Partie XIV - Le Serpent rouge   Le voyage de l’âme   Plutarque et saint Jean   
SERPENT ROUGE AME PLUTARQUE SAINT JEAN APOCALYPSE

De sera numinis vindicta de Plutarque et Apocalypse de saint jean

En Grèce même, on constate qu'Apollon est toujours le successeur de Thémis. Ses oracles, ignorant les châtiments d'outre-tombe, exigent que justice soit faite ici-bas, soit à l'individu, soit à sa famille, soit à sa cité et cela même à des siècles d'intervalle. Or la plupart des exemples de réversibilité cités ici par Plutarque se déroulent dans une ambiance delphique. La position de notre philosophe est en tous cas en retrait par rapport à Aristote, pour qui l'innéité de la faute, bien loin d'entraîner condamnation, est une excuse légale au même titre que la maladie. Mais si la notion de circonstance atténuante est étrangère à Plutarque, il se soucie du moins de justifier la solidarité familiale par l'atavisme physiologique. Sans doute on peut admettre que, si la volonté mauvaise est effet de nécessité chez l'héritier sanglant, elle n'en est pas moins consciente : c'est évident chez Étéocle et Oreste. Mais, dans une optique religieuse, l'innocent tombe également sous le coup de ces représailles différées auxquelles les dieux ne renoncent jamais.

C'est que Plutarque, par largeur d'esprit, par tolérance, par attachement surtout aux croyances anciennes, ne veut pas sentir la contradiction. [Dans Sur les délais de la justice divine] où, dans l'Hadès, les âmes des descendants brimés s'acharnent comme une troupe de chauves-souris sur l'ancêtre responsable, est tout à fait caractéristique. Cependant, tandis que, chez les tragiques, chaque faute trouvait son châtiment terrestre, et que "dans la chaîne des idées et des images l'au-delà n'était pas un anneau indispensable" (Robert Flacelière, Œuvres morales de PLutarque, 1ère partie, Traités de morale (27-36), 1974 - books.google.fr).

Soles, Soli (en latin Soli ; en grec : Soloi), puis Pompéiopolis, aujourd'hui Mezitli, en Turquie, - turquie-culture.fr

Plutarque parle d’un mauvais fripon nommé Thespesius, de Soli en Cilicie et ami de Protogène, qui se cassa le cou, et mourut : mais après trois jours, comme on allait faire ses funérailles, il éternua, demanda à boire, raconta qu’il venait de faire un petit voyage dans l’autre monde, et vécut depuis en honnête homme, converti qu’il était par la peur de l’enfer (Collin de Plancy, Histoire des Vampires, 1820 - fr.wikisource.org).

Car lorsque l'âme de l'un de ces descendans arrive là, elle s'attache toute courroucée à celle qui l'a rendue malheureuse; elle pousse des cris de reproche et lui montre la trace des tourmens endurés pour elle. Alors la première voudrait s'enfuir et se cacher; mais en vain : car les bourreaux se mettent à sa poursuite et la ramènent au supplice. Alors la malheureuse jette des cris désespérés, prévoyant assez tout ce qu'elle va souffrir. Thespésius ajoutoit qu'il avoit vu une foule de ces âmes groupées, à la manière des abeilles ou des chauves-souris, avec celles de leurs enfans, qui ne les abandonnoient plus et ne cessoient de murmurer des paroles de douleur et de colère, au souvenir de tout ce qu'elles avoient souffert pour les crimes de leurs pères (Oeuvres du comte J. de Maistre, Traduction de Sur les délais de la justice divine de Plutarque, 1841 - books.google.fr).

Lorsque notre visiteur de l'autre monde grec parle des lieux qui constituent l'enfer, son vocabulaire fait penser à l'Apocalypse. « Je vis un lac d'or en fusion », dit Thespesios, contemporain de Plutarque. « Je vis un lac de feu et de soufre », dit saint Jean, lui aussi contemporain de Plutarque. « L'âme de Néron fut plongée plusieurs fois dans les lacs d'or, de plomb et de fer», dit Thespesios. « La bête et le faux prophète furent jetés vivants dans le lac de feu et de soufre», dit saint Jean, qui nomme toujours Néron: la Bête (Jean Prieur, L'aura et le corps immortel, 2009 - books.google.fr).

Que l'auteur de l'Apocalypse soit saint Jean, cela est sujet à caution. On voit que la fin des Actes des Apôtres était pompée sur l'Enéide (La Croix d’Huriel et pierres noires : Le Sceau de Palaja et les 7 diacres).

Ce n'est qu'au XIXème siècle que le calcul du nombre de la Bête 666 fut établi à partir des lettres hébreues de Néron César.

Au siècle dernier, le pieux Bengel, théologien allemand, en fit un des termes de l'équation algébrique dont la solution indiquait le 18 juin 1836 comme le premier jour de la fin du monde. Parmi les noms d'hommes proposés, nous citerons Genséric, un pape du nom de Benoît (probablement Benoît IX), Dioclétien, etc. Ce dernier nom fut adopté par Bossuet, qui écrivait DIoCLES AVgVsTVs, comme on fait dans les inscriptions lapidaires dont on veut ainsi fixer la date. Malheureusement il se trouva que, moyennant la même manière de compter, on pouvait lire le nom sacré de Louis, LVDoVICVs, dans le chiffre de la bête. En fait d'interprétations plus sérieuses, ce furent Piscator et Jurien qui les premiers conseillèrent de chercher le mot de l'énigme en hébreu. Leur explication à eux-mêmes ne valait rien et fut oubliée. Il fallut attendre l'émancipation de la critique à la fin du siècle dernier. On s'aperçut alors de l'importance extrême des idées millénaires dans l'église primitive. Un peu de rationalisme aidant, on se persuada que les apocalypses ne décrivaient jamais avec quelque précision que les faits et les hommes de leur temps et qu'aucune ne prévoit un long avenir. Le soupçon se forma que l'Antechrist de l'Apocalypse pourrait bien n'être que l'empereur Néron. Corrodi, théologien zurichois, dans son Histoire du Chiliasme (1781), Eichhorn, Bleek, Lucke, dans leurs travaux bibliques, fortifièrent toujours plus cette présomption. En 1828, M. Ewald croyait déjà pouvoir lire le nom de César dans le chiffre 666; mais son calcul était arbitraire. Enfin vers l'an 1836, il se trouva que quatre théologiens protestans avaient découvert la vraie solution à peu près en même temps et indépendamment l'un de l'autre. Ils avaient été à la fois frappés d'une même évidence à laquelle un peu de logique et l'érudition acquise devaient infailliblement conduire. C'étaient MM. Fritzsche à Rostock, Hitzig à Zurich, Benary à Berlin et Reuss à Strasbourg. Il s'ensuivit même une controverse assez âpre entre MM. Hitzig et Benary, le premier reprochant à l'autre de lui avoir « soufflé » son explication pour s'en parer devant le public de Berlin. Le fait, dûment attesté, que les deux autres savans étaient, chacun de son côté, arrivés au même résultat, mit un terme à la dispute, et depuis lors, sauf chez les partisans du point de vue traditionnel et chez quelques vieux théologiens, libéraux d'ailleurs, mais qui éprouvèrent jusqu'à la fin une certaine mauvaise humeur contre cette brillante découverte de la jeune critique, on peut dire qu'en Suisse, en Hollande, en Allemagne, dans les cercles qui s'adonnent à la théologie scientifique, le problème est considéré comme résolu. Rien en effet de plus simple. Il suffit de se rappeler qu'en hébreu les voyelles brèves ne figurent pas dans le corps des mots et d'additionner les lettres hébraïques formant les deux mots Késar Nèrôn. Cela donne : K 100 + s 60 + R 200 + N 50 + R 200 + ô 6 + N 50 = 666. La seule objection contre ce calcul, tirée de ce que la voyelle é dans Késar devrait être rendue par un ê long en hébreu, a été amplement réfutée par des exemples contraires tirés de la littérature rabbinique et du syriaque. Il y a plus : un détail, au premier abord insignifiant, des écrits d'Irénée a confirmé mathématiquement l'exactitude de cette solution. Cet évêque nous dit quelque part que certains manuscrits de son temps, il ne sait pourquoi, ont adopté le chiffre 616 au lieu de 666. Cela pourtant n'avait rien d'étonnant. Parmi les copistes du livre, il y en avait qui savaient encore parfaitement de qui le chiffre apocalyptique voulait parler, et parmi ceux-ci il devait y en avoir de Latins ou préférant la prononciation latine à la grecque, c'est-à-dire qu'ils n'écrivaient pas Néron comme les Grecs, mais Nero comme les Romains. Il y avait donc un N ou 50 à retrancher, ce qui faisait précisément 616 (Albert Réville, La littérature apocalyptique, Revue des deux mondes, Tome 47, 1863 - books.google.fr).

Plutarque aurait été bien en avance sur son temps pour avoir associé 666 à Néron. Bien mieux, c'est le codage numérique à postériori du texte de Plutarque qui aurait donné le nombre de la Bête. A moins que tout cela ne soit qu'une simple coïncidence.

We see, then, that there appears to have existed a moralizing account of Nero's death that included a number of fictional elements, that presented Nero as in a sort of transitional state between the world of the living and the world of the dead and that originated between the time of Nero's death in 68 and the time at which Suetonius composed his Life of the emperor, probably under Hadrian. There is yet another reason we should feel encouraged to believe in the existence of such an account. During this same period Plutarch published his essay, De sera numinis vindicta which concludes (563b ff.) with an eschatological myth that is patently modeled upon Plato's myth of Er. Just as Plato's Er (Rep. 614b) dies and comes back to life, recounting his vision of the afterlife, so Plutarch's Aridaeus reports what he saw after dying and coming back to life {De sera num. vind. 563d). Among Plutarch's startling innovations is that his visitor to the underworld sees the shade of Nero. Indeed, Nero is the only named person whose soul Aridaeus sees.

C. P. Jones, dans Towards a Chronology of Plutarch's Works, place la rédaction de De Sera entre 81 et 107 après J.-C (David Sansone, Nero's Final Hours, Illinois classical studies, Volume XVIII, p. 185).

Parfois le Quietus de la dédicace est identifié à son fils, portant le même nom, qui se rendit à Delphes où il fréquenta Plutarque, qui avait quitté Rome avant la mort de Domitien en 96.

Parallèlement à son activité politique, qui s’étendit sur plus d’un demi-siècle, Plutarque a entretenu des liens très étroits avec les plus hautes sphères du pouvoir à Rome et en Grèce. Nous avons déjà vu que Plutarque fit peut-être partie d’ambassades envoyées à Vespasien et à Domitien. À ses débuts à Rome, il fut admis dans l’entourage de P. Mestrius Florus, consul sous Vespasien et proconsul d’Asie sous Domitien, avec lequel il resta lié toute sa vie et auquel il doit d’avoir reçu la citoyenneté romaine. Il devint aussi rapidement un intime des Avidii, illustre famille romaine dont les membres ont occupé les plus hautes fonctions politiques (etudesanciennes.revues.org - Thomas Schmidt, Plutarque, les Préceptes politiques et le récit des Guerres médiques, 2009).

Titus Avidius Quietus, est légat en Thrace en 82, consul suffect en 93 et gouverneur de Bretagne entre 97 et 100. Il meurt en 107. Plutarque fait aussi partie de ses proches, lui faisant plusieurs fois référence, et a consacré, à son frère et lui, une de ses œuvres de morale, De l'amitié fraternelle : « Ainsi je veux moi-même, mon cher Nigrinus et mon cher Quietus, vous offrir cet écrit composé sur l'amitié fraternelle. le frère, Caius Avidius Nigrinus, est proconsul d'Achaïe sous Domitien, peut-être en 95 (fr.wikipedia.org - Titus Avidius Quietus).

Dès l'année 67, Plutarque entra en contact direct avec le détenteur du pouvoir impérial : lorsque Néron participa aux Jeux Pythiques, à Delphes, et, surtout, le 28 novembre, quand ce même empereur, durant les Jeux Isthmiques, l'Achaïe ; Plutarque y était presque certainement présent (J.-P. Martin, Plutarque, Pallas, 1986 - books.google.fr).

Datation de l'Apocalypse de saint Jean

Un consensus important adopte la datation qui était celle des Pères de l'Église du IIe au IVe siècle, l'époque de Domitien (81-96). L'état des églises et de l'empire en Asie mineure reflété par le texte correspond à cette période. Ce consensus reste attaquable, puisque les chrétiens ne connurent pas de persécution sanglante sous Domitien (Olivette Genest, Le discours du Nouveau Testament sur la mort de Jésus: Épîtres et Apocalypse, 1995 - books.google.fr).

Si le texte de l'Apopcalypse est cohérent avec la période domitienne, cela ne signifie pas forcément qu'elle ait été écrite à cette période. De nombreux textes bibliques sont en effet antidatés.

Le fait que le Livre de Daniel soit une œuvre épigraphique et antidatée colore la lecture. La pseudonymie du Livre se détache sur l'arrière-fond de trois convictions: en Israël l'identité des auteurs présumés n'a pas d'importance puisque tout enseignement véritable trouve en Moïse son unité : les apocalypticiens appartiennent à une lignée distincte qui constitue une personnalité corporative : l'auteur présumé écrit en un temps où l'on est persuadé de l'extinction de l'esprit prophétique. L'exégèse historico-critique nous convie alors à une lecture « stéréoscopique » : l'auteur réel historique - en l'occurence un écrivain de l'époque d'Antiochus IV Epiphane - se dissimule derrière un auteur fictif du passé - un héros archaïque exilé à Babylone (François-Xavier Amherdt, L'herméneutique philosophique de Paul Ricœur et son importance pour l'exégèse biblique, en débat avec la New Yale Theology School, 2004 - books.google.fr).

Daniel a un modèle, un Danel ougarithique.

Michaëlis, parlant de Papias, s'exprime en ces termes (Introd. au N.-T., vol. iv, p. 813) : « Si Papias, millénaire obstiné, n'a jamais cité l'Apocalypse, son authenticité tombe; car il était peu éloigné de Laodicée, une des sept Eglises, et l'Apocalypse ne pouvait lui demeurer inconnue, et il se serait appuyé sur elle pour sanctionner ses idées millénaires. Mais il n'est pas sûr qu'il ne l'ait jamais citée, quoiqu'on en tire naturellement cette conclusion en lisant Eusèbe. » (Emilien Vieu, L'authenticité de l'Apocalypse, 1846 - books.google.fr).

Une première mention de Papias figure dans la préface du commentaire de l'Apocalypse composé, sans doute au VIe siècle, par André, évêque de Césarée, qui "déclare qu'il est superflu de s'arrêter longtemps sur l'inspiration divine de l'Apocalypse, car « les bienheureux Grégoire le Théologien et Cyrille et en outre, à une époque plus ancienne, Papias, Irénée, Méthode et Hippolyte ajoutent leur témoignage au sujet de sa fiabilité ». Ce passage atteste tout au plus que Papias s'est référé à l'Apocalypse, et encore, cela n'est même pas sûr, car André pourrait faire allusion au fragment que nous allons étudier et qui ne concernait sans doute pas l'Apocalypse" (Enrico Norelli, Papias de Hiérapolis, Le canon du Nouveau Testament: regards nouveaux sur l'histoire de sa formation, 2005 - books.google.fr).

Il y a ici deux fausses citations :

Papias n'avoit point parlé de l'Apocalypse , & ce qui a trompé St. André, c'est qu'à la vérité Papias étoit Millenaire : mais c'étoit dans une tradition non écrite & nullement dans l'Apocalypse, qu'il avoit puise ion règne de mille ans, que St. Jérôme appelle une fable Judaïque.

Il est si faux que Grégoire le théologien ou de Nazianze ait jamais appelle l'Apocalypse un livre divin, qu'au contraire il l'exclud formellement du Canon de l'Ecriture: voyez donc, je vous prie, à quoi tenoit la croyance de St. André ; car si par malheur il eut lu les anciens avec plus de soin, une semence d'incrédulité se seroit élevée dans son cœur: il est inutile, auroit-il dit, de s'arrêter à l'autorité de ce livre ; car il est certain que nos pères, Grégoire le théologien , Cyrille de Jérusalem, & avant eux, Eusèbe, Caïus & plusieurs autres disent, en plus d'un endroit, que c'est un livre Apocryphe & contesté. (Firmin Abauzit, Réflexions impartiales sur les évangiles, suivis d'un essai sur l'apocalypse, 1773 - books.google.fr).

Justin, qui écrivoit vers l'an 170 [? en fait 140] de l'Ere Chrétienne, est le premier des auteurs Chrétiens, qui ait parlé de l'Apocalypse ; et il l'attribue à Jean l'un des douze Apôtres. C'est dans son dialogue avec le Juif Tryphon, qu'il en parle; et c'est le seul endroit de ses ouvrages, où il en soit fait mention. Mais ce Justin n'étoit pas un excellent critique, non plus que tous les autres Pères. C'est lui qui prétend, dans le même dialogue, que lorsque Jésus-Christ descendit dans le Jourdain, le feu s'y alluma. Il avoit beaucoup de foi à la Sibylle de Cumes, dont il prétendit avoir trouvé le sépulchre. Il la croyoit très fort inspirée de Dieu, et il exhorte les Grecs à croire à ses prédictions (Charles-François Dupuis, Origine de tous les cultes ou Religion universelle par Dupuis, citoyen françois, 1794 - books.google.fr).