Partie VII - Cohérence grand nonagone   Chapitre IL - Deuxième Etoile   Triangle Edern - Ban - Rennes   

Le triangle Edern - Rennes-le-Château - Ban-Saint-Martin

La Proserpine de notre diagonale Ban-Saint-Martin - Rennes-le-Château, qui était la Koré des Orphiques, épouse et mère de Dionysos assimilé à Hadès par syncrétisme, était aussi avec son mari Pluton les divinités de la fertilité. Pluton, le Riche, était son nom chez les Grecs ; Dives, le Riche aussi, chez les Latins. Pluton, dans les anciens monuments, porte souvent une corne d'abondance débordant de fruits. Pluton, souvent aussi, porte cette espèce de fourche à deux dents qu'on a prise pour une arme, mais qui, en réalité, était la houe avec laquelle on tirait de la terre les fruits qu'elle contenait. En Brionnais (Saône et Loire), traversé par la diagonale Ban-Saint-Martin - Rennes-le-Château, la houe à deux dents utilisée pour la vigne est appelée pieutse.

Cette fourche à deux dents symbolise aussi les deux chemins que l'on peut prendre dans la vie ainsi que l'incipit de l'Idylle 15 du poète Ausone le rappelle : " Ex graeco Pythagoricum de ambiguitate eligendae vitae " et dont parle Virgile dans l'Enéide.

" La route se partage en deux directions : la première, à droite, mène aux champs Élysées, " sous les murs du noble Dis ", la seconde, à gauche, conduit au Tartare, le séjour des grands criminels de la mythologie et de l'histoire. Énée ne pénètre pas au-delà de ce " seuil criminel " ; il ne le reconnaît que par la description que lui en donne la Sibylle, car il n'est permis à aucun être " pur " d'y entrer. Cette image des deux routes reproduit au cœur de l'au-delà un vieux symbole pythagoricien - ou néopythagoricien, peu importe ici l'authenticité de l'attribution du symbole -, que l'on retrouve régulièrement dans les littératures initiatiques, le symbole du Biuium, graphiquement réalisé dans la lettre Y qui représente le carrefour de la vie morale. Le modèle de ce thème est assurément le célèbre apologue du sophiste Prodicos sur le choix d'Héraklès entre le Vice et la Vertu, qui nous a été conservé par Xénophon au second livre des Mémorables, et dont la stylisation par la lettre Y est attestée par plusieurs auteurs latins. Mais les témoignages qui nous intéressent le plus directement ici sont, sans nul doute, ceux de l'apologiste chrétien Lactance au IVème siècle et de Servius dans son commentaire de l'Énéide. Dans ses Institutions divines, Lactance rapporte, en effet, l'opinion suivante : " On dit que la marche de la vie humaine est semblable à la lettre Y, parce que chaque homme, lorsqu'il a atteint le seuil de la première adolescence et qu'il est parvenu à cet endroit " où la route se divise vers deux côtés ", il s'arrête en chancelant et ne sait vers quel côté plutôt pencher ". On reconnaît dans le fil du texte de Lactance le vers de l'Énéide qui évoque la séparation des deux chemins dans les enfers : partes ubi se uia findit in ambas, " là où la route se divise vers deux côtés ". Dans son commentaire d'Énéide, VI, 136, Servius évoque aussi le symbole pythagoricien du Y : " Nous savons que Pythagore de Samos a divisé la vie humaine à la façon de la lettre Y, sans doute parce que le premier âge est incertain, qui assurément ne s'est pas encore livré ni aux vices ni aux vertus. Mais le croisement de la lettre Y (biuium Y litterae) commence à la jeunesse, ce temps où les hommes suivent les vices, c'est-à-dire le côté gauche, ou les vertus, c'est-à-dire le côté droit ". Après que la volonté du père ou du maître a cessé de diriger l'enfant en une ligne verticale qui est la hampe du Y, la question du choix entre le bien et le mal s'impose au libre arbitre de l'homme, dès lors qu'il est confronté aux initiations de l'existence. Dans sa marche aux enfers, Énée rencontre ce carrefour, mais à un autre niveau : celui de la sanction post mortem des vices et des vertus, dont le croisement se superpose très exactement au carrefour moral de la vie terrestre. Les directions sont les mêmes : à droite les champs Élysées, qui récompensent une vie vertueuse, à gauche le Tartare, qui punit une existence criminelle. Mais Énée ne découvre pas encore tout seul ce croisement ; la Sibylle le lui annonce, car elle détient le secret de la route du Bien et du Mal ; elle révèle au héros sa pureté et lui interdit dès lors l'accès au sombre Tartare. Au sortir d'une forme d'enfance, celle de l'ignorant inquiet de son avenir, la Sibylle conduit Énée sur la route d'un nouvel âge, l'âge adulte d'un élu purifié (castus) prêt à recevoir désormais le message que lui réservent les destins.[1] "

L'" Arbor moralis " de Raymond Lulle se compose d'un tronc divisé en deux branches qui est aussi le Y pythagoricien. A son sommet trône le Christ, qui œuvre pour le bien : armé d'une hache, il s'efforce de trancher les hautes branches du mal. Le fidèle est donc invité en toute connaissance de causes à choisir sa voie : le bien à droite du Christ, où s'épanouissent les 7 vertus chrétiennes, ou le mal à gauche où siègent les 7 péchés capitaux. A la fourche où se situent les options, la vertu (virtus) est opposée au vice (vitium). A l'origine, pourtant, est proposée à l'humanité une gamme de valeurs positives, classées dans les 18 racines de l'arbre : 9 "principes absolus" (bonté, grandeur, éternité, puissance (prise en bonne part), sagesse, volonté, vertu, vérité, gloire) et 9 "principes relatifs" (différence, concordance, contrariété, commencement, fin, milieu, infériorité, supériorité, égalité)[2].

François Pétrarque, dans son Epître à Denis Robert de Borgo San Sepolcro " ordinis sancti Augustini et sacrae paginae professorem, de curis propriis " - De Ascensu montis Ventosi, (Familiarium rerum, liber IV, ep. 1) relate son expérience du Y pythagoricien lors de l'ascension du Mont Ventoux qu'il effectua le 26 avril 1336 : " Là, sautant par une pensée rapide des choses matérielles aux choses immatérielles, je m'apostrophais moi-même en ces termes ou à peu près : " Ce que tu as éprouvé tant de fois dans l'ascension de cette montagne, sache que cela arrive à toi et à beaucoup de ceux qui marchent vers la vie bienheureuse ; mais on ne s'en aperçoit pas aussi aisément, parce que les mouvements du corps sont manifestes, tandis que ceux de l'âme sont invisibles et cachés. La vie que nous appelons bienheureuse est située dans un lieu élevé ; un chemin étroit, dit-on, y conduit. Plusieurs collines se dressent aussi dans l'intervalle, et il faut marcher de vertu en vertu par de glorieux degrés. Au sommet est la fin de tout et le terme de la route qui est le but de notre voyage. Nous voulons tous y parvenir ; mais, comme dit Ovide : C'est peu de vouloir ; pour posséder une chose, il faut la désirer vivement. Pour toi assurément, à moins que tu ne te trompes en cela comme en beaucoup de choses, non seulement tu veux, mais tu désires. Qu'est-ce qui te retient donc ? Rien d'autre à coup sûr que la route plus unie et, comme elle semble au premier aspect, plus facile des voluptés terrestres et infimes. Mais quand tu te seras longtemps égaré, il te faudra ou gravir, sous le poids d'une fatigue différée mal à propos, vers la cime de la vie bienheureuse, ou tomber lâchement dans le bas-fond de tes péchés.[3] "

Le Y se retrouve jusqu'à Eon de l'Etoile, de la Bretagne représentée par Edern - qui porte le prénom d'un saint gallois s'écrivant Yder en Angleterre - qui se présenta au Concile de Reims en 1148 pour y être jugé, tenant à la main un bâton d'une forme inusitée; c'était une fourche sur laquelle étaient tracées des figures cabalistiques. Il répondit au Pape Eugène III qui le questionnait au sujet de son bâton fourchu : " C'est chose de grand mystère, répondit-il ; tant que les deux branches regardent le ciel, comme vous le voyez maintenant, Dieu possède les deux tiers du monde et m'en cède la troisième partie. Mais, si les deux pointes du bâton qui sont maintenant en haut touchent la terre, et si je dresse vers le ciel la partie qui est simple, et maintenant est en bas, je garde pour moi les deux tiers du monde, et j'en laisse à Dieu le troisième. "

A cette époque, l'habit des Ermites de Saint-Augustin était presque semblable à celui des frères mineurs de Saint-François. Le pape Grégoire IX, en 1241, pour différencier les Augustins, régla leur costume. Leur costume fut blanc ou noir, avec des manches larges et longues, en forme de coule, et avec une ceinture de cuir; l'habit des Franciscains était gris. De plus, le pape prescrivit aux Augustins d'avoir toujours à la main un bâton haut de cinq palmes, et fait en forme de béquille, qui devait être l'apanage de certaines congrégations. Eon semble avoir été en effet le prieur des Augustins du Moinet, près de Concoret[4].

Eon de l'Etoile a été rapproché des cathares qui abhorraient la croix du supplice de Jésus mais qui pouvaient voir en la géométrie de la croix bien autre chose. On trouverait dans le Nouveau Testament cathare conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon une croix pattée, dont les branches sont donc en Y mais aussi des croix dites de Montségur illustrent bien cette géométrie.

Un autre symbole en graffiti trouvé en des lieux gagnés par le catharisme est le pentagramme qui appartient aussi au pythagorisme. Celui-ci appelait cette figure " Hugieia ", voulant probablement dire Santé ou Intégrité et s'épelant U G I EI A. La première lettre est donc un upsilon : Y. Ce pentagramme était signe de reconnaissance parmi les frères pythagoriciens et on le trouve sur des amulettes. Les lettres EI était souvent représenté par un thêta. Groupées par 5, ces lettres étaient placées aux sommets du pentagramme[5].

La diagonale Edern - Ban-Saint-Martin permet de nous intéresser encore à saint Augustin à travers le jansénisme. Les crucifix jansénistes se caractérisent par l'élévation des bras, en Y, et le fait que les pieds du Christ sont cloués individuellement. Ils sont présents avec les Trois Croix de Barret-de-Lioure et les trois calvaires du Mesnil-Saint-Denis. Le Y qui marque encore le choix chez ses opposants au roi et aux jésuites de la voie difficile et vertueuse qui s'écarte du monde et des mondanités.

Alchimiquement, le mercure philosophal est le sel ou mercure sulphuré qui est extrait de la matière première par l'action du feu secret. Le sel, double de nature, est la synthèse du mercure et du soufre et peut être représenté par l'upsilon grec, le Y, le Rebis. La racine est noire, une branche est rouge et l'autre est blanche. Chose double, comme le double Jésus de l'église Sainte-Madeleine de Rennes-le-Château.

Gravure du Symbola Aureae Mensae de Michael Maier (1617), www.cs.utk.edu/~Mclennan/BA/PT/M21.html

La lettre Y des Pythagoriciens, dont les deux cornes indiquent les deux sens contenus dans la même lettre des enseignements, le double entendement. Ce symbole rejoint la langue bifide du serpent qui s'étend aux pieds de la Pupilla Libera, ou constellation de la Couronne Boréale, assimilé à Proserpine.

 


[1] Paul-Augustin Deproost, " La descente d'Enée aux Enfers - Mort symbolique et temps aboli ", Loxias, http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=1273

[2] L'arbre des vices et des vertus, Arbor moralis de Raymond Lulle, http://classes.bnf.fr/arbre/grandes/impr7892.htm

[3] http://www.gelahn.asso.fr/docs95.html

[4] Félix Bellamy, Eon de l'Etoile, l'Arbre d'Or

[5] http://www.cs.utk.edu/~mclennan/BA/PP.html