Partie I - Généralités   Introduction   Le carré SATOR, du fer à l’or   

Le carré SATOR se trouve gravé en des lieux sur les tracés des nonagones. Chinon, Capestrano (Italie), l'abbaye de Valvisciolo (en forme de cercle) à Sermoneta (Italie), Cirencester (Angleterre), Hamersleben (Allemagne), en témoignent. Symbole a priori du travail agricole, assimilé au Grand Œuvre, ou symbole de la création littéraire, il est relié au carré de Mars, qui est le symbole du fer en alchimie et servait aussi comme amulette contre les maladies. Dans le Conte du graal, il participe au cortège du graal qui est une figuration possible d’une procédure judiciaire de la Rome antique. Les nonagones sont ponctués par des lieux comme la Ferrandière et Ferrassières-de-Barret, dont l’étymologie se rapporte aux forges ou aux mines de fer, comme Saint-Dizier, Sainte-Colombe-sur-Seine et Imphy, hauts lieux de la métallurgie française, ainsi que par d’autres lieux et des personnages en rapport avec les procès – Rouen : procès de Jeanne d’Arc ; Nantes : procès de Gilles de Rais ; Riom : procès des prétendus responsables de la défaite de 40 ; Jean Le Viste impliqué dans le procès du duc de Nemours ; Antoine de Chabannes lié au procès de Jacques Cœur.

Les nonagones, constituent avec l’ange Yéialel et le carré SATOR un ensemble cohérent lié au fer, à la justice et à la guérison. Le fer est associé à la justice dans la Rome antique puisque les juges portaient un anneau de fer au doigt. Le fer est encore celui de l’épée, symbole, avec la balance, de la justice, alliant le discernement qui tranche les responsabilités et l’application de la peine. La guérison est dans ce cas la réparation qui compense les pertes, de même qu’elle est produite sur le plan mental par la reconnaissance du préjudice par la société ou par une divinité. Cette réparation n’aurait pas que pour objet les vivants, mais aussi les morts qui parfois se plaignent de fautes commises à leur encontre en des phénomènes étranges, ou qui furent responsables de crimes que les vivants doivent prendre en charge par un travail de mémoire. Comme l’écrit Nicolas Bonnal : « Aussi bien l’exorcisme est-il moins une opération purement magique que l’instruction d’une mesure de justice. Les kabbalistes font office de juges et se réfèrent à la Loi du Sinaï. Le dibbouk est considéré comme un plaignant et le tribunal lui demande seulement d’interrompre momentanément sa clameur de blessé, pour exposer son dol en paroles cohérentes. Le dibbouk étant, suivant le terme de la Kabbale lourianique, une « âme mise à nu », un errant en quête d’un  aboutissement ; le seul fait d’être reconnu comme requérant, de devenir l’objet d’une assemblée délibératrice de justice, le réintègre déjà dans la communauté. [1]».

Nous retrouvons avec le fer l’importance du chiffre 9 jusque dans la réalité minérale. « Les corps purs simples ne sont pas de vulgaires empilements d’atomes. Au contraire, ces atomes montrent fréquemment une disposition géométrique qui leur est propre. Un nombre défini d’atomes se regroupent et forment ce que l'on appelle un cristal [2]». Le cristal de fer est constitué d’atomes de fer regroupés par 9, sa disposition géométrique est un cube centré (un atome occupe le centre du cube). Le cristal de soufre est composé de huit atomes. Une observation en microscopie électronique d’un échantillon prélevé par la mission Apollo 15 sur le site Hadley-Apennino, montre un cristal de fer de 4 µm se développant à la surface d'un pyroxène. L'aspect très géométrique de ce cristal prouve qu'il a dû se former dans cette roche à partir de vapeurs très chaudes durant le refroidissement de la roche[3]. Fusion, ébullition et dilution sont des phénomènes physiques qui permettent la dispersion des atomes ou molécules. Lorsque nous chauffons la matière, nous lui apportons de l'énergie calorifique que les molécules (atomes) utilisent pour rompre la cohésion moléculaire (atomique) qui assure l'état solide. Cette cohésion moléculaire est due à l'existence de forces d'attraction entre molécules (atomes) dites forces de Van der Waals. Johannes van der Waals (Leyde, 1837 – Amsterdam, 1923), prix Nobel 1910, a étudié le phénomène de continuité de l’état gazeux à l’état liquide et a proposé une équation d’état applicable aux gaz et aux liquides et édicté la loi des états correspondants.

Si nous apportons suffisamment d'énergie calorifique, les forces de Van der Waals ne sont plus suffisamment intenses pour assurer la stabilité de l'édifice moléculaire (atomique). Les molécules (atomes) glissent les unes sur les autres: c'est l'état liquide. Si nous continuons à apporter de l'énergie calorifique en supplément, viendra le moment où la quantité d'énergie calorifique sera telle que les molécules (atomes) rompront leurs attaches et se sépareront les unes des autres: c'est l'état gazeux.

Les hommes de la race de fer, selon Hésiode, vivront dans l’angoisse, souffrant fatigue et misère. Ils  seront anéantis par Zeus pour avoir adorer la force brute et le crime, ayant perdu toute conscience. Cette race pourrait désigner notre humanité dont les instincts peuvent la mener à sa ruine morale, l’ayant fait plusieurs fois.

Historiquement l’âge de fer est en Europe désigné selon les stations de Hallstatt (Autriche) et de la Tène (Suisse), s’étendant de –1000 avant J.C. à la conquête romaine et même à la christianisation pour les pays comme l’Irlande ou la Scandinavie. La première période voit l’habitat se concentré dans des oppidums installés sur les hauteurs, et les inhumations en tumulus où les guerriers sont enterrés avec des chars d’apparats. La seconde période est caractérisée par un développement commercial entre la Gaule, l’Italie, les régions du Danube et la Grèce. Les villes, dans les plaines, sont entourées de puissantes enceintes. La stylisation des formes végétales et animales constitue un trait remarquable de la décoration d’inspiration celtique que l’on retrouve en particulier sur les monnaies. Les tumulus sont encore utilisés, mais l’inhumation et l’incinération se combinent avec l’usage des tombes plates.

Jusqu’au Moyen Âge, le fer était extrait du minerai par réduction au carbone, surtout au moyen du charbon de bois. A partir du XIIème siècle, les souffleries hydrauliques, nécessitant l’installation des forges près des cours d’eau, et la construction de hauts fourneaux font accompagner la métallurgie du fer de celle de la fonte et de l’acier. Au XIXème, le charbon de bois sera remplacé par la houille et le coke, les souffleries seront actionnées à la vapeur. Le puddlage qui permet d’obtenir un fer pur sera remplacé au XXème siècle par des procédés de fabrication d’acier extra-doux. Le fer, d’abord confiné à l’intérieur des constructions comme à la bibliothèque Sainte-Geneviève, triomphera dans une sorte d’épiphanie avec la construction de la Tour Eiffel. La fonte art nouveau d’Hector Guimard ornera les entrées du métro parisien au début du XXème siècle.

Forge et caverne sont réunies en la personne du dieu Héphaïstos (Vulcain) qui travaillait au sein des volcans, qui lui servaient d’atelier, avec ses aides les Cyclopes. On retrouve cette association chez Victor Hugo, avec le héros Gilliatt, des Travailleurs de la mer, héros qui aménage une forge dans un lieu souterrain en disciplinant les quatre éléments, l’eau, l’air, le feu et la terre. Dans la légende de l’Ankou racontée par Anatole Le Braz, le forgeron qui répare la faux de l’incarnation de la mort – la grande faucheuse -, en mourra le soir même, de retour chez lui comme dernière faveur.

Le forgeron, « maître de la civilisation » selon André Leroi-Gourhan, domine la terre, qui produit le fer, et le feu, image de la divinité. Dans toutes les sociétés primitives, les travailleurs du fer « jouissent d’une aura particulière qui les apparente aux sorciers, avec cette ambiguïté qui règle les pouvoirs des démiurges, capables de « perfectionner » la nature : sont-ils vainqueurs des éléments ou enchaînés par une puissance suprême ? De là, leur marginalité, leur isolement. [4]». Le forgeron pourvoit aux instruments domestiques et aratoires du paysan, marmites et soc de charrue, il permet aux villes de se cadenasser et aux constructeurs d’assembler les charpentes à l’aide de clous. La transmission du métier se faisait au sein d’un petit nombre d’élus craints et admirés, suivant un enseignement mystérieux.

Le symbolisme de la forge est souvent lié à la parole, au pouvoir créateur du Verbe, et le forgeron considéré comme un démiurge.

Alors que l’industrie de la métallurgie, travail de la forge, règne sur les derniers siècles, naissent les sciences de la psychologie qui conduisent à un travail rationnel sur soi, par la parole justement.

Saint Eloi, patron des orfèvres, des forgerons et des ferblantiers, est né à Chaptelat, près de Limoges, sur le territoire communal duquel passe un tracé des nonagones. Destiné au métier d’orfèvre, il fera son apprentissage auprès d’Abdon, comte de Limoges et monétaire du roi, puis auprès de Bobon, trésorier de Clotaire II pour lequel il réalise deux trônes admirables. Maître de la monnaie, il deviendra conseiller de Dagobert Ier et accomplira des missions diplomatiques. Il quitte la cour à la mort du roi et fonde plusieurs établissements religieux. Il meurt en 660 à Noyon, et fut enseveli dans l’abbaye portant son nom et détruite à la Révolution. Les alchimistes auraient pu prendre saint Eloi comme saint patron à la place de saint Jacques.

René Alleau et Mircea Eliade ont fait remonter l’alchimie aux communautés de forgerons qui pouvaient avoir une vision thaumaturgique des phénomènes naturels et humains accompagnant de concrètes aptitudes à créer les objets mettant en jeu la vie (soc de charrue, ustensiles domestiques) et la mort (armes). L’alchimie, que l’on considère couramment comme l’art de transmuter les métaux « vils » en or et de confectionner une panacée, vise dans une conception plus générale à réintégrer un état d’avant la chute du monde et de l’homme, à « reproduire dans la cornue ou dans le creuset ce qui se passait au début du cycle terrestre lorsque la matière fut organisée par la lumière divine, le feu principe [5]».

Les doctrines des alchimistes sur les métaux organisaient ceux-ci en une chaîne de perfectibilité qui se réalisait au sein de la terre et que les adeptes pouvaient accélérer. Cette chaîne allait du fer à l’or en passant par le cuivre, le plomb, l’étain, le mercure et l’argent. Ainsi le fer était le point de départ de la transmutation naturelle vers le métal parfait, l’or, comme le rappelle Fulcanelli au sujet du Palais de Jacques Coeur : « Chacun connaît le blason et la devise de ce haut personnage : trois coeurs formant le centre de cette légende, présentée comme un rébus, A vaillans cuers rien impossible. Fière maxime, débordante d'énergie, qui prend, si nous l'étudions selon les règles cabalistiques, une signification assez singulière. En effet, lisons cuer avec l'orthographe de l'époque, et nous obtiendrons à la fois : 1° l'énoncé de l'Esprit universel (rayon de lumière) ; 2° le nom vulgaire de la matière basique ouvrée (le fer) ; 3° les trois réitérations indispensables à laperfection totale des deux Magistères (les trois cuers). Notre conviction est donc que Jacques Coeur a pratiqué lui-même l'alchimie, ou du moins qu'il a vu élaborer sous ses yeux la pierre au blanc par le fer "essencifié" et trois fois cuit."[6] »

Si le laboratoire est le lieu de l’expérimentation physique, l’oratoire est quant à lui le lieu de l’inspiration divine sans laquelle l’œuvre ne peut être réalisée. Jung a bien montré que les opérations alchimiques pouvaient être prises comme une tentative d’intégration des deux parties masculine et féminine de la personnalité de l’adepte.

Il faut noter que c’est d’un ange, que Nicolas Flamel, le célèbre alchimiste, aurait pris connaissance, au cours d’un rêve, du grimoire qui allait le lancer sur la voie du grand Œuvre. Mais je ne sais si cet ange portait déjà un nom.


[1] Nicolas Bonnal, « Mitterrand le grand initié », Albin Michel, p. 133

[2] Pierre Hébrant, www.chez.com/courschimie/lavoisier.htm

[3] www.educnet.education.fr

[4] Jean-Yves Andrieux, « Les travailleurs du fer », Gallimard, p. 14

[5] Serge Hutin, « Les alchimistes au Moyen Âge », Hachette, p. 41

[6] Fulcanelli, « Le Mystère des Cathédrales », Pauvert, p. 178