Partie IX - Synthèse   Chapitre LVII - Calendrier   Les ratés du Saint Esprit 3   

Le lévrier associé à la signature numérique du 515 (un cinqueto diece e cinque) figure dans la Divine Comédie de Dante, et on l'associe à certains éléments apocalyptiques, dont la connaissance se serait transmise dans les multiples organisations reliées aux Fidèles d'Amour.

Dans la Divine Comédie de Dante, le Veltro est introduit par ces vers :

Les mâles sont nombreux auxquels elle [la Louve] s'accouple

Et seront plus encore, jusqu'à ce que le Veltro

Vienne, qui la fera mourir à grand douleur.

Il ne se repaîtra ni d'argent ni de terres,

Mais de vertus de sagesse et d'amour,

Et sa naissance sera de Feltre à Feltre.

Il sera le salut de cette humble Italie

pour laquelle sont morts en combattant la vierge

Camille avec Turnus, Euryale et Nissus.

C'est lui qui chassera la bête de partout

et la refoulera jusqu'au fond des Enfers,

d'où le Malin envieux l'avait d'abord tirée.

(Inferno, I, 34-37)

Je vois, si clairement que je puis le prédire,

Des astres qui, déjà libres de tout obstacle

Et de tout frein, sont prêts à nous donner un temps

Durant lequel un Cinq-cent-dix et cinq

Envoyé de Dieu, occira la Rapace

Et le géant qui fornique avec elle.

(Purgatorio, XXXIII, 14-15)

Le nombre 515, retranscrit en lettres latines dont on a changé l'ordre, donne DVX. Les vers de Dante nous disent que sa naissance sera de Feltre à Feltre, en italien: E sua nazion sarà tra Feltro e Feltro. Feltro ressemble phonétiquement à Veltro. Feltro en italien c'est le feutre. On a parlé d'Asie centrale où cette matière est beaucoup utilisée et de Khan, assimilable à Dux. Mais lévrier et feutre nous conduisent irrépressiblement à Milan (fr.wikipedia.org - La Mélancolie de Dürer).

Nous avons vu combien le Saint-Esprit joue le rôle de guide dans les actions humaines et que ce rôle est affirmé par le mot de " dux " ou sous la forme de " duce Spiritu " (sous la conduite de l'Esprit : Les ratés du Saint-Esprit 2). DUX, comme le dit aussi Lima de Freitas, désigne ainsi le Saint-Esprit. Celui-ci s'incarna, selon les affidés de sa secte, dans le personnage de Guglielma qui vécut à Milan au XIIIème siècle, quelque temps avant l'écriture de la Divine Comédie.

En 1300, l'Inquisition décapite l'hérésie milanaise des guillelmites. Guillelma, arrivée à Milan vers 1260 et dite fille d'un roi de Bohème, est morte en odeur de sainteté vers 1282. Il y avait similarité de la spiritualité, fondée sur l'imitation même physique du Christ, chez le franciscain Jean de Milan et chez les guillelmites. Ceux-ci attendaient pour la Pentecôte de cette année-là sa résurrection, qui ouvrirait un nouvel âge de l'Église chrétienne dirigée désormais par un pape femme, Manfreda Visconti, umiliata de Milan et chef de la secte. Elle proclama que Guglielma lui avait dit qu'elle était l'Esprit Saint. Entourée de cardinaux de même sexe, après avoir détrôné Boniface VIII et la curie romaine, Manfreda serait en situation d'assurer le salut des femmes et réaliserait l'espoir toujours déçu de la conversion universelle des juifs, musulmans et faux chrétiens. Mais, en avril, les guillelmites sont arrêtés et jugés. Le long procès d'inquisition, retrouvé au XVIIème siècle seulement, n'a été publié qu'à l'extrême fin du XIXème. Toute hérésie transgresse les interdits majeurs : sacrilège - et surtout féminin -, licence sexuelle débridée, puis - dans l'échelle de l'horreur - infanticide et cannibalisme, toutes accusations entièrement absentes des pièces du procès (cat.inist.fr).

Toute La Divine Comédie, récit d'une conversion à travers les mondes surnaturels pour une béatification ultime, se passe dans l'espace étroit du vendredi saint du 8 avril 1300 au jeudi suivant, après Pâques, le 14 avril de la même année. Que cette année-là soit précisément la première année sainte promulguée de la chrétienté n'est certainement pas dû au hasard. Une des significations allégoriques de ce récit poétique en langue vulgaire, se manifeste également, en contra-position, dans la signification millénariste, politique et théologique du jubilé de Boniface VIII, d'autant plus qu'il s'agit bien d'un pèlerinage de l'âme du poète, projeté dans les enfers, le purgatoire et dans les neuf sphères cosmiques, en vue de révéler le sens moral de l'œuvre, c'est-à-dire, "la possibilité, pour tous les hommes, aussi bien que pour Dante, de se racheter et d'atteindre le salut, la félicité parfaite et l'intelligence directe du mystère divin, par la méditation des fins dernières et l'observance de la loi divine". On remarquera aussi que l'Enfer occupe les trois jours saints, du jeudi 7 au samedi 9 avril 1300, que le parcours du Purgatoire (10 avril au mercredi 13), et que l'ascension au Paradis a lieu "hors du temps" chronométrique (Franco Giacone, Le cinquiesme livre).

Manfreda fut déclaré papesse le jour de Pâques 1300 et célébra une messe à cette occasion.

Le millénarisme trouve un lieu propice à… Milan (Mille anni).

Manfreda, de la puissante famille des Visconti, appartenait aux Umiliati. L'ordre des frères Humbles date de la première croisade. Il y a plusieurs versions quant à l'apparition des Umiliati : un mouvement issu des prédications d'Ugo Speroni (1164-1185) d'où le nom de Speronisti ; un mouvement spontané d'origine prolétaire de la région lombarde animé d'un sentiment religieux si développé à cette époque qui détermina la formation de tant d'autres ordres notamment de celui de Citeaux. D'autres racontent que l'ordre se constitua parmi les prisonniers que fit l'empereur Henri V dans sa première expédition d'Italie. Quoi qu'il en soit, il s'accrut rapidement dans le XIIème siècle.

Si on retient la deuxième thèse, les Umiliati forment un mouvement original, quasiment de classe, puisqu'il touche essentiellement des travailleurs du monde textile du nord italien au milieu du XIIème siècle. Mouvement de travailleurs, mouvement laïc, il se veut fidèle à la fraternité chrétienne reposant sur le travail et l'entraide vis-à-vis des plus démunis. Hommes et femmes semblent sur un pied d'égalité en maintes occasions au sein de cette communauté de pénitents.

Les Umiliati prirent contact avec Saint Bernard. Sur son conseil, en 1134, beaucoup d'entre eux, avec l'accord de leur femme, se retirèrent dans un monastère, un couvent-fabrique, fondé à Milan. Malgré les nombreuses tentatives de Saint Bernard, au commencement de leur vie monastique, les Umiliati n'avaient pas de règle établie. Saint-Jean de Méda, de son vrai nom Jean Oldrato né à Méda près de Côme et mort à Milan le 25 septembre 1159, en fut l'organisateur.

Plus tard les deux sexes, jusqu'alors confondus, se séparèrent. Rejetant les sacrements, une partie d'entre eux rejoint les mouvements hérétiques (Vaudois surtout), alors que les plus orthodoxes constituent un ordre plus ou moins reconnu, toujours lié au textile, et qui participera à bien des colonisations comme plus tard dans la périphérie florentine (Cf. la célèbre église Ognissanti). Il faut dire que les Umiliati ont parfois fait fortune dans les manufactures textiles, voire dans la banque. Ce sont eux qui introduisirent le travail du feutre dans la région de Milan. Condamnés avec les cathares et les vaudois en 1184, autorisé à nouveau, ils reçurent une nouvelle règle en 1201 du pape Innocent III, et y demeurèrent longtemps fidèles. En 1188, Guy de Jérusalem, Conrad de Monferrat leur font diverses concessions et leur accordent la liberté de commerce à Tyr et dans d'autres ports de l'Asie mineure. Plus tard l'ordre s'étend à Florence et s'y adonne presque exclusivement au tissage et à la teinture des laines. Saint Charles Borromée qui en était Protecteur, voyant que le temps et les richesses y avaient produit un relâchement extrême, et que quatre-vingt- dix monastères n'avaient qu'environ cent soixante et dix Religieux, fit dessein de les réformer, et y travailla avec fon zèle ordinaire. Les Supérieurs, nommes Prévôts, qui usaient de leurs bénéfices, quoique réguliers, comme s'ils eussent été bénéfices simples, s'opposèrent à cette réforme ; et comme ils ne pouvaient l'empêcher, trois d'entre eux envoyèrent un Prêtre d'entre eux nommé Jérôme Donat et surnommé Farina, tirer un coup d'arquebuse sur saint Charles, le 26 Octobre 1569. Cet attentat fut cause que le Pape Pie V abolit cet Ordre, par une bulle du 8 Février 1571, malgré les prières de saint Charles même (Ernest Frignet, Histoire de l'association commerciale, Traces libertaires dans le temps et l'espace, www.michelazucca.net - Guglielma et BMaifreda).

Les matières employées pour la chapellerie sont, indépendamment des laines, les poils de castor, de vigogne, de lièvre et de lapin ; la bourre ou poil de chien ; la laine des agneaux de Dannemarck, sous le nom d'Hambourg; la laine d'Autriche, et par corruption d'autruche , qu'on tire d'Allemagne ; le pelotage , qui est un poil de chevreau venant du Levant; le poil dit de chameau, qui n'est que celui d'un bouc très commun en Perse ; la carmenie ou carmeline, c'est la laine de moutons qu'on dit être venus originairement du Kerman, en Perse, et qu'on tire encore du Levant. Sans entrer dans aucuns détails sur la fabrication des chapeaux, nous dirons seulement que les préparations consistent: 1° dans le choix des matières ; 2° à les sécréter ou à passer les laines et poils à l'eau seconde , pour les rendre propres au feutrage ; 3° à les feutrer , opération qui consiste à fouler, réunir et pétrir, en quelque sorte, les matières en étoffes, sans le secours du tissage , par l'effet de la lie de vin et par l'action de l'eau et du feu ; 4° à mettre le feutre en forme , pour en faire des chapeaux ; 5° à les teindre ; 6° à leur donner l'apprêt et le lustrage ; et enfin à les garnir et les approprier.

Saint Jacques est réputé l'inventeur du feutre. Il marcha " des jours et des jours dans le désert. Jacques eut mal aux pieds. Sur le bord du chemin, il vit quelques brins de laine que des moutons avaient laissés sur des épines. Il les recueillit et les plaça entre son pied et sa semelle. Plus loin il en trouva d'autres et encore d'autres et encore. Jacques, ainsi, en eut bientôt suffisamment pour recouvrir chaque semelle de ses sandales. Ce jour là, il marcha plus longtemps que les autres jours et sans blesser la chair de ses pieds. Quand le soir vint, Jacques s'arrêta, il se déchaussa, et, entre ses pieds et ses semelles, il trouva une douce semelle de feutre à la forme de son pied. " (aucoeurduchemin.org).

Saint Jacques est fêté le 25 juillet, jour du lever de Sirius, étoile de la canicule. Lors de sa prédication en Espagne, il est dit qu'il ne convertit que neuf disciples et un chien.

Selon Joan Amades, un dicton rapporte " La canicule, la sœur l'apporte et le frère l'emporte ". C'est-à-dire sainte Marguerite (20 juillet) et saint Bernard de Clairvaux (20 août) qui a un rôle important dans la conduite de Dante au Paradis de la Comédie.

Notons que les bergers de Provence au XVIIème siècle nommèrent Sirius " Jean de Milan ".

On peut établir une connexion entre Milan et le lévrier. En effet, un saint originaire d'Ecosse, Guinefort dont les reliques sont à Pavie, fut martyrisé à Milan sous Maximien, transpercé de flèches comme saint Sébastien.

" L'association chien saint est suggérée dans certains patois tsin le chien et tsaint le saint - ou bien c'est " son " qui se confond avec saint comme dans le Pas-de-Calais où on dit saint Roch et sin Tchin, saint Roch et son chien. Mieux encore c'est le nom même du saint qui suggère son rôle de " rupteur " des états liminaux en dépit de la variété des personnages pseudo-historiques que recouvre le nom de saint Guinefort, la formule d'invocation fondée sur l'assonance est, elle, générale : Saint Guinefort pour la vie ou la mort. Le saint est celui du quitte ou double, il restaure la vie ou délivre par la mort. La formule italienne pour saint Boniforto de Pavie est encore plus explicite " Chi si vota Boniforto dopo tré giorni vivo morto ". La connexion entre la canicule et la fête des saints accompagnés un chien est ancienne ainsi l'existence d'un saint Christophe cynocéphale qui dévorait les hommes au moment où il se convertit dans le Christ " et qui est fêté le 25 juillet comme saint Jacques au lever de Sirius. Guignefort de Pavie (Bonifort), lui, est fêté le 22 août à l'extrême fin de la canicule (Paul Jorion. J.-C. Schmitt, Le Saint lévrier. Guinefort, guérisseur d'enfants depuis le XIIIème siècle).

Durant les dernières années de sa vie, le frère dominicain Etienne de Bourbon, mort en 1261 à Lyon, a écrit un traité sur les Sept Dons du Saint-Esprit. Commentaire théologique, ce traité est surtout un recueil d'exempla, c'est-à-dire d'historiettes présentées comme authentiques, utilisées par les prédicateurs dans leurs sermons dans un but d'édification. Il reçut les confidences de femmes qui allaient porter leur enfant à Saint Guignefort.

Les Dominicains étaient appelés " domini canes ", les chiens du seigneur. Ce nom fait référence au songe que la mère de saint Dominique, le fondateur de l'Ordre, eut au cours d'une neuvaine au tombeau de saint Dominique de Silos : un petit chien tenait dans sa gueule un flambeau allumé.

Guinefort est un chien, un lévrier, qui sauva d'un serpent le fils de son maître et fut injustement tué par celui-ci qui crut que le sang répandu était celui de l'enfant. Un culte se répandit dans le bois de Saint-Guinefort à Sandrans dans l'Ain. Les mères se rendaient dans le bois, apportant leurs enfants autour du tombeau du chien martyr. Elles amenaient surtout les enfants handicapés, malades et débiles. Une sorcière qui habitait là guidait les femmes dans les rituels à faire pour obtenir les bonnes grâces voulues. Le premier rituel consistait à lancer l'enfant nu entre deux arbres rapprochés. Neuf fois de suite, la mère lançait son enfant, la sorcière l'attrapait de l'autre côté et le renvoyait à la mère. Elles priaient les démons de prendre l'enfant et de leur rendre en bonne santé. C'était ce qu'on appelle un "changelin" qui, dès sa naissance, selon la croyance, avait été rapté par le démon et remplacé par un enfant débile. Un autre rituel consistait à poser l'enfant sur un tas de paille entouré de quatre cierges allumés. On attendait que les cierges se consument. Quelquefois, ils mettaient le feu à la paille et l'enfant mourait brûlé vif. S'il en réchappait, il avait droit à un autre rituel qui consistait à le plonger neuf fois dans le courant glacé de la Chalaronne. Après ça, si l'enfant restait vivant, c'est qu'il était suffisamment fort pour continuer à vivre et qu'il n'était pas un changelin. Saint Guignefort est aussi invoqué par les femmes afin de "réveiller" l'appétit de leurs maris "endormis". Guigner, en patois, signifie "remuer la queue" pour les chiens. "Remue-fort" la queue (carmina-carmina.com).

On peut voir, dans la première partie du nom, une forme du bas-latin cania ou du latin canicula. Les petits de l'espèce sont des quenots, quenets, queniots.

La substitution du g au q est fréquente dans les noms propres; dans son Répertoire Flûtre cite Quinable pour Guinable, Quinebaut pour Guinemaut. On a pu proposer une étymologie populaire de la " chasse Hellequin " en chasse " héle chien ". Le suffixe désigne la force. L'ensemble dériverait d'un canis fortis. Le même suffixe aura, par à-peu-près, justifié le nom et la légende de Christophe (de la tribu des Caninefates), qui apparaît alors comme le "chien fort " dont on fête l'apparition au 25 juillet et la disparition (avec les rites qui honorent les saints) au 22 août. La variante Quinquenfat pour Cucufat (25 juillet), s'explique de la même manière, avec l'influence possible du nom ancien du mois de juillet, Quintilis, ou du mal dont sont menacés les hommes au moment de la Canicule, la Quinte.

Guinefort est appelé Quinefort, canis fortis. Rabelais a pu noter cela puisqu'il choisit comme diminutif de Saint Jacques la forme Quenet, Quine (Franco Giacone, Le Cinquiesme livre: actes du Colloque international de Rome).

Notons la qualité éminemment christique du lévrier sauveur injustement accusé puis condamné mort lui permet de transcender une frontière qui, à la réflexion, apparaît bien mesquine celle qui sépare les animaux quatre pattes de ceux qui en ont que deux (Paul Jorion. J.-C. Schmitt, Le Saint lévrier. Guinefort, guérisseur d'enfants depuis le XIIIème siècle).

Dante semble avoir tiré son Alichino (Enfer, chant 21 et 22) de la forme latin Allequinus employée dans les exempla d'Etienne de Bourbon peu de temps avant la rédaction de la Comédie. L'hypothèse est renforcée par le fait que les auteurs italiens de l'époque n'emploient pas ce nom (O. Driesen, Der Ursprung des Harlekin 1904) (Robert W. White, The Study of Lives: Essays on Personality in Honor of Henry A. Murray).

Si Dante a pris connaissance d'Hellequin dans les exempla d'Etienne de Bourbon, n'en serait-il pas de même de Guinefort-Lévrier ?

Ainsi DUX et Veltro ne seraient pas à identifer mais à considérer respectivement comme des incarnations complémentaires de l'Esprit Saint et du Christ. Dante n'était pas forcément un adepte des guglielmites mais aurait pu utiliser leur histoire comme simple argument d'une partie de sa Comédie.