Partie XVIII - La Chouette d’Or   Hypothèse espagnole   Per angusta ad augusta   
LA CHOUETTE D'OR AUTRES HYPOTHESES PER ANGUSTA AD AUGUSTA

Per angusta ad augusta

Victor Hugo n'a pas inventé la formule, il a juste inversé ses deux membres (Bonaventure Dernoye, Medulla S. Evangelii per Christum dictata S. Francisco in sua seraphica regula, 1657 - www.google.fr/books/edition).

Elle apparaît dans l'héraldique en Allemagne (mentionné en 1615) (J. Siebmacher's grosses und allgemeines wappenbuch: in verbindung mit mehreren, neu herausgegeben und mit historischen, genealogischen und heraldischen notizen, Volume 5, Partie 3, 1888 - www.google.fr/books/edition, Peter Mortzfeld, Paul Raabe, Herzog August Bibliothek, Register 7-14, 2011 - www.google.fr/books/edition).

Portrait du médecin de Dresde Johann August Oehme (1693-1754) - wellcomecollection.org

Y

On retiendra surtout le poème "Y" de Tobias Gutberleth adressé à Simon Gabbema (Tobias Gutberleth, Poëmata pleraque posthuma, Tome 1, 1667 - www.google.fr/books/edition).

GUTBERLETH (Tobias), (de oude) werd in 1609 geboren te Hessen-Cassel, moest, nadat zijne ouders door de Kroaten vermoord waren, uit zijn vaderland vlugten en vond bescherming bij zijnen, boven genoemden, oom te Deventer, die hem in de letteren opleidde. Zijn studiën volbragt hij te Leiden en Groningen en werd, nadat hij het jaar 1625 te Bremen had doorgebragt, in 1627 Conrector te Dokkum en twee jaren later Rector, als opvolger van Hen. Ub. Schoning (in 1618 de uitgever van v. Munster's Spookenboek). Vervolgens werd hij Conrector te Leeuwarden, in welke etrekking hij curatoren zoo goed voldeed, dat hij zijn traktement in 1643 met f 100.- verhoogd zag en in 1652 opvolger van Colde werd als Rector. Volgens getuigenis van een leerling als Camp. Vitringa heeft de school onder zijne leiding bijzonder gebloeid. Hij stierf in 1662 en liet vele latijnsche verzen na, welke zijn zoon Werner in 1667 uitgaf onder de titel van T.G. Poëmata pleraque posthuma, met eene opdragt aan aanzienlijke vrienden, welke een levensschets bevat. Behalve deze had hij bij zijne gade Anna Sprong nog een zoon, Bronger. Beide hebben ook in de letterkundige wereld naam gemaakt. Een merkwaardig Album van Tob. Gutberleth, van 1624 tot 1655, voorzien van ruim 60 inschriften van geleerden, waaronder uitstekende personen, bezit Jhr. F.A. Ridder van Rappard te 's Hage, die het beschreef in zijn Overzigt eener verzameling van Alba Amicorum, in de Werken der Maats. van Letterkunde te Leiden (Biographisch woordenboek der Nederlanden. Deel 7, 1862 - www.dbnl.org).

Simon Gabbema (né Simon Abbes Gabbema à Leeuwarden en octobre 1628 et mort en juin 1688) est un professeur d’histoire et de lettres frison du XVIIe siècle, ami du poète Gysbert Japicx et, comme lui, promoteur de la langue frisonne occidentale (fr.wikipedia.org - Simon Gabbema).

Per angusta ad augusta. Vous vous rappelez le quatrième acte de Hernani, l'acte du Tombeau ? Les conjurés se groupent, en s'abordant avec un mot d'ordre : Ad augusta, per angusta. Or, sur la couverture d'un Lucain, relié en parchemin, avec des ornements dorés, se trouvent des armes où deux lions supportent un écusson, au-dessous duquel est un Y, entouré de cette devise : Per angusta ad augusta. Le titre du livre est celui-ci : M. ANNEI LUCANI PHARSALIA, cum commentario Petri Burmanni (vignette de J. D. Groot). Et plus bas : Leidæ, Apud Conradum Wishoff, Danielem Gotval et Georg. Jacob Wishoff, fil. Conrad. MDCCXL. De qui peuvent être ces armes? E. R. (L'INTERMEDIAIRE, 25 mars 1874 - www.google.fr/books/edition).

Per angusta ad augusta (VII, 149). Avant d'être une devise, ce concetto latin a été le titre (ou plutôt le sous-titre) d'un livre, car le titre complet - et c'est là justement ce qui motive la présente réponse est ainsi conçu : Y. PER ANGUSTA AD AUGUSTA. Pour arriver à la conclusion que j'ai en vue, et qui donnera, je l'espère satisfaction à M. E. R., quelques explications sont ici indispensables. Elles ne seront pas exemptes d'une certaine dose de pédantisme; mais le moyen d'éviter ce gros péché en pareille matière ? Tous les lecteurs de l'Intermédiaire connaissent l'agréable fiction inventée par Hésiode, amplifiée par Prodicus de Cos, et ornée par Xénophon de toutes les grâces de la Muse attique. On y voit Hercule, aux premiers jours de l'adolescence, sollicité par deux déesses, la Volupté et la Vertu, qui s'efforcent de l'attirer chacune dans sa voie. Après quelques moments d'hésitation, le héros se décide, et, s'arrachant des bras de la Volupté, s'élance, tête baissée, dans le sentier de la Vertu. Pythagore, qui symbolisait beaucoup et qui ne parlait guère, avait imaginé de représenter les deux chemins, à la bifurcation desquels s'était arrêté le jeune Hercule, par la lettre Y; la branche gauche, large et d'accès facile, figurait la grande route du Vice; la branche droite, raide et étroite, figurait le sentier de la Vertu. Cette devinette eut un immense sucès, et les poëtes ne désignèrent plus l'Y que sous le nom de lettre de Pythagore, où lettre samienne (Pythagore était de Samos), comme on le voit par les citations suivantes :

Littera Pythagoræ discremine secta bicorni, Humanæ vitæ speciem præferre videtur. (VIRG. Epigr. de litt. Y.)

Et tibi quæ Samios deduxit littera ramos Surgentem dextro monstravit limite callem. (PERS. Sat. III, v. 56-57.)

La vocation d'Hercule fournissait une thèse attrayante à tous les faiseurs d'amplifications de collége. Elle fut souvent traitée en vers et en prose. Finalement, un érudit hollandais de la fin du XVIIe siècle, Tobie Gutberleth, qui s'était déjà fait connaître par des dissertations savantes sur les Dieux Cabires et sur les Prêtres Saliens, s'en empara et en fit le sujet d'un petit poëme latin auquel il adapta le titre que nous avons cité en tête de cette réponse. Ce poëme, d'un style un peu précieux, mais, au demeurant, d'une latinité excellente, parut pour la première fois, sauf erreur, dans un recueil du même auteur, intitulé Opuscula (Francker, 1674, in-8°). Il fut édíté à nouveau, en compagnie du Centon nuptial et du Cupidon crucifié d'Ausone, à la suite du Satyricon de Petrone, annoté par Bourdelot (Paris, Claude Audinet, 1677, in-12).

Mais Tobie Gutberleth n'était pas seulement un savant de cabinet; il remplit pendant plusieurs années les fonctions d'administrateur de la Bibliothèque publique de Francker. Partant de là, serait-il téméraire de supposer que, conformément à un usage établi chez la plupart des savants de son siècle, il avait adopté une devise, et qu'il avait choisi à cette intention le titre même de l'ouvrage qui lui avait valu son plus beau succès ? Et n'aurait-il pas fait frapper cette devise, surmontée du fameux Y de Pythagore (car il ne faut pas perdre de vue la présence caractéristique de cet Y) sur les plats de ses livres, peutêtre même sur ceux des livres de la Bibliothèque publique confiée à sa garde ?

Si notre conjecture est vraie, - elle n'est pas du moins invraisemblable, — M. E. R. saurait désormais à quoi s'en tenir sur l'origine de l'écusson purlivresque, comme dit Montaigne, où il a cru, à tort, voir des armes héraldiques.

Pour finir, nous ne craindrons pas d'insinuer que c'est probablement sur un volume provenant de la même collection, que Victor Hugo, grand dénicheur de bouquins, comme chacun sait, aura vu pour la première fois la devise qui nous occupe, et que, dans sa passion bien connue pour le calembourg par à peu près, il s'en sera avidement saisi pour en faire le mot de passe de Hernani et de ses complices. Ce jeu de mots ne vaut-il pas bien ceux-ci, que le grand poëte a rendus populaires : SURDUS ABSURDUS (Notre-Dame de Paris), NIX ET NOX (l'Homme qui rit), VIS ET VIR (Quatre-vingt-treize) ? Joc'H D'Indret (L'INTERMEDIAIRE, 10 avril 1874 - www.google.fr/books/edition).

François Pétrarque, dans son Epître à Denis Robert de Borgo San Sepolcro "ordinis sancti Augustini et sacrae paginae professorem, de curis propriis" - De Ascensu montis Ventosi (Familiarium rerum, liber IV, ep. 1) relate son expérience du Y pythagoricien lors de l'ascension du Mont Ventoux qu'il effectua le 26 avril 1336 : "Là, sautant par une pensée rapide des choses matérielles aux choses immatérielles, je m'apostrophais moi-même en ces termes ou à peu près : Ce que tu as éprouvé tant de fois dans l'ascension de cette montagne, sache que cela arrive à toi et à beaucoup de ceux qui marchent vers la vie bienheureuse; mais on ne s'en aperçoit pas aussi aisément, parce que les mouvements du corps sont manifestes, tandis que ceux de l'âme sont invisibles et cachés. La vie que nous appelons bienheureuse est située dans un lieu élevé; un chemin étroit, dit-on, y conduit. Plusieurs collines se dressent aussi dans l'intervalle, et il faut marcher de vertu en vertu par de glorieux degrés. Au sommet est la fin de tout et le terme de la route qui est le but de notre voyage. Nous voulons tous y parvenir; mais, comme dit Ovide : C'est peu de vouloir ; pour posséder une chose, il faut la désirer vivement. Pour toi assurément, à moins que tu ne te trompes en cela comme en beaucoup de choses, non seulement tu veux, mais tu désires. Qu'est-ce qui te retient donc ? Rien d'autre à coup sûr que la route plus unie et, comme elle semble au premier aspect, plus facile des voluptés terrestres et infimes. Mais quand tu te seras longtemps égaré, il te faudra ou gravir, sous le poids d'une fatigue différée mal à propos, vers la cime de la vie bienheureuse, ou tomber lâchement dans le bas-fond de tes péchés." (www.gelahn.asso.fr, nonagones.info - Cohérence grand nonagone - Chapitre IL - Deuxième Etoile - Triangle Edern-Ban-Rennes - www.google.fr/books/edition).

Ce qui renvoie au roman Beaux Inconnus de Lartigue.

On pense au vieil adage si prisé des humanistes, per angusta ad augusta : c'est par un sentier pénible que l'on accède à la vertu (encore une fois, «vertu» est à prendre au sens latin et italien de «force de caractère»). [...] Atteint de mélancolie, de «mal d'être», Pétrarque est sûr de contempler le triomphe final de la lumière sur les ténèbres, de la joie sur la peine, de la foi sur le doute, de l'entendement sur le non-sens (François Rigolot, Poésie et Renaissance, 2002 - www.google.fr/books/edition).

Victor Hugo, Hernani et Pétrarque

La famille de Victor - Hugo est-elle d'origine hollandaise ? C'est dans une série d'articles du journaliste Macé de Challes (pseudonyme) parus dans le Figaro de 1885, peu après la mort de V. Hugo qu'il est fait (pour la première fois à notre connaissance mention du surnom le Hollandais, donné à Domvallier, à l'ancêtre local du poëte. Nous n'avons personnellement pas d'autre renseignement. Nous nous rappelons seulement avoir entendu M. Fernand Baldensperger, professeur honoraire à la Sorbonne donner son adhésion à cette indication (L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, Volume 8,Numéros 82 à 93, 1958 - www.google.fr/books/edition).

Plaise à d’autres de discuter si Victor Hugo est moins Lorrain que Breton, plus Nantais que Bisontin; tout ce que nous voulons retenir, c’est qu’il fut plus fier des parchemins qu’il se constitua, que de ses ancêtres véritables. À l’entendre, le premier Hugo qui ait laissé trace, «parce que les documents antérieurs ont disparu dans le pillage de Nancy par les troupes du maréchal de Créqui, en 1670», serait un Pierre-Antoine Hugo, conseiller privé du grand-duc de Lorraine et qui épousa la fille du seigneur de Bioncourt. Parmi les descendants de Pierre-Antoine, Victor Hugo avait relevé : une chanoinesse, un évêque, un lieutenant-colonel, collection presque aussi riche que celle dont se vante un de ses héros, don Ruy Gomez de Silva, dans Hernani (Acte III, scène VI).

Nous pouvons y ajouter ce trait, qui a été rapporté par M. Grillet : le poète avait commandé au graveur-horloger Goupi, de Jersey, un sceau à son usage, avec cette devise hautaine : Ego Hugo ! Il eut, aussi, la singulière idée de se faire représenter en Jésus-Christ ! Le peintre Louis Boulanger avait reçu la commande, pour l’église Saint-Paul, d’un Christ en croix; V. Hugo, sollicité de poser pour Jésus, ne se fit pas prier et «les longs cheveux de l’auteur d’Hernani devinrent les cheveux du Crucifié, collés par la sueur de l’agonie». Le tableau en question, où V. Hugo était très reconnaissable, serait resté longtemps accroché aux murs de l’église et ce n’est que sous le second Empire que, par ordre supérieur, la toile aurait été enlevée et déposée dans quelque grenier de la paroisse. Nous ne sachions pas qu’on ait jamais songé à l’en exhumer, et c’est peut-être dommage. (Docteur Cabanès, Grands névropathes, Tome 2, 1931 - fr.wikisource.org).

Le mot de passe se situe en Acte IV, scène III.

La mention de Pétrarque en Acte V, scène I. Alors qu'apparaît Don Ruy caché sous un domino noir.

Le masque en domino noir paraît au haut de la rampe. Hernani s'arrête pétrifié (Acte V, scène IV).

Il donnera une fiole à Hernani qui s'empoisonne avec sa femme. Don Ruy se tue après...

Hernani, banni, dont le père a été victime du père de Don Carlos, le roi. Il aime doña Sol et il en est aimé. Mais cette dernière est ancée à don Ruy Gomès, son oncle. Hernani, après avoir comploté contre le roi pour venger son père, obtient de lui la clémence et l'autorisation d'épouser doña Sol. Cependant don Ruy Gomès vient exiger d'Hernani le respect de son serment (le proscrit a promis de lui donner sa vie) et lui présente le poison. Mais doña Sol boit la première une partie de la fiole. C'est librement qu'elle fait le choix du sacrifice. Elle tend ensuite la fiole à Hernani. La nuit de noces des amants est en même temps celle de leur mort (Laurence Rauline, Andromaque de Racine suivi d'une anthologie sur les héroïnes tragiques, 2013 - www.google.fr/books/edition).

Les exigences de Pétrarque touchant le poète se confondent vraiment avec les mérites du sage. Son choix, en effet, implique aussi l'acceptation d'une sorte de sacrifice, d'un renoncement, l'obéissance à une conduite de force qui s'apparente à celle du sage et même du héros. L'on retrouve dans la lettre à Zanobi, l'une des images stoïciennes favorite de Pétrarque et qu'adoptera après lui l'époque humaniste : celle du carrefour où Hercule doit choisir entre l'hédonisme aisé et la vertu difficile. La poésie représente aussi cette dernière voie. La route est longue et dure, le temps court et contraire, le chemin de droite ardu, étroit, broussailleux, rocailleux (Longum iter asperumque, breve tempus et adversum ; dexterior trames arduus angustus vepricosus scrupeus). Telle est la voie qui conduit à la vraie vie

at leva malorum
Exercet penas et ad impia tartara mittit
(Aen., 6, 542-543),

chose que Virgile n'ignorait pas, non plus que Pythagore... L'Y bicorne et exemplaire tend sa droite étroite vers les astres, tandis que sa gauche, plus large, s'infléchit et se courbe vers la terre : celle-ci, dit-on, est la route qui mène aux Enfers ; on y marche tout à son aise, mais l'issue en est fort triste et amère, au point que rien de plus misérable ne peut se concevoir. Ceux qui s'engagent dans le chemin de droite se réservent une fin aussi bonne que le parcours aura été laborieux... Que de choses tour à tour redoutables, inextricables, fuyantes; combien d'aspects peuvent assumer les choses pour vous inviter, vous retenir, vous détourner ! Il est à souhaiter qu'en ce si bref laps de temps, ayant rejeté tous les fardeaux inutiles, nous atteignions après tant d'adversité, nus et sans entraves, le but que nous avions choisi. Tu me soupçonneras avec étonnement de vouloir te faire peur en amplifiant des dangers que tu connais bien. Je désire au contraire éloigner le plus possible toute peur de mon cœur et de celui de mes amis et je m'y emploie autant que je peux ; c'est pour cette raison que j'aime surtout la philosophie...

(Longum iter asperumque, breve tempus et adversum ; dexterior trames arduus angustus vepricosus scrupeus ; ea nobis ad veram vitam semita est ; at leva malorum Exercet penas et ad impia Tartara mittit [Aen., 6, 542-543]; quod nec Marco noster ignorat, nec Pythagoras ignorabat, dum Cadmi vestigiis insistens, scripture Bicornis et exemplaris litera dextro cornu) (Arnaud Tripet, Pétrarque ou la connaissance de soi, 1967 - www.google.fr/books/edition).

L'allégorie pétrarquienne de l'ascension du Mont Ventoux laisse entendre, bien avant Montaigne - mais de façon semblable -, qu'une telle vie «laïque», plus basse (et apparemment moins vertueuse que celle bien dévote de Gherardo) n'en sera pas moins «religieuse» elle aussi, à sa propre façon. Car Pétrarque situe sa vie à lui entre le chemin bien frayé de la vita activa du monde et la route idéale et austère de la vita contemplativa des pères chartreux, tels que Gherardo. Et c'est en prenant un tel sentier intermédiaire, en zigzag (pour le pratiquer avec une intensité quasiment voluptueuse) que ce Pétrarque du Mont Ventoux finira, lui aussi, par arriver au sommet, pour rejoindre son frère (George Hugo Tucker, Déchets, déchéances et recyclage, Strategic Rewriting, Volume 7, 2002 - www.google.fr/books/edition).