Partie V - Arts et Lettres   Chapitre XLI - Section peinture   Réaction au néoclassicisme   

Le néoclassicisme sera combattu à partir des années 1830 par la mouvance réaliste qui sera théorisée en 1857 par Jules Husson dit Champfleury (Laon, 1821 – Sèvres, 1889). Dès le Salon de 1846, Champfleury soutenait de façon polémique Delacroix et les paysagistes. Le Réalisme se caractérise principalement par des préoccupations sociales, rendant compte de la vie quotidienne sans héroïsme, fidèle à la nature. Mais on peut aussi parler de réalisme dans la facture et le souci du détail pour Jean-Louis Meissonnier (Lyon, 1815 – Paris, 1891) qui peignit de grandes toiles historiques de l’épopée napoléonienne. A la même époque, le village de Barbizon donna son nom à un mouvement artistique qui rompt aussi avec le néoclassicisme et qui commença à connaître une certaine notoriété avec Théodore Rousseau, né à Paris en 1812. Il rejoignit en 1835 un groupe de jeunes peintres déjà installés dans la localité. Rousseau, auparavant, voyagea à travers la France expérimentant à la manière des Hollandais et des paysagistes anglais une peinture qui exprimait un nouveau sentiment de la nature et qui provoqua une vive opposition des classiques. Sa peinture se caractérise par l’attrait pour l’obscurité des sous-bois avec une attention portée aux effets atmosphériques et lumineux. Barbizon marque l’abandon du paysagisme historique au profit d’une vision de la nature peinte sur le motif avec un sentiment panthéiste. Rousseau est rejoint par Dupré, Daubigny, Diaz de la Pena (Bordeaux, 1807 – Menton, 1876), Decamps et d’autres.

La vivacité de la touche de Jules Dupré, né à Nantes en 1811 et mort à L’Isle-Adam en 1889, rend compte des contrastes de lumière et des effets de clair-obscur comme dans les tableaux Le Matin et Le Soir datés de 1867.

Les peintres de Barbizon se fournissent en peinture chez Jean Durand-Ruel, natif d’Auray en 1800 et mort à Paris en 1865, dont les fils et petit-fils, avec leur galerie rue de la Paix puis rue Laffitte et leurs succursales à l’étranger, soutiendront et diffuseront la peinture impressionniste.

Pouvant être rattaché à l'Ecole de Barbizon, Antoine Chintreuil (Pont-de-Vaux, 1814 - Septeuil, 1873) monte à Paris en 1838 où il participe à la "vie de bohème" dont s'inspirera Murger pour le livret de "La Bohème" de Puccini. Chintreuil est invité malgré son caractère très réservé, au groupe des "Buveurs d’eau", qui rassemblait de très jeunes artistes. Son mentor Corot l'engage à se consacrer à la peinture paysagiste. Il peint sur le motif à Igny dans l'Essonne vers 1850 avec Corot et Odilon Redon ainsi qu'au bord de la Manche à Equihen, affectionnant les verts tendres et veloutés, les gris délicats et les bleus célestes captés au lever du jour et à la tombée de la nuit. Il rencontre Daubigny avec lequel il partage sa façon de décliner les effets lumineux. Il s'installe à la belle saison avec Jean Desbrosses près de Septeuil où il mourra après avoir achevé "Pluie et soleil", aujourd'hui au musée d'Orsay. Bien accepté par les salons officiels, il est cependant débouté en 1863 et participe alors à la création du Salon des Refusés exposant avec Corot, Manet, Cézanne et Pissarro. Chintreuil accroît progressivement sa maîtrise de la représentation de la nature, étend sa gamme de couleurs (Le Soleil chasse le Brouillard), et explore toutes les nuances des couchers de soleil (Les Vapeurs du Soir) annonçant l’impressionnisme et le symbolisme.

Charles-François Daubigny, né à Paris en 1817 et mort en 1878, a joué un rôle important de transition entre Barbizon et l’impressionnisme. Il est le premier paysagiste à peindre sur le motif selon sa vision naturelle. En 1852, il se lie avec Jean-Baptiste Camille Corot, né à Paris en 1796, reconnu par les impressionnistes comme le « père Corot », guide spirituel vénéré. Pissaro écrit à Dewhurst qui surestimait l’influence anglaise : « Nos maîtres sont Clouet, Nicolas Poussin, Claude Lorrain, le XVIIIème siècle avec Chardin et la groupe de 1830 avec Corot ». Berthe Morisot, née à Bourges en 1841, élève de Corot depuis 1861, travaillait en même temps à côté de Daubigny à Pontoise. Morisot, exposant son premier chef-d’œuvre au Salon de 1867, attire l’attention de Manet dont elle deviendra l’élève puis la belle-sœur. Manet, né en 1832 dans la bonne bourgeoisie de Paris, « réalisa en 1863 les deux grands tableaux considérés comme les œuvres qui marquèrent le début de la peinture moderne : Le Déjeuner sur l’herbe et l’Olympia […] il scandalisa le public par le naturalisme des personnages et par l’abolition des volumes, de la perspectives, des demi-teintes, du clair-obscur : seules demeuraient des formes plates, solidement affirmées, qui s’opposaient dans des contrastes hardis aux côtés de noirs vibrants [1]». L’idée neuve qui marque la rupture avec la peinture académique est que « la peinture de Manet ne prétend pas autre chose que d’être peinture [2]». Adolphe William Bouguereau (La Rochelle, 1825 – Paris, 1905), prix de Rome en 1850, s’opposera fortement à ce que représente Manet, incarnant la continuité de la culture classique (Homère et son guide). C’est le nom du tableau de Monet, Impression au soleil levant de 1872, qui donne au mouvement son nom. Déjà Corot employait ce mot, lançant : « Soumettons-nous à l’impression première ». Installé en 1883 à Giverny, où il meurt en 1926, Monet aménage un bassin fleuri de nymphéas en détournant le cours de l’Epte. Il en réalise une grandiose bande mise en place à l’Orangerie l’année de sa mort, marquant l’évolution tachiste de sa peinture (Cathédrales de Rouen), essayant « quelque chose d’impossible, de l’eau avec des herbes qui ondulent sous les rayons du soleil », dira-t-il lui-même. « Un asile merveilleux sans aucun doute pour les âmes rêveuses qui demandent à la peinture les enchantements de la musique et pour les amateurs de technique, l’un des plus hauts prodiges de tous les temps. Un bassin où veille la prunelle des fleurs devient le miroir de l’univers, se prête à toutes les métamorphoses de la lumière […] A son extrême limite, à son extrême ouverture, la peinture est soustraite à la spatialité, reflète moins le monde qu’elle n’épouse le cours de la vie intérieure [3]».

« La fécondité de l’impressionnisme est de porter en soi son propre éclatement. Il est né de l’extase solaire, d’un abandon panthéistique au flux des apparences, à la souveraineté de la lumière. Pour traduire matériellement la vibration des reflets et le frémissement de l’atmosphère, il crée la couleur pure et la touche divisée, moyens foncièrement antinaturalistes qui se développent par la suite en facteurs autonomes. A une volonté d’illusion plus complète que le réalisme, s’ajoute une conscience nouvelle de l’indépendance artistique et des nécessités de la surface peinte. [4]»

Un lieu dans la banlieue parisienne est considéré comme le berceau de l'impressionnisme : c'est Bougival. A la suite de Turner et de Corot, Monet, Renoir, Berthe Morisot et Sysley viendront saisir la lumière particulière des bords de Seine. Le nom de Bougival entre dans les titres de 68 toiles dispersées à travers le monde : Renoir, enterré à Essoyes - pays de sa femme, Danse à Bougival - représentant Suzanne Valadon et Paul Lhote - (1883) ; Sisley, La Seine à Bougival (1876) ; Monet, Glaçons sur la Seine à Bougival (vers 1867) ; Morisot, Jardin de Bougival (1882)...

 


[1] « Encyclopédie de l’art », sous la direction de Lucio Felici, La pochotèque-Garzanti, p. 627

[2] Jean Cassou, « Edouard Manet », Flammarion

[3] Jean Leymarie, « L’impressionnisme », tome II Skira, p. 115

[4] ibid,  p. 106