Partie XIII - La Croix d’Huriel   Tintin, Hergé et la Croix d’Huriel   Le Lotus Bleu ou l’hospitalité   
CROIX HURIEL TINTIN HERGE LOTUS BLEU SAINT JULIEN HOSPITALIER

Henri Massis, penseur catholique traditionnaliste et maurassien, figure marquante du jeune renouveau catholique de l'avant-guerre, pensait que l’Occident pouvait trouver en lui-même, dans sa propre tradition, les éléments de sa régénération. Pour lui, « l’Inde de Gandhi, de Tagore, ne prêche la tolérance de toutes les religions que pour réveiller ses propres croyances et pour mieux dissoudre les nôtres. Notre force, ce qui nous reste de cohésion morale, nous vient de nos traditions, de notre culture ; et par un double effort, ils cherchent à les imiter chez eux, en revenant au passé contemplatif et mystique de leur race, et à les ruiner chez nous, en y faisant pénétrer les pires stupéfiants spirituels (Défense de l’Occident, 1926). (Nonagones : Thèmes : Tintin).

En effet, une revue théosophique portant le nom de Lotus Bleu, comme la fumerie d'opium de l'album de Tintin, fut fondée par Arthur Arnould, appelé aussi Arthur Matthey ou Jean Mattheus, en 1894, à l'initiative de Helena Blavatsky qui le chargea de réorganisé la Théosophie française à la suite de différents incidents (départ de la comtesse d'Adhémar pour les Etats-Unis, rupture de Papus d'avec la théosophie) (Arnaud Baubérot, Arthur Arnould, Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, Volume 4, Les marges du christianisme, 1990 - books.google.fr).

René Guénon, aux initiales R.G., mena un combat contre les sectes et leur endoctrinement par lesquelles leurs membres étaient trompés. Dans Le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion (1922) et L‘Erreur spirite (1923), René Guénon analyse leurs méthodes. Contrairement à la théosophie d'inspiration indienne, les religions chinoises ne faisaient pas de prosélytisme en Europe.

L'album Le Lotus bleu est placé sous le signe de l'hospitalité, du maharadjah de Rawhajpoutalah, et en particulier celle de la famille chinoise de Wang Jen-Ghié.

Tintin reprend à Jules Verne le principe du tour du monde. L'un comme l'autre explorent les cinq continents au cours d'aventures qui présentent souvent des échos de l'actualioté politique. Le début du Tour du monde en quatre-vingts jours présente le même périple que celui des Cigares du Pharaon : le canal de Suez, l'Inde avec ses «bungalows dans la forêt», l'Extrême-Orient. Tintin y est poursuivi par les Dupondt comme Philéas Fogg par Fix. Une chambre aux serpents est commune à la première version de la bande dessinée et à la pièce que Verne tira de son roman. Arrivé à Shangaï, Tintin semble alors emboîter les pas du héros des Tribulations d'un chinois en Chine qui, lui aussi, quitte Shangaï par le Yang-Tse-Kiang, et passe obligatoirement par Hou-Kou (bien que Verne ne le mentionne pas) pour arriver à Ran-Keou. Cette ville de Hou-Kou (Hu-Kou) est bien réelle, située à l'entrée du lac Boyang, bien que beaucoup d'ouvrages consacrés Tintin la donnent comme imaginaire (Jean Luc Planchet, Tintin et le secret de la momie, Revue d'archéologie moderne et d'archéologie générale, 1999 - books.google.fr).

C'est en arrivant à Hou Kou que Tchang cite le mot "hospitalité", seule occurrence de l'album, page 44.

Hou Kou

La ville de Hou-Kou-Hien, dont les murailles renferment plusieurs montagnes. Il est difficile de s'expliquer pourquoi on réserve, dans l'enceinte des villes, des montagnes sans culture, et qui ne produisent en apparence que peu de pâturages. Le lac Poyang se déverse dans le Grand-Fleuve ou Yang-tse-kiang à Hou-kou. Il se trouve dans la partie septentrionale de la province de Kiang-Si. ll est formé par le confluent de quatre rivieres. Il a 20 lieues de circuit ; on y essuyé des typhons comme sur les mers de la Chine (Henri Ellis, Amherts, ambassade à Péking, Bibliothèque universelle des voyages, Revu ou traduit par Albert Montémont, 1833 - archive.org, Camille Dreyfus, André Berthelot, La Grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, Volume 24, 1886 - books.google.fr).

La Ville de Hukeu [est] à quarante milles de Nan-kang, sur les bords du lac de Poyang, mais dans l'endroit où il se rétrécit, au côté droit de la rivière de Kyang. On voit au Nord de la Ville un vieux rocher, qui pend un peu sur la rivière, & qui forme une perspective charmante par les arbres dont il est couvert. Au pied de la montagne est un Temple d'une magnificence égale à sa grandeur. Les murs de la Ville sont fort hauts & fort épais. Elle est bien peuplée & bien bâtie. Le commerce y est considérable, & les provisions fort abondantes.

A l'arrivée des Ambassadeurs [hollandais en 1656], les Habitans de Hukeu accoururent pour les voir, avec beaucoup d'admiration. Mais au son des trompettes, que les Hollandois croyoient propre à les réjouir, ils prirent la fuite, en poussant des cris de frayeur (Suite de l'Histoire Générale des Voyages, traduit par entre autres Antoine-François Prévost (dit Prévost d'Exiles), Didot, 1748 - books.google.fr).

On retrouve l'abbé Prévost, rencontré au sjet de L'Etoile mystérieuse (Tintin, Hergé et la Croix d’Huriel L’Etoile mystérieuse : sephira Malkuth et Tulipe en fleur).

Hukeu veut dire "bouche du lac", car c'est en cet endroit qu'on entre du Kyang dans le Poyang-Hû, ou Lac Poyang. Hukeu est une petite ville du Kiangsi à douze ou treize lieues à l'Est de Kyeukyangfu (Histoire universelle, depuis le commencement du monde, jusqu'à present, Tome XVII, Arkstée & Merkus, 1761 - books.google.fr).

Hukeu n'est pas à confondre avec Hucheu (Hou-Tcheou ou Hou-Tcheou-fou, Hucheum) au bord du lac Taï-hou au sud-est de Nankin.

HUCHEU, (Géog.) ville de la Chine, troisieme métropole de la province de Chékiang. Elle est remarquable par cinq temples consacrés aux hommes illustres. Long. 137. 50. lat. 30. 2. (D. J.) (L’Encyclopédie, 1re éd., Tome VIII, 1766 - fr.wikisource.org).

Cette ville prend son nom du lac de Tai, au bord duquel elle est située: car le mot de Hu signifie un lac. Elle passe pour une des plus grandes &c florissantes villes pour le négoce & pour ses richesses, considérable pour la splendeur &c magnificence de ses bastimens, pour la beauté de ses campagnes, de ses eaux & de ses montagnes. II s'y fait grande quantité de draps de soye, & les meilleurs pinceaux dont on se sert pour escrire dans toute la Chine. Il s'y cueille aussi de la fueille de Cha qu'ils appellent Kiaicha. II y a cinq temples dediés aux Héros, le premier & le principal est dans la ville, consacre aux cinq premiers Empereurs de la Chine. Le pays de Hucheu a esté autrefois un Royaume libre & souverain, qui se nommoit Tung; mais les Rois d'V s'en rendirent maistres; puis ceux de Iue; ensuite ceux deçu. La famille de Cina luy donna le nom de Vuching ; mais celle de Tanga luy a imposé le nom qu'elle a à présent : la famille de Sunga l'appella Chaoking ; enfin celle de Taiminga luy a rendu son premier nom. (Père Martin Martinius, Description géographique de l'Empire de la Chine, Relations de divers voyages curieux traduit par Melchisédech Thévenot, 1683 - books.google.fr).

Pieter van der Aa, Joan Nieuhof (1618-1672), China – La Ville de HVKOEN ou HUKEU, dans la Chine, Leiden, 1665 - www.peterharrington.co.uk

Radjaïdjah

En sanskrit "radja" désigne le roi, "djah" lieu. Le "lieu du roi" n'est pas très explicite mais on peut trouver un Djâ, traduction chinoise de Adjataçatrou, roi de Magadha.

On rencontre souvent, dans les ouvrages dont je viens de parler, des mots tellement abrégés ou altérés, qu'il est fort difficile, même avec notre alphabet, de les compléter ou de les ramener à leur orthographe régulière; par exemple : Che-wang, le roi Djâ, pour Adjataçatrou; le religieux Lo-chi (Radjî) ou simplement Chi (Djî), pour Koumâradjîva; la ville de Kia-weï-weï, pour Kapilavastou; le vénérable Mo-lien, pour Mâudgalyâyana, etc. Le Fo-koue-ki de Fa-hien en offre de nombreux exemples. J'ai cru, en conséquence, devoir recueillir, dans les notes de Hoeï-li et de Hiouen thsang, tous ces mots tronqués ou corrompus, en les faisant suivre de leur orthographe complète ou correcte (Hiouen-Thsang, Mémoires sur les contrées occidentales, traduits du Sanscrit en Chinois, en l'an 648, par Hiouen-Thsang, et du Chinois en Français par Stanislas Julien, Volume 2, 1858 - books.google.fr).

Nommé vice-roi de l’Anga par son père Bimbisara, roi de Magadha, il l’aurait assassiné en -491 par empoisonnement ou en le faisant emprisonner. La tradition bouddhiste prétend qu’il fut poussé au crime par Devadatta, cousin et adversaire du Bouddha, et que malgré ses remords le grade de sotapanna lui fut refusé à cause de ce meurtre considéré comme impardonnable (fr.wikipedia.org - Ajatashatru).

Le Magadha est la patrie de Bouddha.

La notion de monarque universel prendra une grande importance dans le Bouddhisme; c'est sur elle que se fondera l'empire de Magadha. [...] Si le Brahmanisme a été respecté par les souverains kchatriyas, avec toutefois une certaine défiance à cause de ses tendances à l'hégémonie, conquis la faveur des princes et des rois en se faisant leur allié contre les brahmanes. Cette faveur du pouvoir royal fut un des facteurs déterminants de la rapide extension du Bouddhisme dans le Magadha et les royaumes voisins, extension qui atteignit son apogée durant le règne d'Açoka le pieux (André Migot, Le Bouddha, 1990 - books.google.fr).

Adjataçatrou devint fou, mais fou du pouvoir :

When the Master [Bouddha] had thus spoken, Ajatashatru, king of Magadha, thus addressed him : "Therefore, I take my refuge in the Master, I take my refuge in the Law, I take my refuge in the Order of disciples. May the Master accept me as a lay disciple, come to him as my refuge, from today so long as life endures. May the Master accept me as a lay disciple, come to him as my refuge, from to-day so long as life endures. Sin overcame me, Lord, a fool, deluded, beset by evil, in that, for the sake of sovereignty, I deprived of life my father, righteous, a righteous king. May the Master accept this sin confessed, that for all time to come I may have the victory over it !" (Charles Johnston, The Wisdom of India, The Theosophical Quarterly, Volume 23, Theosophical Society of America, 1925 - books.google.fr).

Adjataçatrou est un parricide comme saint Julien l'Hospitalier, et se convertit au Bouddhisme, comme Julien fait pénitence.

Devadatta introduisit sous ses ongles un poison subtil, puis vint comme pour présenter ses hommages à Çakyamouni ; en réalité, il voulait exécuter un plan homicide. Ce fut en ce lieu-là même que la terre s'entr'ouvrit et engloutit le perfide.[...] A environ cent pas à l'est du couvent de Jetavana à Sravasti, il y a une fosse large et profonde. C'est l'endroit où Devadatta, pour avoir voulu faire périr le Bouddha par le poison, tomba tout vivant dans l'enfer. Devadatta était le fils de Dronodana Râja (Xuan Zang, Mémoires sur les contrées occidentales, Volume 1, Traduit par Stanislas Julien, 1857 - books.google.fr).

Kiu-kiu-Li était un disciple de Dêvadatta (Tiao ta). Ce nom vient de koa «mauvais», et de kâla «temps». On l'appelait aussi Kiu-po-li (Gôpâlî) : remarquons Gopali, proche de Gopal, dont le Maharadja offrit une émeraude à la Castafiore (Les Bijoux de la Castafiore, page 17).

Stanislas Aignan Julien, né à Orléans le 21 septembre 1797 et mort à Paris le 14 février 1873, était un sinologue français. Il était titulaire de la chaire de langue et littérature chinoises et tartare-mandchoues au Collège de France de 1832 à 1873 dont il a été l'administrateur, et a été élu membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1833. Il succède à Abel Rémusat, qui a été son professeur, au Collège de France. Très jeune, il apprend le grec, l'arabe, l'hébreu, le persan, le sanskrit et le chinois. Abel Rémusat lui enseigne également le mandchou (fr.wikipedia.org - Stanislas Julien).

Tchao-chikou-eul, ou l'Orphelin de la famille Tchao, drame en prose et en vers, accompagné des pièces historiques qui en ont fourni le sujet, de nouvelles et de poésies chinoises (1834) (Tchao-Chi-Kou-Eul, ou l'orphelin de la Chine: drame en prose et en vers, accompagné des pièces historiques qui en ont fourni le sujet, de nouvelles et de poésies Chinoises, traduit par Stanislas Julien, 1834 - books.google.fr).

Le drame de l'Orphelin de la Chine, que Voltaire a imité, est intitulé en chinois: « Le petit orphelin de la famille de Tchao, qui » se venge d'une manière éclatante. » Voltaire prit le sujet de sa tragédie dans une traduction donnée par le père Prémare, qui avait résidé long-temps à Pékin. Cette traduction était fort incomplète; nous en devons une plus exacte à M. Stanislas Julien (Hippolyte Lucas, Histoire philosophique et littéraire du théâtre français depuis son origine jusqu'a nos jours, 1843 - books.google.fr).

La traduction de Julien est suvie de la légende de Moul-lan (la Mulan de Disney).

L'orphelin s'appelle Tching-Pei.

M. le professeur Wilson accorda les plus grands éloges à l'ouvrage de M. Stanislas Julien, ainsi qu'à l'admirable méthode par laquelle il a réussi à tirer les noms sanscrits des formes bizarres dans lesquelles le système graphique des Chinois les avait enveloppés, méthode qui lui a permis de donner des tables des mots sanscrits répondant aux caractères chinois. Ces tables ne peuvent manquer d'être essentiellement utiles à tous ceux qui, à l'avenir, voudront étudier l'ancienne histoire de l'Inde d'après les sources chinoises (Satnislas Julien, Méthode pour déchiffrer et transcrire les noms sanscrits qui se rencontrent dans les livres chinois, 1861 - archive.org).

La légende raconte qu'Adjatasatrou fit le portrait du Bouddha en recevant la silhouette de son visage illuminé par les rayons du soleil sur une pièce de toile et en la colorant [...] L'invention de ce procédé se trouve aux origines de l'art grec, et l'histoire d'Adjatasatrou ne fait guère que répéter, en les copiant, les termes de celle de Korè, fille de Dibutadès, le potier de Sicyone (E. Blochet, Christianisme et Mazdéisme chez les Turks orientaux, Revue de l'Orient chrétien, Troisième série, Tome VII, 1929-1930 - archive.org).

Cela rappelle aussi sainte Véronique.

L'émissaire des Fils du Dragon envoyé à Tintin à Rawhajpoutalah est empoisonné et chante "Toung si nan peï".

Le syntagme chinois de fang n'est qu'imparfaitement rendu par « direction » ou « point cardinal ». Il signifie aussi bien le « lieu », la « région », que le « côté », le « carré », et plus généralement toute « figure géométrique quadrangulaire ». Il s'agit d'une étendue ouverte plutôt que d'un point fixe, néanmoins intégrable dans la géométrie. Cette conception en « aire » et non en « point », distincte de la tradition européenne, permet d'intégrer le « centre » aux quatre points cardinaux habituels, car ce centre ne peut cosmologiquement être réduit à un point et doit être considéré comme un espace, celui de l'empereur, celui de l'empire de Chine. Le syntagme chinois wufang, soit « cinq régions », ou bien « cinq orients » au sens d'orientation. désigne la totalité de l'univers, l'ensemble de la Terre, le carré, le « Grand Carrés » et, dans une acceptation géopolitique, l'« empire », c'est à dire la Chine elle-même. Son énumération se fait dans l'ordre suivant : Est, Ouest, Sud, Nord, Centre (dong, xi, nan, bei, zhong). Dans la tradition chinoise classique, les wufang sont intégrés dans des séries complexes de symboles qui associent l'espace avec divers éléments : les météores, les couleurs, le corps humain, les montagnes, les notes, etc. (Philippe Pelletier, L'Extrême-Orient : l'invention d'une histoire et d'une géographie, Paris, Gallimard, 2012).

L'absence du cinquième fang dans les paroles du dément ne désigne-t-il pas en creux le territoire futur des aventures de Tintin : la Chine, cet « empire ou pays du milieu » (zhongguo) ? (biblioweb.hypotheses.org).

Cipaçalouvishni

Ainsi le Sage est l'homme supérieur à toutes les circonstances, un juge souverain de toutes les situations, toujours heureux par cela même. Cette conception ne différerait peut-être pas de ce qu'on trouve chez d'autres philosophes de ce temps, si Anaxarque n'avait été dans l'Inde le témoin de la vivante impassibilité de ces fakirs, que les Grecs appelaient Mages ou Gymnosophistes : l'un d'eux, surnommé Calanos, avait, du haut de son bûcher, donné à l'armée le spectacle d'une mort volontaire, supportée sans faiblesse (Léon Robin, La Pensée grecque et les origines de l'esprit scientifique, 1973 - books.google.fr).

Vishni appelle Vishnou, on peut alors penser à une inversion de voyelles entre çalou et vishni : çali et Vishnou.

çali ou sali désigne le riz, plante qui possède une racine fibreuse (Santiago Juan-Galan, Terra Barda - Tome 1 - Les Indo-européens, 2008 - books.google.fr).

Le sanscrit çapha est racine et sabot d’animal, de cheval, etc.; çiphâ, racine fibreuse (Origine inconnue) (Ruggero Bonghi, Les origines indo-europeennes, ou Les Aryas primitifs essai de paleontologie linguistique par Adolphe Pictet, Volume 1, 1859 - books.google.fr), ou çipa (Albert Agathon Benary, Die römische Lautlehre, 1837 - books.google.fr).

La racine fibreuse du riz pousse des tiges ou tuyaux de trois à quatre pieds de hauteur, cannelés, plus gros & plus fermes que ceux du bled, noués d'espace en espace: ses feuilles font longues , charnues, assez semblables à celles du poireau ; ses fleurs naissent en ses sommités de couleur purpurine , & forment des bouquets ou pannicules comme celles du panis ou du millet ; à ces fleurs succèdent des semençes oblongues, blanches , demi transparantes, dures, enfermées chacune dans une capsule jaunâtre, rude, cannelée, anguleuse, velue, & terminée par un filet ou arrête, le tout disposé alternativement le long des tiges ou rameaux (Edme Béguillet, Traité des subsistances et des grains, qui servent à la nourriture de l'homme, 1802 - books.google.fr).

Le sanskrit mahaçali est le fameux paddy du Maghada. le mot çali (sanskrit) est passé en tibétain sous la forme salé ou çalu (çalou) (Lucien Bernot (1919-1993), Hautes terres et rizière, Leçon inaugurale au Collège de France, Chaire de sociographie de l'Asie du Sud-Est, le Vendredi 2 mars 1979 - ehess.philosophindia.org).

Le nom de ce royaume est transcrit, par d’autres auteurs chinois, Mo kia tho et Mo kië tho, c’est-à-dire Magadha. C’est le nom du Bihar méridional, ou de la partie du Bihar située au sud du Gange. Fâ hian est le premier auteur chinois qui ait fait mention de ce royaume, lequel envoya, l’an 647 de J. C., une ambassade à l’empereur Taï tsoung de la dynastie des Thang. Suivant la description des pays occidentaux, annexée à l’histoire de cette dynastie, il appartient à l’Inde du milieu et a cinq mille li de circonférence. Le sol y est fertile; on y sème et on y récolte différentes espèces de grains, entre autres une espèce de riz qu’on appelle riz des grands hommes (Chy Fâ Hian, Foe Koue Ki ou Relation des royaumes bouddhiques, traduit par Abel Rémusat (maître de Stanislas Julien), 1836 - books.google.fr).

Les royaumes de Koçala, de Magadha et de Vindhya (Bihar), sont les premiers que nous atteste l'histoire. L'état de Magadha absorba celui de Koçaja et établit sa suprématie sur toute la moyenne et la basse vallée du Gange, transportant ainsi le centre de la civilisation aryenne en plein pays du riz, à peu près à l'époque où Darius de Perse annexait le Pandjâb.

C'est Adjataçatrou qui conquit le Kosala, semble-t-il (fr.wikipedia.org - Ajatashatru).

Du pays des Sacas ou Saces étaient venus les Magas ou Mages, que Samba, fils de Crishna [avatar de Vishnou], avait introduits dans l'Inde. Etablis dans le Cicata, empire soumis à Jarasandha [ennemi de Khrisna qui le tua], ils y prospérèrent à tel point, que le pays reçut d’eux le nom du Magadha, qui lui est resté (Baron d'Eckstein, Du genre humain aux grandes époques de son développement, Revue des deux mondes, 1831 - books.google.fr, Vishnou-Puranas, Les livres sacrés de toutes les religions, sauf la Bible, Volume 2, J.-P. Migne, 1866 - books.google.fr).

Les Sakas ou Saces sont un peuple indo-européen qui vivait jusqu'en 380 après J.-C. dans une région couvrant le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, l'Afghanistan, le Pakistan et une partie de l'Iran, de l'Ukraine, des monts Altaï et de la Sibérie en Russie. La plupart des chercheurs les considèrent comme une branche des Scythes (fr.wikipedia.org - Sakas).

Saint Julien

Didi est une expression chinoise signifiant "petit frère". Didi, frappé de folie, veut décapiter ses père et mère à la fin de l'album, comme saint Julien l'Hopsitalier tue, lui effectivement, ses parents par méprise. Chez Flaubert (La légende de saint Julien l'Hospitalier dans Les Trois Contes), Julien reste seul, contrairement à la Légende dorée.

« Didi » signifie le petit frère; mais si on emploie « di » isolé, cela peut être l'empereur, l'alliance, l'attention, la transmission, le clin d'oeil, la terre et aussi petit frère (La langue chinoise est-elle compatible avec la pensée moderne ? Revue de défense nationale, Comité d'études de défense nationale (France), 1967 - books.google.fr).

Dans la Legenda Aurea, la femme de saint Julien l'accompagne, elle est sa «douce sœur» (soror dulcissima) tout comme lui est son «doux frère» (dulcissime frater) (Cornelia Wild, Le Saint Julien de Gustave Flaubert, Le Flaubert réel, 2009 - books.google.fr).

Jacques de Voragine fixe sa fête au 27 janvier, tandis que d'ordinaire on la célèbre le 20; mais en Italie, en Sicile et en Belgique, elle tombe le 12 février; près de Barcelone, le 28 août. Basilisse, femme de Julien, est fêté le 9 janvier à Antioche et en Espagne.

On a prétendu que le crâne de saint Julien l'Hospitalier fut apporté d'Orient à Paris, au temps de saint Grégoire le Grand : une partie était près d'Etampes, à l'abbaye de Morigny, à laquelle Brunehaut en avait fait don; l'autre partie était à Paris, dans l'église des Chanoinesses régulières de Sainte Basilisse (Jacques-Paul Migne, Dictionnaire général des persécutions souffertes par l'Eglise, Tome I, Encyclopédie théologique, Volume 4, 1851 - books.google.fr).

Le culte de St Julien est très populaire en Belgique, où on le représente ayant une barque à ses côtés.

L'église de St-Julien à Rome a été fondée par des Belges en 713. Elle fut restaurée en 1094, par Robert, comte de Flandre. En 1536, l'empereur Charles-Quint la visita et y offrit une somme considérable. Elle fut reconstruite dans sa forme actuelle en 1681, et l'impératrice Marie-Thérèse lui octroya le titre d'Eglise royale. C'est une des plus anciennes églises nationales de Rome. On sait que la plupart des nations d'Europe ont fondé dans la capitale du monde chrétien des églises nationales, ainsi appelées à cause de leur origine et parce qu'elles sont spécialement destinées à l'usage des nationaux de ces différents pays, qui sont établis dans celte ville. C'est ainsi que depuis les temps les plus reculés, il a existé à St-Julien une confrérie composée uniquement de membres appartenant aux différentes provinces de la Belgique, et qui se réunissaient aux fêtes dans cette église. On ignore les noms des premiers fondateurs; on ne sait pas non plus à quelles provinces ils appartenaient; mais il est constant que la fondation eut lieu à l'époque ou Pépin de Herstal étendait sa domination sur toute la Belgique. Dans les siècles suivants, plusieurs embellissements furent exécutés à l'église; et elle se forma même peu-à-peu un revenu au moyen des legs et des donations qui furent faits par des Belges, dont une grande partie étaient originaires de la Flandre, et plusieurs autres du Hainaut, du Brabant, etc. Quelques-uns de ces bienfaiteurs y ont fait des fondations de messes et d'oeuvres de bienfaisance. L'église est d'architecture grecque et de forme ovale. Elle a trois autels. Le tabernacle est remarquable par l'élégance du dessin et par les marbres précieux dont il est formé. Le monument de la comtesse de Celles, qui y fut enterrée en 1828, est un des beaux monuments modernes de Rome. C'est l'ouvrage du célèbre sculpteur belge Kessels.La voûte de l'église a été peinte par Guillaume Rent, en 1715. Tout l'édifice vient d'être restauré et embelli. Une chapelle spacieuse y a été bâtie pour l'autel principal, et l'autel lui-même a été construit en beaux marbres. Il y avait autrefois un hospice qui occupait une partie d'un bâtiment appartenant à l'église et y attenant : cet hospice était destiné aux pèlerins belges, qui pouvaient y loger pendant deux ou trois jours. Aujourd'hui le recteur a son habitation dans le bâtiment, et les autres parties en sont occupées par differents locataires. Un conseil de proviseurs belges est chargé de l'administration. Le représentant du gouvernement belge à Rome en est président et le recteur de l'église en est membre de droit. Ci-devant, cette église était plus connue sous le nom de St-Julien des Flamands; on a retrouvé dans les archives de St-Julien des pièces authentiques émanées des Souverains Pontifes, qui l'appellent Église de la nation belge, Ecclesia nationis Belgicœ (Messager des sciences historiques de Belgique, 1844 - books.google.fr).

Fameux pour sa manie du sacrifice, le philosophe Julien l'Apostat, grand adversaire du Christ, et adepte du baptême mithriaque, vient naturellement prêter renfort à l'élaboration de l'image d'un Julien sanguinaire. La figure de l'Apostat, qualifié de « victimaire » par la légende en raison de sa pratique effrénée du sacrifice, de surcroît bourreau de Jean-Baptiste, s'insinue dans La Légende, comme le mentionne déjà P.-M. de Biasi. Le XIXe siècle le retient principalement comme le héros d'une Antiquité décadente qui voit ses rites religieux dégradés par l'excès. Il intéresse d'autant plus Flaubert qu'il représente une cause perdue face à un christianisme triomphant. Son entreprise est perçue comme la restauration d'une époque révolue, comme le refus pathétique et dérisoire d'un dieu tout puissant. De sa lecture de l'Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain de Gibbon sur l'Apostat, Flaubert retient notamment sa dévotion pour les sacrifices qui se tenaient dans le Temple alors détruit et son combat pour son rétablissement. La dépréciation de l'empereur par le monde chrétien remonte au jour de sa mort et son parcours exceptionnel en fait très tôt un personnage légendaire. Jacques de Voragine, entre autres, raconte dans La Légende dorée les crimes de l'Apostat dont le destin est mêlé à celui de saint Jean-Baptiste : Cette fête [l'une des quatre fêtes où l'on commémore la décollation de Jean] est célébrée à cause de la combustion et de la réunion des os de saint Jean; car des auteurs prétendent qu'on les brûla en ce jour, et que les restes en furent recueillis par les fidèles. [...] Il se faisait de grands miracles sur son tombeau ; mais, par l'ordre de Julien l'Apostat, les gentils dispersèrent les os. du saint; et comme les miracles continuaient toujours, on recueillit les os, on les brûla, puis on les réduisit en une poussière que l'on vanna dans les champs [...]. Saint Jean parut souffrir ainsi un second martyre. [...] De même qu'Hérode, qui fit couper la tête à saint Jean, subit le châtiment de ses crimes, de même aussi, Julien l'Apostat, qui fit brûler ses os, fut frappé par la vengeance divine.

La punition en question consiste en une mort sans sépulture, au démembrement et à l'éparpillement des restes du corps de l'Apostat, contée dans le chapitre « Saint Julien ».

Philosophe né sous Constance au IVe siècle après Jésus-Christ, l'Apostat abjure la foi chrétienne pour s'adonner au culte de Mithra. Il écrit contre la « secte des Galiléens », tout en lui reconnaissant certaines valeurs : vertu, tempérance, sens de l'hospitalité. Chateaubriand insiste sur cette dernière qualité, que l'Apostat encouragerait avec d'autant plus de ferveur qu'il reconnaissait que ses ennemis étaient supérieurs en cela à ses coreligionnaires. Il meurt en combattant, en l'an 363, et la légende veut qu'il se soit écrié à l'adresse du Christ : « tu as vaincu, Galiléen ». [...]

Le fantôme de l'Apostat plane au-dessus du château de saint Julien l'Hospitalier. Si Julien est comparé dès sa naissance au Christ (« [...] il ressemblait à un petit Jésus », p. 95), la chasse en fait explicitement son ennemi. On pense naturellement à la mort du Cerf, qui représente traditionnellement la figure du Sauveur (Cécile Matthey, L'écriture hospitalière: l'espace de la croyance dans les Trois contes de Flaubert, 2008 - books.google.fr).

Flaubert dans la les Trois Contes, aborde le martyr de Jean-Baptiste avec Hérodias. Jean Baptiste fut décapité et est le patron des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalemn qui deviendront les Chevaliers de Rhodes puis l'Ordre de Malte.

Les noms des notes que l’on connaît en France sont dus à Gui d’Arezzo, moine à l’abbaye de Pomposa en Emilie-Romagne, qui les tira de l’hymne des Vêpres de l’office de saint Jean-Baptiste attribué à Paul Diacre. Ce sont les premières syllabes des hémistiches des premiers vers de l’hymne : UT queant laxis REsonare fibris / MIra gestorum FAmuli tuorum / SOLve pollui LAbii reatum / Sancti Iohannes

Le SI fut inventé plus tard, issu des initiales de Saint Jean.

Ce procédé d’extraction des premières syllabes se retrouve dans le Lotus Bleu des aventures de Tintin, où celui-ci recueille avec un appareil radio émetteur des messages par ondes courtes au palais de Rawhajpoutalah (page 1). Tintin trouvera le code page 19 : « Prenons les deux premières lettres de chaque mot… voilà…. « ce soir dix heures lotus bleu » » (Nonagones - Section musique).

Antonio delia Corna au XVe siècle a peint la même scène de la légende. Julien pose l'épée sur le cou de son père. Sa femme Sainte Basilisse essaie d'empêcher le meurtre. Hélas, trop tard (Laszlo Kato, Julianus Hospitator : le parricide dans l'iconographie et la littérature, Interprétation, Volume 3, Hôpital des Laurentides, 1969 - books.google.fr).

Antonio della Corna (or Cornia) (né à Cremona; actif dans le dernier quart du XVème siècle), Saint Julien l'Hospitalier, Christie's Images Ltd., 2010 - elogedelart.canalblog.com

La légende de saint Julien l'Hospitalier présente le motif du cerf parlant, relativement difficile à saisir comme monstre par notre imaginaire occidental, du fait de sa position entre le miracle (la malédiction, que profère le cerf, est parole de Dieu, qui la lèvera au final) et la fable, dont G. Lascault fait remarquer à quel point le français en est familier. Remarquons cependant que le cerf, cette figure adoucie du monstre, trouve son pendant dans la scène finale avec celui qui, lui aussi, répète trois fois son propos, le lépreux appelant ce « Julien » qui annule les trois « Maudit ». Le lépreux n'est pas un monstre du catalogue, certes, mais le narrateur le dit « hideux », « tel qu'un squelette » son visage, sa peau « plus froide qu'un serpent » - à la laideur, insuffisante à définir le monstre, s'adjoignent la confusion entre vie et mort, et une trace d'animalisation. Enfin, la métamorphose l'accompagne, qu'il s'agisse de ces « taches » apparues sur « la table, l'écuelle et le manche du couteau » qu'il a touchés, des « mêmes taches que l'on voyait sur son corps » [...]

Ici Julien rejoint l'autre, "bouche à bouche", poitrine contre poitrine, dans une étreinte qui fait de lui « saint Julien l'Hospitalier » (Sylvie Triaire, Une esthétique de la déliaison: Flaubert, 1870-1880, 2002 - books.google.fr).

Le thème du Centaure sagittant le cerf remonte au moins au IXe siècle : dans une marge supérieure de l'Évangéliaire de Lothaire (à la Bibliothèque nationale de Paris) [une légende bénédictine veut que cet évangéliaire ait été réalisé à la demande de Lothaire à l'abbaye de Saint Martin lès Metz, c'est-à-dire à Ban-Saint-Martin, alors qu'il provient probablement de Tours], se voit à gauche le Centaure dardant une flèche ; à droite, un cerf tombe sur les genoux, percé d'une flèche. A l'époque romane, les monuments se multiplient, particulièrement en France, avec toutes les évidences d'un drame ressenti : que le cerf soit chassé à travers la forêt par le Centaure archer ; ou menacé, bête magnifique, par la flèche du monstre ; ou déjà blessé et tournant la tête vers son bourreau, comme pour demander grâce. Ainsi les moments divers d'une tragédie se dispersent-ils sur des chapiteaux et des voussures ; mais la liberté même de cette dispersion témoigne en faveur de la conscience globale d'un symbole : celui-ci devait être perceptible aux fidèles en chacun des incidents que développait l'allégorie. [...]

Quant au caractère foncièrement « infernal » de ces différentes scènes, il est explicite en un célèbre chapiteau du déambulatoire de la collégiale de Saint-Aignan (Cher) : on y voit un Centaure retourné et dirigeant une seconde flèche vers un grand cerf qu'il poursuit et qu'il a déjà blessé à la naissance du cou ; et le noble animal, visiblement près de succomber, est tenu aux abois par un dragon, qui le menace encore de sa queue en forme de dard.[...]

Outre le soubassement de Saint-Gilles-du-Gard (dont nous avons parlé), la dalmatique de la cathédrale d'Halberstadt (deuxième quart du XIIIe siècle) : des deux côtés de la ligne médiane, cerfs et centaures se superposent en quinconce, allant dans le même sens, si bien que le sagittaire retroversus vise le cerf qui est à son niveau, et qui a, d'ailleurs, le cou transpercé d'une flèche (Cf. modillons d'abside à Rioux et Rétaud) (H. T. Bossert, Gesch. des Kunstgewerkes aller Zeiten und Völker, Berlin, 1932, p. 347) (Jean Bayet, Le symbolisme du cerf et du centaure à la Porte Rouge de Notre-Dame de Paris. In: Idéologie et plastique. Rome : École Française de Rome, 1974 - www-persee-fr.bibliopam-evry.univ-evry.fr).

Chapiteau de Saint Aingan dans le Loir et Cher, département de Cheverny (château de Moulinsart), au sud

A Saint-Trojan de Rétaud, deux modillons présentent un centaure sagittaire dont la flèche vient se ficher dans le cou d'un cerf (Jacques Lacoste, Sculpture romane en Saintonge, 1998 - books.google.fr).

Le fakir lanceur de fléchettes empoisonnées est proprement un sagittaire, porteur de (petites) flèches. Le mot sagittaire, en rapport avec les flèches, qualifie aussi un poison, dont on enduisait les armes blanches, connu des peuples anciens.

Les Gaulois, suivant Pline, «trempent leurs flèches de chasse dans l'ellébore, et affirment qu'après l'excision de la partie blessée la chair est plus tendre. » Dans un autre passage, ce naturaliste dit aussi que «les Gaulois appellent limeum une herbe qui leur sert à enduire leurs Sèches de chasse d'une préparation qu'ils appellent le poison des cerfs. » [...] «On dit, rapporté Àristote, que le poison des Scythes, dans lequel ils trempent leurs flèches, est préparé avec la vipère. » [...] Pline considère toxica comme une modification de taxica dérivé de taxus, if. Quelle qu'ait été cette étymologie, lorsqu'on remarque que le mot toxikon, dont actuellement on se sert pour désigner tous les poisons, n'était primitivement qu'un qualificatif dérivé de toxon, arc; lorsqu'on voit le mot ios signifier également flèche et venin; conséquemment, lorsqu'on reconnaît que les idées de flèche et de venin, exprimées toutes deux par les mêmes mots, furent longtemps inséparables l'une de l'autre, on est amené à penser qu'en particulier chez les anciens Grecs l'usage d'empoisonner les armes de jet devait être habituel. [...] Le poison sagittaire des Daces et des Dalmates, préparé avec l'élénion et le ninon, comme le curare composé par certaines peuplades actuelles de l'Amérique, donnait la mort lorsqu'il se trouvait en contact du sang, mais n'était nullement nuisible lorsqu'il était ingéré (Gustave Lagneau, De l'usage des flèches empoisonnées chez les anciens peuples de l'Europe. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 21e année, N. 4, 1877 - www.persee.fr).

Rappelons que l'ennemi traditionnel du cerf est le serpent qu'il combat par son soufle.

Les clercs adaptèrent sans difficulté le mythe antique du cerf et du serpent : le cerf sentant les atteintes de la vieillesse fut identifié au catéchumène et sa soif ardente fut interprétée comme l'aspiration vers l'eau régénératrice du baptême : « Comme le cerf désire la fontaine des eaux, ainsi te désire mon âme, ô Dieu. » Le Christ fut assimilé à la source inépuisable d'eau vive (fons aquarum viventium) avant de devenir « le cerf entre les cerfs » de sa vie terrestre et « le cerf des cerfs », le parangon des fidèles. Le thème iconographique du cerf se désaltérant à la fontaine fut employé pour évoquer le néophyte se délivrant du poison du vice avant d'obtenir sa purification par le baptême.[...]

Considéré comme psychopompe et prophétique, le cerf, figure majeure de l'univers celtique, conduisait l'homme dans l'Au-delà, dévoilait les secrets et révélait les trésors. Sous cet aspect aussi, il passa dans l'univers chrétien ; il décela l'emplacement des reliques, indiqua les lieux où devaient être fondés les sanctuaires, provoqua des conversions. Jadis monture de l'enchanteur Merlin, il fut domestiqué et chevauché par des saints, tels saint Edern et saint Hélo [Télo, Téleau] en Bretagne ou sainte Mildred en Angleterre. De futurs abbés utilisèrent sa peau taillée en fines lanières mises bout à bout pour délimiter les étendues considérables qu'ils voulaient se faire concéder. Eustache, Julien puis Hubert, chasseurs invétérés, se trouvèrent soudain en présence d'un grand cerf dans la forêt et leurs chiens s'immobilisèrent tout à coup. Ce face-à-face solennel a inspiré aux artistes bien des chefs-d'œuvre. Quelquefois le cerf porte un crucifix entre ses bois et il prend la parole : à Eustache il dit : « Pourquoi me poursuis-tu ? Je suis Jésus-Christ que tu honores ignorament » ; et à Julien : « Tu me poursuis, toi qui tueras ton père et ta mère. » (Anne Lombard-Jourdan, Aux origines de carnaval, 2005 - books.google.fr).

Saint Julien l'Hospitalier est aussi saint Julien le pauvre qui a son église à Paris ("Pauvre, pauvre maman" dit Tintin, page 29).

Dawson, le chef de la police de la concession internationale, traite Tintin de Don Quichotte page 7. Dans la continuation du Don Quichotte de Cervantès écrite par l'auteur inconnu portant le pseudonyme d'Alonso Fernandez de Avellaneda, Sancho Pança en appelle à saint Julien :

"Mais si, par hasard, nous succombons à la peine, l'âne et moi, je supplie votre grâce, pour l'amour du seigneur saint Julien, le patron des chasseurs, de nous faire réunir tous deux dans une même sépulture; car, puisqu'en cette vie nous nous sommes aimés comme si nous avions été nourris du même lait, il est juste que la mort ne nous sépare pas. Ainsi donc, votre grâce nous ferait enterrer dans les montagnes d'Oca, et, si par hasard le chemin nous conduisait par Argamésilla de la Manche, notre pays, nous nous y arrêterions sept jours avec leurs nuits, à la gloire et en l'honneur des Pléiades et des sept Sages de la Grèce et, cela fait, nous continuerions joyeusement notre chemin, après avoir eu soin d'abord de déjeuner copieusement." (Alonso Fernández de Avellaneda, Le Don Quichotte, traduit par Germand de Lavigne, Didier, 1853 - books.google.fr).

Le baiser au Lépreux, sur la bouche

Emile Brami (Céline, Hergé et l'Affaire Haddock) fait le rapprochement entre Bagatelles pour un massacre et les jurons du capitaine Haddock.

«Peut-être Hergé avait-il lu Céline, bien que nulle part il n'y ait fait référence. En revanche, dans une interview de 1960, il cite Proust, qui, dans Sodome et Gomorrhe, demandait : "Pourquoi tonnerre de Brest? "La tradition de l'invective ne se limite pas à l'extrême droite. On pourrait établir des rapprochements entre les jurons de Haddock et les emportements de polémistes libertaires ou ceux d'écrivains politiquement inclassables. Je pense à Ubu roi de Jarry, auquel Hergé a d'ailleurs emprunté l'idée d'un Etat "bordure". On trouve, notamment à l'acte V, scène II d'Ubu roi des bordées d'injures: "Musulman! Mécréant! "ou "Savoyard! Mouchard! " Ce goût pour les listes d'invectives existe aussi chez Marcel Schwob, par exemple dans son texte De la controverse politique, dite polémique (1926). On y trouve des "Jocrisse", "Accapareur" ou"Vampire", également proférés par Haddock. On pourrait encore citer Rabelais, l'anarchiste Laurent Tailhade, qui usa de "moule à gaufre", Tristan Corbière, familier de "Mille sabords"... Sans compter les surréalistes belges des années 1930. Hergé, qui comme tout créateur fonctionnait comme une éponge, s'inscrit dans cette pratique littéraire de l'invective qu'en dépit de son génie Céline n'inventa pas.» (Albert Algoud, auteur du Petit Haddock illustré, recueil commenté des jurons du capitaine, Casterman) (www.lexpress.fr).

N'oublions pas Marcel Schwob,bien loin idéologiquement de Céline, et qu'Hergé n'a probablement jamaislu. Dans un deseslivres, De la controverse politique, dite polémique (1926), on trouve des insultes qui se retrouveront plus tard éructées par le capitaine Haddock : Flibustier, Jocrisse, Accapareur, Vampire, Gros plein de soupe, Lâche, Bandit, Traître, Misérable, Scélérat, Vermine, Saltimbanque, Va-Nu-Pieds, Choléra... (Albert Algoud, Petit dictionnaire énervé de Tintin, 2010 - books.google.fr).

Qu'Hergé n'ait pas lu Schwob, peut-être, mais il n'était pas seul à élaborer ses albums.

Dans Le Roi au masque d'or de Marcel Schwob, une jeune lépreuse conduit le roi qui s'est découvert lépreux et qui s'est crevé les yeux, à la Cité des Misérables : "Elle cueillit pour lui du lotus bleu, et il le mâcha pour rafraîchir sa bouche. Le soleil s'inclinait vers les grandes rizières qui ondulaient à l'horizon." Les rizières situent le conte vers l'Asie, on n'est pas dépaysé.

Et la jeune fille lui dit que le roi aveugle était mort, après avoir eu les yeux arrachés, pensant être lépreux. — Et il n'a point voulu me donner le baiser de paix, dit-elle, afin de ne pas me souiller; et c'est moi qui suis véritablement lépreuse à la face du ciel. Et le vieux mendiant lui répondit : — Sans doute le sang de son cœur qui avait jailli par ses yeux avait guéri sa maladie. Et il est mort, pensant avoir un masque misérable. Mais, à cette heure, il a déposé tous les masques, d'or, de lèpre et de chair (Marcel Schwob, Le Roi au masque d'or, 1892 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Le Roi au masque d'or).

Le baiser de paix est un baiser sur la bouche, bouche à bouche.

Vers 1250-1300, le baiser de paix eucharistique échangé de « bouche à bouche » commence à être remplacé par le baiser de l'instrument de paix, pour le peuple. D'abord au XIIIème siècle en Angleterre, puis dans sur le continent.[...] Le bouche à bouche de réanimation (résurrection ?) est connu déjà dans la bible au Livre de Samuel, où Elisée le pratique sur le fils de la Sunamite. L'insuflation de la Genèse entre Dieu et Adam pourrait avoir été fait bouche à bouche (Yannick Carré, Le baiser sur la bouche au Moyen Age: rites, symboles, mentalités, à travers les textes et les images, XIe-XVe siècles, 1992 - books.google.fr).

Telle estait la Coutume des Romains, des Grecs, des Egyptiens, des Perses &c. de se baiser à la bouche entre égaux ; au lieu que ceux qui avoient quelque prééminence & quelque supériorité, ne donnoient que leurs mains à baiser. Aussi les Cardinaux, parcequ'ils sont les Collatéraux du Pape, estoient-ils admis, selon les anciens Cérémoniaux, à baiser ce Pontife à la bouche (Claude de Vert, Explication simple, litterale et historique des cérémonies de l'Eglise, Tome III, Première partie, Chapitre VIII, 1713 - books.google.fr).

Le baiser, donné sur la bouche où se mêlent les souffles qui représentent l'âme, est aussi important, si ce n'est plus, que le serment (Martin Aurell, Le meurtre de Thomas Beckett, Les gestes d'un martyr, Bischofsmord im Mittelalter, 2003 - books.google.fr).

On retrouve Stanislas Julien dans sa traduction de Hiouen-Thsang :

Le royaume de Ta-tch'a-chi-lo (Takchaçilâ) a environ deux mille li de tour. La circonférence de la capitale est d'environ dix li. La famille royale est éteinte, et des hommes puissants se disputent le pouvoir à main armée. Anciennement, ce pays était soumis au royaume de Kia-pi-che (Kapiça); mais, dans ces derniers temps, il s'est mis sous la dépendance du royaume deKia-chi-mïlo (Cachemire).

A douze ou treize li au nord de la ville [capitale], il y a un Stoûpa qui a été bâti par le roi Açôka. Quelquefois, lorsqu'un jour de jeûne est arrivé, il répand pendant tout le temps une vive lumière; on voit tomber des fleurs divines et l'on entend une musique céleste. Voici ce qu'on lit dans les anciennes descriptions de ce pays: « Dans ces derniers temps, il y avait une femme qui était affligée d'une lèpre hideuse. Elle vint secrètement auprès du Stoûpa, s'accusa de ses fautes et témoigna le plus vif repentir. Voyant que le vestibule était infecté d'ordures, elle les enleva, et après avoir arrosé et balayé ce lieu sacré, elle l'oignit de parfums, et y répandit des fleurs. De plus, elle cueillit des lotus bleus et en couvrit le sol. Sa maladie hideuse disparut à l'instant, sa figure s'embellit de nouvelles grâces, et son corps exhala une odeur exquise qui ressemblait au parfum de lotus bleu. » Dans ce lieu fortuné, jadis Joa-lat (le Tathàgata), menant la vie d'un Pou-sa (Bôdhisattva), était le roi d'un grand royaume, sous le nom de Tchenta-lo-po-lo-p'o (Tchandraprabha). Comme il aspirait à obtenir l'Intelligence (Bôdhi), il coupa sa tête et la donna en aumône. Il fit ainsi le sacrifice de sa tête pendant mille existences successives. A côté du Stoûpa de la tête donnée en aumône, il y a un couvent dont les salles sont (presque) désertes et où l'on ne voit qu'un petit nombre de religieux. Ce fut là qu'autrefois le maître des Castras, Keoa-mo-lo-lo-to (Koumàralabdha), de l'école King-pou (oudes Sâutrântikas) composa différents traités.

Fa-hien (chap. ix) explique le nom du royaume par tête coupée, ce qui suppose la leçon Takchaçira. Le traducteur du Fo-koae-ki l'a fait dériver de Tchyouta-sira {sic), qu'il traduit par « tête tombée » (Hiouen-Thsang, Mémoires sur les contrées occidentales, traduits du Sanscrit en Chinois, en l'an 648, par Hiouen-Thsang, et du Chinois en Français par Stanislas Julien, Volume 1, 1857 - books.google.fr).

Lorsque Tintin sauve Tchang de la noyade, il semble lui faire faire un mouvement des bras pour assurer une meilleure ventilation. La noyade est un cas particulier qui requiert le bouche-à-bouche quand la victime est inconsciente et qu’elle ne respire plus (blog.surf-prevention.com - Noyade, 31/10/2013).

Saint Julien et la folie

C'est ainsi que Flaubert écrivit d'abondance sa légende si colorée et si sobre à la fois, d'une magistrale netteté de dessin et d'une psychologie si curieuse. Dans son Spicilège, Marcel Schwob notait jadis l'art avec lequel étaient dessinées « les attitudes d'un Julien cruellement passionné, dont l'âme est tout près de la nôtre ». L'auteur d'une thèse médicale sur La Pathologie mentale dans les œuvres de Gustave Flaubert insistait sur cet intérêt profond : « La légende de saint Julien l'Hospitalier est une œuvre absolument complète au point de vue psychiatrique et, à ce titre, est peut-être unique dans la littérature. On y trouve l'observation d'un obsédé impulsif, avec son étiologie, l'origine de l'idée, son développement, son exécution et la terminaison de la maladie ; et tout cela est décrit dans des termes qui collent si bien au sujet, suivant une expression chère à l'auteur, que le lecteur sent défiler en lui les états d'âme du malade » (Jean Giraud, La génèse d'un chef-d'oeuvre, Revue d'Histoire littéraire de la France, 1919 - archive.org).

A mi-chemin entre hagiographie et généalogie, vers 1260, un poète anonyme inclut le thème de saint Jacques dans la Légende de saint Julien. L'auteur a réuni sous le nom de Julien tous les saints éponymes en les mêlant étroitement à saint Jacques : saint Julien l'Hospitalier, saint Julien le Pauvre, saint Julien premier évêque du Mans et saint Julien martyr [décapité à Vienne] dont les reliques sont conservées à Brioude.

Saint Julien est fils unique du duc d'Angers : « Dans la forêt du Mans, au cours d'une partie de chasse, Julien adolescent rencontre une bête à « face d'homme » qui lui prédit qu'il tuera son père et sa mère. Il décide de fuir et, dès ce moment se donne à Saint Jacques et prend la route de Compostelle. » Après diverses aventures, il épouse la châtelaine du château qu'il a délivré des Turcs. Mais un jour arrivent à l'auberge du village deux pèlerins qui vont « à Saint-Jacques en pèlerinage » et qui sont les parents de Julien. lls apprennent que le seigneur du château est leur fils, se présentent à l'épouse de Julien qui leur offre sa chambre en attendant le retour de l'époux. Julien rentre, entre dans la chambre, croit y voir sa femme adultère et la prédiction s'accomplit, il tue ses parents. Julien et sa femme, accablés, décident de se faire pèlerins sans espoir de retour. lls partent à Rome où le pape leur donne l'absolution à condition qu'ils créent un hôpital pour pèlerins « en un lieu qui soit un périlleux passage, ou passent fols et sages, et marchands et pèlerins... ». Un soir, un lépreux arrive, qui veut dormir avec la comtesse. C'est le Christ, qui disparaît. lls sont assassinés par des larrons qui les croient riches. « A Brioude on porta les corps... encore y sont les os » (Denise Péricard-Méa, Louis Mollaret, Dictionnaire de Saint Jacques et Compostelle, 2006 - books.google.fr).

Vitrail de Saint Julien à la cathédrale de Rouen - Sabine Narr, Die Legende als Kunstform: Victor Hugo, Gustave Flaubert, Emile Zola, 2010 - books.google.fr

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, Violette, Violette !

Le bleu, le rouge, le vert (de deux nuances) sont les couleurs qui dominent dans ces vitraux de la cathédrale de Rouen (Arcisse de Caumont, Cours d'antiquités monumentales, professé à Caen: histoire de l'art dans l'ouest de la France depuis les temps les plus reculés jusqu'au XVIIe siècle, Volume 6, 1841 - books.google.fr).

La juxtaposition de ces deux couleurs [rouge et bleu] donne à tout le vitrail une teinte violette mélancolique, de ce violet dont Rodin vieillissant disait « qu'il touche comme un souvenir » (Le Bugey, Bulletin, Tome 9, 1935 - books.google.fr).

La Légende de saint Julien l'Hospitalier, elle, porte la couleur violet profond de la mystique et de la jouissance conjuguées (Jean-Louis Cabanès, Guy Larroux, Critique et théorie littéraires en France: 1800-2000, 2005 - books.google.fr).

Il semble qu'après avoir été séduit par Ruskin qui rejoignait le Flaubert “orientaliste” et l'époque symboliste par son goût des pierres précieuses (les notes sur Gustave Moreau commentent plusieurs tableaux où sont mises en valeur les pierreries), Proust soit revenu au Flaubert impressionniste, au Flaubert peintre, à celui qui parsème ses œuvres de rose, de bleuâtre, de violet, de pourpre (Mireille Naturel, Proust et Flaubert: un secret d'écriture, 2007 - books.google.fr).

Bellemin-Noël a poussé plus loin son analyse en mettant en parallèle les phases freudiennes d'où découlent, si l'on peut dire, la couleur qu'il assigne à chaque conte. Pour "Un Coeur simple", il propose le stade de l'analité, des sensations premières qui appartiennent tout à fait à l'enfance. Pour ce conte, il vojt un ton brun terreux. Quant à "Saint Julien", c'est un violet profond qui ressort selon lui, mettant en évidence les obstacles que l'on affronte durant l'adolescence, la puberté, soit la génitalité. Enfin, lors de la maturité, lorsque finalement arrivffilt la réflexion et l'objectivité, reste l'oralité qui, dans "Hérooias", prend la couleur d'un orangé ardent (Christopher Gascon, Trois Contes de Flaubert : La quête de l'unité, 1990 - digitool.library.mcgill.ca).

Le nacarat puis l'écarlate du triomphe au début, à la fin les profondeurs de l'azur, en passant par la pourpre du sang, l'indigo crépusculaire de l'errance et le ton violâtre des macérations mystiques. L'arc-en-ciel presque complet de la jouissance. Dès le départ nous est lancé au visage le trio familial, un petit enfant et ses parents, le père, la mère et Julien, aucune des cinq versions primitives de l'incipit n'a varié sur ce principe. Le triangle œdipien placé ainsi à la clé accorde notre écoute sur une histoire et un récit qui l'ont exigé, qui le propagent. Le destin du héros pas plus que notre attente foncière n'échappent un instant à cet impératif. Mais qu'est-ce à dire, l'œdipe ? Ce mot baptise tout un monde. Et méfions-nous des étiquettes trop voyantes. On sait que Jean-Paul Sartre, pris au piège de cette indication, a tellement infléchi son analyse de «La Légende», dans L'idiot de la famille, qu'il en a pratiquement effacé le matricide : quand le héros d'un récit massacre son père et sa mère, peut-on penser encore qu'il s'agit du modèle d'Œdipe, lequel ne tue Laïos que pour pouvoir épouser Jocaste ? Il semble a priori que notre inconscient n'y écoutera pas tout uniment la rengaine du parricide incestueux; ou alors, au prix de déformations dont il faudra mesurer et analyser la portée. Notre cheminement, il est sûr qu'il s'engage à partir de la configuration œdipienne, autrement dit, en tenant compte de la différence des sexes et des générations : mais où conduit-il? Et comment l'ignorer, ne s'en point trouver submergé ? Le tout premier regard que nous jetons sur cette famille l'aperçoit dans son château anonyme. Les parents n'ont pas besoin de nom, l'attention se porte sur leur fils unique et le fait qu'il n'a qu'un prénom (de Félicité, nous avions appris par sa sœur quelle s'appelait «Barette») restreint sa personne à cette position intra-familiale. Le château, donc, est construit à coups d'emblèmes de l'organisation sexuée. Mais là encore avec des traits originaux, dans une tonalité particulière. Ce ne sont en gros que tours aux «toits pointus», «gouttières figurant des dragons la gueule en bas » (réalisme oblige : un brouillon dit avec plus de spontanéité la tête haute- /en haut !) qui «crachaient l'eau des pluies», «enceinte faite de pieux», d'un côté. De l'autre, pour faire pendant, douves, citerne, fenêtres fleuries. Le résultat de la conjonction de ces éléments est souligné pour notre oreille interne par de curieuses formulations redondantes : «un verger d'arbres à fruits» et «une treille avec des berceaux pour prendre le frais », — faut-il qu'on ait besoin de ne as parler de fruits et de berceaux, de fécondité heureuse, puisque verger suppose arbres fruitiers et treille voûtes de feuillage! De la même façon, on nous donne à voir des « hirondelles » nichant « dans la fente des créneaux » quand nul n'ignore que cette espèce fait son nid sous un surplomb et que les « créneaux » sont constitués sont constitués d'embrasures et de merlins également impraticables à son instinct maçonneur : il convient simplement de nous suggérer le va-et-vient de ces oiseaux dans un trou à l'intérieur d'une « fente ». Car il y a aussi cet improbable «archer» en sentinelle sur le chemin de ronde dont on voit aller et venir la silhouette découpée dans le soleil, et qui aux heures chaudes «rentrait dans l'échauguette et s'endormait comme un moine » (Jean Bellemin-Noël, Le quatrième conte de Gustave Flaubert, 1990 - books.google.fr, D.L. Demorest, L'Expression Figuree et Symbolique dans l'Oeuvre de Gustave Flaubert, 1931 - books.google.fr).

La violette comme instrument de musique

Saint Julien « qui héberge les chrétiens » était en outre honoré non seulement par les aubergistes, mais par les voyageurs et les pèlerins qui l'invoquaient pour trouver bon gîte, « bon repos et bonne litière ». Nombreuses étaient les auberges à l'enseigne de Saint-Julien-l'Hospitalier. On en a fait aussi le patron des ménétriers par suite d'une confusion avec saint Genès [fêté le 23 et 26 août] (Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien: Iconographie des saints. Volume 3, Partie 2, 1958 - books.google.fr).

On sait que l'on donnait le nom de ménestrels ou ménétriers aux musiciens ambulans, qui allaient de château en château chantant des chansons et des poésies chevaleresques et s'accompagnant de quelque instrument. Celui dont ils se servaient habituellement était le violon, auquel ou donnait alors le nom de vielle ou viole ; de là vient qu'on appelait aussi les ménétriers des vielleux. Vers 1330 la confrérie de Saint-Julien des ménétriers fut établie par deux ménétriers, le lombard Jacques Grare de Pistoye, dit Lappe, et le lorrain Hugues (ou Huet la Guette, guette du palais du roi), et l'année suivante elle se donna un chef qui prit le titre de roi des ménétriers.

La confrérie fit construire un petit hôpital, dont Fleurie de Chartres, malheureuse paralysée de tous ses membres couchée dans une petite charrette, sans cesse exposée aux injures de l'air, et vivant d'aumônes, occupa jusqu'à sa mort le premier lit. Les ménétriers obtinrent aussi la permission de faire construire une chapelle sous l'invocation de saint Julien et saint Genest, à condition de la doter de seize livres de rente, et il fut alors connu sous le nom d'hôpital de Saint-Julien et de Saint-Genest, et la chapelle sous ceux de Saint-Georges, de Saint-Julien et Saint-Genest ; cet établissement fut approuvé par le roi, le pape et l'évoque de Paris; et la chapelle fut érigée eu bénéfice à la nomination des ménétriers. Elle a été démolie au commencement de la révolution.[...]

Les actes de cette confrérie furent enregistrés au Châtelet, le 25 novembre 1331. On appelait alors menestrandie une société nombreuse qui se composait de chanteurs, de joueurs d'instrumens, et même de baladins et de faiseurs de tours. Les musiciens humiliés de cette espèce d'association se séparèrent de ces derniers et firent, en 1397, de nouveaux réglemens, qui furent confirmés par une ordonnance de Charles VI, en date du 24 avril 1407. On voit par cette ordonnance que les ménestrels changèrent leur titre en celui de joueurs d'instrumens, tant hauts comme bas, dénomination qui semblerait indiquer qu'il y avait déjà des espèces de basses de viole vers la fin du quatorzième siècle. On voit d'ailleurs, dans un mémoire publié en 1692, en faveur des clavecinistes contre les maîtres à danser de France, que les ménétriers se divisaient en deux classes : les joueurs de violon ou de rebcc proprement dits, et les joueurs de hautes-contres, tailles, quintes et basses, instrumens qui n'étaient que des variétés de la viole, et qu'on trouve dans les partilions de Lulli. L'ordonnance de police du 29 avril 1689 donne aux ménétriers le titre de joueurs d'instrumens, tant hauts que bas et hautbois. (Du roi des violons, Revue musicale, Volume 1, mars 1827 - books.google.fr, Aubin-Louis Millin, Abrégé des antiquités nationales, ou recueil de monuments pour servir à l'histoire de France, Volume 1, 1837 - books.google.fr).

Les violes sont des instrumenst dont le nombre de cordes varie suivant les types. Il existe en anglais le terme "violette" qui désigne la viole d'amour, dont les dames jouaient sur les genoux, à 7 cordes (un, deux... sept, violette) (James B. Hobbs, Homophones and Homographs: An American Dictionary, 4th ed., 2006 - books.google.fr).

La viole d'amour (en italien viola d'amore) est un instrument à cordes et archet ayant des caractéristiques de la viole. Parfois, le corps est plus élancé, son manche ne possède pas de frettes. Il possède 7 (ou parfois 6) cordes mélodiques et 7 cordes sympathiques (14 à 20 pour la violetta à l'anglaise), tendues au-dessous des cordes frottées, qui viennent se fixer sur le chevillier de l'instrument et vibrent (par sympathie, sans les toucher) dès qu'on actionne les cordes de mélodie. Les ouïes ont souvent une forme de flammes. On dit souvent qu'elle doit son nom à la tête de femme aux yeux bandés garnissant la volute, symbole de l'amour aveugle. Par violetta, on désignait une petite viole de gambe ou une petite viole da braccio, qui est parfois l'instrument le plus aigu de la famille, puis sera l'alto, dans le quatuor du XVIIIe siècle. La violetta all'inglese est une viole d'amour qui comporte 14 (parfois 20) cordes sympathiques. Depuis le XVIIIe siècle, la viole d'amour est régulièrment employée, par Vivaldi, Bach, Telemann, jusqu'à Leoš Janacek, Franck Martin Hindemith, en passant par Benda, Biber, Stamitz, ou Berlioz, Meyerbeer, Charpentier et Massenet (fr.wikipedia.org - Viole d'amour, www.musicologie.org - Violes).

Les seuls éléments musicaux de l'album sont généralement liés à la folie. Les victimes du radjaïdjah se mettent à danser, à sauter et à chanter, sauf Didi, mais Tintin semble ne le rencontrer qu'après assez longtemps le lancer de fléchette empoisonnée. On voit, certes, siffler Mitsuhirato, page 23, mais c'est juste avant sa tentative d'empoisonnement au radjaïdjah de Tintin.

Possession

La danse demeure l'autre composante obligée de tout récit de « chasse sauvage ». Les hommes et femmes qui composent la troupe des morts dansent « comme à l'opéra », sautent, gambadent, festoient. La danse, déjà associée à la folie et à la possession, élément central du sabbat des sorcières, est l'activité favorite de ces morts errants. L'étude systématique de l'évocation bruyante de la mort passe par celle des liens étroits et permanents qui unissent la danse et la mort, dans la mesure où la danse est totalement dépendante d'une production sonore qui, dans le cas des ménétriers, est toujours « haute » et monodique (Luc Charles-Dominique, Musiques savantes, musiques populaires: Les symboliques du sonore en France 1200-1750, 2006 - books.google.fr).

La possession se manifeste très-souvent par des crampes dans la gorge et le gosier, et il semble que le démon va étrangler ceux qu'il possède de cette manière. La jeune fille du Heilegenstadt, que le démon transportait sur les arbres du jardin, était souvent étendue sur l'herbe, le cou tordu, comme près d'être étranglée. (Acta Sanct., 5 jun.) Deux béguines belges ayant été possédées du démon en mangeant une pomme, leur corps enfla tellement que leur cou devint plus gros que la tête. Un prêtre de Teimst mit son étole au cou de l'une d'elles, en disant : « Sortez de ce lieu. » Les démons crièrent : « Le passage est trop étroit pour nous. » Le prêtre ayant ôté son étole, un des deux démons sortit aussitôt. (Ibid., 10 jul.) Une possédée que l'on avait amenée à saint Ubald voulait dans son désespoir s'étrangler avec l'étole ; mais le prêtre, lui mettant la main au cou, conjura les démons, et elle fut délivrée. Une autre possédée, nommée Anastasie, était toujours sur le point d'être étranglée par le démon. L'abbé d'un monastère lui mettait son étole autour du cou, et à chaque fois le démon, quittant le cou, descendait dans les intestins, et quelquefois dans les extrémités du corps. Dès que l'abbé ôtait son étole, le démon remontait à la gorge. Irrité par les exorcismes, il lui faisait enfler le cou de telle sorte qu'elle tombait à terre, les yeux enflammés, les lèvres sèches et livides comme une personne qui va mourir. Elle fut enfin délivrée après un long martyre (Joseph von Görres, La mystique divine, naturelle et diabolique: 3e partie: La mystique diabolique, Volume 4, traduit par Charles Sainte-Foi, 1854 - books.google.fr).

Black Warrior Talisman, from Wushang xuanyuan santian yutang dafa, ch. 25 - Ryan B. Brooks, The Four saints, 2008 - scholarspace.manoa.hawaii.edu

A Hukou (Hou Kou), dans la sous-préfecture de Leping, Xu Yuquan fit contruire une tour et aménager un jardin près de sa maison, dont la façade donne sur un grand fleuve (Yang Tsé). De retour d'une excursion de la famille partie un jour de printemps et revenue le soir, la fille de Xu tombe malade, avec des accès de sauvagerie. Xu, croyant à une possession démoniaque, l'esprit du fleuve ayant été irrité par les aménagements de la maison, fait appel au maître des "Rites des Trois autels", Dong Shen, moine du village de Baishi, qui procédera à un exorcisme où entrent en jeu des enfants medium, armés de couteaux, qui se baignent dans le fleuve et démembrent une tortue cuite dans l'huile de sésame puis dispersée dans la montagne (Edward L. Davis, Society and the Supernatural in Song China, 2001 - books.google.fr).

Mitsuhirato

Mitsu : trois - Hirato : il existe une Hirato Azalea (azalée) ou Hirado azalea, connue en 1933. Il semble que le mot hirato désigne déjà une azalée (About Japan, Japan Society (New York, N.Y.), Novembre 1933 - books.google.fr, Robin Gill, Orientalism & Occidentalism: Is Mistranslating Culture Inevitable ?, 2004 - books.google.fr).

Une légende chinoise raconte que l'azalée est né du sang versé par un coucou à force d'avoir trop crier de tristesse.

Les Japonais se comportent comme des coucous en Chine, occupant un pays (nid) qui n'est pas le leur.

Hirado était un centre majeur du commerce international pendant la période Edo en particulier avec la Chine des Ming et les néerlandais. Les shoguns Tokugawa déplacèrent plus tard le centre du commerce à Nagasaki (fr.wikipedia.org - Hirado).

Hirado (ou Hirato) est sur une île au Nord Ouest de Kyushu et a joué un rôle important dans l'activité missionnaire catholique, comme on l'a vu aussi pour Hakodate.

En effet, les pêcheurs et les fermiers des environs de Nagasaki, de l'île Hirado et des îles Goto pratiquaient secrètement le christianisme. C'était les « kirishitans secrets » (kakure kirishitans). Même persécutée, la communauté chrétienne de Hirado et des îles de l'archipel fut florissante.

En 1587, par l'autorité d'Hideyoshi, les Jésuites étrangers furent réunis dans le port d'Hirado qui durent se résigner à la clandestinité ou au martyre. Cependant, en 1588 le diocèse de Funai (Nagasaki) fut fondé sous protection portugaise. [...] La fin de la politique isolationniste japonaise (Sakoku) en 1853 forcée par Matthew Perry provoque l'arrivée de prêtres catholiques, mais aussi protestants et orthodoxes. Ainsi des prêtres des Missions étrangères de Paris s’établissent à Nagasaki. Bernard Petitjean y construit l'église d'Oura en 1864, connue aujourd’hui comme l’église des martyrs du Japon (Nathalie Kouamé, Une "drôle de répression", Etat, religion et répression en Asie: Chine, Corée, Japon, Vietnam (XIIIe-XXIe siècles), 2011 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Histoire du catholicisme au Japon).

L'église Saint-François Xavier de la ville de Hirado se dresse aujourd'hui dans la préfecture de Nagasaki.

Pourquoi Mitsu (trois) ?

On a un élément de possible réponse en mettant en rapport Mitsuhirato avec l'île d'Hirato.

Les Chinois comprennent sous le titre des Trois Montagnes ou trois îles, l'île de Fang-tchang, celle de P'ung-lai et celle de Ying-tcheou. On les appelait aussi les «Trois Vases». «Les Trois Vases, dit le Chih-i'ki, sont trois îles dans la Mer orientale (mer du Japon). La première s'appelle le Vase Fang, c'est (l'île) Fang-tchang; la seconde s'appelle le Vase P'ung, c'est (l'île) Pung-lai; la troisième s'appelle le Vase Ying, c'est (l'île) Ying-tcheou. Ces trois montagues (îles) ont la forme d'un vase.

Le Che-yi-ki note que les Trois Iles des Immortels sont appelées les « Trois Vases en forme de calebasse » parce que « ces trois montagnes ressemblent à un vase ».

Ying-tcheou, l'île de l'Océan, est aussi nommée Houen-tcheou (l'île des âmes) et Houan-tcheou (île des cercles). A l'orient (de cette île) se trouve un gouffre, dans lequel vit un poisson de mille brasses de longueur, qui est tacheté et poïte une corne au bout de son nez. [...] On trouve également un arbre nommé L'Arbre à l'ombre. «Quand on le regarde sous les rayons du soleil, il ressemble à une rangée d'étoiles. Il porte des fruits une fois dans les dix-mille ans, et ces fruits ressemblent à des melons; ils ont une pelure verte et une palpe noire; quand on en mange, les os deviennent légers.»

L'ancien dictionnaire Chauo-wen définit tchi, que l'on trouve dans l'île, par l'herbe divine. Le Tchi est une espèce de fungus ou d'agaric, et décrite par le P. Cibot sous le nom de Agaric ramifié.

On y trouve un animal nommé Tch'ao-chih (Flaire-roche), qui a la forme d'un Kilin (espèce de cerf) [parfois appelé licorne] et qui ne mange point de plantes vivantes ni boit de l'eau trouble. Le Tch'ao-chih sait où se trouve de l'or et des pierres précieuses, et en soufflant sur la roche, elle s'ouvre, et la poudre-d'or, ainsi que les pierres précieuses brutes, se voient étincelantes et propres à l'usage. [...] Le «Flaire-roche», s'il n'est pas fabuleux, ne peut être que le cerf japonais {Cervus sika) dont les cornes sont droites et ne portent que quatre branches latérales, dont deux sont tournées en avant et en haut, et la troisième, très petite, est tournée en dedans, à peu-près comme les Chinois représentent le Kilin fabuleux (Berthold Laufer (1874-1934), Problèmes géographiques, traduit par Gustaaf Schlegel, T'oung Pao, 1895 - archive.org).

Dans la fumerie d'opium le Lotus Bleu, page 59, et chez Monsieur Wang, page 18, on peut lire en caractètre chinois, tous dessinés par Tchang Tchong-Jen : "Que la prospérité et la longévité soient avec vous" (www.gorianet.it - Tintin - langues).

Le mot "cerf" et le mot "prospérité" se prononçant tous deux "Lu", le cerf apparaît souvent dans les rébus comme l'incarnation du dieu de la Prospérité, Lu shén. Le cerf vivant, dit-on, cent ans, il est aussi un symbole de longévité. Le dieu de la Longévité est souvent accompagné de cet animal, la seule créature capable de trouver le champignon magique de l'immortalité, ling zhï, dont il est le gardien, avec la grue. Le cerf est également lié à la souveraineté, "chasser le cerf dans les plaines du centre", traduit l'idée de contrôler un empire. "quelles mains feront périr le cerf ?", autrement dit, qui aura la suprématie ? (www.bouddharieur.fr - cerf - prosperite).

Dans sa traduction du Livre des Récompenses et des Peines, Stanislas Julien inclut certaines histoires d'inspiration taoiste dont l'une a un certain rapport avec saint Julien l'Hospitalier :

Wou-tang, de Liu-ling, emmenait ordinairement son fils à la chasse. Un jour, ils rencontrèrent un cerf qui folâtrait avec son faon; la vue de Tang leur fit prendre la fuite. Celui-ci saisit une flècheet tua le faon. Le cerf effrayé s'enfuit en poussant des cris douloureux. Tang s'étant caché au milieu des herbes touffues, le cerf vint lécher la blessure de son faon. Tang tendit de nouveau son arc et le tua. Quelque temps après, il aperçut un autre cerf, et lui lança une flèche. Mais la flèche se détourna de sa direction et alla percer son fils. Tang jeta son arc et embrassa son fils en pleurant. En cet instant il entendit, au milieu des airs, une voix qui lui dit : « Tang, le cerf aimait son petit autant que tu aimais ton fils. » Tang regarda autour de lui, lorsqu'un tigre s'élança du bois voisin et lui coupa la main avec ses dents. Le père et le fils périrent tous deux d'une mort cruelle. C'est ainsi que Wou-tang fut puni pour avoir chassé des quadrupèdes (Lao Tseu, Le livre des Récompenses et des Peines, traduit par Stanislas Julien, 1835 - books.google.fr).

L'île de Hirato ou Firato, aussi nommée Firango, se trouve justement sur la côte de la province de Huen, au nord des îles Goto justement à la même latitude où le premier récit place l'île de l'Océan, Ying-Tchéou (Berthold Laufer (1874-1934), Problèmes géographiques, traduit par Gustaaf Schlegel, T'oung Pao, 1895 - archive.org).

Wang Jen-Ghié

En chinois "wang" se traduit par "roi", "jen" par "homme" et "Ghia" désigne, dans l'absolu, en tibétain, les Chinois.

Wang Jen-Ghié serait ainsi le parangon du Chinois.

On trouve un certain Ghe dans la correspondance de Théophile Verbist, fondateur belge des Scheutistes :

Le mandarin me répondit avec beaucoup d'affabilité, il me remercia des sentiments que je lui exprimais, il me dit que je pouvais compter sur sa bienveillance, qu'il aurait été heureux de m'être utile sans toutes les difficultés que je pourrais rencontrer dans ce pays étrange pour moi. Je saisis immédiatement cette bonne parole pour le remercier et lui dire qu'il me serait bien agréable, si la première visite que je lui faisais était marquée par un acte de bienveillance de sa part ; que j'osais solliciter de la clémence de son Excellence la liberté du chrétien Ghe avec d'autant plus de confiance que je répondais de son innocence. Oui, dit-il, je le sais bien, il est innocent, mais il expie la faute et la fuite de son frère. - Oh justice chinoise ! me disais-je en moi-même (Lettre à Scheut, 22 avril 1866, La Congrégation du Coeur Immaculé de Marie (Scheut): pt. A. La correspondance de Théophile Verbist et ses compagnons, 1865-1866, Volume 2, 2003 - books.google.fr).

Théophile Verbist est d'humble origine. Ses parents sont Guillaume Verbist né à Anvers le 20 août 1787 et Catherine-Marie Van Honsem née à Anvers en 1791. Théophile et son frère jumeau Edmond sont nés le 12 juin 1823. Ils furent les élèves du collège jésuite d'Anvers et firent leurs études d'humanités au petit séminaire de Malines. Théophile fut ordonné prêtre le 18 septembre 1847 par le Cardinal Engelbert Sterckx. D'abord aumônier de militaires et de religieuses, il devint le responsable national de l'Association de la Sainte-Enfance et conçut le projet d'une congrégation de prêtres séculiers pour la Chine. C'est dans cette optique qu'il fonda en 1862 la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie, à vocation missionnaire, et en fut le premier supérieur général. La maison généralice de la congrégation se trouvant à Scheut, un quartier d'Anderlecht (Bruxelles), les membres de la congrégation en vinrent à être appelés Scheutistes. Théophile Verbist partit pour la Chine en 1865, en fait en Mongolie-intérieure, au nord de la grande muraille. Il y mourut du typhus exanthématique (Rickettsia prowazekii) en 1866 (fr.wikipedia.org - Théophile Verbist).

Le can-ghé (ou Kanghe), passé en portugais : cangue

Tintin est promené dans les rues de Shangaï avec un pilori mobile autour du cou, page 37. Mitsuhirato ne l'avait piqué avec le substitut du radjaïdjah qu'au bras, page 23.

Le can-ghé est composé de deux ais quarrés, vuidés dans le milieu pour y passer le cou du criminel, & qui sonnent une espece de pilori mobile. Il y en a qui ont trois pieds en quarré, & cinq à six pouces d'épaisseur, de maniere que le criminel ne peut voir ses pieds, ni porter les mains à sa bouche, si bien qu'on est obligé de lui donner à manger. Ils pèsent depuis 50 à 60 livres jusqu'à 200. Après y avoir pane le cou, on colle sur les jointures deux bandes de papier d'environ 4 pouces de largeur, sur lesquelles on pose le scellé, & l'on marque le crime qu'on a commis, de même que le temps que doit durer le châtiment (Hau Kiou Choaan, Histoire Chinoise, traduit de l'anglais, Volume 4, Duplain, 1766 - books.google.fr).

"ghé" semble se traduire par faute en chinois. L'étymologie du terme japonais San-ghé le faisant venir du sanscrit "san" (regretter) et du chinois "ghé" (faute) semble fantaisiste (Hôryû Toki, Si-do-in-dzou: gestes de l'officiant dans les cérémonies mystiques des sectes Tendaï et Singon, rédacteur Léon de Milloué, traduit par Seiichi Kawamura, 1899 - books.google.fr).

Il y a aussi des cangues auxquelles on ajoute plusieurs bouts de soliveau joints ensemble en forme d'échelle, que le patient porte pendants le long du dos et de la poitrine, et, accoutré de la sorte, on l'envoie mendier tout le jour par la ville, sans s'occuper autrement de le nourrir, à charge par lui de regagner le soir la prison, repu ou à jeun, pour recommencer le lendemain jusqu'à l'expiration de sa peine. Il faut noter que le patient, qui ne peut porter ses mains à sa bouche, ne peut manger qu'autant que quelque personne charitable consent à l'empâter comme on empâte les canards et les oies. Parfois les malheureux mis à la cangue sont attachés à un poteau au milieu du marché et laissés dans cette position jusqu'à ce qu'ils y meurent de faim (Grand dictionnaire universel du XIXe siècle: Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, littéraire, artistique, scientifique, etc.,etc, Volume 3, Larousse, 1867 - books.google.fr).

La persécution qui était dans toute sa violence, il y a cinq ans , et qui n’a jamais été entièrement éteinte, avait cependant successivement diminué ; mais elle s’est réveillée en plusieurs endroits, en 1824, à l'occasion d’une conspiration contre l'empereur, tramée par une secte de païens, et heureusément découverte. Les perquisitions ordonnées a ce sujet ont servi de prétexte pour rechercher les chrétiens. La plupart s’en sont délivrés en donnant de l'argent ; quelques-uns, en petit nombre, ont cédé a l’a crainte, et ont placé chez eux des tablettes superstitieuses; d’autres enfin on résisté avec beaucoup de courage, et ont généreusement confessé la foi, pour laquelle ils ont même souffert de grands maux. [...] Les chrétiens qui, au commencement de la persécution, avaient été condamnés a porter la cangue jusqu'a la mort, ont toujours montré la même fermeté. L’empereur, à son avénement, avait accordé des rémissions de peines à tous les condamnés. Les chrétiens condamnés ä la cangue devaient aussi retourner chez eux, mais a condition de renoncer ä la religion. En 1824, tous ceux qui portaient la cangue ont été amenés devant les gouverneurs, et sollicités d’abjurer pour jouir de la grâce promise. Tous, excepté un, ont de nouveau confessé la foi et continuent en conséquence de porter volontairement la cangue. Ces généreux chrétiens ne sont plus qu’en nombre de douze, tous les autres étant morts avant l'expiration des dix ans (Nouvelles des missions d'Orient, M. Fontana, vicaire apostolique du Su-tchuen en Chine, Le Conservateur belge: recueil ecclésiastique et littéraire, 1825 - books.google.fr).

Skronyonyo

Le juron habituel (pages 31 et 41) du général bedonnant Haranochi est "skronyonyo" qui est une défromation de scrogneugneu : "sacré nom de dieu" (fr.wiktionary.org - scrogneugneu).

Haranochi peut venir de deux mots japonais "hara" (ventre d'où hara-kiri, couper le ventre) et "nochi" (bassinoire ?) ou de "noche" (entre autres "monter à cheval" : le général est en effet à cheval). Haranochi serait un "ventre à cheval" (Henriette Walter, L'aventure des mots français venus d'ailleurs, 2013 - books.google.fr).

On trouve dans le Dictionnaire des idées reçues, piblié par Louis Conard en 1913 :

ÉQUITATION : Bon exercice pour faire maigrir. Ex. : tous les soldats de cavalerie sont maigres. Bon exercice pour engraisser. Ex. : tous les officiers de cavalerie ont un gros ventre — « Il monte à cheval comme un vrai centaure. » (Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, 2002 - books.google.fr).

Le centaure, qui peut être sagittaire, refait son apparition ici.

Flaubert est utilisateur du juron sans euphémisme ou tabou "sacré nom de dieu" :

Les cauchemars que lui donnèrent les Codes irritent encore ses lettres à Ernest Chevalier. Flaubert les égaye de quelques jurons : «Sacré Dieu Sacré nom de Dieu» mais surtout les inimitables : « Ah que je m'emmerde, sacré nom de Dieu de mille pines du Seigneur de mâtin de bougre de prenne bouché ah mâtin. Dieu de merde de nom d'une pipe de vingt-cinq mille pines de tonnerre de Dieu, sacré nom d'un pet. » Tout son enthousiasme s'exprime là, dans une vigueur étonnante pour qui ne connaît pas le vrai Flaubert (Mario Vargas Llosa, L'orgie perpétuelle: Flaubert et Madame Bovary, 1978 - books.google.fr, Thierry Poyet, Flaubert, ou, Une conscience en formation: éthique et esthétique de la correspondance, 1830-1857, 2008 - books.google.fr).

Julien et son père

Le fils chasseur est souvent puni pour son entreprise sacrilège contre l'animal totem paternel. Ainsi Adonis, le favori d'Aphrodite, la grande divinité maternelle, est tué par un sanglier. Et c'est au même animal que, d'après la version de Servius, il dut sa naissance ; celui-ci de ses défenses ayant ouvert l'arbre maternel, l'arbre à myrrhe, en lequel avait été métamorphosée Myrrha sa mère et où il attendait de naître. Le mythe d'ailleurs, dans Servius, trahissant l'identité primitive, oscille entre deux versions : c'est soit le père même d'Adonis avec son épée, soit le sanglier avec ses défenses qui auraient fendu l'arbre. Mais même après que le sanglier paternel eût tué Adonis en punition de l'inceste maternel, celui-ci triomphalement ressuscite, ainsi qu'il en advient dans toutes les religions où est divinisé le fils. La « Légende de saint Julien l'Hospitalier », telle que nous la rapporte Flaubert, montre de façon aussi transparente l'identité totémique entre le grand gibier de chasse et le père. Ce n'est pas en vain qu'il semblait à Julien, dans une période de crainte, « que du meurtre des animaux dépendait le sort de ses parents ». Le conte est divisé en trois parties. Dans la première, Julien massacre les animaux, parmi lesquels le grand cerf noir surnaturel qui le maudit, et il ne fait qu'esquisser, en deux « actes manqués », le meurtre de ses parents. Dans la deuxième, les animaux sont devenus invulnérables, l'homme, dont les bêtes n'étaient qu'un substitut, reparaît derrière elles: « les bêtes manquant, il aurait voulu massacrer des hommes ». Et Julien massacre en effet ses vieux parents, prenant, dans la nuit, son vieux père couché avec sa mère pour un amant couché avec sa femme, cependant que le bramement lointain du grand cerf noir se mêle aux râles des vieillards, disant l'identité profonde. Enfin, dans la troisième partie, après que Julien, errant et mendiant, s'est identifié d'abord à son propre père par son image dans la fontaine, nous assistons à la glorification ultime du fils repenti. Julien est en effet identifié au Lépreux, qui n'est autre que Jésus-Christ, le Dieu-fils crucifié puis glorieux. Et accolé, fondu à lui, Julien est ravi triomphalement au ciel (Marie Bonaparte, Psychanalyse et anthropologie, 1952 - books.google.fr).

Nous ajouterons que ce mélancolique ne se trouve comblé qu'à admettre la carence identitaire, à accepter la ruine de l'autre, le double du père, mais qui, parce qu'il est Jésus, est aussi le Fils, double du fils que Julien échoue à être ; à accepter, en tant que double du Fils, de prendre sur lui la ruine de l'autre, cette lèpre (Sylvie Triaire, Une esthétique de la déliaison: Flaubert, 1870-1880, 2002 - books.google.fr).