Partie V - Arts et Lettres   Chapitre XL - Section littérature   République des lettres   

Peiresc  (Belgentier, 1580 – Aix, 1637), « prince de la République des Lettres » était, dès le milieu du XVIIème siècle, passé dans l’oubli en France. Pourtant, la correspondance de Peiresc, plus de 10 000 lettres, s'établit avec tous les grands noms de son temps. Peiresc entretien des relations dans le saint Empire avec des correspondants d’Augsbourg, Tübingen, Lübeck et Hambourg. Il en compte une centaine à Paris. Son réseau s’étend à la Provence, au Nord de l’Italie, à Gênes, Venise, Padoue et à Rome. Seuls deux correspondants en Espagne, à Madrid ; en Angleterre, des contacts à Londres et à Oxford ; à Anvers, il y a Rubens et les Provinces-Unies il correspond avec Leyde, Delft, La Haye. Au-delà de l’Europe, Peiresc correspond avec des religieux, à Constantinople, à Smyrne, à Alep, à Tripoli, à Jérusalem, à Alexandrie, au Caire, à Chypre, jusqu’à Goa.

En Europe, Peiresc est lié avec des laïcs comme Malherbe, Guez de Balzac, Galilée, Gassendi  (Champtercier, 1592 – Paris, 1655), Mydorge, Mersenne, Rigault, Casaubon (Genève, 1559 - Londres, 1614), les frères Dupuy, Jérôme Bignon, Grotius, Camden, Spelman, Cotton, Selden, Saumaise qui occupe à Leyde le poste de Scaliger.  Sa correspondance informe sur l'ensemble des découvertes scientifiques de son temps.

C’est en 1417, dans la correspondance entre le jeune et noble humaniste vénitien Francesco Barbaro et l’humaniste florentin Poggio Bracciolini, qu’est créée la notion de respublica literarum ou respublica literaria (le service public des Lettres, ou l’Etat littéraire)aera Claude Saumaise (cacardans sa lutte pour l't à Newton pour leur théorie de la gravaitation universelle, sera publ. « Elle est forgée sur le modèle de l’expression respublica christiana qui, au Moyen-Age, était l’expression juridique désignant l’Eglise catholique, en tant qu’institution universelle rassemblant et ordonnant l’ensemble des chrétiens, selon une constitution à la fois monarchique, sous l’autorité d’un Prince (le pape), aristocratique, puisque le pape était assisté des évêques, des généraux d’ordres monastiques, des cardinaux, et démocratique, puisque l’ensemble des chrétiens, laïcs et clercs, entrait dans la communion mystique de l’Eglise, sans distinction de nationalité, de langue ni de rang. [1]» La Respublica christiana, Etat de droit canon, transcendait les divers Etats temporels, de droit civil et purement humain. Les humanistes italiens héritiers de Pétrarque donnèrent au début du XVème siècle à leur programme d’études, les humanités littéraires, une identité quasi juridique, conçue sur le modèle de la Respublica christiana. La République des Lettres était un ordre studieux à l’intérieur de la République chrétienne. Pétrarque et ses héritiers cherchaient à renouer avec le génie et la foi de l’antiquité chrétienne inséparable de l’antiquité gréco-romaine. L’humanisme dans le Nord de l’Europe a penché très tôt vers le libre examen, et une « modernité » théologique littéraire et scientifique difficile à admettre par l’Eglise romaine. Erasme (Rotterdam, vers 1469 – Bâle, 1536), entré dans l’ordre des Augustins de Steyn et dispensé plus tard de ses vœux par Jules II, sera l’un des princes de la Respublica literaria reprise à son compte à la mode gothique et symbole d’unité pour l’Europe chrétienne, puisqu’il ne voulut jamais rompre avec la l’Eglise catholique, Paul III Farnèse (Probablement Canino, 1468 – Rome, 1549), le promoteur du concile de Trente qui approuva l’ordre des Jésuites en 1540, voulant même le faire cardinal. Pietro Bembo,  prince de la Respublica literaria italienne, devint, lui, cardinal en 1536. La conception de la Respublica literaria était la même autant pour les papes que pour Erasme.

Malgré la Réforme, la Respublica literaria, réussit, selon les vœux d’Erasme, hostile à tous les fanatismes religieux et littéraires, à maintenir dans une langue commune au-dessus des nationalités, le latin, une réelle coopération l’estime personnelle mutuelle entre humanistes de confession opposée.

« Plus encore que le livre imprimé, proie facile de la censure et de la répression, c’est par les voies plus confidentielles de la correspondance, de la conversation, des voyages, de la constitution de bibliothèques privées que put se maintenir au cours du XVIème siècle un programme et un réseau de coopération savantes en dépit des passions partisanes et des persécutions sectaires. La grande lumière unificatrice de l’Antiquité gréco-latine et chrétienne reste au XVIème et encore au XVIIème siècle, chez les catholiques comme chez les protestants érudits, la référence commune et le principe d’un programme de recherches relativement universel. [2]»

La principauté d’un Peiresc, au XVIIème siècle, est une synthèse européenne entre l’héritage du Français Budé, celui de l’Italien Bembo par l’intermédiaire Pinelli, et celui du Hollandais Erasme. S’il entretient un commerce épistolaire assidu avec nombre de cardinaux, d’archevêques et d’évêques, il écrit aussi aux huguenots Samuel Petit et Saumaise, ainsi qu’au rabbin Salomon Azubi. Telle était la République des Lettres, République sans frontières politiques ni spirituelles.

A la fin du XVIème et au début du XVIIème siècle, son nom avait un immense rayonnement. Gassendi, auteur de la Vita Peireskii rapporte la scène de 1601, où l'on voit Pinelli mourant « transmettre le flambeau » au jeune Peiresc, comme pour un adoubement. Selon Gassendi, cette « ordination » est confirmée aussitôt par le consentement général des sénateurs de la République des Lettres.

A partir de 1598, grâce à la paix rendue à la France par Henri IV, qui s’apprête à publier l’Edit de Nantes, la France va recueillir l’héritage des princes de l’humanisme. A Paris, un prestigieux magistrat du Parlement, Jacques-Auguste de Thou, rassemble dans son hôtel de la rue Saint-André-des-Arts une bibliothèque encyclopédique, qui va devenir à sa mort en 1617, le siège du « cabinet Dupuy », auquel Peiresc était étroitement lié, foyer central de plus en plus incontesté de la République des Lettres européenne jusqu’en 1651. Peiresc, auprès du garde des Sceaux Guillaume du Vair de 1617 à 1623, soutenait les lettrés, faisant publier leurs ouvrages, et travaillant à renforcer la coopération savante. « Cette époque est en quelque sorte le premier Age d’or français de la République des Lettres. En deux points de la France, à Aix tournée vers le Sud, et à Paris tournée vers le Nord et l’Est, par un double mouvement bien coordonné, Peiresc et ses amis parisiens ont construit le rôle de la France, réconciliée politiquement avec elle-même, comme centre géométrique de l’Europe savante. La République des Lettres va connaître à Paris à la fois son point culminant et sa radicale métamorphose. [3]»

Peiresc, astronome, physicien, naturaliste, est tout cela en philologue déchiffrant dans la Nature la langue et les signes de Dieu. La science de Peiresc vise par la variété de son enquête encyclopédique à reconnaître des constantes visibles et à les faire contempler. La philologie générale qu’il pratique est fidèle à l'esprit des humanistes, elle ne vise pas à rendre l'homme « maître et possesseur de la Nature ». Son objectif consiste en une contemplation rationnelle et méthodique. Cette philologie « est inséparable d’une spiritualité, et d’une sagesse civile. Le savant selon Peiresc, à plus forte raison l’internationale des savants telle qu’il la conçoit, n’ont pas seulement besoin de la paix civile et de la paix entre nations pour poursuivre leur œuvre : ils constituent eux-mêmes une « force de paix », un principe d’unité par le haut dans une Europe divisée et ravagée par les guerres. La science selon Peiresc, dans sa quête des secrets de l’ordre divin du monde, et de la part que les hommes peuvent y prendre, est elle-même source d’apaisement. [4]»

 


[1] Marc Fumaroli, « Nicolas de Peiresc, Prince de la République des Lettres », Conférence à la maison d’Erasme d’Anderlecht, 3/06/1992

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.