Partie II - Voyage dans le temps   Chapitre XVIII - Louis XIV et Versailles   Le masque de (trans)fer(t)   

Le masque

C'est Voltaire qui le premier nomme le prisonnier de Saint-Mars " Le Masque de fer ". " Masque de fer " se traduit en haut allemand par " Eisengrim " (Eisen : fer et Grim : masque qui a donné les mots français grimer et grimace). Notre Masque de fer portait vraisemblablement un masque de velours noir - c'est-à-dire un loup - lors de ses transferts de prison en prison. Par déformation, les auteurs du Moyen Âge usèrent du terme Ysengrimus, nom d'un poème qui est l'épopée animale la plus longue du Moyen Âge latin, écrite en Flandres autour de 1150, et qui a longtemps été considéré comme une pédante, anticipation du Roman de Renart. À travers l'analyse des structures rhétorique et narrative, Jean-Yves Tiliette dans " La peau du loup, l'Apocalypse. Remarques sur le sens et la construction de l'Ysengrimus " essaye de montrer que son auteur, un moine, identifié à un certain Nivard par certains autres auteurs, avait un double but, tous deux précis et particuliers : exprimer la colère des milieux cléricaux rigoristes contre les autorités ecclésiastiques, coupables d'avoir trahis les idéaux originaux de la Croisade et, en même temps, mettre en question, au moyen de la parodie, le genre littéraire païen de l'épopée virgilienne. Il constitue l'acte de naissance des protagonistes du Roman de Renart; les noms et les personnalités attribuées aux animaux seront systématiquement repris par les auteurs postérieurs. La barbarie, les mensonges et la loi du plus fort y règnent en maître dans un monde ou se côtoient des hommes et des bêtes au comportement anthropomorphique.

Dans de poème l'épisode le plus étonnant est la guérison du roi Noble par les conseils de Renart aux dépens d'Ysengrin, que l'on dépouille de sa peau pour en couvrir le lion malade et le faire transpirer.

La névrose de Louis XIV - Le roi danse

Comme nous n'avons pas accès au dossier médical et psychiatrique de monsieur Louis XIV, nous en sommes à supputer à partir des obsessions bien originales d'un souverain pour la scène et la danse. Dans son livre paru en 1979, Michel de Grèce décrit des aspects moins connus de la personnalité de Louis XIV qui en feraient un personnage faible et complexe, timide et changeant.

Les apparitions de Louis XIV en tant que danseur avaient été grandement saluées dans Le Ballet de la nuit (1653), Les Noces de Pelée et de Thétis (1654), Le Ballet du temps (1654), Le Ballet des plaisirs (1655), Le Ballet des bienvenus (1655), et Le Ballet de Psyché (1656). Il a aussi participé dans d'innombrables pièces courtes et des mascarades. Louis XIV joue sur scène jusqu'en 1670, et à la cour jusqu'en 1679.

Dans le Sud-Est de l'Italie, près de Tarente, on trouve en abondance un insecte qui, à cause de sa provenance, était appelé Tarentule. Ce nom recouvre plusieurs espèces d'araignées du genre Lycosa, en latin " lycos " désignant l'araignée-loup - on retrouve encore ici le loup -, de deux ou trois centimètres de long, très répandues dans beaucoup de pays méditerranéens. La piqure de la tarentule était sensé provoquer une maladie, le tarentisme. Ceux qui en étaient atteints manifestaient une tendance évidente à l'exhibitionnisme, se parant de guirlandes, de joncs et de couronnes de feuilles de vigne, et, plus ou moins dévêtus, se comportaient d'une manière déchaînée avec des gestes et des mouvements obscènes, improvisés par un subconscient absolument libre de tout préjugé. Le remède consistait à danser afin de se faire abondamment transpirer et chasser le venin de l'animal.

Le tarentisme et ses prétendues épidémies n'ont été que des phénomènes de névrose collective de révolte avec des réactions hystériques contre la répression de la libido. Les malades atteints de troubles organiques névrotiques furent libérés de la " possession du diable " par des exorcismes et châtiments traditionnels (www.tolosarts.org - Tarentisme).

L'origine la plus vraisemblable du tarentisme paraît émaner d'une antique coutume du paganisme, jadis fort répandue dans le midi de l'Italie. Si parmi nous le carnaval rattache ses usages populaires aux saturnales et aux bacchanales de l'antiquité, il y a toute apparence, également, que " il Carnavaletto delle donne ", désignation du tarentisme d'après Raglivi, se rapporte aux anciennes danses des Saliens du même pays. Les tarentules, en effet, dansent sur un rythme vif et très précipité la tarantelle, danse affectée à ce prétendu mal MM. Andhal et Vihey, Rapport sur le tarentisme, in Revue médicale française et étrangère, 1835 - books.google.fr).

Pharmakos - Pharmakon

Les légendes de Lycurgue, d'Athamas, d'Oinoclos mettent en scène, pour éloigner la peste, la mise à mort rituelle du roi, ou de son fils. Selon Frazer suivi par Girard, le roi était une victime sacrificielle. L'inceste réel ou symbolique que le roi devait alors commettre est une façon d'en faire un être maximalement impur : le roi devient le transgresseur par excellence et, du coup, un bouc émissaire. Comme Œdipe, la victime est considérée comme une souillure qui contamine tout autour d'elle et dont la mort purge la communauté. Les sociétés évoluant, ce rôle de victime fut dévolu à un déclassé. La ville d'Athènes entretenait à ses frais un certain nombre de malheureux afin de les sacrifier lorsqu'une calamité s'abattait ou menaçait de s'abattre sur la ville. C'est pourquoi on promenait ce que l'on appelait le pharmakos un peu partout, afin de drainer les impuretés et de les ressembler sur sa tête ; après quoi on chassait et on tuait le pharmakos dans une cérémonie à laquelle toute la populace prenait part. A la fois personnage méprisable en butte aux moqueries, insultes et aux violences, et objet de vénération quasi religieuse, il joue le rôle principal dans une espèce de culte. Cette dualité reflète la métamorphose dont la victime rituelle, à la suite de la victime originaire, devrait être l'instrument ; elle doit attirer sur elle toute la violence maléfique pour la transformer, par sa mort, en violence bénéfique, en paix et en fécondité (Girard, La violence et le sacré, p.143-4) (www2.ilch.uminho.pt - Pharmakos).

Le mot pharmakon, en grec classique, signifie à la fois le poison et antidote et est à l'origine du mot pharmacie. Fouquet, dans le désœuvrement d'une si longue captivité , était bien capable d'imiter l'homme au masque, qui, selon le rapport de Lagrange-Chancel, s'amusait à épiler sa barbe avec des pinces d'acier ; non-seulement Fouquet apprenait le latin et la pharmacie à ses domestiques, parmi lesquels Danger et La Rivière, composait des vers pieux à l'aide du Dictionnaire des rimes françaises, imaginait des onguents et des remèdes pour différents maux. Louvois, à la fin d'une lettre adressée à Saint-Mars, geôlier de Fouquet mort en 1680, ajoute : " Mandez-moi comment il est possible que le nommé Eustache ait fait ce que vous m'avez envoyé, et où il a pris les drogues nécessaires pour le faire, ne pouvant croire que vous les lui ayez fournies. "

Le pharmakos n'était pas seulement collectif. Jane Ellen Harrison écrit que dans les mystères d'Éleusis, " chaque homme prend avec lui son pharmakos, un jeune cochon " dans les rites de purification à Éleusis en Grèce antique. Ysengrin, tourné en dérision, moqué par Renard, finit dévoré par les porcs, comme Mahomet selon une ancienne légende chrétienne. Le loup a souvent joué le rôle du proscrit que l'on charge de tous les péchés du monde. II est d'ailleurs révélateur de constater qu'en anglo-saxon ancien un même mot désigne proscrit et loup. Le mal existerait donc d'une manière ontologique, substantielle, et déplaçable. " Le transfert du Mal d'un individu vers un autre n'est en aucun cas un geste symbolique lorsque l'on est convaincu du caractère substantiel, réel, du Mal. Les rituels du transfert du Mal ne jouent pas un rôle imaginaire et il ne s'agit nullement d'une représentation. Ils obéissent à une réalité aussi dure que celle du transfert du feu, par exemple, d'une chandelle allumée vers une autre (www.homo-rationalis.com - Pharmakos).

Si notre hypothèse est vraie, vérité étrange et épouvantable, la thèse du jumeau du roi Louis XIV s'en approche de très près. En effet, si le pharmakos n'est pas le frère au point de vue biologique, il est un double du roi, un substitut disponible pour le remplacer dans le rôle de victime. Étant donné que l'intronisation marque le roi du sceau de la transgression et le projette sur un plan hors la loi (en fait un monstre sacré et un bouc émissaire), roi et pharmakos sont symétriques et interchangeables: là où le pharmakos échappe à la société par le bas, le roi lui échappe par le haut. Le roi se décharge sur un individu qui est comme son image retournée de tout ce que son image peut comporter de négatif, semblable à ces souverains de carnaval (mock king) qu'on couronne le temps d'une fête. C'est souvent au moment du paroxysme, juste avant le sacrifice, que les participants revêtent leurs masques.

" Le masque le plus connu en Grèce fut le masque de la Gorgone, le masque de mort sans visage. Ce monstre n'appartenait pas à l'humanité. Il incarne l'absence de visage. Les Grecs ne peuvent porter un masque de la victime car ce masque est l'absence de visage et signifie la mort sociale, l'absence de l'homme" (Ewa Bogalska-Martin, « Entre mémoire et oubli. Le destin croisé des héros et des victimes, 2004 - books.google.fr).

Eustache Danger

Le meilleur postulant au titre de Masque de fer est, selon les historiens actuels et Petitfils, Eustache Danger. Thèse déjà avancée par John Noone dans " The man behind the iron mask ", Gloucester, 1998.

Saint Eustache, qui donne son prénom à Danger, eut une vie pleine de déceptions et se retrouva pis que Job, figure opposée aux riches et aux puissants. Il renonça à la chasse, plaisir des rois, lorsqu'il aperçut une croix lumineuse entre les bois d'un cerf. Il dut abandonner sa femme et ses enfants furent emporter par des animaux sauvages et parmi eux un loup bien entendu, comme le raconte la Légende dorée : " Parvenu sur les bords d'un fleuve, il n'osa le passer avec ses deux fils à la fois, parce qu'il y avait beaucoup d'eau; mais en en laissant un sur la rive, il se mit en devoir de transporter l'autre; quand il eut passé le fleuve à gué, il posa par terre l'enfant qu'il avait porté, et se hâta de venir prendre l'autre. Il était au milieu du fleuve, lorsqu'un loup accourut tout à coup, saisit l'enfant qu'il venait de mettre sur la rive, et s'enfuit dans la forêt. Eustache, qui n'espérait pas le sauver, courut à l'autre : mais en y allant survint un lion qui s'empara du petit enfant et s'en alla. Or, comme il ne pouvait l'atteindre, puisqu'il n'était encore qu'au milieu du fleuve, il se mit à gémir et à s'arracher les cheveux. Il se serait laissé noyer, si la divine providence ne l'eut retenu. Des bergers, qui virent le lion emporter un enfant vivant, le poursuivirent avec leurs chiens, et Dieu permit que l'animal lâchât sa proie sans lui avoir fait aucun mal. D'un autre côté, des laboureurs se mirent à crier après le loup et délivrèrent de sa gueule l'autre enfant aussi sain et sauf. Or, bergers et laboureurs, tous étaient du même village et ils nourrirent les enfants chez eux. Eustache de son côté ignorait cela ; alors il s'en alla bien triste. ". D'ancien général romain, il devint valet de ferme, et retrouva sa famille pour mourir tous martyr enfermé dans un taureau d'airain chauffée à blanc.

Le vendredi 19 juillet 1669, le ministre de Louis XIV, le marquis de Louvois informe M. de Saint-Mars de l'arrivée prochaine à Pignerol d'un nouveau prisonnier nommé Eustache Danger. Dans la lettre qu'il lui envoie, il dit que " Ce n'est qu'un valet ". Mais aussi : " C'est un fripon, insigne qui, en matière fort grave, a abusé de gens considérables. Faites en sorte qu'il y ait assez de portes et fenêtres, fermées les une sur les autres, pour que vos sentinelles ne puissent rien entendre. Portez vous-même, à ce misérable, de quoi vivre. N'écoutez jamais, sous quelque prétexte que ce puisse être, ce qu'il voudra vous dire. "

Nicolas Fouquet et le marquis de Lauzun s'y trouvent déjà enfermés. En 1675, Saint-Mars demande la permission à Louvois de donner Eustache Danger à Fouquet comme valet, ce qui est accordé. Dans une lettre du 20 janvier 1679 de Saint-Germain, Louvois écrit " Elle trouve bon que monsieur Foucquet et monsieur de Lauzun se voyent en toutte liberté, touttes fois et quantes qu'ils le désireront, c'est-à-dire qu'ils passent les journées ensemble, qu'ils mangent ensemble et si ils le désirent, Sa Majesté trouve bon que monsieur de Saint-Mars mange avec eux. Elle veut bien aussy qu'à toutte heure, les officiers de monsieur de Saint-Mars jouent et conversent avec eux. ". Louvois poursuit dans une autre lettre de la même année : " Le Roy se remet à vous de régler avec monsieur Foucquet, comme vous jugerez à propos, ce qui regardera la seureté de la personne du nommé Eustache Danger, vous recommandant sur tout, de faire en sorte qu'il ne parle à personne en particulier ", c'est-à-dire seul à seul. Danger avait donc loisir de rencontrer les autres détenus sous surveillance.

Le Fort d'Exilles au début du XVIIIème siècle - www.archeofortificazioni.org

En octobre 1681, Danger est conduit à Exilles par Saint-Mars qui est devenu son geôlier et qui ne se séparera jamais de " son prisonnier ". Le 17 avril 1687, une nouvelle prison accueille Eustache Danger dans l'île de Saint-Marguerite près de la ville de Cannes. Le voyage s'est fait en 12 jours " dans une chaise couverte d'une toile cirée, sans que personne ne le pût voir ni lui parler pendant la route, pas même les soldats ". Enfin, au cours de l'année 1698, le prisonnier et Saint-Mars arrivent à la Bastille où il meurt le 19 novembre 1703. Son corps sera mis en terre au cimetière de Saint-Paul sous le nom de Marchioly ou Marchialy.

Les historiens supputent qu'il pourrait être un valet d'Henriette d'Angleterre, belle-sœur de Louis XIV et sœur de Charles II, roi d'Angleterre. Et qu'il semble que Danger ait servi d'espion. Beaucoup de conditionnel, mais donc rien de sûr.

Molière et Pharmakos

Le 15 janvier 1622, a lieu le baptême à Saint-Eustache de Jean Pouguelin (sic), le futur Molière, né sans doute le 13 ou le 14. Son père est un marchand tapissier âgé de vingt-cinq ans ; sa mère, Marie Cresé (sic), qui a vingt ans, est fille de tapissier. La famille vit dans le quartier des Halles.

Ayant plu à la ville, avec Sganarelle ou le Cocu imaginaire, L'Étourdi ou Le Dépit amoureux, Molière tenta sa chance à la Cour. En août 1661, Molière et ses compagnons eurent l'occasion de jouer devant la Cour en présentant Les Fâcheux aux "Divertissements du Roi" donnés par Fouquet à Vaux-le-Vicomte. Peu après Louis XIV ordonna son arrestation pour détournement de fonds. Malgré la polémique due à L'École des femmes, pièce jugée par ses ennemis comme contraire aux bienséances, Molière retint la faveur du roi, puisque Louis XIV lui accorda une pension cette année. En 1664, Molière compte parmi les auteurs préférés du roi et il donnait de plus en plus ses pièces devant la Cour avant de les faire jouer en ville. Le Mariage forcé, par exemple, fit partie des "Divertissements royaux" au Louvre, tandis que Les Plaisirs de l'Île enchantée à Versailles virent la première réprésentation de La Princesse d'Élide, une comédie galante. Si, encore, Tartuffe s'attire les foudres de la censure, le premier fils Louis de Molière a pour parrain et marraine Louis XIV lui- même et Henriette d'Angleterre, belle-sœur du roi. L'année suivante, Molière donna une nouvelle comédie controversée, Dom Juan, ou Le Festin de Pierre et le roi patronne la troupe : la première pièce jouée par la nouvelle Troupe du Roi fut une comédie en trois actes, L'Amour médecin.

En 1670, Louis XIV indiqua à Molière le sujet pour sa prochaine pièce, Les Amants magnifiques, comédie presque pastorale mêlée de musique et d'entrées de ballets, dans lesquelles le Roi lui-même aurait joué. Or huit mois plus tard, la Troupe du Roi représenta une nouvelle comédie-ballet, Le Bourgeois Gentilhomme. Dans le personnage central de Monsieur Jourdain, certains voyaient une satire du contrôleur général des finances, Jean-Baptiste Colbert. Molière termine sa collaboration avec Lully commencée en 1664 par la production de Psyché, une tragédie-ballet sur laquelle travaillèrent aussi Philippe Quinault et Thomas Corneille, créée le 17 janvier 1671.

En 1672, Lulli rachète le privilège de Perrin, emprisonné pour dettes, lui donnant l'autorisation de créer une académie royale de musique, avec interdiction à quiconque de faire chanter aucune pièce de vers entière en musique sans sa permission écrite. Molière proteste, et le roi lui permet d'employer 6 chanteurs et 12 instrumentistes. Lulli obtient ensuite que les comédiens n'aient que 2 chanteurs et 6 instrumentistes, et qu'ils ne puissent employer ni danseurs ni orchestre, et enfin le privilège exorbitant de l'impression des airs de musique ainsi que des textes sur lesquels ses airs seront composés. Il sera ainsi propriétaire d'une comédie dont il n'aura fait que la musique. Molière contre-attaque en jouant Monsieur de Pourceaugnac, Le Bourgeois gentilhomme et La Comtesse d'Escarbagnas sans tenir compte des effectifs imposés. Louis XIV ne tentera rien contre celui qui l'a fait toujours rire et qui obtiendra l'assouplissement du monopole.

Le 17 février 1673, lors de la 4ème représentation du Malade imaginaire, Molière est pris d'une convulsion sur scène, il est transporté dans sa chaise, et meurt entre les bras de deux religieuses qui résidaient alors chez lui. Malgré sa demande, deux prêtres refusent de venir et un troisième arrive trop tard. Le 21 février, grâce à la démarche d'Armande Béjart, son épouse, auprès du roi qui intervient auprès de l'archevêque de Paris, le corps de Molière est inhumé dans le cimetière Saint-Joseph qui dépend de Saint-Eustache.

Molière écrit plusieurs pièces de " comédie à pharmakos ", héritée de l'antique, comme Georges Dandin - créé à Versailles le 15 juillet 1668, au cours du Grand Divertissement Royal destiné à célébrer la conquête-éclair de la Franche-Comté, conclue le 2 mai par la paix d'Aix-la- Chapelle -, ou le Bourgeois gentilhomme - créée en 1670 et qui présente d'étonnantes similitude avec une comédie portugaise de Francisco Manuel de Melo, O Figalgo aprendiz, publiée à Lyon en 1665 -, ou L'Avare - créée au Palais-Royal le 9 septembre 1668 -, bons bourgeois moqués. Alceste, de la pièce du Misanthrope appréciée par Boileau en qui on a vu un modèle du héros et créée le 4 juin 1666 au théâtre du Palais-Royal -, est le bouc-émissaire, l'exclu au sein même de l'élite de la société, la noblesse.

Le carnaval, où l'on sacrifiait le symbole de ce que l'on veut exclure, aujourd'hui seulement en effigie, " et Molière, sont inextricablement impliqués dans les discours politiques dominants de leur époque, et que leurs intérêts sociaux, économiques et sexuels y sont investis […] Car il suffit d'observer l'objet de la risée - Argan ou Harpagon - pour se rendre compte que ce dont nous nous moquons, c'est du "mauvais père", le père vu comme "pharmakos", la victime rituelle menée sur la scène de nos propres fantasmes répressifs pour y être sacrifiée. Pourtant, Louis XIV faisait probablement plus confiance aux effets du rire moliéresque dirigé contre ces corps imparfaits des pères; car il savait, dans l'isolement splendide et impénétrable de son Corps royal, que le vrai Père, l'Etat, Louis lui-même, ne pouvait qu'être revalorisé par le rire rauque que provoquait l'avilissement de son trop imparfait simulacre " (Mitchell Greenberg, « Corpus politicum », in Le labyrinthe de Versailles, 1998 - books.google.fr). Notons que l'on nommait au Moyen Âge harpagon, une poutre armée d'un harpon qui était employée à arracher la crête des murs ou à agrandir des brèches déjà ouvertes. Et harpagon avait pour synonyme loup, on n'en sort pas.

A l'âge classique, les pharmakos ne sont plus assassinés mais tous les gens qui choquent la raison et la vue (les pauvres) vont être exclus et enfermés. Les comédies de Molière étaient bien dans l'air du temps. Création de Louis XIV en 1656, l'hôpital général regroupe en fait une série d'institutions préexistantes visant à regrouper tous les pauvres de Paris, quelle que soit la cause de cette pauvreté. On entre ainsi dans l'ère de "l'enfermement généralisé", à la fois hôpital, prison, asile d'aliénés, maison de rééducation pour délinquants et d'éducation pour jeunes filles sans le sou, atelier de travaux forcés. Sous le règne de Louis XIV, on en verra s'ouvrir dans de nombreuses villes de France des hôpitaux de ce type, dont Antoine de Barillon, seigneur de Morangis, et membre éminent de la Compagnie du Saint-Sacrement se fit le promoteur. " L'Hôpital général n'est pas un établissement médical. Il est plutôt une structure semi- juridique, une sorte d'entité administrative, qui, à côté des pouvoirs déjà constitués, et en dehors des tribunaux, décide, juge et exécute [...] Souveraineté quasi absolue, juridiction sans appel, droit d'exécution contre lequel rien ne peut prévaloir - l'Hôpital général est un étrange pouvoir que le roi établit entre la police et la justice, aux limites de la loi : le tiers ordre de la répression. " (Michel Foucault dans "Histoire de la folie à l'âge classique", Paris, 1972) (www.hemes.be).