette danse remonte à l'Iliade. Les rapprochements sont fréquents entre Ariane et Korè. En fait, le mythe des mystères d'Eleusis se prêtait lui aussi à une double lecture : une lecture exotérique dans son signifiant agraire, une lecture ésotérique préparant l'initié à sa vie dans l'au-delà. L'initiation aux mystères d'Eleusis permettait à l'homme d'échapper à son destin de mortel, le rite initiatique ayant pour fonction de le soustraire à la mort en lui accordant une destinée quasi divine parce que immortelle.

Le géranos pratiqué à Délos se déroulait la nuit. Les danseurs-" grues " étaient alignés le long d'une corde dont le meneur - le geranoulkos - tenait un bout. La présence de la corde dans ce genre de danse est mentionnée aussi par Tite-Live (liv. XXVII, chap. 37, 14) à propos du Chœur de Proserpine, une danse romaine exécutée sur le modèle grec en l'honneur de la divinité des Enfers. La figure chorégraphique s'enroulait vers le centre puis se déroulait vers l'extérieur. Quant à la danse labyrinthique décrite par Homère, on peut s'en faire une idée en la comparant à l'une des plus anciennes représentations du jeu romain de la trua peinte sur le vase étrusque de Tragliatella. Sur le vase sont représentés sept jeunes gens en train de danser et deux cavaliers, eux aussi imberbes, sortant d'un labyrinthe à svastika.

Ce qui apparaît finalement le plus signifiant est qu'à l'origine la croix associée à une torsion, un renversement, une traversée, une conversion, n'est pas une structure statique mais correspond à un processus dynamique. Le svastika, comme la croix aux bras repliés et entremêlés qui forme le mur du labyrinthe, évoque parfaitement une synthèse subtile de deux significations apparemment contradictoires, celle d'un centre absolu et celle d'un renversement équivalent à une traversée (Patrick Conty : L'Esprit du Labyrinthe, p. 141). En Scandinavie, il n'est pas rare de trouver nombre de labyrinthes, dont les murs délimitant les chemins sont construits avec des pierres de différentes dimensions. La figure de fylfot (svastika sacré) ainsi construite est fondée sur neuf points (fr.wikipedia.org - Labyrinthe).

Sur l'épaule d'un de ces cavaliers, un personnage plus petit est recroquevillé, peut-être un singe, semblable à celui qui, dans l'iconographie égyptienne, préside au jugement du défunt outre-tombe, ou un Eros enfant justifié par les scènes de fornications. Derrière les deux cavaliers, et comme s'ils en provenaient, est dessiné un labyrinthe assez complexe à la forme d'une carte, qui apparaît sur les monnaies de Cnossos à partir de 200 av. J.-C. La transcription de l'inscription étrusque sur le vase est Truia. Il s'agit d'un mot d'origine indo-européenne qui pénètre en étrusque probablement à travers le latin.

Le jeu romain de la Truia ou ludus Troiae est aussi mentionné par Virgile dans l'Enéide, où l'auteur établit un parallèle entre ce jeu importé dans le Latium, selon la tradition, par le Troyen Enée, et le labyrinthe crétois.

Il n'existe aucune trace du labyrinthe dans la Rome républicaine. Il faut attendre l'époque impériale pour le retrouver en littérature et dans les arts. Outre l'allusion au ludus Troiae du chant V, il apparaît dans un autre passage de l'Enéide. Au chant VI, dans l'entrée du sanctuaire de la Sibille de Cumes, Enée aperçoit une représentation gravée du Labyrinthe crétois qui serait, selon Virgile, l'œuvre de Dédale lui-même. Ce passage peut être interprété de deux manières. Tout d'abord, il signifierait que le monde infernal - le sanctuaire de la Sibille ouvre sur l'Enfer - possède une structure labyrinthique - thème que reprendra Dante (Point particulier : Homblières). Cette façon d'imaginer l'Enfer sous la forme d'un antre ou d'une grotte souterraine aux multiples anfractuosités est très archaïque et répandue dans la région méditerranéenne, où souvent les grottes sont le siège de divinités féminines conformes au modèle de la Grande Mère. En second lieu, le symbole du labyrinthe peut aussi signifier qu'Enée s'apprête à vivre l'expérience du voyage dans l'au-delà sous le signe de la royauté. Pendant sa pérégrination dans l'Hadès, il rencontre son père mort qui lui prédit l'avenir. Enée reçoit ainsi l'investiture de son futur rôle de fondateur de la lignée royale d'où descendra Auguste, en l'honneur duquel l'œuvre de Virgile a été conçue. Dans l'Italie antique, la structure du labyrinthe réapparaît donc en association avec la dimension funéraire comme avec la dimension régalienne. A Rome même, le mausolée d'Hadrien présente un plan en forme de labyrinthe. Dans ce monument qui est aujourd'hui le château Saint-Ange, on accède à la chambre mortuaire par un couloir en forme de spirale, qui tourne sur lui-même en montant.

Le christianisme adjoint le symbolisme céréalier caractéristique des cultures sédentaires et polythéistes de Canaan au symbolisme pastoral et au monothéisme de la religion juive. Dans ces dernières civilisations qui étaient organisées sur le modèle mésopotamien ou égyptien, nous retrouvons des divinités agraires au centre de " passions végétales ", de mythes de mort et de résurrection. Les métaphores évangéliques dans lesquelles le blé, les moissons et la semence, le pain et le vin occupent une place importante font écho à cet humus culturel dans lequel le christianisme s'est enraciné. L'idée selon laquelle le corps et le sang d'un dieu pouvait se transformer en pain et en vin, c'est-à-dire les produits par excellence de l'agriculture, devait apparaître comme assez familière.

Renouant avec des traditions anciennes, le labyrinthe de la cathédrale d'Auxerre en France aurait été utilisé comme terrain au jeu de pelote : le doyen et les novices du couvent formaient une chaîne autour du labyrinthe en se tenant les mains. Ils chantaient et dansaient en rond se passant, l'un l'autre une balle, la pilota. Quand le chant et la danse étaient terminés, le doyen et ses chanoines prenaient part à des agapes sacrées (www.ulb.ac.be).

On retrouve à l'époque médiévale la permanence de liens étroits entre le motif du labyrinthe et les institutions monarchiques et dynastiques. C'est ainsi que le symbole apparaît dans de nombreuses armoiries nobiliaires. Pendant toute la période médiévale, le signe du labyrinthe est resté lié aux valeurs guerrières de la royauté, selon une association qui doit probablement beaucoup aux cultures barbares d'origine indo-européenne, chez lesquelles l'institution royale et le symbole se sont développés parallèlement. La fonction régalienne et guerrière n'a pas perdu les implications funéraires auxquelles elle était associée dans l'Antiquité. Dans un monde où la profession de foi chrétienne était pensée dans les termes d'un engagement militaire, où le concept de miles Christi, comme métaphore initiatique, s'incarnait dans le croisé investi de la défense du territoire sacralisé par le sacrifice du Dieu-homme, le labyrinthe retrouve un puissant pouvoir évocateur. S'il pouvait anciennement symboliser la pérennité d'un lignage guerrier dans lequel ancêtres et descendants renouvellent périodiquement l'histoire du dieu qui meurt et qui renaît, dans la société féodale, il finit par représenter l'emblème des guerriers élus, investis d'une mission sacrée sur fond de sacrifice divin initial.

La fête de la granitula corse se concluait par des joutes alliant tournois à cheval, jeux d'adresse et luttes entre combattants à pied, qui commémoraient les combats entre Chrétiens et Maures. Outre que ces rituels évoquent inévitablement le ludus Troiae dont parle Virgile, ils permettent de renouer le fil entre le labyrinthe et les valeurs guerrières et gentilices de la société féodale. Ce lien est confirmé par un document tout à fait significatif. Sur les murs du château de Chinon où ils furent emprisonnés avant d'être mis à mort, les Templiers avaient gravé le dessin d'un labyrinthe. Or les Templiers constituaient l'ordre de chevalerie (dimension guerrière et sacrée) voué à la mort pour la défense du Saint-Sépulcre (la tombe d'un dieu qui meurt et qui renaît). Le complexe idéologique du labyrinthe réapparaît ainsi, de manière curieuse et détournée.

Labyrinthe et saint Erasme

La légende du martyr de saint Erasme raconte qu'il fut éventré et ses intestins enroulés sur un cabestan, comme un fil - d'Ariane - que l'on rembobine. Dans certaines sociétés traditionnelles, on maintient l'unité de la victime, symbole de la communauté divisée et pourtant unie en un seul corps, dépecée au moyen de son intestin.

On a vu que le labyrinthe pouvait être représenté par un " paquet de viscères ". Cet aspect labyrinthique est confirmé par la " Fleur de l'Apocalypse " arborée par l'église Saint-Erasme de Veroli, entrelacs ou nœud que l'on retrouve à Fiquefleur (Les Trois Marie).

Nicolas Poussin, Le Martyr de saint Erasme

Le nœud sacré porté sur la nuque par la prêtresse crétoise et figurant sur de nombreux sceaux, semble dériver de ce nœud d'Isis. Ce nœud crétois peut être dessiné et déguisé de manière à représenter la labrys, ou double hache, symbole lié au labyrinthe dont le nom semble en dériver. On peut donc observer dans la manière même de dessiner les symboles une nouvelle allusion à un glissement ou à une transformation des symboles et à une connexion entre le nœud et le labyrinthe [...] La géométrie précise comment à partir d'un nœud représentant le temps relatif, le Temps éternel (le centre du labyrinthe) est retrouvé, rattrapé par un cheminement correspondant à une prise de conscience et une vision (Patrick Conty : L'Esprit du Labyrinthe, p. 182).

Il y a un équilibre parfait entre nœud et labyrinthe, chemin et clôture : la corde du nœud (ou sa clôture) devient le chemin dans le labyrinthe ; le double chemin à travers le nœud devient la double clôture du labyrinthe. On peut trouver ici une explication au fait que le labyrinthe est appelé parfois " couloir de la double hache ". La labrys, ou double hache, qui peut couper ou fendre dans deux directions opposées, était un emblème important pour les Crétois et les Celtes (francisque). Elle est associée à la double face de Janus, dieu des portes et des passages, et donc de cette manière aussi avec le labyrinthe. Le mot " labrys " a même été considéré comme une racine possible du mot " labyrinthe ". […] Même si l'on objecte que ce nom ne s'applique qu'à une salle du palais de Cnossos décorée par des doubles haches et des boucliers à double renflement, on peut répondre que cette salle pouvait justement commémorer le labyrinthe. Ce nom répond à l'ancien nom égyptien du " couloir de la double vérité " mentionné dans plusieurs livres qui traitent du jugement et de la transformation des âmes dans le monde souterrain, c'est-à-dire dans le labyrinthe. (Patrick Conty : L'Esprit du Labyrinthe, p. 100).

Bien connus des marins, les feux de Saint-Elme (autre nom d'Erasme), sous l'antiquité associés aux Dioscures, sont accompagnés du feu d'Hélène.

La jeune fille à la tour est un lieu commun des romans grecs et en a trouvé une trace dans une réélaboration tardive de la légende homérique d'Hélène, conservée dans les Recognitiones pseudo-clémentines II, 12, 4, et appliquée à la compagne de Simon le Magicien, une prostituée également nommée Hélène. Appelée en ce contexte Luna (Séléné), Hélène se tient dans une tour, une foule de gens la contemplant, et elle-même observant la foule à ses pieds.

Sur deux vases grecs, le Minotaure lutte encore contre son vainqueur ; Athéna est à droite; mais, au lieu du labyrinthe attendu, c'est une tour décorée de zones de méandres et de spirales qu'on rencontre. Or, cette tour est la prison de la vierge solaire dans des variantes célèbres : c'est celle de Danaé, mère de Persée, le héros libérateur, et d'Ethne, la fille du cyclope Balor.

Le cœur du mythe du labyrinthe paraît être constitué par le retour du Soleil après une période d'obscurité (la "ténèbre hivernale"). On en retrouve l'écho dans la geste de Siegfried et de Brunhilde, dans le mythe de Thésée et d'Ariane, dans l'histoire de la Belle au bois dormant, sans doute aussi dans le récit de la guerre de Troie (la délivrance de la belle Hélène, retenue dans une cité aux murailles labyrinthiques) (Christian Mandon, Les origines de l'Arbre de Mai).

Les Dioscures des reliefs pisidiens, habillés pour les plateaux à 1000 ou 1200 mètres, affichent le caractère cavalier par des chevaux montés et en marche. Enfin l'arme est à l'occasion la bipenne, ainsi pour l'un des cavaliers de Dengere et sans doute de Kayaba ; chacun des cavaliers tient la bipenne (labrys grecque) à Tyriaion. Ils sont souvent accompagnés d'une divinité lunaire assimilée à Hélène, leur sœur, primitivement vierge solaire (Louis Robert, Documents d'Asie Mineure).

Labyrinthe et ancile

Comme le nœud qui relie et le nœud coulant d'un lasso servant à capturer le soleil, le miroir se retrouve utilisé comme un symbole de l'esprit et du tout et comme une arme. Dans le mythe grec, c'est, sous l'aspect d'un bouclier, l'unique moyen de vaincre la Gorgone dont la puissance du regard pétrifie. Le bouclier-miroir retourne le regard de la Gorgone sur elle-même. On peut interpréter ce regard comme celui qui retransforme les symboles vivants en objets inertes. L'accomplissement de la Gorgone est inverse à celui de Dédale qui convertit les objets en symboles et qui, " ouvrant les yeux " de ses statues, leur donne la vie. Confirmant l'hypothèse d'un labyrinthe miroir, une mosaïque gréco-romaine représente l'image d'un dédale formant un nœud au centre duquel se trouve reflétée l'image de la Gorgone. Il y aurait donc une identification du dédale avec le miroir bouclier. Le dédale ainsi représenté suggère une équivalence entre une manière d'emprisonner ou de perdre un esprit mauvais dans un nœud et de le neutraliser dans une réflexion ou un reflet qui retourne son regard malfaisant sur lui-même. Mais ce miroir peut aussi correspondre à un regard plus puissant que celui de la Gorgone, celui de l'un caché dans le dédale avec le chemin du labyrinthe (Patrick Conty : L'Esprit du Labyrinthe, p. 178).

Le bouclier-miroir du héros homérique, instrument objectivant s'il en est, dans la mesure où il reflète en lui-même l'univers (masculin), renvoie au statut sociopolitique - et donc ontologique - de l'homme obtenu par l'intermédiaire du regard objectivant que autrui porte vers lui.

Le symbole du miroir représentant l'esprit est conservé par la tradition persane dans La conférence des oiseaux d'Attar. A l'aboutissement d'un périple hasardeux accompli par les oiseaux à la recherche de leur seigneur, celui-ci se présente comme un miroir qui doit être aussi redécouvert dans la face et les yeux de chaque prochain. Aujourd'hui, on peut trouver une autre coïncidence intéressante dans le fait que les problèmes posés par la topologie des nœuds peuvent être résolus par des jeux de miroirs.

Le schéma du labyrinthe évoque des cercles connexes que l'on peut être tenté de compléter. Ce résultat peut être aussi obtenu en joignant les chemins de deux labyrinthes opposés symétriquement et aplatis. On obtient alors un système d'engrenages ou de roues qui s'entraînent à des vitesses de rotation différentes comme sept planètes et leurs orbites.

Certains ont vu dans Stonehenge un labyrinthe avec ses cercles concentriques. "Nous connaissons les zodiaques égyptiens ou babyloniezns, car ces peuples nous ont laissé des écrits et des cartes. Mais notre ignorance est grande en ce qui concerne les autres civilisations contemporaines. Nous arrivons, sans doute, à mettre en lumière une relation entre Stonehenge et les sept planètes des Anciens, sans pouvoir aller plus loin." [1]

Une méthode analogue est employée par Claire Grace Watson (Phaistos Disk Literature and Art), pour analyser le disque de Phaïstos, pour former un bouclier minoen ressemblant aux anciles romaines.

Le disque de Phaïstos a officiellement été découvert le 3 Juillet 1908 à Phaistos en Crète par un archéologue italien : Luigi Pernier. Le Disque de Phaistos mesure 158 à 165 mm de diamètre et 16 à 21 mm d'épaisseur. Il est en argile cuite, lisse et satinée, presque complètement dénuée d'impuretés, d'une belle teinte jaune-ambrée. Sa couleur est uniforme, sauf une partie de la face B où elle est presque brune.

Son compétiteur, le fameux Arthur Evans, s'empresse de publier ses Scripta Minoa I en 1909. Il attribue conventionnellement à chaque signe un numéro de 01 à 45, donne les lettres A et B aux faces du disque et numérote les compartiments du centre vers la periphérie. La numérotation des compartiments sera définitivement inversée en 1977 suite à l'étude épigraphique de Yves Duhoux, pour suivre le sens d'impression et non le sens de marche des signes (www.disque-phaistos.fr).

Conclusion

Nous en savons assez pour dégager dès maintenant un premier résultat. La patrie du labyrinthe est évidemment celle des récits qui lui a donné naissance, c'est-à-dire la région des hautes latitudes où le " char bleu " dessine des cercles de plus en plus étroits ; c'est là que le cycle des légendes, - l'ensemble des monuments les plus reculés, puisqu'ils s'élèvent dans l'âme des peuples, - apparaît le plus considérable, le plus intact, le plus persistant, le plus répandu. Inconnu en Assyrie et en Egypte, - notez que le svastika et la spirale y sont rares et d'importation relativement récente, - il ne vit en Egéide qu'à l'état d'adaptations parfois malhabiles ou de souvenirs souvent fragmentaires : aux rives méditerranéennes, le soleil n'est jamais prisonnier. Il l'est si peu qu'on y maudit ses ravages. Les troubles excités par la réforme religieuse d'Aménophis IV font présumer que Typhon, ce " frère malfaisant du soleil ", a précédé Râ-Osiris, et que les malédictions dont les Memphites chargeaient la statue de l'Hiver, au temple de Ptah, sont étrangères. Réville a mis en relief qu'en Afrique, le soleil n'est à peu près l'objet d'aucun culte ; en Chaldée Sui l'emportait sur Shamash, " dieu destructeur ; dans l'astrologie indienne, le soleil est le chef des planètes malfaisantes, le Mal, comme la Lune est le Dieu " (Bouché Leclercq, op. cit., p. 44, n 1). Les fêtes célébrant le retour des chevaux de feu et leurs bienfaits ne sont pas nées sur les bords criblés des flèches mortelles que la Grèce mettra dans la main pourtant secourable de l'Apollon dorien. J'estime ces raisons plus décisives qu'une discussion de dates forcément incertaines. Il est en outre significatif que les labyrinthes helléniques aient oublié le nom de Troie, perpétué par le Ludus Troiae en Italie ; ce n'est donc pas Troie qui a donné son nom aux labyrinthes du Nord - elle l'aurait d'abord donné à ceux du Sud -, mais bien ceux-ci qui ont donné le leur à Troie (Robert de Launay, Les fallacieux détours du Labyrinthe).

 


[1] Myriam Philibert, « Le Labyrinthe, un fil d'Ariane », Editions du Rocher, p. 145