Partie V - Arts et Lettres   Chapitre XL - Section littérature   XVIIIème siècle   

Siècle des Lumières, le XVIIIème rêve d’un parfait mariage entre nature et morale, bonheur et vertu. Les philosophes s’efforceront d’édicter des systèmes permettant la réalisation de cet idéal. Voltaire, critiquant Pascal, enjoint de ne plus diviser l’homme contre lui-même. Il s’agit d’être avec le monde en vivant pleinement ses passions, gardant son amour-propre et sa raison.

Charles Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre, est né à Saint-Pierre-Eglise en 1658, et mort à Paris en 1743. Exemple de l’abbé de cour et du bel esprit fut élu à l’Académie française en 1695. Il accompagna le cardinal de Polignac au congrès d’Utrecht et fut l’auteur d’un Projet de paix perpétuelle, où il s’annonce comme l’un des pionniers de l’unité européenne en proposant la création d’une ligue de souverains avec tribunal et congrès permanents. Il reprend les préoccupations des anciens Rose-Croix, soucieux de paix universelle, auxquels succédera la Franc-maçonnerie. Il est le défenseur du premier mode de gouvernement de la Régence, la polysynodie, dans lequel les ministres sont remplacés par des conseils élus. Son Discours sur la Polysynodie en 1718, critique de la politique de Louis XIV, lui valut son expulsion de l’Académie. En 1724, il participa à la fondation du Club de l’Entresol avec Pierre Joseph Alary (Paris 1689, id. 1770), ancien sous-précepteur du futur Louis XV. Le Club était installé dans l’entresol que l’abbé Alary occupait dans l’hôtel du président Hénault, magistrat et écrivain. Celui-ci écrivit des tragédies (Cornélie vestale), des comédies, un Abrégé chronologique de l’Histoire de France, et ébaucha une théorie d’un théâtre s’inspirant de sujets nationaux. Les réunions du Club de l’Entresol, sur le modèle anglais, étaient organisées tous les samedis. Y étaient commentés, les nouvelles politiques, les gazettes de Hollande, les publications anglaises, mais aussi les problèmes économiques et administratifs. Le Cardinal de Fleury, Premier Ministre de Louis XV, pensa un temps à le transformé en académie des sciences morales et politiques, mais indisposé par les jugements qui étaient portés sur son gouvernement, fit interdire le Club en 1731. D’influents personnages participèrent à ses réunions : Pomponne, Montesquieu, Horace Walpole, Bolingbroke, Madame de Pont-de-Veyle, le marquis de Balleroy, l’Ecossais Ramsay.

Monsieur de Pont-de-Veyle, Antoine de Ferriol (Paris 1697 – 1774), fut lecteur du roi, puis intendant général des classes de la marine. Il formait le « triumvirat » avec son frère d’Argental et Thiériot, auquel Voltaire soumettait ses ouvrages. Il écrivit des pièces en proses : Le Complaisant (1732), Le Fat puni (1738) et Le Somnambule (1739).Pont-de-Veyle fut élevé avec la célèbre mademoiselle Aïssé (né vers 1694- Paris, 1733). Cette demoiselle fut achetée par le comte de Ferriol 1500 livres en Turquie et envoyée en France pour être élevée par la belle-sœur du comte. Elle charma la société de la Régence et tomba amoureuse d’un gentilhomme périgourdin Blaise Marie d’Aydie dont elle eut une fille Célinie. Sous l’influence de sa directrice de conscience, Madame Calandrini, elle renonce à sa passion, son amant ne voulant pas se marier prétextant de faux engagement envers les chevaliers de Malte. Un moment au couvent des Visitandines de Sens, elle meurt de phtisie à l’âge de 39 ans et est enterrée dans l’église Saint-Roch où les Ferriol avaient une chapelle et un caveau sépulcral. Ses Lettres, publiées en 1787, « émeuvent par leur passion fervente et désintéressée [1]».

Le Chevalier de Ramsay (Ayr, 1686 – Saint-Germain-en-Laye, 1743) - que certains disent être né à Kilwinning - converti au catholicisme par Fénelon, se fixa en France et fut précepteur du fils du comte de Sassenage, précepteur puis intendant du prince de Turenne. Membre influent de la maçonnerie en France, il la faisait remonter aux Croisades, liée aux Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le duc de Luynes écrivait qu’il y avait en France « des assemblées, qu’on appelle des loges, où l’on propose et reçoit ensuite ceux qui se présentent. On donne dix louis pour être reçu. Le jour de la réception il y a un grand souper, précédé, dit-on, d’un discours prononcé par Monsieur de Ramsay, un Ecossais et chancelier dudit ordre ; il y a plusieurs cérémonies, mais dont on ne dit point le détail… ». Ramsay se fit le défenseur de la maçonnerie, comme il le fut déjà en vain pour le Club de l’Entresol, auprès du Cardinal de Fleury auquel il envoie son Discours. Il constitue une charte idéologique d’une organisation structurée, porteuse d’un projet d’avenir. Il s’agit de la pacification de l’Europe, en en faisant une nation toute spirituelle, réunie par l’amour de la vertu et de la science. Ramsay énonce les quatre vertus du maçon : l’humanité, la morale pure, le secret inviolable et le goût des beaux-arts. Il propose à Fleury de transformer la maçonnerie en ordre royal, charpente de la République des lettres en Europe. Pour le cardinal, les loges ne sont qu’un ferment d’opposition au pouvoir de l’Etat, sociabilité qui se constitue en dehors des cadres traditionnels, Etat et Eglise. Fleury entame une répression qui ne sera que mollement appliquée et qui disparaîtra à sa mort en 1743.

Si le XVIIIème siècle se refuse à séparer bonheur individuel et bonheur collectif, la nature ayant inscrit la sociabilité dans l’être de l’homme, l’abbé Prévost décrit des passions qui brisent toute tentative d’instaurer un ordre social parfait. L’Abbé Prévost est né à Hesdin en 1697, et l’auteur de l’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. Sa vie aventureuse l’a mené chez les Jésuites, dans l’armée, chez les Bénédictins. Ses héroïnes, Théophé de l’Histoire d’une Grecque moderne, et Manon sont des mortes que les narrateurs se remémorent à travers leur propre subjectivité. D’étranges obsessions hantent son univers romanesque « labyrinthes de la mémoire et du cœur ; tombeaux et cavernes où reposent les corps aimés, où remonte la nostalgie des origines ; fascinations incestueuses ; délires passionnels ; vertiges de l’identité ; désirs poignants d’une transparence fraternelle sur lesquels le monde s’acharne, et que dément la parole même, trop subjective, qui en rappelle le souvenir… [2]». Fondateurs de journaux, plusieurs fois exilé en Angleterre, il traduisit Richardson. L’abbé Prévost meurt subitement dans la forêt de Chantilly. Mais une légende le fait trépasser sous le coup du scalpel du chirurgien devant l’autopsier, alors qu’il n’était qu’évanoui.

Trois auteurs dans la tourmente révolutionnaire

Benjamin Constant, descendant de huguenots français réfugié en Suisse, est né à Lausanne en 1767. Il rencontre madame de Staël qui jouera un rôle déterminant dans sa vie et son œuvre. Installé en France en 1796, il est naturalisé et est fait membre par Bonaparte du Tribunat dont il est bientôt exclu. Il suit Madame de Staël dans son exil à Coppet et à travers l’Europe. Benjamin Constant écrira un pamphlet anti-bonapartiste et se ralliera toute l’opposition au régime impérial. Etrangement, aux Cents Jours, il se réconcilie avec Napoléon qui fait appel à lui pour rédiger l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire. A la Restauration, il deviendra l’orateur le plus brillant de l’opposition aux Bourbons. Il se posera en penseur du libéralisme, mais c’est son œuvre romanesque qui lui survivra, en particulier Adolphe, en partie autobiographique, racontant les amours d’un jeune homme tourmenté pour une femme plus âgée qui mourra de chagrin en le libérant d’une pénible liaison, dans le remord.

Pierre Choderlos de Laclos, né à Amiens en 1741, fait carrière dans l’armée et devient célèbre en 1782 avec ses Liaisons dangereuses. Secrétaire des commandements du duc d’Orléans en 1788, il exerce sur lui une profonde influence avec Madame de Genlis et Sillery, visant la couronne pour lui. On dit qu’il animait une société secrète composée de grands seigneurs se réunissant à Montrouge. Il est l’un des premiers inscrits au club des Jacobins. Brissot rédige sous sa dictée la pétition du Champ-de-Mars réclamant l’éviction de Louis XVI après sa fuite à Varennes. Laclos espère ainsi placer son maître sur le trône. Mais la fusillade qui en résulte ternit sa réputation, ce qui provoque une scission de son club. Elu par sa section à comme représentant à la Commune insurrectionnelle de Paris, il en est éliminé rapidement. Nommé chef d’état-major à l’armée des Pyrénées puis gouverneur des établissements français en Inde, il est arrêté avec d’autres orléanistes le 31 mars 1793. Ses accointances avec Robespierre semblent transparaître par le traitement qui lui est réservé. Alors que l’entourage du duc d’Orléans passe par la guillotine, il est juste assigné à résidence. De plus i ne sera libéré que plusieurs mois après la mort de Robespierre. Il sera enthousiaste à l’arrivée au pouvoir de Bonaparte qui, sur sa demande, le réintégrera avec le grade de général dans l’artillerie, malgré l’opposition du ministère. Dirigeant la réserve des armées du Rhin, d’Italie puis de Naples, il meurt de dysenterie à Tarente en 1803. « Acteur caché de la Révolution, Laclos est un bon exemple des relations souterraines unissant les milieux orléanistes et révolutionnaires jusque sous le Consulat. Les ahurissantes complaisances dont il a constamment bénéficié, même aux périodes les plus tragiques, permettent d’échafauder les hypothèses les plus folles ».

Louis Claude de Saint-Martin est né à Amboise en 1743, de petite noblesse. Il est admis dans l’ordre des Elus Cohen fondé par Martinès de Pasqually dont il deviendra le secrétaire après avoir quitter l’armée en 1771. Il se rend à Lyon auprès de Willermoz, le fondateur de la franc-maçonnerie rectifiée. Jean-Baptiste Willermoz, né à Lyon en 1730, d’une famille franc-comtoise. Entré dans la franc-maçonnerie vers 1750, il fonde la loge de la Parfaite Amitié en 1753 dont il devient le grand maître et qui est reconnue par la Grande Loge de France en 1756. Membre des Elus Cohen de Martinès de Pasqually, il est l’instigateur du convent de Lyon de 1778 qui est l’occasion de l’union de la Stricte Observance Templière de Von Hund et du Rite écossais réformé de Louis-Claude de Saint-Martin, sous le nom de Rite écossais rectifié.

Saint-Martin écrit Des erreurs et de la vérité qui lui vaudra son surnom de « philosophe inconnu ». Il prend connaissance de la philosophie de Jakob Böhme à Strasbourg, et produit son chef d’œuvre L’Homme de désir en 1790. Pour lui, comme pour Joseph de Maistre, la Révolution est un châtiment divin. Il meurt en 1803.

 


[1] « Grand dictionnaire encyclopédique Larousse », 1970

[2] Jean Goldzink, « XVIIIème siècle », Bordas, p. 137