Partie VII - Cohérence grand nonagone   

Edern - Ban-Saint-Martin

La notion de " ligne " peut être déterminée à partir d'un lieu de Paris par où passe la diagonale du grand nonagone Edern - Ban-Saint-Martin. Ce lieu est l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas où furent inhumés, entre autres, Jean-Dominique Cassini et Philippe de La Hire, qui mesurèrent le méridien de Paris, l'un vers le sud, l'autre vers le nord, ainsi que l'abbé de Saint-Cyran, promoteur du jansénisme. Un lien peut être établi entre ce méridien, l'orme planté vers 1600 à l'initiative de Sully à côté de l'église dans l'ancien Hôpital Saint-Jacques occupé alors par les bénédictins de Saint-Magloire, qui fut abattu en 1904 seulement, et le jansénisme.

- Le méridien, d'évidence, est une ligne imaginaire qui unit les pôles.

- Jansénius part d'une doctrine de la liberté qu'il met toutes ses forces à détruire au profit d'une doctrine de la grâce efficace qui vient de Dieu et de Dieu seul. C'est une doctrine extrêmement forte, portée par une thèse philosophico-théologique très précise. Le seul philosophe, finalement, qui trouve grâce aux yeux de Jansénius, comme d'ailleurs à ceux de saint Augustin, c'est Platon: "Platon pour disposer au Christianisme" (Pascal, Pensées, 612)[4]. Le jansénisme se manifestera comme une volonté de rénovation des mœurs, l'aspiration à fonder le " nouvel homme ", l'exigence de retrait du monde, l'argument de pénitence, et, contre le libéralisme protestant en matière de prêt à intérêt, la détestation de l'usure. « Toute une frange du bas clergé et des hauteurs de l'institution ecclésiale, passent en insoumission, tandis que les héritiers de Port-Royal forment terrain de révolte de corps et d'âme. Un relais politique : le Parlement, largement habité de jansénisme, opposé à l'absolutisme monarchique ". Le temps des miracles et des transes sur le tombeau du diacre Pâris, qui durera jusqu'à la fin du siècle, sera porteur de défis politiques, annonciateur de l'ébranlement de la Révolution.[5] »

Surtout, en ce qui concerne ce sujet, « les Jansénistes mettaient l'accent sur le caractère rationnel de leur démarche, en particulier en distinguant le fait et le droit et en ayant de très fortes prétentions à la qualité logique de leur argumentation. Arnauld et Nicole sont d'ailleurs les deux auteurs de la célèbre Logique de Port-Royal, d'inspiration cartésienne et les Jansénistes jouèrent un rôle important dans la diffusion du cartésianisme. » S'illustre aussi dans le domaine scientifique et théologique Blaise Pascal.[6]

Antoine Arnauld (Paris, 1612 - Bruxelles, 1694), surnommé le Grand Arnauld pour le distinguer de son père, est un prêtre, théologien, philosophe et mathématicien français, l'un des principaux chefs de file des jansénistes et un opposant des jésuites au XVIIème siècle. Plus jeune enfant d'Antoine Arnauld, d'une famille de magistrats parisiens, il était le frère d'Angélique et d'Agnès Arnauld, abbesses de Port-Royal. Il écrit " Nouveaux Eléments de Géométrie ", publié en 1667. Devant les difficultés de définir la droite, Arnauld y explique : « Nous n'avons point défini la ligne droite, parce que l'idée en est très claire d'elle-même, & que tous les hommes conçoivent la même chose par ce mot ». (Rudolf Bkouche, " Qu'est-ce qu'une ligne droite ? "[7])

Le jansénisme étant une forme d'augustinisme, c'est chez saint Augustin que nous trouverons un lien entre mathématiques et théologie par l'intermédiaire de la ligne, visant à démontrer l'immatérialité de l'esprit. Dans DE LA GRANDEUR DE L'AME (Traduit par M. l'abbé MORISOT), saint Augustin imagine le dialogue suivant :

(Chapitre VI) : " 10. Augustin. Nous le comprendrons peut-être autant que possible, si nous examinons attentivement ces trois propriétés, longueur, largeur et profondeur. Essaye-donc de te figurer une longueur qui n'ait encore aucune largeur. - Evodius. Je ne puis me rien figurer de semblable; car si je fixe mon attention sur un fil d'araignée, l'objet le plus mince que nous voyons d'ordinaire, voilà que je rencontre en lui une longueur essentielle, une largeur, et une profondeur; quelles qu'elles soient, je ne puis nier qu'elles existent. - Aug. Ta réponse n'est point si absurde ; mais dès lors que tu découvres ces trois propriétés dans un fil d'araignée, tu fais sans doute le discernement de chacune d'elles; tu comprends en quoi elles diffèrent? - Ev. Comment ne pas voir en quoi elles diffèrent? Aurais-je pu voir autrement que nulle d'elles ne manquait à ce fil?- Aug. Le même acte intellectuel qui te les a fait discerner, peut t'aider à en faire abstraction, pour ne té figurer que la longueur seule, pourvu que tu ne fixes ton attention sur aucun corps. En effet, de quelque nature que soit un corps, il ne peut être dépouillé d'aucune de ces propriétés. Ce que je veux te faire comprendre, est incorporel ; car la longueur seule ne peut être saisie que par l'esprit, seule elle ne se trouve point dans les corps. - Ev. Je comprends déjà.- Aug. Cette longueur donc, en vain la voudrais-tu partager verticalement, il est évident que tu ne le pourrais; si tu le pouvais, il y aurait aussi largeur. - Ev. C'est évident. - Aug. Si tu le veux, appelons ligne cette longueur pure et simple; c'est ainsi d'ailleurs que l'appellent d'ordinaire beaucoup de savants. - Ev. Appelle-la comme tu voudras : quand la chose est évidente, il n'y a plus à s'inquiéter des noms. "

(Chapitre XIII) : " 22. Aug. Jamais donc as-tu découvert, de ces yeux du corps, un tel point, une telle ligne, ou une telle largeur? - Ev. Jamais, en vérité ; tout cela n'est point corporel. - Aug. Mais si, en vertu d'une merveilleuse sympathie de nature, les objets corporels sont perçus par les yeux du corps, ne faut-il pas que l'esprit, qui perçoit les objets incorporels, ne soit ni corporel, ni corps? Qu'en penses-tu? - Ev. Continue; je t'accorde que l'esprit n'est ni corps, ni rien de corporel; dis-moi enfin ce qu'il est. - Aug. Vois d'abord s'il est de nature à n'avoir point cette espèce de grandeur dont il s'agit ici; car dans notre première question nous avons examiné ce qu'il est; je m'étonne que tu l'aies oublié. Il te souvient sans doute que tu as demandé d'où il vient; ce que nous avons considéré de deux manières. Nous avons donc examiné, premièrement, quelle région pour ainsi dire est celle de l'esprit; secondement, s'il est formé de terre, de feu, d'un seul de ces éléments, de tous, ou seulement de quelques-uns. Là nous sommes convenus que cette question ne devait pas plus être soulevée que celle de savoir d'où vient la terre, ou quelque autre élément en particulier. L'esprit est l'oeuvre de Dieu; mais nous devons comprendre qu'il a une substance particulière qui n'est ni de la terre, ni du feu, ni de l'air, ni de l'eau, à moins peut-être qu'il ne faille croire que Dieu a donné à la terre de n'être que terre, et qu'il n'a pas donné à l'esprit de n'être qu'esprit. Mais si tu veux avoir la définition de l'esprit, et qu'ainsi tu me demandes ce qu'il est, il m'est facile de répondre; l'esprit donc me paraît être une substance douée de raison, et propre à gouverner le corps. "

(Chapitre XIV) " 23. Apporte donc une attention toute spéciale à cette question qui nous occupe actuellement, savoir, s'il y a pour l'esprit une grandeur, et pour ainsi parler, un espace local. Il n'est pas corps, autrement il ne pourrait voir aucun objet incorporel, comme nous l'avons démontré plus haut; donc. il n'occupe pas cet espace qui rend les corps mesurables, et dès lors on ne peut ni croire, ni imaginer, ni comprendre qu'il ait une grandeur corporelle. Si tu es étonné que l'esprit n'ayant aucune dimension, puisse néanmoins embrasser par la mémoire, les vastes espaces des cieux, de la terre et des mers, c'est qu'il est doué d'une force prodigieuse, comme le montreront à la lumière de ton intelligence, les points dont nous sommes convenus. En effet, s'il est vrai, comme nous l'a prouvé la raison, qu'il n'y a aucun corps sans longueur, largeur et profondeur; si nulle de ces dimensions ne petit exister réellement sans les deux autres, et qu'il soit donné à notre esprit de voir la ligne seule, avec cet oeil intérieur qui est l'intelligence, nous pourrons, je crois, admettre que l'esprit n'est pas corporel, et qu'il est supérieur à tout corps; ceci admis, nul doute, je crois, qu'il ne soit encore supérieur à la ligne. Il serait absurde, en effet, que ces trois dimensions entrant nécessairement dans la nature de tout corps, ce qui est supérieur au corps ne leur fût pas supérieur à toutes. Mais la ligne qui est certainement inférieure à l'esprit, l'emporte sur les deux autres parce qu'elle est moins divisible. Or, les deux autres sont d'autant plus divisibles que la ligne, qu'elles s'étendent plus dans l'espace. Cependant la ligne n'occupe d'espace que dans sa longueur, et cet espace supprimé, il n'en existe plus. De là, il suit nécessairement que tout ce qui est supérieur à la ligne, n'est renfermé dans aucun espace, et ne souffre dès lors ni division, ni partage. C'est donc un vain labeur, selon moi, de chercher la dimension de l'esprit, dimension qui n'existe pas, puisque nous accordons que l'esprit est supérieur à la ligne. "[8]

La diagonale Edern - Ban-Saint-Martin est d'autant plus signicative avec Saint-Jacques-du-Haut-Pas que sur cette ligne se trouvent Pomponne où mourut Louis-Isaac Lemaistre de Sacy, l'auteur de la Bible de Port-Royal, Le Chesnay où, au château, les petites écoles résidèrent près d'un an, Louvigné-du-Désert où se trouvait une communauté de Louisets, partisans de la Petite Eglise anticoncordataire, qui était réputée janséniste à Lyon, et Orbais-l’Abbaye. Là, dans l'abbaye de cette cité vivait le moine Gottschalk qui professait une philosophie proche du jansénisme tirée de ces lectures de saint Augustin. Dans une autre abbaye, toujours sur cette ligne, à Boquen, restaurée par Dom Alexis, né à Plouguenast - toujours sur la même diagonale ! -, des reliques provenant de Saint-Jacques-du-Haut-Pas y furent transférées dans les années 50. Ces reliques retournaient en fait en Bretagne car elles avaient été apportées à Paris par peur des pillages vikings au IXème siècle.

Succédera, en 1964, à Dom Alexis, Bernard Besret (1935), né à Saint-Hervé, près de Loudéac, encore une fois sur la ligne Edern - Ban-Saint-Martin.

Quant à l'orme, il faut le replacer dans le contexte du XVIIème siècle. Sully favorisa la plantation d'ormes le long des routes. C'est un arbre d'alignement.

Gentil, Juif, Musulman et Chrétien sous les Arbres de l'Art Lullien - Illustration du Liber de gentili et tribus sapientibus de Raymond Lulle (1274), Mayence 1721-1742

Ajoutons que le fruit de l'orme s'appelle samare du latin samera ou samara. Ce qui fait penser à Samarie et à l'épisode des Evangiles de Jésus demandant à boire à la Samaritaine. « Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père, Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs, Mais l'heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche Père. Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est en esprit et en vérité qu'ils doivent adorer " (Jean, 4, 21-24). Dans le contexte religieux du début du XVIIème siècle et de l'Edit de Nantes, la plantation de l'orme pourrait marquer le projet d'un " ni protestant ni catholique " mais un au-delà, " en esprit ".

 


[1] http://sebastienkremer.ifrance.com/chaos.htm

[2] Pour la Science - février 1987 - pp. 29 & 30

[3] http://sebastienkremer.ifrance.com/chaos.htm

[4] http://www.erf-auteuil.org/conferences/le-jansenisme.html

[5] http://www.ehess.fr/centres/ceifr/assr/N114/VIDAL1.htm

[6] http://www.erf-auteuil.org/conferences/le-jansenisme.html

[7] http://michel.delord.free.fr/rb/rb-lignedroite

[8] http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/grandeurame/index.htm