Partie III - Thèmes   Chapitre XXIX - Oiron   Les Gouffier   

La famille Gouffier

Guillaume Gouffier, seigneur de Boisy, né vers 1420 est mort le 23 mai 1495. Il s'employa d'abord, de 1442 à 1445, comme gentilhomme de la maison du comte du Maine, beau-frère de Charles VII. A cette dernière date, et vraisemblablement par l'influence d'Agnès Sorel, il passa au service du roi, qui le combla de bienfaits, et fut du petit nombre des confidents intimes qui assistèrent, en 1450, aux derniers moments de la favorite de Charles VII. Il reçoit du roi la terre d'Oiron en 1449. Charles VII le retint successivement auprès de lui avec les titres d'écuyer, de sénéchal de Saintonge (1451), et de premier chambellan du roi en 1454. Boisy s'enrichit des dépouilles de plusieurs autres favoris disgraciés. C'est ainsi qu'il acquit des terres et des richesses extrêmement considérables, parmi lesquelles il faut citer le domaine de Boisy qui devint le nom de la famille, et celui de Roannez, érigé plus tard en duché-pairie ; l'un et l'autre confisqués à Jacques Cœur. Guillaume fut aussi victime des intrigues de la cour. Accusé, en 1455, de complicité avec l'argentier Otto Castellano, d'avoir ensorcelé le roi, il fut condamné à la confiscation de ses biens et au bannissement. Mais, en courtisan rompu, il plia devant l'orage, et reconstitua bientôt sa fortune. Louis XI, en 1465, le rétablit dans tous ses titres, dignités et richesses, qu'il accrut encore. Le seigneur de Boisy, selon le père Anselme, avait été gouverneur de Charles, duc de Berry, frère de Louis XI. Il remplit les mêmes fonctions auprès du jeune Charles VIII, puis du dauphin Charles Orland, fils de ce dernier et mort à 3 ans. Guillaume Gouffier mourut à Amboise, laissant une des fortunes les plus opulentes du royaume.

Son fils, Artus Gouffier, seigneur de Boisy, duc de Roannez, pair de France, naquit vers 1475, et mourut en mai 1519. Artus fut élevé enfant d'honneur du roi Charles VIII, et suivit ce prince à la conquête de Naples en 1495. D'abord page, il devint panetier du roi ; on le retrouve en 1499 en Italie, aux côtés de Louis XII. Ses lumières et sa précoce sagesse le firent distinguer du roi. Louis XII l'institua, en 1503, bailli de Vermandois, et lui confia bientôt l'éducation du futur François Ier qui sera son gendre. Ce fut Artus qui inspira au prince l'amour des arts, des lettres, le sentiment du beau en toute chose, puisé dans ses fréquents voyages en Italie. François Ier témoigna pendant toute la vie de son gouverneur l'estime éclatante et le profond attachement qu'il avait conçus pour lui. Créé bailli de Valois en 1514, le seigneur de Boisy accompagna son élève, devenu roi, à la conquête du Milanais, et prit part à la bataille de Marignan. L'un des premiers actes de François, lorsqu'il eut ceint la couronne, fut d'appeler le seigneur de Boisy au conseil de ses ministres, en lui conférant la charge éminente de grand maître de France. Il le nomma de plus, en 1516, lieutenant général et gouverneur du Dauphiné. Après l'élévation de Charles V à l'empire, il négocia le traité de Noyon, fit entendre au roi les plus sages conseils, et conclut, en 1519, à Montpellier avec le seigneur de Chièvres, ambassadeur de l'empereur le mariage de Charles V avec la fille de François Ier. Il meurt subitement dans cette ville à la suite d'unen courte maladie, avant que ces négociations fussent terminées. Ce fut lui qui donna à François Ier la devise historique de la salamandre, avec ces mots : " Je nourris le bon feu et j'éteins le mauvais, " On peut enfin voir encore aujourd'hui des traces remarquables du faste et du gout pour les arts des Boisy, dans les ruines magnifiques du château d'Oiron.

Artus Gouffier de Boisy, duc de Roannez et pair de France, comte d'Étampes, comte de Caravas, baron de Passavant, de Maulévrier, de Roanne, de la Mothe-Saint-Romain, de Bourg-sur-Charente et de Saint-Loup, seigneur d'Oiron, de Villedieu et Grand maître de France reçut du roi les terres de Caravas (Caravaggio), Valences, Cazal-Mayor et autres, situées dans le Milanais. Quelques jours avant sa mort, ses seigneuries de Boisy et de Roannez venaient d'être érigées en duché-pairie. Artus avait épousé Hélène d'Hangest , qui partageait son goût pour les arts.[1]

Le frère d'Artus, Guillaume Gouffier de Bonnivet (vers 1488 - Pavie, 1525) du nom du domaine de Bonnivet situé à Vendeuvre-du-Poitou remplaça Artus dans les faveurs de François Ier, devenant amiral de France. Il ne réussit ni dans le domaine diplomatique ni à la guerre. Il convainquit le roi de se lancer dans la bataille perdue d'avance de Pavie. Conscient de son erreur il se jeta dans la mêlée et se fit tuer.

Le sculpteur Jean II (mort en 1577), fils de Jean Juste, exécute en 1558, pour l'église d'Oiron, le tombeau de Claude Gouffier, grand écuyer de France, et de sa première femme, Jacqueline de La Trémoille (détruit en 1793). Il ne reste du monument que la statue de Claude Gouffier. Il semble que ce soit aussi Jean II Juste qui ait sculpté le tombeau de Guillaume Gouffier. Son père Jean Juste (env. 1485-1549) réalisa de 1532 à 1539, pour la chapelle du château d'Oiron, le tombeau de Artus Gouffier, et celui de sa belle-mère, dame de Montmorency. Il fit aussi le tombeau de Thomas Bohier, fondateur de Chenonceaux.

Etrangement Jacques Antoine Dulaure en 1858 signale un tombeau de l'amiral de Bonnivet à Crèvecœur-le-Grand, village situé au nord de Beauvais. Il fut détruit, mais un préfet du département de l'Oise, ami des arts, M. Cambry, fit recueillir, au milieu de débris entassés dans le cimetière, le buste et l'oreiller de marbre de l'amiral Bonnivet. " On peut, dit-il, juger par ce morceau, quoique mutilé, du talent du sculpteur et de la richesse de son travail ". Bonnivet avait épousé Louise de Crèvecœur en 1517[2].

Artus Gouffier, duc de Roannez (ou Roannais) (1627-1696), était le fils de Henri Gouffier, marquis de Boisy, comte de Maulévrier et châtelain d'Oiron et d'Anne-Marie du Peray, et hérita du titre de duc de Roannez de son grand-père, Louis Gouffier (1575-1642). Il est nommé en 1651 gouverneur du Poitou, et reçoit Mazarin, le roi, la reine. Il porte l'épée du roi au sacre de Louis XIV. Il introduit Blaise Pascal à la cour en 1653 pendant trois mois et demi. Pascal va souvent chez le duc en son hôtel du cloître Saint-Merri, un logement lui est même réservé. Gouffier était son seul véritable ami intime, avec qui il partageait un amour commun de la science, de la distinction, et la soif de l'absolu spirituel. 1653, ils partirent dans le Poitou en septembre et rencontrèrent deux grands esprits, le Chevalier de Méré et de Mitton adeptes de Montaigne.

Le duc avait une sœur née en 1633. Charlotte a été impressionnée par la personnalité de Pascal par son rayonnement spirituel. Avec sa mère, veuve, le 4 août 1656, elle va à Port- Royal adorer la Sainte Épine. Alors que des pourparlers sont engagés pour son mariage, elle décide brusquement de se faire religieuse. Les deux amis jugent cette décision précipitée et conviennent d'un délai de réflexion. Arthus emmène sa sœur en Poitou au château familial d'Oiron. La jeune fille écrit à Pascal, lui confie ses difficultés spirituelles, ce qui nous vaut d'admirables réponses, ou du moins les neuf extraits qui en restent. Pascal n'est pas son directeur de conscience, il ne lui donne aucun conseil, elle a pour confesseur un prêtre de sa paroisse Saint-Merri. Il lui répond, en lui faisant part de sa richesse intérieure. Charlotte est ainsi l'occasion pour lui d'exprimer sa vie spirituelle entre septembre 1656 et février 1657. Il livre son intimité avec Dieu et la qualité de sa théologie. " Le Saint-Esprit repose invisiblement dans les reliques de ceux qui sont morts dans la grâce de Dieu jusqu'à ce qu'il y paraisse visiblement en la résurrection. Quand Dieu nous découvre sa volonté par les événements, ce serait un péché de ne s'y pas accommoder. Dieu est bien abandonné. Il me semble que c'est un temps où le service qu'on lui rend lui est bien agréable. Dieu est demeuré caché sous le voile de la nature [...] ; il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible [...]. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses Apôtres de demeurer avec les hommes [...], il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l'Eucharistie. "

Mais Artus Gouffier, seigneur d'Oiron, fait partie des grands financiers du royaume et participera à l'assèchement du Marais poitevin relancé par Henri IV. Successeur des moines dans le dur labeur d'assèchement des marais, Henri IV en fit une question de prestige. Il avait fait appel au savoir-faire des riches Hollandais, grands spécialistes en ce domaine. Par un édit de 1599, il confie l'entreprise à un ingénieur brabançon, Humphrey Bradley, qu'il nomme maître des digues du royaume. Par contrat le roi lui assurait ainsi qu'à ses associés divers avantages qui, à la mort de Bradley en 1639, sont prorogés au profit de Pierre Siette, ingénieur et géographe du roi en poste à La Rochelle. En 1642, celui-ci crée la Société du Petit-Poitou, où les capitaux hollandais sont majoritaires, mais qui intègre également des hommes d'affaires parisiens et surtout poitevins. Barnabé Brisson, fils du grand juriste, s'associe à son concurrent Amable Bitton, le très riche receveur général des finances de Poitiers, pour créer, en 1648, une société dont le capital est divisé en 24 actions. Les associés devant être domiciliés à Fontenay-le-Comte, deux d'entre eux étaient des prête-noms du duc de Roannez. Gouverneur du Poitou, passionné de mécanique des eaux, celui-ci est en relations avec le grand physicien hollandais Huygens et fait prendre une participation à son ami Blaise Pascal, qui à l'époque travaille précisément à son Traité sur l'équilibre des liqueurs. En 1655, les associés font d'ailleurs réaliser deux aqueducs permettant au grand canal de Vix de passer en dessous de l'Autize et de la Vendée. En 1670, l'affaire est prise en main par duc de Roannez, qui participe aussi à la canalisation de la Haute-Seine et aux carrosses à cinq sols. A la mort de Blaise Pascal en 1662, il s'efforça d'organiser la publication des écrits du philosophe. Suspecté de jansénisme, il dut abandonner le duché à sa sœur Charlotte lorsque celle-ci épousa, le 9 avril 1667, le maréchal François de La Feuillade. Le duc de Saint-Simon écrit dans ses Mémoires que " le duc de Roannez prit une manière d'habit ecclésiastique sans jamais être entré dans les ordres et vécut dans une profonde retraite. "

Le Château

L'architecture d'Oiron est dominée par le contraste aigu entre les volumes cubiques, des deux pavillons angulaires et les deux tours cylindriques, coiffées de coupoles galbées. Le logis central, entre les deux pavillons carrés, avec sa double rangée de fenêtres, apparaît assez effacé. Entre les pavillons anguleux et les tours rondes, la liaison est assurée par des galeries à arcades ouvertes, d'un maniérisme élégant. Tout l'art de vivre du début de la Renaissance française s'y manifeste, un art de vivre raffiné et volontariste, quelque peu ostentatoire, à l'exemple de François Ier, dont Claude Gouffier, l'un des maîtres des lieux, fut grand-écuyer. L'intérieur répond aux promesses de l'extérieur. L'une des galeries est ornée de fresques représentant des scènes de l'Iliade et de l'Enéide par Noël Jallier, compagnon de route de cette première école de Fontainebleau qui rayonna sur toute l'Europe. Les 14 scènes peintes pour Claude Gouffier entre 1540 et 1560 débute par un hommage à François 1er, illustrent le cheminement de l'honnête homme et bon chrétien du XVIème siècle qui rejette la violence de la guerre pour triompher de l'adversité et atteindre la sagesse. Ici est le terme et le commencement…Deux chambres du logis central à la décoration d'une exubérance plus tardive abritent parmi les ors et les stucs d'étranges peintures allégoriques, assorties de légendes contestataires. La Chambre du Roi constitue l'appartement d'apparat de Louis Gouffier au début du XVIIème siècle exilé à Oiron par Richelieu y fit exprimer toute sa rancœur envers la Cour de Louis XIII. Les allégories racontent les déboires de Louis où s'opposent les figures de Mars et de Minerve symbolisant la force et la sagesse du seigneur du lieu dont les talents militaires se manifestèrent au siège de La Rochelle en 1627, et le caisson central des déesses Parques du Fatum. Le cabinet des Muses est un des rares exemples conservés des types de décor intérieur de la première moitié du XVIIème siècle. Diane entourée de ses nymphes figure sur le trumeau de la cheminée ; les panneaux des lambris montrent les muses et une suite d'arbres exotiques en alternance avec des paysages. A Oiron, l'ordonnancement et la décoration des lieux trahissent les spéculations astrologiques ou alchimiques et ces autres jeux savants qui faisaient les délices de l'entourage de François Ier. L'absence de chapelle et de toute allusion religieuse est d'ailleurs éloquente.[3][4]

 


[1] http://books.google.com/books?id=TdhIfqTM_fYC&pg=RA8-PA474&lpg=RA8-PA474&dq=goofier+guillaume+artus+caravas&source=web&ots=HNyQQCoibx&sig=THDnm96MGTetJ0GipyRZvGlKdwI

[2] http://books.google.com/books?id=ZuIFAAAAQAAJ&dq=tombeau+bonnivet+amiral+crevecoeur&hl=fr

[3] http://www.exporevue.com/magazine/fr/fabre_oiron.html

[4] http://www.oiron.fr/