Partie V - Arts et Lettres   Chapitre XL - Section littérature   La révolution du romantisme   

D’une sensibilité préromantique, comme Madame de Staël et Benjamin Constant, Jean-Jacques Rousseau renouvelle les rapports de l’enfant et de l’adulte (L’Emile), de l’amant et de sa maîtresse (La Nouvelle Héloïse), du citoyen et de l’Etat (Le Contrat social).

Né à Genève en 1717, Jean-Jacques Rousseau est enfant de Genève dans sa conception de la cité idéale décrite dans son Contrat social. Honnissant la représentation parlementaire, Rousseau remettait le pouvoir en une élite régissant cette république théocratique selon une religion d’Etat, ce dont se souviendra Robespierre. Rousseau croyait que Dieu avait fait l’homme naturellement bon, et que la propriété et l’institution social l’avaient rendu « méchant ». Dans une vision toute théologique, il dit dans l’Emile que « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme ».

Au plus simple, « le Contrat social tend à résoudre la question sur laquelle butait le jusnaturalisme moderne : comment faire pour que la loi positive ne viole pas mais au contraire réalise la Loi naturelle, cette Loi dont la connaissance… relève à la fois de la raison et du sentiment ? L’alchimie qui transmute l’humanité en citoyenneté et la Loi naturelle en loi positive émancipatrice a un instrument : la « volonté générale » [1]».

Avant que la volonté générale ne puisse s’appliquer, la loi doit égaliser les conditions, afin de lisser les affrontements des volontés particulières engendrés par d’une trop grande disparité des fortunes, comme l’Angleterre le montrait.

Rousseau prône la vie simple des communautés pastorales, sacrifiant l’art à la morale comme le feront les fêtes civiques de la Révolution. Cette doctrine esthétique inspirera la littérature du XIXème siècle de Victor Hugo à Emile Zola.

Avec son ardent génie, « proprement romantique, déjà [2]», « il s’empare des idées qui sont dans l’air et donne une consistance inouïe à l’ensemble de sentiments qui régénèrent la sensibilité européenne à la veille de la Révolution [3]». « Avec Rousseau, c’est un monde qui commence » déclara Goethe.

Rousseau trouvera en Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (Le Havre, 1737 – Eragny-sur-Oise, 1814), un disciple qui le visitera quand il sera abandonné de tous. De l’œuvre de Bernardin subsiste Paul et Virginie écrit à l’origine comme un exemple de ses Etudes de la Nature prônant l’idée que le bonheur consiste à vivre selon la nature. C’est « une perle dans notre littérature, aussi rare, aussi diaphane, que le seront, à la fin du siècle suivant, les nouvelles de Francis Jammes (lequel d’ailleurs, s’est trouvé fort bien de pratiquer Bernardin de Saint-Pierre) [4]».

Le romantisme voit dans Chateaubriand son initiateur, Nodier son père et Victor Hugo son âme. Un premier âge du romantisme, lors du passage de l’Empire à la Restauration, adonné à la mélancolie et à la fuite du réel, s’exprime dans René de Chateaubriand, qui passa une partie de son enfance à Combourg. Un temps au service de Bonaparte, il rompra à l’exécution du duc d’Enghien pour ne plus cesser d’être fidèle aux Bourbons, tout en étant hostile aux ultra de la monarchie, glissant vers un certain libéralisme.

Charles Nodier. (1780 – 1844) né à Besançon, devient en 1824 bibliothécaire à l’Arsenal qui devient avec son salon le foyer du romantisme français. Auteur de travaux d’érudition - on a de lui des considérations sur les graffitis du château de Gisors – Nodier écrivit des contes dits « fantastiques » mais qu’il considérait comme oniriques. Les phénomènes décrits lui semblaient bien réels, « perceptibles au sens, bien qu’irréductibles à la raison [5]». L’œuvre de Nodier, avec ses personnages fantaisistes – le savant fou de Jean-François les bas bleus, le charpentier à la recherche de la mandragore qui chante de La Fée aux miettes – proteste contre le positivisme du progrès technique de son époque, dans un refus du réel matérialiste.

Besançon est aussi le lieu de naissance de Victor Hugo, en 1802. Il fréquente le salon de Nodier, juste considéré comme un aîné mais qui « indique des voies ; ouvre des portes [6]», avec Lamartine, Nerval, Musset et d’autres. Hugo fonde ensuite son propre cénacle rue Notre-Dame-des-Champs, dépeuplant celui de Nodier.

La thématique romantique – poétique des ruines, contemplation de la nature, ailleurs et passé, exposition du moi – trouve dans le drame son porte-drapeau de la modernité littéraire qui veut s’affranchir des règles du classicisme. Le drame d’Hugo Hernani suscitera la bataille entre classiques et romantiques qui illustre l’histoire du romantisme. On reconnaît dans l’échec des Burgraves en 1843 la date de « décès » du romantisme. A cette même date, la mort de sa fille Léopoldine, puis la révolution de 1848, après qu’il fut le poète quasi officiel de la monarchie de juillet, l’amèneront à un renouvellement de son inspiration, virant à gauche, qui trouvera sa pleine expression dans Les Misérables, épopée des petits et des ignorés.

Pendant son exil dû à son opposition à Napoléon III, Madame Delphine de Girardin initie Victor Hugo aux tables tournantes à Marine Terrace dans l’île de Jersey. Les soirées spirites dureront deux ans. Le fils de Victor Hugo, Charles, a, semble-t-il, un don de médium et participe aux séances avec Adèle. Victor Hugo, à l’écart, compte les coups et déchiffre les messages.

Nous épions des bruits dans ces vides funèbres ;

Nous écoutons le souffle, errant dans les ténèbres,

Dont frissonne l’obscurité

Et par moments, perdus dans les nuits insondables,

Nous voyons s’éclairer de lueurs formidables

La vitre de l’éternité.

Il reste de ces séances 70 procès verbaux. Molière, Shakespeare, Anacréon, Dante, Racine, Marat, Charlotte Corday, Mahomet, Jésus-Christ, Platon, Isaïe, des animaux même s’expriment avec le style d’Hugo quand il est présent. Le poète n’inséra jamais les pièces dictées à son œuvre. La Mort ne lui dit-elle pas « N’ayez pas cette audace de répéter tout haut de votre bouche vivante ces paroles nocturnes de la tombe. Ne soyez pas à ce point intrépide de tonner l’épouvante ».

Mais Victor Hugo prenait ces révélations fort au sérieux, et elles le confirmaient dans un rôle de mage, élu pour guider les hommes. En 1855, la folie d’un participant aux expériences de spiritisme de la famille Hugo, Jules Alix, saisit le groupe de frayeur qui cessa d’évoquer les esprits. En cette même année, Victor Hugo dut quitter Jersey pour Guernesey.

Dans la veine romantique, George Sand eut une première manière où régnait la passion du point de vue de la femme recherchant le droit à l’amour. Née à Paris en 1804, au 15 de la rue Meslay, la « scandaleuse » romancière était la descendante par son père des électeurs de Saxe, en passant par le fils naturel d’Auguste II le maréchal Maurice de Saxe, et issue du petit peuple de Paris par sa mère, fille d’artisan, qui avait déjà une fille naturelle, Caroline. Armandine Lucie-Aurore Dupin accompagnera en Espagne sa mère et son père qui avait été nommé aide de camps de Murat. Celui-ci offrit même à la fillette un costume de hussard, cadeau qui fut considéré par ses détracteurs comme à l’origine de son habitude de se vêtir parfois en homme. A la mort de son père en 1808 d’une chute de cheval, elle est placée chez sa grand-mère paternelle à Nohant dans le Berry où elle puisera l’inspiration de ses attachants romans sur la vie paysanne. La mère d’Aurore, ne s’entendra pas avec sa belle-mère qui lui versera des subsides pour vivre à Paris avec Caroline. L’admiration que sa grand-mère avait pour Rousseau et qu’elle lui transmit, fit que la petite Aurore fut assez libre dans son éducation. Mais ses sautes d’humeur inquiètent sa grand-mère qui la mettra en pension chez les Augustines anglaises à Paris, de 1817 à 1820. Dans une crise de mysticisme Aurore pensera prendre le voile mais en sera dissuadée par l’abbé de Prémord. De retour à Nohant, elle veille sur sa grand-mère dont la santé décline, se met à lire tout ce qui lui passe entre les mains, et fait de longues randonnées à cheval en habit masculin au scandale des gens de la région. C’est à cette époque que la future George Sand rompt avec l’Eglise tout en restant profondément croyante. Elle déclare à l’archevêque d’Arles, fils naturel d’un premier mari de sa grand-mère Marie-Aurore de Saxe : « Ou je ne suis plus catholique, ou je le suis autrement que vous »[7]. Marie-Aurore meurt en 1821, et sa petite-fille qui en hérite, épouse le fils naturel d’un baron d’Empire, Casimir Dudevant. De ce mariage malheureux, elle eut deux enfants. La séparation est prononcée après un long procès en 1836. Elle était devenue en 1831 la maîtresse de Jules Sandeau qui lui fit prendre conscience de ses talents littéraires. Sa liaison avec Musset se termine à Venise, douloureusement pour lui qui est abandonné pour un médecin italien. De cette époque datent des romans passionnels comme Indiana, Célia, Jacques. Puis s’ouvre une période populiste liée à son engagement politique qui fut encouragé par Michel de Bourges et son admiration pour le mysticisme humanitaire de Pierre Leroux et La Mennais. Les romans de cette époque sont empreints de socialisme idéaliste : Consuelo, Le compagnon du tour de France. Elle fonde la Revue indépendante en 1841 avec Pierre Leroux. Deux ans plus tard s’achève sa passion pour Chopin qui avait commencé en 1838. En cette année 1847, elle révèle au grand public qui lit l’Illustration l’existence des remarquables tapisseries de la Dame à la licorne qu’elle avait pu voir à Boussac en 1835. Engagée dans l’action directe avec l’avocat Ledru-Rollin lors de la révolution de 1848, elle se retire de la vie politique après les journées de juin, insurrection de la misère et de la faim, au cours desquelles 4000 insurgés, qui protestaient contre la fermeture des ateliers nationaux, sont abattus. 11000 furent faits prisonniers dont 4300 sont déportés.

Ce n’est plus que la vie rustique berrichonne qui inspirera ses romans. Dès avant son retrait ceux-ci en avait été marqués : Jeanne (1844), La Mare au Diable (1846). Puis ce fut François le Champi (1848), La petite Fadette (1849), et Les Maîtres sonneurs (1853).

Ayant refusé de discipliner son imagination et sa facilité d’écriture – dans Histoire de ma vie elle reconnaît qu’elle écrit « vite, facilement longtemps sans fatigue » - elle se donnait en toute sincérité à l’expression de ses sentiments et de ses idées. Idées fort en avance sur son temps, proclamant la liberté sexuelle de la femme et son droit à l’indépendance.

On peut rattacher au mouvement romantique le Félibrige, fondé en 1854 à Chateauneuf-de-Gadagne, au château de Font-Ségugne, par Anfos Tavan, natif du village, Théodore Aubanel, Frédéric Mistral, Joseph Roumanille, Jean Brunet, Paul Giera, et Anselme Mathieu. L’étoile à 7 branches, des 7 fondateurs, deviendra le symbole du Félibrige. L’entreprise de résurrection de la langue provençale (Respiledo), héritière de celle des troubadours, avait à lutter contre l’oubli qui avait gagné cette langue depuis la croisade des Albigeois et l’accession de Charles d’Anjou au comté de Provence. Le rattachement de la Provence à la France en 1481 sous Louis XI avec en particulier le soutien actif de Palamède de Forbin, de Solliès, et l’édit de Villers-Cotterêts confine le provençal aux écrits mineurs. Le renouveau bénéficia du mouvement romantique et de l’éveil des nationalités européennes. L’entreprise fut couronnée par le prix Nobel accordé à Frédéric Mistral en 1906. Son œuvre manifeste un refus d’intégration de la société agraire traditionnelle provençale dans la France centralisatrice en voie d’industrialisation. Mistral dote les parlers d’Oc d’un système d’orthographe moderne et contribuera à la prédominance du parler rhodanien sur le parler maritime, même à Marseille et à Toulon. Ami de Mistral, Gatien Almoric (Chabrillan, 1858 - 1945), poète et paysan, fut l'auteur d'une savoureuse comédie lyrique en 3 actes : " Lou Nouanantou-Nou ", en langue dauphinoise avec sa traduction française.


[1] Frédéric Bluche, Stéphane Rials, Jean Tulard, « La révolution française », PUF, p. 40

[2] Jean Malignon, « Dictionnaire des écrivains français », Seuil, p. 446

[3] Guide Bleu Suisse, Hachette, p. 97

[4] Jean Malignon, « Dictionnaire des écrivains français », Seuil, p. 78

[5] Ibid.,  p. 362

[6] ibid., p. 361

[7] L. Ville, préface à « Indiana », Georges Sand, Editions Simon, p. 11