Partie I - Généralités   Introduction   Structure du monde   

Pic de la Mirandole s’inspirant de cette hiérarchie, dit dans ses 900 conclusions ou propositions à disputer publiquement mais non admises de 1486, que les anges de la Hiérarchie céleste sont neuf et ont pour nom : Cherubim, Séraphim, Hasmaïm, Haiot, Aralim, Trasisim, Ophanim, Théphrasim et Isim.

Le moine franciscain Francesco Giorgi (1466 - 1540), ou Zorzi, de Venise développe cette corrélation. Pour lui, les anges sont proches et la kabbale les a rendus encore plus accessibles. Les liens entre hiérarchies angéliques et systèmes planétaires s'établissent selon des harmonies transmises par le Créateur et fondées sur les lois numériques. L'univers de Giorgi est construit comme un Temple parfaitement proportionné selon les lois de la Géométrie.

Au XVIIème siècle, le jésuite Athanase Kircher mit en relation, dans son Ars magna sciendi seu nova porta scientiarum publié à Amsterdam en 1669, le nonagone avec les 9 chœurs des anges et les 9 premières séfirot, sous la forme de ce qu’il appelle l’Ennead, superposition de 3 triangles représentant les triades qui constituent les chœurs et les séfirot. L’Ennead fait partie d’un vaste système de signes pour décrire l’univers tout entier comme « une texture d’analogies structurelles et de correspondances qui obéit aux lois de la logique et de l’harmonie [1]». Kircher partait du système combinatoire de Raymond Lulle qui accordait à Dieu neuf qualités et neuf attributs relatifs représentés dans des roues concentriques qui permettait de créer des combinaisons d’associations. Il semble que Lulle fût influencé par les écrits encyclopédiques attribués à la secte shiite des Frères de la Pureté (Ihwan al-Safâ) de Basra (Bassora), fondée au Xème siècle. Les Frères professaient que les mondes et les choses manifestées se structurent autour du nombre neuf. Leur cosmologie inspirée du pythagorisme qu’ils revendiquaient comme la sagesse de Platon, de Socrate et de Zarathoustra au même titre que celle de Mahomet, établissait une hiérarchie dans le cosmos composée de : 1. Le Créateur ; 2. L’Intellect ; 3. L’Âme ; 4. La matière ; 5. La nature ; 6. Le corps ; 7. La sphère ; 8. Les quatre éléments et 9. Le monde d’ici-bas (minéral, végétal et animal). Ils étaient favorables à une interprétation spiritualisée du Coran : « La résurrection par exemple doit être comprise comme étant celle de l’âme et non pas celle du corps ; à son tour la résurrection de l’âme n’est autre chose que sa séparation définitive d’avec le corps. Croire au châtiment en enfer est irrationnel, donc n’est pas digne du sage… Le jour de la Grande Résurrection, ou jour dernier, n’est autre chose que la séparation de l’Âme universelle de ce monde et son retour à Dieu. Le retour à Dieu est la fin de toute créature [2]».  On retrouve d’ailleurs cette conception spiritualisée commune à des penseurs plus tardifs comme Ghâzâli et Avicenne dans le Livre du Gentil et des Trois Sages (1271-1275) de Raymond Lulle, qui traduisit Ghâzâli, et qui fait parler, dans une dispute entre un chrétien, un juif et un musulman interrogés par un gentil sur ce qu’il faut croire, le musulman ainsi : « Mais d’autres parmi nous comprennent la gloire dans le sens moral et l’expliquent spirituellement : ils disent que Mahomet parlait en images aux gens ineptes et incapables de comprendre et qu’il leur racontait la gloire susdite, afin de pouvoir leur faire aimer Dieu. Ceux qui partagent cette foi disent qu’il n’y aura pas dans le paradis la gloire de manger et boire, de coucher avec les femmes, ni celle des autres choses que je t’ai dites. Mais ce sont les philosophes naturels qui disent cela ; et ces hommes n’observent pas à beaucoup d’égards les commandements de notre loi, de sorte que nous les considérons presque comme des hérétiques [3]».

En plus des sphères de la terre et de l’air qui constituent le bas-monde, il y a 9 sphères célestes, les sphères des 7 planètes, celle des étoiles fixes et la sphère extérieure.

« Le corps de l’homme résume pour eux l’univers en tant que tout. Aux neuf Sphères qui constituent le monde correspondent les neuf substances organiques formant le corps humain : l’os, la moelle, la chair, les veines, le sang, les nerfs, la peau, les cheveux et les ongles ; et celles-ci sont arrangées comme les neuf Sphères concentriques. [4]» Le cosmos est comparé au Grand Homme grec et indien qui deviendra l’Adam Kadmon kabbaliste. Le 9 se retrouve dans leur métaphysique de l’être inspirée d’Aristote qui compte 9 sortes d’accidents ou attributs qui s’ajoutent à l’essence de l’être. Cette métaphysique aristotélicienne sera reprise par le pseudo-Augustin dans ses Categoriae decem (Dix catégories, une de la substance et 9 de l’accident) et s’oppose à celle de Boèce issue de sources grecques tardives notant trois catégories substantielles (substance, quantité, qualité) et sept accidentelles.

Pour E. O. von Lippmann, leurs écrits comptent parmi les plus importants de l’histoire de la chimie et étaient répandus en Espagne vers l’an 1000. En effet le mathématicien Maslama de Madrid apporta d’Orient l’Encyclopédie à Cordoue vers 1004. En 1065, après avoir fait de même, le médecin al-Karmani s’installe à Saragosse qui ne sera prise par Alphonse Ier d’Aragon qu’en 1118. La secte aurait eu pour descendance les derviches Naqshbandi d’Ouzbékistan dont une figure chorégraphique, par l’intermédiaire de J.G. Bennett, inspira Gurdjieff pour son ennéagramme[5].

Raymond Lulle (Ramon Llull en catalan) est l’auteur de l’Ars magna dont il eut l’inspiration sur la montagne de Randa dans son île natale de Majorque, vers 1274, et qui est marqué par le nombre 9. « L’élaboration du Grand art, qui n’occupe qu’une place relativement restreinte dans l’immense production de Lulle, s’étend sur une trentaine d’années, depuis l’Art abreujada d’atrobar veritat et l’Art demostrativa jusqu’à la forme définitive qu’il prendra dans l’Ars magna, generalis et ultima de 1308. » L’Ars magna est divisé en treize parties dont l’alphabet qui « comprend neuf lettres B, C, D etc., chacune admettant six significations différentes selon qu’elle représente un principe absolu, un principe relatif, une question, un sujet, une vertu ou un vice […] B = Bonté, différence, ultrum, Dieu, justice, avarice », etc. A l’aide de cet alphabet sont construites quatre figures [16 à l’origine avant simplification]. La première est de forme circulaire, le pourtour du cercle étant divisé en neuf chambres égales où viennent se loger les neuf lettres de l’alphabet ; au-dessous du substantif énonçant l’une des significations de la lettre est inscrit l’adjectif correspondant, par exemple : Bonitas, bonus ; Magnitudo, magnus. Une droite relie chaque chambre à chacune des huit autres, indiquant ainsi les divers prédicats qu’on peut envisager pour chaque terme, par exemple la bonté est grande, ou Dieu est grand, ou bien inversement la grandeur est bonne, ou la grandeur est divine. La deuxième figure, composée de trois triangles de couleurs différentes, a pour rôle de permettre de faire un choix parmi les multiples combinaisons qu’admet la première, en se fondant soit sur la différence, la concordance et la contradiction (premier triangle), soit sur le principe, le moyen et la fin (deuxième), soit sur la supériorité, l’égalité et l’infériorité (troisième). La troisième figure compte trente-six cases disposées sous la forme d’un escalier renversé ; elle combine les deux précédentes et a pour office de procurer le moyen terme. Enfin la quatrième figure, celle qu’on a surtout remarquée, est une sorte de machine élémentaire, composée de trois cercles concentriques de diamètres inégaux, dont le moyen terme tourne sur le grand et le petit sur le moyen : chacun comportant les neuf chambres où se logent les neuf lettres de l’alphabet, on obtient ainsi toutes les combinaisons possibles [6]».

Le De arte combinatoria de Leibniz présente une analogie certaine avec l’œuvre de Raymond Lulle, présentant à sa tête une figure inspirée de l’Ars magna. Cela n’empêcha pas Leibniz de porter un jugement sévère sur son prédécesseur dont le choix du nombre 9 ans chaque classe et de la division en 6 classes est considéré comme arbitraire : « Toute sa méthode vise plutôt à un art de disserter de façon improvisée, qu’à l’acquisition d’une connaissance pleine et entière du sujet ».

On trouve chez Lulle, « du moins en germe et si maladroitement qu’il ait su en tirer parti, deux idées qui domineront, chez Leibniz d’abord puis chez nos contemporains, les travaux de logique, à savoir celle d’une caractéristique et celle d’un calcul. Il a fait un usage systématique du symbolisme visuel : lettres, figures géométriques, couleurs, schémas comme celui de l’arbre, etc… Et il veut, à l’aide de ce symbolisme, permettre de substituer aux opérations intellectuelles souvent incertaines la sécurité d’opérations quasi mécaniques proposées une fois pour toutes. Il nous offre ainsi, de façon paradoxale, l’exemple d’un art qui se veut, comme notre logique actuelle, à la fois symbolique et réduit à des manipulations extérieures sur des symboles, sans être pour autant, comme lui, formaliste, ni même simplement formel [7]». Leibniz appelait caractéristique universelle un ensemble de signes applicables aux grandeurs les plus générales et à toute espèce de choses. Pour trouver une telle langue analogue aux mathématiques, il fallait découvrir les idées simples à partir desquelles les autres sont formées puis déterminer les combinaisons possibles de ces idées et enfin les exprimer par des signes d’une valeur absolue. Une caractéristique peut être étudiée par un système de lois, un calcul, sous son aspect purement formel sans faire référence à ses usages ou à la signification des ses expressions.

Le neuf se retrouve jusque dans la mystique de saint Bernard de Clairvaux. Dieu ayant fait selon la Bible l’homme à son image et à sa ressemblance, le péché originel dissocie image et ressemblance, ne laissant à l’homme que l’image située dans son intelligence et la dissemblance. La ressemblance peut être restaurée partiellement ici-bas et totalement au paradis. L’homme possède dans l’image la liberté de l’arbitre et dans la ressemblance les vertus. Ces deux notions sont reliées aux trois séries de libertés que saint Bernard reconnaît.

Une première série composée de la liberté de nécessité, libre arbitre proprement dit, la liberté du péché (qui soustrait au péché) et la liberté de misère (qui soustrait à la souffrance morale et physique) ; une deuxième série, qui constitue les causes du libre arbitre et les situations de son exercice, composée de la liberté de la grâce, de la liberté de nature et la liberté de gloire ; enfin une troisième série qui fait une « description psychologique de la liberté dans ses éléments composants et dans leur jeu selon les états de l’homme dans la grâce ou dans le péché [8]» composée de la liberté de l’arbitre, discriminant bien et mal, la liberté du conseil et la liberté de complaire.

Ces neufs modalités de la liberté peuvent se regrouper par trois selon l’image inamissible (libertés de nécessité, de nature et de l’arbitre), la ressemblance ici-bas (libertés de péché, de la grâce et du conseil) et la ressemblance parfaite au ciel (libertés de misère, de la gloire et du complaire).

Dans une autre religion, qui se veut la dernière révélation après l’Islam qui, à ce titre, ne la reconnaît pas et l’a persécuté, l’étoile à 9 branches est le symbole du prophète de la foi baha’ie Baha'u'llah (La gloire de Dieu) de son vrai nom Mirza Husayn-Ali (1817 – 1892) venu à la suite du précurseur et martyr Mirza Ali-Muhammad dit le Bab (1819 – 1850). Le baha’isme est encore persécuté en Iran, pays d’où sont originaires les fondateurs, particulièrement depuis la Révolution.

Puisque nous sommes dans le domaine religieux, je citerai pour faire bonne mesure les monastères zen de Thénac et de Loubès-Bernac tout deux sur les tracés, ainsi que le temple de la Gendronnière d'obédience Zen soto, fondé à Valaire par Maître Taisen Deshimaru en 1979. Nous n'aurons pas l'occasion d'en reparler.

 


[1] Alexander Roob, « Alchimie et Mystique », Taschen, p. 288

[2] « Histoire de la philosophie », tome I – La philosophie médiévale, sous la direction de François Chatelet, Hachette, p. 133

[3] Dominique de Courcelles, « La parole risquée de Raymond Lulle », Vrin, p. 161

[4] Majid Fakhry, « Histoire de la philosophie islamique », cerf, p. 197

[5] Alexander Roob, « Alchimie et Mystique », Taschen, p. 658

[6] Robert Blanché et Jacques Dubucs, « La logique et son histoire », Armand Colin, pp. 166-167

[7] Ibid. p. 167

[8] Marie-Madeleine Davy, « Bernard de Clairvaux », Editions du Félin, p. 117