Partie II - Voyage dans le temps   Chapitre XXI - Saint-Germain & Cagiostro   Les Rose-Croix   

Saint-Germain et Cagliostro se sont présentés à leurs contemporains comme de véritables Rose-Croix. Un lien peut être établi entre cette société et les tracés. En effet le texte fondateur de la Rose-Croix a été publié à Kassel en 1614 chez l’imprimeur Wilhem Wessel dans un recueil de texte : Allgemeine und General Reformation, der gantzen Weiten Welt. Beneben der Fama Fraternitatis, dess Löblichen Ordens des Rosenkreutzes, an alle gelehrte und Haüpter Europae geschrieben ; Auch einer Kurtzen Responsion von des Herrn Haselmayer gestellet, welcher desswegen von den Jesuitern ist gefänglich eingezogen, und auf eine Galleren gesmiedet : Itzo öffentlich in Druck versetiget, und allen trewen Hertzen comuniceret worden Gedrucht zu Cassel, durch Wilhelm Wessel, Anno MDCXIV (Réforme universelle et générale du monde entier ; Avec la Fama Fraternitatis de la louable fraternité de la Rose-Croix, écrite pour tous les érudits et souverain d'Europe; également une courte réponse de Herr Haselmayer pour laquelle il a été arrêté et mis aux fers sur une galère. Aujourd'hui publiée et communiquée à tous les coeurs sincères. Imprimé à Kassel, 1614). La « réformation générale » est la traduction en allemand d’une partie du Ragguagli di Parnasso de Boccalini, paru à Venise en 1612, le Ragguaglio LXXVII dans lequel Apollon finit par reconnaître que changer le monde passe uniquement par l’évolution de l’être humain et non le changement de la société. La Fama, rédigée en allemand avec des passages en latin, raconte la vie et l’œuvre de C.R. fondateur de l’ordre des Rose-Croix. Elle « affirme que la philosophie de ces rose-croix n’est pas nouvelle : elle est conforme à celle dont Adam hérita après la chute et que pratiquèrent Moïse et Salomon […] on retrouve tout ce qui caractérisera le mouvement rosicrucien : rejet de la tradition (Aristote et Galien), du catholicisme, profond intérêt pour les sciences naturelles, l’hermétisme et la mystique chrétienne [1]», mais aussi rejet de l’alchimie sous sa forme de Parergon (la transmutation des métaux) et acceptation de l’alchimie spirituelle ou Ergon (L’homme est la Pierre philosophale, et c’est son cœur qui doit être transformé en or pur). La Fama, qui est en allemand, identifie C.R. comme allemand. Si on envisage que les versions, qui auraient circuler plus avant, fussent en latin, alors le terme allemand serait la traduction de germanus qui signifie fraternel, frère et qui entrerait dans la philosophie du manifeste. Un an plus tard, paraît, chez le même éditeur, la Confessio fraternitatis Rosae Crucis qui proclame la nécessité d’une régénération de l’homme et de la société et qui donne un nom aux initiales C.R. : Christian Rosenkreutz. La teinte très anti-jésuite de ces écrits laisse penser que les Rose-Croix étaient envisagés comme un contre-ordre face aux Jésuites et à leur influence à travers leurs collèges et leur entregent. En 1612, était publiée, à Cracovie, la "Monita secreta Societatis Jesu", par Hieronimus Zahorowski (ou Jawrowski), ancien jésuite, qui était une correspondance dévoilant les instructions secrètes données par le général de l'ordre. On en discute encore aujourd'hui de l'authenticité. La Monita, vraie ou fausse, ne contenait ni plus ni moins de pratiques de l'époque dans un contexte de guerre de religions.

On pense aujourd’hui que Tobias Hess,  Christophe Besold et Valentin Andrea participèrent à la rédaction de ces manifestes.  On met en relation ces hommes avec l’Ordre des Inséparables, peut-être fondé en 1580 dans les milieux des maîtres de forge, qui fondera une importante loge en 1680 à Halle. Andrea aurait rassemblé autour de lui ces passionnés de sciences hermétiques ainsi que le mystique Johann Arndt. Né en 1555 à Ballenstedt, d’abord luthérien orthodoxe, il exerça sa charge de pasteur à Badeborn, puis à Quedlinburg où il s’oppose aux calvinistes leur reprochant leur vandalisme. Après une épidémie de peste, il s’installe à Brunswick en 1599 où il fait paraître Wahres Christentum (le vrai christianisme), et enseigne à Iéna partir de 1605. Pour Arndt, l’homme apprend à se connaître dans la nuit des tourments spirituels (l’œuvre en noir), comme ceux que le Christ connut au jardin des oliviers, et au fond de lui il découvrira Dieu qui se concentre en lui en un point mystérieux. Après l’abandon à la divinité, l’homme se régénère par la prière qu’il devra pratiquer tous les jours avec ferveur, « dialogue avec Dieu, clef du ciel, fleur du paradis » et « médicament spirituel ».

Le Vrai Christianisme se ressent de l’influence de saint Bernard, Tauler et Thomas a Kempis, auteur présumé de l’Imitation de Jésus-Christ – on retrouva chez lui un exemplaire de sa main daté de 1441 - que Arndt fit publier avec la Théologie germanique. Thomas a Kempis, né à Kempen en Rhénanie vers 1380, suivit son frère Jean à Deventer chez les Frères de la Vie commune, fondés par Geert Groot. Les frères ne prononçaient pas de vœux et menaient une vie en collectivité. En 1399, Jean crée la maison de Sint Agnietenberg près de Zwolle où Thomas finira ses jours. Il devient prêtre en 1413 et écrit de nombreux ouvrages de spiritualité et de théologie. L’Imitation réunit quatre livres de piété simple et confiante faisant preuve d’une connaissance profonde du cœur humain. Elle est la plus parfaite traduction de l’esprit du mouvement de réforme spirituelle de la devotio moderna. Ce mouvement rejette la spiritualité compliquée et intellectualisée qui empêche l’amélioration de l’être humain. Il proposait des sentences faciles à retenir devant favoriser la méditation sur l’Eucharistie et la Passion dans le but de s’élever vers Dieu.

Les Frères de la Vie commune, fondèrent une école dont sortira Erasme, qui étaient proches de la congrégation des chanoines de Saint- Augustin, ne résistèrent pas à la Réforme et se séparèrent, certains se convertissant même au calvinisme. Rappelons que Luther est entré dans l’ordre des Augustins en 1505 et que la théologie du saint patron de l’ordre eut son influence sur celle du réformateur allemand à travers en particulier l’Epître aux Romains de saint Paul.

Les théologiens luthériens seront scandalisés par l’œuvre de Arndt qui devra quitter Brunswick pour Eisleben puis Celle où il mourra en 1621, après un sermon sur le 126ème psaumes : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie ».

Apparemment opposé au calvinisme, Arndt écrit dans un de ses catéchismes : « Je crois que Dieu tout-puissant a dès le début du monde appelé à lui toujours un petit groupe distinct de l’ensemble du genre humain ». C’est la thèse des premiers rosicruciens qui rejoint la notion de prédestination calviniste plus rigoureuse que celle de Luther.  Cette tendance fut exploitée par tous les ouvrages publiés à Kassel avec l’approbation de l’électeur Maurice de Hesse-Cassel qui régnait lorsque la Fama fut publiée et qui s’était converti au calvinisme en 1604. Maurice le Savant sera, avec l’Electeur Palatin Frédéric V, le principal soutien de cette confession qui était majoritaire au sein de l’Union évangélique. Il trouvait ainsi dans les manifestes rosicruciens une publicité pour ses idées. Il eut, un temps, Michel Maïer comme médecin, qui publia son célèbre ouvrage de 50 gravures alchimiques l’Atalanta fugiens, en 1617 à Oppenheim chez Johann Theodor de Bry aidé de son gendre le graveur Mathieu Merian, et qui se fera l’ardent propagateur des idées rosicruciennes qui resteront assimilées au calvinisme et aux ambitions de Frédéric V. Johann Theodor de Bry avait déménagé son imprimerie de Francfort à Oppenheim en 1613, date de l'arrivée d'Elizabeth Stuart qui avait épousé Frédéric V en Angleterre. De Bry publia aussi Robert Fludd, lui aussi grand propagandiste des Rose-Croix : De Macrocosmi Historia, Utiusque Cosmi, Historia - Tomus primus. Maurice dut céder la Hesse supérieure à la Hesse-Darmstadt puis abdiquer en faveur de son fils aîné Guillaume V en 1627. Le père de Maurice, Guillaume IV fut un protecteur des savants et se passionnait pour l’astronomie, fondant un observatoire à Kassel en 1561 et correspondant avec Tycho Brahé. Son catalogue d’étoiles fixes fut publié à Leyde en 1628. Le père de Guillaume était Philippe le Magnanime (1509 – 1567) qui se convertit à la Réforme luthérienne dès 1524. Le landgraviat de Hesse avait été fondé pour Henri Ier l’enfant, fils du duc de Brabant Henri le Magnanime et Sophie de Thuringe.

Pour le protestant, et en particulier le calviniste, seule la Bible fait autorité en matière de foi. Le salut est un don gratuit de Dieu. La volonté de l’homme n’a pas de rôle dans son obtention. C’est ce qu’André Gounelle symbolise par la grâce du chat, image proposée dans l’hindouisme. La mère du chaton le prend dans sa gueule pour lui venir en secours sans que le petit n’agisse contrairement au singe qui s’agrippe à sa procréatrice. Les œuvres, par lesquelles l’homme se sanctifie, ne sont que l’occasion de remercier Dieu. Les sacrements sont des cérémonies qui constituent le signe visible d’une chose sacrée invisible. Pour les calvinistes, la grâce opère avec eux qui sont deux : le baptême qui n’est pas nécessaire au salut ; et la Cène pendant laquelle le corps et le sang du Christ sont donnés avec le pain et le vin. L’Esprit est invoqué pour qu’il se manifeste chez le croyant et non pour qu’il pénètre le pain, le vin ou l’eau du baptême. A la fin de sa vie, Calvin affirmera une prédestination absolue, établie dès avant la création du monde par Dieu, qui a un aspect double relevé par saint Augustin : les élus manifestent la gratuité de la miséricorde divine et les réprouvés sa colère vengeresse contre le péché.

L’influence de Calvin (Noyon, 1509 - Genève, 1564), converti à la Réforme vers 1533 et qui trouva refuge un temps auprès de Marguerite de Navarre à Nérac, s’étend au domaine politique. « La transcendance irréductible du divin y semblait jouer, de manière essentiellement conservatrice, un rôle de légitimation du statu quo et des autorités en place ; en même temps, selon une logique diamétralement opposée, la force irradiante de cette transcendance apposait des limites aux puissances de l’humain, dévoilant les illusions du pouvoir absolu et frayant le chemin pour une libération de la politique de ses démons autoritaires [2]». Mais il fut aussi un révolutionnaire instituant un système social de minimum salarial et de secours aux malades et invalides. Précurseur du français classique, il écrivit ses livres dans une langue épurée et incisive, remplaçant cogitation par pensée et sapience par sagesse par exemple.

Si Johann Valentin Andrea, luthérien convaincu, semble être mêlé à l’aventure rose-croix - il reconnaît dans son autobiographie qu’il est l’auteur des Noces chymiques de Christian Rosenkreutz parues en 1616 alors anonymement – il a la dent dure envers la « fraternité rosacée » qu’il traite de plaisanterie dans son Hercule chrétien dès 1615 désapprouvant sans doute la dérive calviniste de l’association. Il recherchait la pureté christique et l’union des chrétiens dans une Eglise réformée. Son grand-père Jacob Andrea était un théologien disciple de Luther qui reprit la croix et la rose des armoiries de son maître – un cœur percé d’une croix dans une rose - pour emblème. Le nom de Rose-Croix était ainsi tout trouvé dans l’histoire familiale.

Malgré les dénégations de Andrea, la Rose-Croix deviendra une légende dont la postérité se poursuit jusqu’à nos jours. Robert Fludd (1574 – 1637) constituera un corpus doctrinal présentant la fraternité comme une organisation chrétienne à l’enseignement à la fois scientifique et hermétiste et publiera son premier ouvrage, une défense de la Fraternité des Rose-Croix, à Leyde en 1616.

La rose et la croix

La dévotion de Luther à Marie s'exprime à travers divers sermons où il n'interdit pas la récitation de l'Ave Maria, reconnaissant à la Vierge une place plus importante qu'à Eve ou à Sarah. Actuellement une église évangélique luthérienne américaine propose même un " rosaire de Luther ". Le rosaire tire son nom de la couronne de rose que l'on offrait à la Vierge comme on le faisait aux jeunes filles. La Vierge Marie est la mère charnelle du Christ dont le père spirituel est Dieu. Le Catéchisme d'Heidelberg de 1563 qui cherchait à concilier les différentes tendances du protestantisme, donne à la question 35 - Que veut dire "conçu du Saint-Esprit et né de la vierge Marie"? - la réponse suivante : " Que le Fils éternel de Dieu, qui est le Dieu vrai et éternel (Jean 1.1; Romains 1.4), et le demeure (Romains 9.5), a assumé la vraie nature humaine de la chair et du sang de la vierge Marie (Galates 4.4; Jean 1.14), par l'opération du Saint-Esprit (Matthieu 1.18; Luc 1.35), afin d'être aussi la vraie postérité de David (Psaumes 132.11; Romains 1.3), semblable en toutes choses à ses frères (Philippiens 2.7) excepté le péché (Hébreux 4.15) " (sentinellenehemie.free.fr/confessionHeidelberg.html). La rose, symbole marial, représente la part terrestre du Christ et la croix la part céleste. " La croix atteste la divinité et l'altérité paradoxales de Dieu. Dans la mort de Jésus sur la croix, Dieu se donne à connaître totalement différent de ce que l'on attendait de lui. Il se révèle là où personne ne l'attend, sous la forme même de son contraire " (www.reforme.net/archive/article.php?num=3131&ref=601).

On trouve des représentations de saint Disibold avec la croix et le rosaire. L'irlandais Disibold est le fondateur, dans la région de Trèves en Allemagne, de l'établissement religieux qui deviendra l'abbaye de Disibodenberg, bénédictine puis cistercienne au XIIIème siècle. Hildegarde de Bingen (Bermersheim, 1098 - Rupertsberg, 1179) en fut abbesse au XIIème siècle. C'est en effet dans le milieu cistercien que le rosaire comme pratique mariale prend sa source. C'est le cistercien saint Aelred de Rielvaux (1109-1167) qui, le premier, réalise dans la Vie de recluse une méditation systématiquement conduite, préfigurant ainsi la méthode du chartreux Rudolph de Saxe, auteur d'une Vie du Christ, et celle de saint Ignace de Loyola. Aux XIIIème et XIVème siècles, sur les rives du Rhin, de la Moselle et de l'Escaut, monastères de cisterciennes, cloîtres de dominicaines, béguinages des villes du Nord ont été les foyers privilégiés d'usage et d'enrichissement de méthodes de dévotion. Popularisé par l'ordre de Cîteaux, l'Ave Maria, devient une invocation répétitive qui s'ajoute ou même se substitue au Pater. Par analogie avec les 150 psaumes bibliques qui, depuis les débuts du christianisme, jouent un rôle important dans la formation de la prière collective et privée, s'instaure alors la coutume de réciter les Ave Maria par groupe de 50. Le psautier de Notre-Dame comprend trois cinquantaines ayant chacune le nom de " chapelet " (de chapel : le chapeau) en référence aux couronnes de fleurs offertes aux images de la Sainte Vierge. A Ahuillé, La Provôterie fut un fief mouvant de Laval sous le devoir d'un " chapel de roses " à la fête de la Consécration. " Les coutumes d'Anjou, de Tours, Lodunois, & Maine " parlent du chapeau de roses comme d'un léger don de mariage fait à la fille en la mariant.

Vers 1300 sont réunies de façon méthodique, une série d'Ave Maria et une méditation des bienfaits de l'Incarnation au monastère des cisterciennes de Saint-Thomas sur Kyll, dans la région de Trèves. Un siècle plus tard, dans son autobiographie, un chartreux de Cologne, Henri Egher de Kalkar (+1408) opère la division du chapelet en dizaines, séparées chacune par la récitation d'un Pater. Dominique de Prusse (+1460), de la Chartreuse de Saint-Alban de Trèves, a l'idée de lier, dans un principe marial et christocentrique, la récitation du chapelet et la contemplation de la vie du Christ, en divisant celle-ci en 50 épisodes puis en rédigeant pour chacun un court texte destiné à suivre l'Ave Maria. Il étend ensuite ce procédé à tout le psautier marial et compose trois séries de 50 phrases sur l'enfance, la vie publique et la passion du Seigneur. La dimension collective de la prière du Rosaire - ou "Psautier de Notre Dame" - se développa sous l'influence d'un dominicain ami des chartreux, Alain de la Roche. Il organisa la première confrérie de la Vierge, à Douai, en 1470. Sans raison, La Roche attribue l'origine du rosaire au fondateur de son ordre, saint Dominique, qui, selon un dominicain de Bologne, avait 9 manières de prier (Les neuf manières de prier de saint Dominique, datant probablement des années 1260-1280). Un siècle plus tard, le pape dominicain Pie V, détermina la forme traditionnelle et actuelle du Rosaire et en fixa la structure autour des quinze mystères. Il institua la fête de Notre Dame du Rosaire en action de grâce après la victoire navale de Lépante sur les Turcs, le 7 octobre 1571. En 1828, Pauline Jaricot fonde à Lyon l'Association du Rosaire vivant pour l'évangélisation. En 1858 à Lourdes, la Vierge Immaculée se montre à Bernadette avec un chapelet tandis qu'à Fatima, Notre-Dame révèle son nom à trois jeunes enfants : Je suis Notre-Dame du Rosaire.

Le chiffre 9

Nous noterons ici la permanence du chiffre 9 dans le nombre des degrés initiatiques de plusieurs confréries rosicrucienne. La Rose-Croix d’Or, sous la plume de Petrus Mormius, fut fondé en Dauphiné par Frédéric Rose en 1622 et était composé de trois membres. Cette secte réapparaît chez Salomon Richter en 1710 avec une initiation en 9 degrés et ne comptant pas plus de 63 membres. Mais c’est avec Hermann Fictuld qu’elle prend corps en un ordre qui s’étendit en Allemagne et en Autriche. Lorsque les Rose-Croix sont chassés d’Autriche en 1767, Hermann Fictuld se réfugie à Innsbruck et l’ordre est pris en main par d’autres frères qui le réforment. L’origine templière est abandonnée, les branches de l’ordre ne pourront compter plus de 9 membres dirigés par un maître, l’initiation est graduée en Junior, Theoreticus, Practicus, Philosophus, Minor, Major, Adeptus, Exemptus, Magister et  Majus. En 1777, deux aventuriers, Wöllner et von Bischoffwerder mettent la main sur l’ordre qui leur permettra d’approcher le prince héritier de Prusse Frédéric-Guillaume. L’ordre devint la Rose-Croix d’or d’ancien système plutôt conservatrice, et sa règle ne fait référence ni à Christian Rosenkreutz, ni à Frédéric Rose mais à l’Egyptien Ormus converti par saint Marc qui est mentionné dans les papiers du Prieuré de Sion. Le prince de Prusse, une fois devenu roi, nomme ministres les deux hommes qui liquident la société en prononçant une suspension des travaux (silanum) en 1787. Sous leur influence, le roi abolit le monopole d’Etat sur le café et le tabac, décrète la liberté de culte de diverses religions pratiquées en Prusse en fixant leur dogme et conclut une alliance avec l’ennemi héréditaire, l’Autriche.

La Societas rosicruciana in Anglia fondée par Little vers 1865, l’ordre de la Rose-Croix d’or du Danemark fondée par Michelsen, l’ordre de la Rose-Croix universitaire fondée par Emile Dantinne en 1923 à Louvain, reprennent aussi neuf grades. L’AMORC en ajoute 3 secrets.

Joseph Péladan (Lyon, 1859 - Neuilly-sur-Seine, 1918), après avoir fondé l’ordre kabbalistique de la Rose-Croix avec Stanislas de Guaita, s’en sépare pour rester dans le giron de l’Eglise catholique. En mai 1891, il crée l’ordre de la Rose-Croix Catholique, déclarée le 23 août, qui changera de nom plusieurs fois pour s’appeler finalement Ordre de la Rose-Croix du Temple et du Graal dont le patron était Léonard de Vinci. L’ordre organisa des salons de peintures à partir de 1892 dans le but d’expurger la peinture de tout réalisme. Delacroix et Valloton, entre autres, y participèrent. Il se proposait aussi de réintégrer l’ésotérisme au sein de l’Eglise. Jean Robin (Le Royaume du Graal) fait intervenir la Rose-Croix de Péladan dans l'affaire de Rennes-le-Château. Saunière aurait modifié l'inscription de la dalle funéraire de Marie de Nègre d'Ables selon ses indications.

Il semble que les Rose-Croix eurent une influence sur la Franc-Maçonnerie qui introduisit dans les années 1740 les hauts grades dont celui de Rose-Croix justement. Cela marquait aussi sa perméabilité à l’organisation hiérarchique de la société d’ordre de l’ancien régime, « la cascade de mépris » pour les classes sociales « inférieures » se reflétant dans la « cascade des grades » de l’Ordre maçonnique du XVIIIème siècle.

L’importance du 9 se manifeste dans le Rite Ecossais rectifié où, entre autres, pour se réunir, les affiliés doivent être au moins 9. Dans le Rite écossais ancien et accepté, ce sont neuf maîtres qui sont nommés en remplacement d’Hiram par Salomon, encore neuf autres maîtres qui partent à la recherche du corps d’Hiram, il y a neuf flambeaux dans la Chambre du Milieu, il existe le grade d’Elu des neufs, et le but du huitième est de construire 9 tabernacles et temples pour glorifier le Grand Architecte. Le 14ème grade (Grand Ecossais de la Voûte sacrée) s’orne de gravures dont celle de la pierre cubique présentant les trois triangles entrelacés, les neuf étoiles qui entourent l’étoile flamboyante. Toujours dans le même rite, les batteries comptent 9 coups frappés pour le troisième grade, et l’ennéagone est un élément du décor du Sublime Prince du Royal Secret (32ème grade). Dans le Rite Français, on compte neuf étoiles et neuf larmes sur les décors des loges. Dans le Rite Ecossais Rectifié, défini par Jean-Baptiste Villermoz, il faut 9 frères pour ouvrir une loge et 9 rappelle le caractère composé de la matière, sa dissolubilité, et « annonce la fin de toutes choses temporelles [3]».

La loge des Neuf Sœurs fut présidée, de 1779 à 1781, par Benjamin Franklin, un des artisans de la Révolution américaine avec d’autres frères comme Georges Washington. Voltaire y fut initié en 1778 peu avant sa mort. La loge, qui succédait à la loge des Sciences probablement créée par Helvétius, eut neuf fondateurs dont Lalande (Bourg-en-Bresse, 1732 – Paris, 1807), qui la présida de 1776 à 1779, et l’abbé Cordier de Saint Firmin. Les présidents Dupaty (1784) et Elie de Beaumont (1784 – 1785) jouèrent un rôle dans le mouvement de réformation de la justice dans les dernières années de l’ancien régime, au nom de l’action de bienfaisance de la loge qui s’engageait à « voler au secours de l’Humanité ». L’abbé Barruel donnera, sans preuve, à la Loge des neuf Sœurs un rôle directeur dans les événements révolutionnaires car on comptait dans ses rangs Romme et Garat, ardents jacobins. Les Neuf Sœurs deviennent Société nationale sous la Révolution, jusqu’en 1792, puis réapparaissent en 1805 pour s’éteindre définitivement en 1848.

Les maçons honorent 9 saints, en particulier, qui sont fêtés le même jour : les quatre couronnés (Sévère, Sévérien, Cartaphore et Victorien qui refusèrent de participer à la construction d’un temple païen) et cinq autres qui refusèrent de sculpter une idole : Claudius, Nicostrate, Simplicius, Symphorien et Castor. Ces deux derniers saints ont leur chapelle dans le cercle gardois.

Maçonnerie

On peut attribuer à Philibert de l’Orme (Lyon, vers 1510 – Paris, 1570) la paternité de l’expression Grand Architecte de l’Univers, associée à Dieu, que l’on trouve dans l’édition de 1567 de son ouvrage Architecture. Expression que l’on retrouve chez Marlowe et chez Kepler et que la maçonnerie a utilisée. Elle rendit la croyance en cet Architecte obligatoire pour tous les maçons, contrainte levée par le Grand Orient de France en 1877. Dans l’imaginaire maçonnique le Grand Architecte créa le monde avec sagesse en mettant en œuvre la Géométrie et les Divines Proportions contenues dans son intelligence. Le franciscain Luca Pacioli (Borgo San Sepolcro, 1445 – Rome, 1517) rédigea son grand Traité de la Divine Proportion, illustré, semble-t-il, par Léonard de Vinci et publié à Venise en 1509, en le dédiant à ses élèves tailleurs de pierre de Borgo San Sepolcro. De telles relations d’intellectuels avec des gens de métiers ont sans doute contribué à la formation de la maçonnerie spéculative qui prit le pas sur l’opérative, en particulier en Ecosse dans les années 1630.

Parmi les Francs-Maçons nonagonisables, notons Jean-Théophile Désaguliers, né à La Rochelle en 1684, qui fuit la France pour l’Angleterre après la Révocation de l’Edit de Nantes avec ses parents. Il devient pasteur, tout en étant physicien, mathématicien et astronome. Ami de Newton, il est l’inventeur du planetarium. Il assiste James Anderson dans la rédaction des Constitutions qui créent la Maçonnerie moderne. L'Ordre tient son premier convent, le 24 juin 1717, dans une taverne londonienne, à l'enseigne de l'Oie et du Gril (!). Desaguliers se propose comme Grand Maître dès cette année-là, mais il n'accède à la grande maîtrise de la Grande Loge d’Angleterre qu'en 1719 et enverra en mission à travers l’Europe des propagandistes de son projet sociétal. Il participe à une tenue en la loge de Bussy à Paris en 1735 avec le duc de Richmond, qui réunissait des maçons à Aubigny-sur-Nère en son château de La Verrerie. Richmond, lié à Montesquieu, avait été Grand Maître de la grande Loge anglaise en 1724-1725.

Louise Michel (Vroncourt, 1830 – Marseille, 1905) fera partie de la Grande Loge Symbolique Ecossaise en 1904. Elle connut Maria Desraimes (Eaubonne, 1828 – Pontoise, 1894) et fonda avec elle en 1866 l’Association pour le droit des femmes. Maria Desraimes, affirmant l’égalité des hommes et des femmes, créa avec Georges Martin, en 1893, l’obédience mixte du Droit Humain qui compte aujourd’hui près de 30 000 membres à travers le monde. Enfin, Emile Combes (Roquecourbe, 1835 – Pons, 1921) deviendra anticlérical forcené après avoir fait des études au séminaire. Initié à la loge Les Amis réunis de Barbezieux, il s’affilie en 1896 à la loge la Tolérance et l’Etoile de Saintonge à Pons. Son engagement maçonnique le conduira à soutenir Dreyfus, à lutter contre les congrégations, et à faire progresser les droits sociaux. L’affaire des fiches, à laquelle sera mêlé le franc-maçon Frédéric Desmons (Brignon, 1832 – 1909), destinées à noter les opinions religieuses et politiques des officiers de l’armée, révélée par la presse, fera tomber son ministère. Il n’occupera plus que son poste de sénateur jusqu’à sa mort.

Les liens de la Rose-Croix et des loges maçonniques semble surtout se tissés autour du calvinisme. Comme on a vu que Kassel était capitale du prince Maurice de Hesse, converti au calvinisme, la Franc-Maçonnerie pris un tournant qui la fit entrer dans la modernité avec la loge elle-aussi calviniste de Kilwinning.

La Loge de Kilwinning qui se dit la Loge-Mère de la Franc-Maçonnerie fit accepter par William Schaw, décrit comme Maître des Travaux du Roi et Surveillant Général des Maçons, en 1599, qu'elle puisse se réunir le 20 décembre au lieu du 27, jour de la Saint-Jean, et d'être appelée " Tête ", ayant la préséance sur les autres loges calvinistes d'Ecosse. Elle avait refusé pour raison religieuse de signer les deux Chartes Saint Clair de 1601 et de 1628 qui reconnaissaient le seigneur catholique de Sinclair de Roslin comme patron de diverses loges d'Écosse. La loge de Kilwinning est surtout connue pour son rite du Mot de maçon créé vers 1628/1637 pour remplacer le rite anglais et anglican des Anciens devoirs opératifs passés et pour constituer à partir de 1696 un art de mémoire conforme aux principes du calvinisme, basé uniquement sur des images verbales (métaphores et allégories). Ce rite s'inspire de la triple conception réformée du temple : temple de Salomon, corps de Jésus-Christ et communauté des chrétiens. Il est à l'origine de l'actuel rite français traditionnel, forme originelle du rite en trois degrés (apprenti, compagnon, maître) pratiqué aujourd'hui dans le monde par les Grandes loges plus ou moins lointainement issues de la Grande loge de Londres créée en 1717. Ce rite s'est progressivement répandu dans les loges protestantes d'Ecosse puis anglicanes et catholiques. C'est en 1697 que les seigneurs catholiques Sinclair de Roslin furent dits " obligés de recevoir le Mot de maçon ". En 1807, la Grande Loge d'Ecosse plaça la Loge de Kilwinning en tête de liste des grandes loges d'Ecosse avec le fameux et distinctif N° 0. Kilwinning revendique le nom de Loge Mère puisqu'elle est la créatrice du rituel du Mot de maçon et la première à le transmettre aux autres loges d'Écosse, à l'Angleterre, et au monde[4].

Les dates concernant Kilwinning, 1599 pour sa prise d'autonomie puis 1628/1637 pour l'édiction du rite du Mot de maçon qui dut murir quelques années auparavant entre en corrélation avec l'année 1614 où furent publiés les manifestes rosicruciens. Le lien, comme je le cherche, doit comporter plusieurs aspects : le calvinisme, puisque Kilwinning et Kassel sont en terres calvinistes ; les voyages ; le paracelsisme. Frances A. Yates reconnaît que la pensée du mouvement rosicrucien est représentée par des médecins paracelsistes comme Fludd, Maïer et Croll et qu'une de ses tendances est la médecine car les Frères R.C. se présentent comme des médecins.

Pour apercevoir une relation entre l'Ecosse et les manuscrits rose-croix, lisons la note bibliographique de Frances A. Yates : « Pryce a démontré dans son introduction à la Fama et à la Confessio (pp. 3-8) que la traduction éditée par Vaughan correspond étroitement au manuscrit d'une traduction en dialecte écossais conservée parmi les papiers du comte de Crawford et Balcarres, datée de 1633. pryce pense que le manuscrit de Crawford et le manuscrit copié par Vaughan sont tous deux tirés d'un original plus ancien, antérieur à 1633[5]. »

Un lien possible est Théodore Turquet de Mayerne, né en 1573 à Genève, un agent du calvinisme international selon William Birken (The Dissenting Tradition in English Medicine of the Seventeenth and Eighteenth Centuries). Théodore de Bèze (Vézelay, 1519 - Genève, 1605) successeur de Jean Calvin fut son parrain. Il suit de premières études à Genève où l'on trouve l'anglais Henry Wotton (1568 - 1639) dans les années 1590, ami de Casaubon, qui séjournera en Ecosse en 1602 auprès du futur roi d'Angleterre Jacques Ier sous l'identité d'un italien, mais peu suspect d'être rosicrucien. Mayerne continue son cursus à l'Université d'Heidelberg, capitale du Palatinat, pendant plusieurs années. Il étudie la physique puis ira à Montpellier où il deviendra médecin. Venu à Paris pour approfondir ses connaissances en anatomie et en pharmacie, devenu médecin de Henri IV en 1600, Mayerne, qui est d'obédience paracelsienne, s'intéresse à la fabrication chimique de médicaments. Il entre en conflit avec la Faculté de Paris qui défend toujours les positions de Galien et d'Aristote. Il se défendra dans Apologia in qua videre est, inviolatis Hippocratis et Galeni legibus, Remedia Chemice praeparata tuto usurpari posse. Rupel. 1603. Il accompagnera le duc de Rohan dans ses ambassades en Italie et en Allemagne. Mais refusant de revenir au catholicisme Mayerne part en 1606 pour l'Angleterre où il avait été invité par un noble anglais qu'il avait soigné. Incorporé à son grade montpelliérain à Oxford , il devient médecin du roi Jacques Ier et de la reine Anne de Danemark. Après un retour de 4 années en France, il regagne l'Angleterre après l'assassinat d'Henri IV. Il ne pourra empêcher, en 1612, la mort prématurée du prince Henry, fils aîné du roi d'Angleterre.

En 1616 il est élu membre du Royal College of Physicians et deux ans plus tard il se retrouve en France. Il publie deux ans plus tard une Sommaire description de la France, Allemagne, Italie & Espagne. En 1624, il est à nouveau en Angleterre, puis un an plus tard dans son pays natal à Aubonne dont il a acquis la baronnie en 1620. Quand Charles Ier accède au trône en 1625, Mayerne est encore premier médecin du roi et de la reine. Il invente le black-wash (lotio nigra) à partir du calomel (chlorure de mercure). On pense qu'il resta dans sa maison de St Martin's Lane à Londres pendant la Guerre Civile. Il se retire à Chelsea après l'exécution de Charles Ier et occupera la même charge auprès de Charles II qu'avec son père.

Mayerne se maria deux fois : Marguerite de Boetslaer, et Elizabeth Joachimi. Il meurt à Chelsea le 22 mars 1655 et est enterré à St Martin-in-the-Fields. Un monument est érigé avec une inscription de son filleul Théodore des Vaux. Toujours en contact avec sa ville natale, il accueillait ses compatriotes à leur arrivée à Londres. Il rencontre ainsi Jean Petitot avec qui il partage ses découvertes chimiques. Il invente en effet la fabrication du pourpre par le perfectionnement des plaques de cuivre, supports de la pâte d'émail destinée à la peinture. Mayerne introduit Petitot auprès du peintre Van Dijck et du roi Charles 1er. Van Dijck convainc Petitot de se consacrer à la peinture sur émaux. Le roi et toute sa cour lui commandent leur portrait. Horrifié par la mort de Charles Ier, Petitot rejoint la France où il devient le " Raphaël de la peinture sur émail ", en peignant toute la cour de Louis XIV. Refusant de se convertir en 1685 lors de la révocation de l'Edit de Nantes, il est enfermé mais finira par signer sa conversion. Libéré, il se réfugie à Genève où sa renommée l'importune puis à Vevey où il meurt en 1691 à 84 ans.

Le père de Théodore, Louis Turquet de Mayerne (Lyon, 1550-1618), est l'auteur de La Monarchie aristodemocratique, qui déclare que l'Etat plébéien est la pépinière de la noblesse et que c'est la vertu qui confère la noblesse. Ce sera la bible de la noblesse de robe qui monte en puissance avec les Bourbons. C'est aussi le traducteur, en 1582, de De incertitudine et vanitate scientiarum de Henri Corneille Agrippa (Heinrich Cornelius Agrippa von Nettesheim) 1486-1535). Dans cet ouvrage cette figure classique de la Renaissance, philosophe et théologien versé dans le néo-platonisme et la Kabbale, discourt sur l'art de Lulle, l'astrologie, la divination, la magie noire et la nécromancie , en cherchant à démontrer la nocivité pour la vie des hommes et pour le salut de leurs âmes des arts et des sciences. L'ouvrage, où il est dit que "Tout alchimiste est médecin ou savonnier" fut mis à l'index en 1550.

La femme de Louis Turquet et mère de notre médecin était Louise Le Maçon (quel nom prédestiné pour notre étude). Elle était fille de Antoine Le Maçon, conseiller des rois François Ier et Henri II, trésorier de l'extraordinaire des guerres, qui quitta ces emplois pour suivre Marguerite de Valois, sœur de François Ier, mariée au roi de Navarre Henri d'Albret, et grand-mère d'Henri IV. Antoine Le Maçon fut aussi un traducteur, celui de Boccace pour son Décameron qui inspirera l'Heptaméron de Marguerite. Cet exil de la cour a sans doute un motif religieux. Antoine était protestant. On trouve un Simon Le Maçon, seigneur d'Espeisses et maître d'hôtel du roi, qui épouse Marguerite, fille de Josias Mercier, Seigneur des Bordes et de Grigny qui occupait de hautes fonctions dans l'Eglise réformée. Celle-ci est connue pour avoir laissé un intéressant livre de raisons, dans lequel elle consigne tous les faits du quotidien depuis 1645 jusqu'en 1661.

Les Le Maçon étaient au service des rois de France depuis fort longtemps. De Guillaume Le Maçon était général des monnaies nommé le 24 février 1484. Robert Le Maçon (Château-du-Loir, vers 1365 - Trèves, 1443) était chancelier de Charles VII, et avant, partisan du roi lorqu'il était dauphin dans la tempête de la guerre de Cent Ans ainsi que le protecteur de Jeanne d'Arc dès son appartition. Il acheta la seigneurie de La Provôterie à Ahuillé. La devise de la famille Le Maçon était : " sovvent est pres de son dovmage " ; leurs armes portaient trois limaçons (les escargots sont en alchimie symbole de la lenteur de la voie humide).

Peut-on penser que Turquet ait eu un rôle dans l'apparition des manifeste Rosecroix ? Dans la Fama, on peut lire que le Fr. C.R. " s'embarqua pour Damcar, avec l'intention de visiter Jérusalem en partant de cette cité. Cependant comme la fatigue l'avait contraint de prolonger son séjour en ce lieu, grâce à son expérience non négligeable de l'art médical, il y gagna la faveur des Turcs ". Le jésuite François Garasse dans La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, avait lu la Fama et " conclut que l'érudition de l'auteur est issue de Turquie ". Faut-il voir chez l'auteur de la Fama et chez un opposant aux Rosicruciens, peut-être bien renseigné, une allusion au nom de Turquet ? Certes, le père de Mayerne est né à Lyon et Etienne Turquet était un marchand piémontais qui fut l'initiateur avec Barthélemy Naris de l'industrie de la soierie et des tissus précieux à Lyon en 1536.

Plus loin dans la Fama : " Sa renommée en Angleterre était très grande, en particulier parce qu'il guérit de la lèpre un jeune comte de Norfolk ". En effet, la renommée du médecin qu'était Mayerne était grande en Angleterre. Mais soigna-t-il un comte de Norfolk de la lèpre ? Si l'on précise certains points. D'une part il s'agirait d'un comte du Norfolk et non de Norfolk et d'autre part on prétendait à partir du XIIIème siècle, époque où l'on préconisait la castration, le démembrement et le bûcher contre les sodomites, que l'homosexualité donnait la lèpre, en particulier Guillaume d'Auvergne (Aurillac - Paris, 1249), évêque de Paris de 1228 à 1249, dans sa Summa de poenitatia.

On retrouve dans les notes de Théodore Turquet de Mayerne la présence de Lady Audrey Walsingham, fille de Ralph Shelton of Norfolk, dont la première consultation eut lieu probablement en 1618/1619 car elle décéda en 1624, 5 ans et quelques mois plus tard selon le médecin. Son mari était Thomas Walsingham of Scadbury (vers 1560 - 1630), cousin et héritier de Sir Francis Walsingham. La famille de Sir Francis prétendait provenir de la cité de Walsingham dans le Norfolk, célèbre pour son pèlerinage.

Sir Thomas était le protecteur de poètes élisabéthains comme Christopher Marlowe ou Georges Chapman. La critique actuelle suspecte Marlowe et le jeune Sir Thomas de s'être intimement connus. Sir Thomas aurait été atteint par la " lèpre ", euphémisme pour parler de son homosexualité. Les noms d'un Thomas Walsingham et de Thédore Turquet de Mayerne se retrouvent ensemble au sujet de Eltham (banlieue londonnienne). Walsingham fit couper des arbres dans Eltham Park, et Mayerne fut maître des eaux et forêt en ce lieu ainsi que maître du gibier. Turquet de Mayerne connaissait donc bien la famille Walsingham.

Dans l'iconographie rosicrucienne du début du XVIIème siècle sont représentées toiles d'araignée et ruches d'abeilles. Mayerne fut un entomologiste comme le prouve l'achat qu'il fit du manuscrit de Konrad Gesner (1516-1565) augmenté par Thomas Moffett, autre médecin paracelsien, anglo-écossais, dit " le Prince des entomologistes ", et qu'il fit publié en 1634 sous le titre Insectorum, Sive, Minimorum Animalium Theatrum et qu'il dédicaça à William Paddy, médecin paralcesien ami commun des auteurs rosicruciens Robert Fludd et Michel Maïer. Moffett avait une admiration pour les araignées " jamais surpassée ". Dans les Emblèmes éthico-politiques de Zincgreff, publiés à Oppenheim en 1619 par De Bry, la toile d'araignée représente le monarque prudent et le nid d'abeilles le monarque bienfaisant. Les caricatures contre Frédéric V, Electeur palatin, après le désastre de la Montagne blanche de 1620 le montre détruit par une araignée dans une ruche.

Un lecteur de la New Altlantis Francis Bacon, John Heydon, fait d'un ambassadeur de la Nouvelle Atlantis, portant turban blanc surmonté d'une petite croix rouge, un frère Rose-Croix. Celui-ci visitait la maison des étrangers où ils étaient soignés gratuitement comme, en effet, le pratiquaient les Rose-Croix d'après les Manifestes. Le maçon Henri Dunant (Genève, 1828 - Heiden, 1910) se serait-il souvenu de cet emblème, croix rouge sur fond blanc, pour nommer sa création de la Croix Rouge qui porte secours gratuitement aussi aux victimes de la guerre et aux malades ?

Conclusion

Les auteurs des premiers manifestes rose-croix se proposaient de changer la société en se choisissant un champion parmi les princes protestants dont ils fréquentaient les cours. « Le mouvement rosicrucien était conscient de l'ampleur de nouvelles révélations imminentes, de l'accession prochaine de l'homme à un degré de progrès, très au-delà des précédents [...] Ainsi l'alchimie rosicrucienne exprime à la fois la perspective scientifique, l'exploration de nouveaux terrains de découvertes et une attitude religieuse, de pénétration dans de nouveaux domaines de l'expérience religieuse[6] ». La tolérance du rosicrucianisme, de la magie, des théories hermétistes qui à l'intérieur de leurs doctrines pratiquaient déjà un syncrétisme, était un indicateur de l'acceptation des gouvernants et des sociétés des nouvelles théories scientifiques pouvant égratigner les certitudes religieuses et des nouvelles techniques. La défaite des armées protestantes à la Montagne blanche et les réticences d’un Andrea recentreront les auteurs rose-croix vers un hermétisme chrétien qui visait au changement de cœur humain, objectif des mystiques de la devotio moderna, loin de toute prétention politique. Au XVIIIème siècle, le comte de Saint-Germain cherchera à son tour de convaincre la cour du roi de France d’entreprendre des réformes, sans succès.  La Révolution, succédant aux Lumières, retrouvera le chemin de la réformation de la société pour accessoirement changer l’homme, par l’action violente. Mais on ne peut séparer le Siècle des Lumières qui se voulait rationaliste du foisonnement des théories occultistes qui ensemble jouèrent leur rôle dans le déclenchement de la Révolution. Le rationnel et le sensible qui semblent s’opposer ont participé à la contestation de l’ancien régime. « A une monarchie reproduisant les fidélités et les hiérarchies célestes mais inefficace dans l’ordre séculier, avait insensiblement succédé un régime rationaliste, bureaucratique et unificateur, un Etat dépersonnalisé qui paraissait envahissant et oppressant, anonyme, arbitraire et despotique, comme disait alors l’opposition. Le christianisme avait perdu sa capacité d’explication globale de la société civile dont la légitimité n’apparaissait plus désormais que comme une superstition. Les progrès de la critique, de l’histoire, des sciences et de la philosophie avaient fait naître une foi nouvelle dans l’avenir : à l’attente du règne divin s’était substituée une espérance de bonheur terrestre ». Ce bonheur terrestre pouvait être apporté par d’autres croyances que le christianisme avait refoulées et, par son reflux, libérées. La foi en la guérison astrale et magique des corps et des esprits se prolongeait insensiblement par la foi en la régénération du corps social. La Société mesmérienne de l’Harmonie universelle comptait parmi ses membres le banquier Kornmann, futur trésorier d’un ministre girondin, La Fayette et Brissot, participant du Cercle Social qui proposera la République dès 1791 et dont l’idéologie alliait théories occultes et idées politiques les plus avancées.


[1] Erik Sablé, « Dictionnaire des Rose-Croix », Dervy, p. 70

[2] Denis Müller, « Jean Calvin – Puissance de la Loi et limite du Pouvoir », Michalon, p. 112

[3] J. Lhomme, E. Maisondieu, J. Tomaso, « Nouveau dictionnaire thématique illustré de la Franc-Maçonnerie », Dervy, p. 454

[4] Patrick Négrier, www.prismeshebdo.com/prismeshebdo/article-lirexpress-imprim.php3?id_article=173

[5] Frances A. Yates, « La lumière des Rose-Croix », Retz, p. 287

[6] Frances A. Yates, « La lumière des Rose-Croix », Retz, p. 257