C’est à madame de Maintenon en 1703, qu’un certain Saint-Robert envoya une lettre révélant que M. Vinache était en possession du secret de la poudre de projection, et savait transmuter les métaux en or. Il espérait pouvoir toucher 100 000 livres de la part du roi pour prix de son information. Le roi en fut averti et commandita une enquête sur ledit Vinache, qui était déjà connu du Contrôleur général des finances Chamillard par l’intermédiaire du banquier hollandais installé à Paris Van der Hultz. Ceux-ci en avaient une bonne opinion.
L’enquête du lieutenant général de police d’Argenson découvrit que Vinache était d’origine napolitaine et qu’il avait été amené en France, en 1689, par le duc Charles de Chaulnes - de la famille des Albert qui donna les ducs de Luynes - alors ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, poste qu’il occupa déjà en 1666, contribuant à l’élection de Clément IX, et en 1669. Le duc réprima la révolte du « papier timbré » en 1675, après qu’il fut nommé gouverneur de Bretagne en 1670. En 1695, il était nommé gouverneur de Guyenne. S’étant engagé dans l’armée, Vinache déserta en volant quelques uniformes d’officier. Pris en chemin, il fut relaxé grâce à une haute protection, celle du comte d’Auvergne qui était sans doute le duc de Bouillon, époux de Marie-Anne Mancini dont on a parlé plus haut, et beau-frère du duc de Nevers. Arrivé à Paris, il trouve refuge à L’Ecu Dauphin, auberge tenue par Bullot, autre protégé du duc de Chaulnes. Vinache épouse la fille Bullot, puis se retrouve domestique, en Anjou, du duc de Cossé-Brissac. Vinache recevra du duc, qui le fréquentera par la suite, une terre en Anjou avec château et 3000 livres de rente. De retour à Paris, il fait le commerce de remèdes, dont son fameux paraneston, dans les foires. Puis il part avec sa femme en Bretagne, et en revient, en 1698, roulant carrosse et en mesure de s’acheter à Paris un appartement et un hôtel particulier avec leur domesticité, et à Coubron une maison et une ferme où il procédait à ses travaux de chimie. La réputation de Vinache fit qu’il enseigna au duc de Nevers les sciences occultes. Philippe-Julien Mancini, duc de Nevers, était le neveu de Mazarin qui acheta le duché aux Gonzague en 1659. Philippe-Julien écrivit des poésies témoignant d’une rare connaissance de la littérature mystique. Partisan de Corneille, il soutint Fénelon dans l’affaire du quiétisme. Vinache monta aussi des fourneaux pour le jeune duc d’Orléans, futur régent. Il fabriquait de l’or, mais l’enquête conclut qu’il pratiquait le billonnage, c’est-à-dire l’altération des monnaies. Vinache recevait les pièces de monnaies de banquiers comme Van der Hultz ou Samuel Bernard. Les quantités brassées étaient importantes, mais Vinache bénéficiait de la complicité de Ménager, secrétaire du roi pour les finances, qui le protégeait des officiers de la Monnaie des Médailles. Vinache trafiquait de préférence les monnaies étrangères que des complices, dont Saint-Robert, écoulaient en Savoie, à Strasbourg ou à Genève. Pour intimider ses domestiques, Vinache fit venir dans son hôtel un officier, le commissaire Socquart, du Châtelet, qui les soumit à un interrogatoire. Si eux devaient craindre la justice, les relations qu’affichaient Vinache et Socquart semblaient mettre à l’abri l’ « alchimiste ».
Vinache fut incarcéré par ordre du roi à la Bastille le 17 février 1704 avec son valet de chambre et Socquart. Argenson dirigea deux interrogatoires, et 9 jours après le dernier en date du 10 mars, Vinache était découvert dans son cachot baignant dans son sang. Il s’était ouvert le dessous du menton, en pensant s’égorger. Il meurt le jeudi saint, 20 mars. Il est enterré deux jours plus tard sous le faux nom d’Etienne Durand et l’âge de 65 ans attribué au mort est aussi faux
Les personnes qui furent arrêtées avec lui furent relâchées, aucun de ses complices ne fut inquiété et sa veuve put jouir des biens acquis par leur trafic en paix. Sauf Buisson des Trésoriers, agent de Vinache et de Samuel Bernard. Le banquier lui reprochait d’avoir répandu des dénonciations calomnieuses. Le dénonciateur fut arrêté en décembre 1704 et emprisonné pendant 12 ans. Les dépositions de Buisson devaient être telles que l’on craignait une nouvelle affaire des poisons, vu les gros poissons qui intervenaient dans l’affaire. Cela expliquait aussi que Vinache pendant plusieurs années put s’adonner à ses travaux sans être inquiété. M. de Chamillard connaissait toute l’affaire. Le lieutenant général de police écrit au ministre le 1er décembre 1703 : « Les affaires importantes que vous confiez à M. Bernard ne permettent pas de le considérer comme un simple particulier. La sûreté de sa personne, sa réputation et son crédit sont également au service du roi ». Il s’agissait de payer les ennemis du grand roi, alors en guerre avec toute l’Europe, par de l’or frelaté qui permettait de faire quelques économies[1].
A la même époque, d’autres alchimistes furent embastillés : Schuster, Mariscot, Boucheix d’Auvergne, Thomassin et Seigneurie. Notons en particulier Jean Troin, né à Bargemon, et surnommé De L'Isle qui fut protégé par Jean Soanen (Riom, 1647 - La Chaise-Dieu, 1740), évêque janséniste de Senez. Troin fut lui aussi embastillé où il mourut sous les tortures des interrogatoires en 1712.
Andrea Aromatico reconnaît quatre voies distinctes par laquelle l’alchimie a pénétré en Europe. L’Espagne envahie par les troupes musulmanes au VIIème siècle, Byzance qui fut un centre de conservation des textes alchimiques, la Méditerranée orientale, et la Sicile et le sud de l’Italie combinant l’apport arabe et l’héritage de la Grande Grèce. Vinache était en effet originaire de Naples, et disait tenir sa puissance d’un compas, symbole franc-maçon que l’on retrouve dans l’emblème XXI de l’Atalanta fugiens de Michel Maier, et d’un serpent tatoué le long de sa colonne vertébrale, symbole utilisé crucifié par Nicolas Flamel. Les protecteurs et les relations qu’eut Vinache, font dire à Jean Blottière[2] qu’ils faisaient peut-être partie des Bon Cousins Charbonniers, secte de compagnonnage qui joua un rôle politique depuis la Réforme mais dont on ne sait pas grand chose.
[1] Lucien Gérardin, « L’Alchime, tradition et actualité », Culture art et loisirs, p. 200
[2] Jean Blottière, « L’affaire Vinache », Historia n° 170