Historique
Etretat est un point romain qui fut aussi occupé par les Francs. Cependant son nom n'apparaît, pour la première fois, qu'au XIème siècle. Dans une charte de 1024 donnée à l'abbaye de Saint-Wandrille, il est nommé Estrutat. Dans le cours des XIIème et XIIIème siècles, les chartes de nos abbayes et les rôles de l'échiquier disent Strulat, Strutard, Eslrudard , Estructat, Estrutardet Estrutat. Etretat doit tirer son nom d'une ancienne voie romaine. En effet, de ce point maritime et littoral, une route antique, encore bien connue, conduisait à Lillebonne, et cette voie est appelée sur tout son parcours la Chaussée, le chemin des Romains, le chemin de César, la chaussée Brunehaut.
Pour l'époque romaine, les restes d'une villa, dans l'enclos de l'ancien presbytère montrent deux salles, aux fond d'une desquelles était un baptistère ou baignoire romaine lambrissée en dalles de liais, précédée d'un pavage orné d'une rosé et accompagnée d'un canal souterrain pour l'écoulement des eaux. On a trouvé des crépis coloriés, des tuyaux de chaleur, des épingles en os, du verre, du plomb fondu et des monnaies de bronze d'Adrien, de Trajan et de Vespasien. Un aqueduc romain à la cote du Mont et dans le fond du Petit-Val a plus de 2,500 mètres de longueur. Le fond de ce canal était formé par une couche de ciment romain, rouge et épaisse de 4 à 5 centimètres : de ce même ciment étaient enduites les deux murailles collatérales qui formaient la caisse de l'aqueduc. Ces murs d'encaissement étaient en silex du rivage. Le haut était recouvert tantôt avec de gros cailloux, tantôt avec des nacelles à l'intérieur. Dans le Grand-Val et au lieu dit le Bois des Haulles, un cimetière romain à incinération a donné des vases en terre et en verre. Avec les urnes grises, en forme de pot-au-feu, il y avait des vases rouges et noirs pour les offrandes, et des cruches pour les libations.
La chapelle de Saint-Valéry, en grande partie détruite aujourd'hui, est dans l'enceinte de l'ancien presbytère. Elle fut élevée au commencement du christianisme dans ces contrées, sur l'emplacement même d'une villa, et avec les matériaux de l'édifice antique. Ainsi l'on voit dans les murs des tuiles à rebords, des tufs et des pierres taillées. Deux chapiteaux curieux ornaient ce sanctuaire.
Arnoul, comte de Flandre, avait enlevé les corps de saint Valery et de saint Riquier, pour les transporter dans son comté. Saint Valery serait apparu à Hugues Capet, alors simple duc de France, et se plaignit d'être captif des Flamands, et lui enjoignit, de rapporter leurs reliques au lieu de leur première sépulture, ajoutant que, s'il se conformait aux ordres du Ciel, il régnerait sur la France, lui et sa postérité, pendant sept générations. Hugues Capet contraignit le comte de Flandre à rendre les reliques, et la prophétie s'accomplit par son avènement à la couronne après la mort de Louis V. Or, Philippe Auguste était le septième Capétien. On essaya de remplacer " septem generationes " par " sempiternae generationes ", mais la voie n'était pas des plus sûres. On argua plutôt du " retour du trône à la race de Charlemagne ". Philippe était le fils d'Adèle de Champagne et l'époux d'Isabelle de Hainaut, toutes deux carolingiennes. Philippe et Isabelle furent couronnés le 29 mai 1180. En la personne de son fils Louis, la race de Charlemagne retrouverait le trône. Cela avait l'inconvénient de ne pas fournir de légitimité autre que la volonté divine aux premiers Capétiens. Cette conception très acceptable pour les clercs ne l'était pas pour les laïcs. Aussi, plus tard, recourut-on plutôt à l'ottonienne Havise, mère d'Hugues Capet. Comme les Carolingiens, en remontant à Blitilde - sœur de Dagobert -, avaient déjà prouvé qu'ils étaient des Mérovingiens, une seule et unique dynastie occupait le trône du début à la fin des temps. Le même souci d'unité raciale que nous avons vu dans le mythe des origines nationales se retrouvait donc au cours des siècles et contribuait à masquer tous les hiatus de l'histoire française (751, 987 ou 1328) pour lui assurer une continuité idéale. (Beaune Colette, La notion de nation en France au Moyen Age).
De 1850 à 1851, M. d'Escherny, en fondant son pavillon, a trouvé des sépultures renfermant des sabres, des boucles et des plaques de fer damasquinées, des vases et autres objets mérovingiens. A la fontaine d'Olive, qui est sous-marine, et à la construction de l'église de Notre-Dame, qui est romane dans sa nef, se relient la tradition d'une sainte Olive échappée aux Sarrasins au moyen d'un vœu fait pour la construction de l'église, et une légende où le diable transportait la nuit les matériaux des Verguies au pied de la côte Saint-Clair.
Au fond du vallon de Cateuil est le puits Givet, vidé vers 1840, et auquel se rattache une tradition de cloches cachées. A côté, en 1830, en faisant la nouvelle route du Havre, on a trouvé des constructions dont on ne saurait préciser la date. Enfin, il y a encore à Etretat le souvenir d'une rivière disparue sous terre, que conserve la tradition curieuse d'une bohémienne en voyage et rebutée par le meunier de la source. Vers 1833, un marin nommé Jérôme Houllier a trouvé, sous une grosse pierre, une chaudière de cuivre contenant une quantité considérable d'ustensiles de ménage en fer et en bronze. Je me souviens qu'on y voyait un marteau, une serrure, un verrou, etc., et un broc en bronze avec une anse et un goulot qui se termine par une tête de serpent. (Jean-Benoît-Désiré Cochet, La Seine-Inférieure historique et archéologique).
Faisons un grand saut dans le temps : le lundi 1er septembre 1884 " est mort à Etretat un prince indien, Bapu Sahib Khanderao Ghatgay, parent de Sa Hautesse le Maharaja Gaikwar, prince de Baroda, dans la province de Gujarath, présidence de Bombay. Le chef de la mission était celui qui vient de mourir, vieillard de quarante-deux ans et beau-père de Sampatrao Kashivao Gaikwar, frère de sa Hautesse le Gaikwar de Baroda. " (Guy de Maupassant, Le Bûcher).
Il a été incinéré sur une plage de galets d'Etretat. La crémation a duré de 2 h à 6 h du matin. On a fait trois lots de la cendre. L'un a été jeté au vent ; le second précipité à la mer ; le troisième recueilli dans une urne qui sera portée au pays du rahja.
La putréfaction sous terre, dans cette boîte close où le corps devient bouillie, une bouillie noire et puante, a quelque chose de répugnant et d'atroce. Le cercueil qui descend dans ce trou fangeux; serre le cœur d'angoisse; mais le bûcher qui flambe sous le ciel a quelque chose de grand, de beau et de solennel (Guy de Maupassant).
En 1904, Sampatrao Kashivao Gaikwar (Kavlana, 15 mai 1865 - Baroda, 4 octobre 1934) était franc-maçon dans la Lodge Tyrrell Leith No.43 fondée en 1886. La loge de marque de Baroda a pris son nom (http://lodge43.com, http://www.royalark.net).
Portrait de groupe de Sir Sayaji Rao,
le jeune Maharaja Gaikwar de Baroda (assis au centre),
et Sir Richard Temple, Gouverneur de Bombay vers 1880
http://en.wikipedia.org/wiki/Maharaja_Sayajirao_Gaekwad_III
Le Horla et le 9 juillet
Le 9 juillet, la Saint Ephrem, est associé à ce cercle (Calendrier du petit nonagone).
Le Samedi 9 juillet 2005, à 14 h 30, Arsène Lupin arrivait en gare d’Etretat, acclamé par les Etretatais pour le festival qui lui était consacré.
Un 9 juillet, 1883, Guy de Maupassant publie dans Le Gaulois, sous le titre Miss Hastings, puis publié dans le recueil Miss Harriet un texte qui mentionne la petite cité : " Partis d'Etretat dès l'aurore, pour aller visiter les ruines de Tancarville ". Un autre 9 juillet se trouve dans le Horla, qui a peut-être un rapport avec le roi Herla, le "démon" conduisant la chasse sauvage des morts, connue en Normandie.
Le 9 juillet enfin, j'ai remis sur ma table l'eau et le lait seulement, en ayant soin d'envelopper les carafes en des linges de mousseline blanche et de ficeler les bouchons. Puis, j'ai frotté mes lèvres, ma barbe, mes mains avec de la mine de plomb, et je me suis couché. L'invincible sommeil m'a saisi, suivi bientôt de l'atroce réveil. Je n'avais point remué ; mes draps eux-mêmes ne portaient pas de taches. Je m'élançai vers ma table. Les linges enfermant les bouteilles étaient demeurés immaculés. Je déliai les cordons, en palpitant de crainte. On avait bu toute l'eau ! on avait bu tout le lait ! Ah ! mon Dieu !... "
Le bulletin de l'art ancien et moderne, 1907 raconte l'anecdote, que devait connaître Maupassant par ses relations avec les peintres, concernant Constable qui " était un homme exquis, simple et sincère comme sa peinture. Chargé du placement des tableaux à une exposition de la Royal Academy, la crainte de décourager les jeunes le jetait dans une véritable angoisse : " Ils m'ont confié ce soin, disait-il, parce qu'ils savent bien quelle bonne bête je suis ". Justement désireux d'avoir pour ses enfants du lait pur, il avait trouvé une formule charmante pour ne point attrister un fournisseur peu scrupuleux : " A l'avenir, lui écrivait-il, nous vous serions obligés si vous vouliez bien nous envoyer le lait et l'eau dans des vases séparés ".
Dans les anciennes civilisations, lait et eau ont toujours été étroitement associés. Ils représentent en effet les deux variantes d'un même principe de vie (le lait est l'aliment exclusif du nouveau-né, l'eau est nécessaire à la germination des graines). La déesse iranienne des eaux est aussi celle qui permet aux femmes d'avoir du lait. Dans de très nombreuses cultures, des cérémonies autour de la traite et des offrandes de lait avaient pour but de faire tomber la pluie. Depuis la fin du paléolithique jusqu'à aujourd'hui, les eaux " galactophores " furent l'objet de cultes : en buvant l'eau miraculeuse de ces " sources laitières ", les femmes et les animaux dont le lait était tari voyaient leur sécrétion lactée reprendre. L'Eglise catholique " récupéra " ces sources païennes en les plaçant sous la protection de " madones du lait " (http://www.la-cuisine-collective.fr/dossier/cerin/articles.asp?id=47).
Le lait et l'eau sont étroitement associés et ce n'est certes pas un hasard si la religion musulmane, qui accorde une place centrale à la mère, leur attribue un intérêt particulier. Lait et eau désignent ensemble la fixation au monde de la mère. (Anne-Marie Gans-Guinoune, De l'impuissance de l'enfance à la revanche par l'écriture - Driss Chraïbi).
Dans le récit du mi'raj, il est dit que lors de son arrivée à Jérusalem, Mahomet se trouva en face de tous les prophètes réunis pour l'accueillir ; on lui présenta alors trois vases, l'un contenant du lait, l'autre du vin et le troisième de l'eau ; il choisit le lait ; car le choix de l'eau aurait présagé, pour lui et pour sa nation, le naufrage, et celui du vin l'égarement.
Mme de Maupassant mère, née Laure Le Poittevin (1821-1903), d'ancienne famille normande, est cultivée et sensible. Malheureusement, depuis son mariage, elle développe des troubles névrotiques : migraines, crises nerveuses, seront son lot. Elle vivra des journées enfermée dans le noir ; elle tentera de se suicider à l'aide de ses longs cheveux. Maupassant, toute sa vie, sera très attentif à sa mère : séjours auprès d'elle, lettres nombreuses. Le père de Maupassant, Gustave de Maupassant (1821-1899), est d'origine lorraine. Sa famille s'est installée en Normandie à la génération précédente. Laure Le Poittevin, entichée de noblesse, lui en a fait rechercher les origines. Un Maupassant a été anobli en Lorraine en 1752. Gustave a obtenu le droit de porter la particule le 9 juillet 1846. Le mariage avec Laure a lieu le 9 novembre 1846. Gustave, gentleman oisif, chasse les filles et la bécasse et se sépare de sa femme en 1861. Laure s'installe à la villa Les Verguies, à Etretat, avec ses enfants. Guy a 11 ans. Entre 1876 et 1880 se manifestent les premiers symptômes de la syphilis. Entre deux cures dans le Midi ou dans les Alpes, il continue de faire le beau devant les dames, d'entretenir l'illusion de la liberté et du bonheur à Etretat, dans sa Guillette, où il multiplie les fêtes. A mesure que la maladie ronge son corps, la folie gagne l'âme de Maupassant. Il rencontre jusqu'à trois médecins par jour pour soulager une cécité intermittente, les paralysies, les névralgies. Il meurt le 6 juillet 1893. Il aurait écrit le Horla en partie à Etretat dans sa villa Guillette (Marie-Claire Bancquart, Maupassant, un homme énigmatique).
La croyance au mauvais œil est très répandue dans les cultures européennes et sémitiques. Ce regard mortel, qui vise l'être dans son intimité la plus vulnérable, trouve dans le nouveau-né sa victime privilégiée et intervient essentiellement entre la mère et l'enfant, dans la relation de nourrissage. On comprend alors que le lait soit un élément omniprésent dans les nombreux documents qui concernent cette croyance. Dans le département de la Manche, l'individu auquel on a refusé du lait, peut faire tarir les mamelles des vaches (Muriel Djéribi, Le Mauvais œil et le lait).
La salamandre de la Maison de ce nom à Etretat et le lait de Maupassant trouvent un écho à Mimizan avec la salamandre du zodiaque du portail de l'église sainte-Marie et avec saint Galactoire, au nom lacté (Points particuliers : Mimizan).
D'autres écrivains
La première lettre de la correspondance de Jean Lorrain et Karl Huysmans (Éric Walbecq, Lorrain-Huysmans. Correspondance Jean Lorrain Joris-Karl Huysmans, Du Lérot, 2004) dit tout : début juillet 1884, Lorrain achève de lire " pour la cinquième fois " À rebours, publié en mai, et il invite Huysmans à le rejoindre à Etretat : " Nous aurons pour nous les falaises, les matelots et même de Maupassant. " Les raisons de la rupture de 1903 demeurent en partie obscures. (http://www.histoires-litteraires.org).
Paul-Alexandre-Martin Duval, dit Jean Lorrain, est né à Fécamp le 9 août 1855. Son père était armateur, mais avait été mousse, et son grand-père fut un corsaire illustre. Études à Louis-le-Grand, à Henri-IV, et chez les Dominicains d'Arcueil, mais vacances à Fécamp. Chez ses derniers éducateurs, il se crut la vocation sacerdotale! Mais bientôt guéri de sa crise mystique, il s'engagea aux hussards de Saint-Germain, puis par permutation aux spahis de Biskra. Il vécut beaucoup à Paris, et surtout à Nice et le long de la Riviera. Ethéromane, il mourut le 30 juin 1906, dans les bras de sa maman, d'une perforation de l'intestin. Rémy de Gourmont écrira : " Si M. Jean Lorrain a propagé le culte de Sainte Muqueuse, s'il a chanté ce qu'il appelle modestement des amours bizarres, ce fut en un langage qui était de bonne race. "
Etretat, ou le cercle en Manche, est lié avec celui de Lussan. Cuverville était la demeure de l'oncle maternel de Gide, Emile Rondeaux. Sa fille Madeleine en hérite en 1890 et épouse Gide en octobre 1895 à la mairie du village. Le mariage religieux se déroule au temple d'Etretat et est décrit au début de L'Immoraliste. La famille paternelle de Gide était originaire de Lussan, habitant le château de Fan (http://www.terresdecrivains.com).