Partie XVIII - La Chouette d’Or   Hypothèse espagnole   Hucbald, Saint Amand et spirale elliptique   
LA CHOUETTE D'OR AUTRES HYPOTHESES HUCBALD ET SAINT AMAND

Hucbald et Saint Amand

Hucbald de Saint Amand serait le demi-frère de Raoul de Gouy, fils d'Hucbold de Gouy, à qui le moine dédie sa vie de la vasconne Rictrude (Yves Chartier, L'oeuvre musicale d'Hucbald de Saint-Amand: les compositions et le traité de musique, 1995 - www.google.fr/books/edition).

L'évêque de Liège Etienne demanda à Hucbald d'écrire la vie de sainte Rictrude en 907.

La biographie de Sainte Rictrude remonte plus haut, elle prend les Francs à leur départ fabuleux de la Phrygie et de Troie, pour nous mener à la conversion de leurs rois, et à la conquête par ceux-ci du pays des Vascons, puis nous conte l'origine des Vascons, parmi lesquels Rictrude était née (Joseph de Marteau, Saint Lambert, vie en vers d'Hucbald de Saint Amand, Bulletin de l'institut archéologique liégeois, Volume 13, 1877 - www.google.fr/books/edition).

C'est à Hucbold que le moine Hucbald auteur de la Vita Rictrudis, vers 907, dédie son travail; Hucbold, comte près de Saint-Amand, est très probablement comte de Pévèle. Il n'est pas pour autant certain que son fils, Raoul de Gouy, lui ait succédé dans cette charge : l'homme était occupé ailleurs. Mais sa mère Heilewich se serait remariée avec Roger de Laon, selon l'argu mentation décisive de M. Grierson; ce Roger est précisément abbé laïque de Saint-Amand en 925. Entre-temps cette charge est tenue par le marquis Robert, frère du roi Eudes; et il semble prouvé que les Laon et les Robertiens étaient très proches parents. La Pévèle a dû rester dans la famille, phénomène normal au début du Xe siècle. Roger a-t- il succédé directement à Hucbold comme deuxième époux d'Heilewich ? Le marquis Robert, titulaire de l'abbatiat laïque de Saint-Amand, l'a-t-il précédé en Pévèle et Roger ne s'en est-il emparé qu'après la mort de Robert, en 923 ? Les deux hypothèses ne s'excluent pas. Après la mort de Roger Ier, ses fils se firent enlever Mortagne en 928 par Herbert de Vermandois. L'aîné, Roger II, est abbé laïque de Saint-Amand en 937, dans un acte qui spécifie l'existence du comitatus. A sa mort, en 942, c'est un certain comte Otger qui détient le même poste, et encore en 950-52 37. M. Dhondt donne la zone nord de l'Ostrevant aux deux Roger et à Otger; je crois plutôt qu'ils sont comtes de Pévèle. Ainsi, la Pévèle maintient son autonomie jusqu'au milieu du Xe siècle. Ses titulaires, sauf Enguerrand, sont tous apparentés; ce sont des Frioul, des Gouy, des Laon, descendants du clan des Alard. La mainmise des comtes de Flandre sur la Pévèle s'est faite en plusieurs temps; en 931, Arnoul le Vieux s'empare de Mortagne; en 952 c'est par son intervention qu'est élu le nouvel abbé de Saint-Amand, un clerc nommé Leudric. Il est hors de doute qu'à cette date, Arnoul était maître du pagus. Après l'Artois (932) et l'Ostrevant (940), la Pévèle, dernier vestige de la puissance des Frioul, rentrait sous l'obédience flamande. L'unification de la principauté était achevée (Pierre Feuchère, La Pévèle du IXe au XIIIe siècles, Revue du Nord , t. XXXIII, 1951 - www.google.fr/books/edition).

2/4

Le temps rythmique quaternaire existe-t-il réellement dans les mélodies grégoriennes et a-t-il servi à en rythmer un certain nombre ? La question est intéressante; car, dans le cas d'affirmative, nous retrouverions là tout à la fois le rythme dactylique des Grecs, avec ses spondées, ses dactyles, ses anapestes, ses procéleusmatiques et ses trochées dactyliques, et aussi notre rythme moderne mesuré à deux temps, le 2/4, avec toutes les figures rythmiques qu'il comporte. Or, une réponse affirmative paraît au moins très probable, ce genre de rythme étant des plus naturels, plus naturel même que le temps rythmique ternaire. De fait, certaines mélodies sont composées de telle sorte que la division par temps quaternaires leur convient parfaitement. Le premier exemple à citer est l'Antienne, dont Hucbald se sert pour expliquer à son disciple, comment le rythme du chant se forme de sons longs et de sons brefs régulièrement assemblés et pouvant être battus à la manière des pieds métriques. Cette Antienne renferme trois membres, trois distinctions, dit Hucbald, et dans chaque membre les dernières notes seules sont longues, toutes les autres sont brèves. Quelle sorte de pieds ou de temps rythmiques formaient-elles donc, pour que le Maître de l'Enchiriadis ait pu les battre à la manière des pieds grecs ? Je réponds, des temps quaternaires et des pieds dactyliques. Qu'on en juge : E-go sum via veri-tas et vi-ta al le-lu-ia al-le-luia.

A dire vrai, le rythme n'est pas celui des mètres classiques, qui n'admettaient pas de procéleusmatiques, pieds de quatre syllabes; mais il est battu de la même manière que les pieds dactyliques. C'est pourquoi Hucbald dit très bien : Veluti metricis pedibus cantilena plaudatur, et, pour ce qui est de la pratique : plaudam pedes ego præcinendo. Tout cela est d'une exactitude parfaite, supposé que l'Antienne ait été composée par Hucbald en temps quaternaires. D'autres Antiennes encore semblent appartenir au même genre de rythme (Antoine Dechevrens, Composition musicale et composition littéraire à propos du chant grégorien, 1981 - www.google.fr/books/edition).

Aujourd'hui l'Enchiriadis n'est plus attribuée à Hucbald (Yves Chartier, L'œuvre musicale d'Hucbald de Saint-Amand : les compositions et le traité de musique, 1973 - www.google.fr/books/edition).

Le maître chante une antienne pour expliquer à son élève ce que signifie chanter en nombre ("numerose cabere") : Ego sum via veritas et vita (Jean 14,6) : la voie, la vériré la vie, dont la source serait De musica II d'Augustin (Michel Huglo, La théorie de la musique antique et médiévale, 2023 - www.google.fr/books/edition).

Les moules gréco-romains et les moules grégoriens présentent des analogies qu'il est impossible de méconnaître, et qui permettent d'affirmer que les deux rythmiques reposent sur les mêmes bases, obéissentaux mêmes principes et arrivent aux mêmes résultats. Des deux côtés, le pied ou neume le plus restreint est fait de l'unité s'ajoutant à elle-même 1 + 1 ? tandis que le pied ou neume le plus développé ne dépasse pas deux groupes quaternaires, 4 + 4. C'est le double spondée gréco-latin, ô-râ-tô-rês, lequel se trouve à l'extrémité opposée du pyrrhique fuga. Entre ces deux extrêmes s'échelonnent les divers pieds classiques, ou les divers neumes, selon le langage grégorien. La similitude entre les uns et les autres est affirmée par Gui d'Arezzo (M. Foucault, Le Rythme du Chant Grégorien , 1903 - ia601601.us.archive.org, gregorien.info).

Le maître continue en déclarant que seules dans les trois membres les dernières doivent être longues, les autres brèves. Ainsi donc, numerose canere, c’est mesurer les sons par des longues et des brèves18. Un peu après, il spécifie que la proportion des longues par rapport aux brèves est une proportion double : « ut productam moram in duplo correptiore, seu correptam immutes duplo longiore. » (Nancy Phillips, Michel Huglo, Le De musica de saint Augustin et l'organisation de la durée musicale du IXe au XIIe siècles, - www.brepolsonline.net).

Hucbald (IXe siècle) et Gui d'Arezzo (XIe siècle) se servent des longues et brèves antiques (Raymond Depraz, Ars antiqua, ars nova, Correspondances, 1955 - www.google.fr/books/edition).

Dans la Musica : § 17 quattuor repertis, Hucbald résume ici Boèce (I. M. I, 2G ; cf. Textes parallèles), qui lui-même suit Nicomaque (p. 9-10 Meibom). Les explications de ce dernier, pythagoricien irréductible, nous permettent de suivre pas à pas, sous le couvert du mythe, l’évolution du système musical grec depuis le tétratonique (précédé par un tritonique ?), symbolisé par la lyre de Mercure à quatre cordes associées aux quatre éléments des philosophes pré-socratiques, eau-feu-air-terre, en passant par les systèmes pentatonique et hexatonique, vraisemblablement d’origine asianique (5e corde de Chorebus, fils d’Athys, roi des Lydiens, et 6e corde d’Hyagnis le Phrygien : époque des premières colonisations en Asie mineure, au VIIIe s. ?), puis heptatonique avec la 7e corde du Grec Terpandre, ce qui autorisa un rapprochement avec les sept planètes. L’accroissement progressif du nombre de cordes dut conduire à la conceptualisation théorique du Grand Système complet à 15 sons, soit deux octaves diatoniées, ainsi que le saisit Hucbald (postremo usque ad .XV. terminus interim deuenit), alors que ses modèles s’étaient arrêtés à la 11e corde. L ’expression proprii spatii quantitate discreta fait allusion précisément au diatonisme du Grand Système, composé exclusivement de tons et de demi-tons. [...]

Hyagnis est aussi considéré comme l’inventeur du mode phrygien, selon Athénée, Deipnosophistes XIV, 624 (Yves Chartier, L'œuvre musicale d'Hucbald de Saint-Amand : les compositions et le traité de musique, 1973 - papyrus.bib.umontreal.ca).

Les lettres et les notes

Au Xe siècle, le théoricien Hucbald de Saint-Amand eut l'idée d'utiliser les lettres de l'alphabet romain pour identifier le degré correspondant à chaque neume. En Italie on mit au point un système qui utilise les lettres A à G pour nommer les 7 notes de la gamme, à partir du " la " = A jusqu'à G = " sol ". Pour distinguer le sol grave du mode de ré, on utilisait le "gamma" (le "g" grec), d'où est venu le nom de gamme. En anglais et en allemand on emploie toujours ce système alphabétique pour désigner les notes de la gamme.

Le système de Gui d'Arezzo, l'hexacorde, reprend l'exemple donné par Hucbald de St-Amand dans son traité du IXe s. où une mélodie est notée sur une portée de 6 lignes représentant les 6 cordes d'une lyre (ou une cithare) accordées selon les intervalles T T S T T (où T = 1 ton et S = 1/2 ton). Dans la gamme guidonienne (do, ré, mi, fa, sol, la) le demi-ton est toujours situé au milieu. Ainsi, pour la gamme de do, le demi-ton se trouve entre le mi et le fa (sites.google.com/site/decouvrirlamusiquemedievale/la-notation-musicale).

Hexachordum Apollinis est le titre d'un recueil de pièces pour le clavecin ou l'orgue de Johann Pachelbel, publié en 1699. Le titre Hexachordum Apollinis évoque l'instrument à six cordes (la lyre) d'Apollon (fr.wikipedia.org - Hexachordum Apollinis).

Inspirée de Boèce, I. M. IV, 3. Les lettres de la série de gauche (B, F, C, P, M et I), qui représentent en fait des lettres de l’alphabet grec translittérées en lettres latines, sont données en minuscules dans les manuscrits. Le tau iacens et le gamma sont extraits de la fig. 19. La série de droite (A à a) est reproduite d’après H. Müller, Hucbalds..., p. 60.

Malgré les réels progrès qu’elle marquait par rapport à la notation neumatique dont elle n’était pas exclusive mais complémentaire, la notation hucbaldienne n’eut pratiquement pas de suites. Trois causes principales en expliquent la défaveur. D’abord, bien que le nombre restreint de signes alphabétiques eût largement suffi à noter n’importe quelle mélodie maintenue dans le registre d’une octave ceux-ci ajoutaient à la notation neumatique une complication supplémentaire : il eût fallu désormais deux types de notations au lieu d’un seul, et réviser tous les manuscrits notés en neumes purs. En second lieu, la diffusion extrêmement limitée de la Musica, comme celle de tous les autres livres de l’époque, réduisait son influence au seul cercle d’initiés venus puiser à la source l’enseignement du maître, ou à une région assez peu étendue. La prépondérance, enfin, de la notation neumatique était déjà si bien affirmée que rien, en dépit de ses insuffisances, ne pouvait freiner son adoption pour la rédaction des livres de chant liturgique. La tentative hucbaldienne ne laissa pas toutefois d’exercer, croyons-nous, une certaine influence sur l’auteur (ou les auteurs) de la Musica Enchiriadis.

Il faut signaler en dernier lieu un autre procédé de représentation des sons illustré par Hucbald et qui, s’il avait été poussé jusqu’à ses limites, eût pu être tenu pour l’ancêtre direct de notre système moderne. Au § 21, afin de bien faire sentir l’écart minime mais important qui sépare le ton du demi-ton, Hucbald dispose les paroles du répons Ecce vere Israhelita sur six lignes représentant les cordes de la cithare (ou du crwth) qu’il vient tout juste de décrire. La position des tons et des demi-tons étant indiquée dans les interlignes, qui seuls ont une valeur tonale, tous les intervalles de la mélodie se trouvent ainsi exactement déterminés (fig. 6). Il ne manquait à Hucbald que d’imaginer des symboles tenant lieu des syllabes pour être reconnu comme l’inventeur de la portée musicale. Plus que la notation alphabétique, la «notation syllabique diastématique» eut des prolongements. Le maître inconnu de la Musica Enchiriadis a recours au même procédé, tant pour les exemples monodiques que polyphoniques, et y ajoute les symboles de la notation dasiane. Guido d’Arezzo s’en servira pour noter deux hymnes en l’honneur de saint Jean Baptiste, et sera imité en cela par Aribon. Mais ce n’est qu’au XIe siècle que l’on placera directement les neumes sur une portée composée d’abord d’une seule, puis de deux, trois et quatre lignes de couleurs différentes avant de parvenir, après de nombreux tâtonnements et plusieurs modifications, au système qui prévaut de nos jours encore. Ce n’est pas le moindre mérite d’Hucbald que de lui avoir préparé la voie (Yves Chartier, L'œuvre musicale d'Hucbald de Saint-Amand : les compositions et le traité de musique, 1973 - papyrus.bib.umontreal.ca).

Hucbald et les contraintes poétiques

As the name of the Oulipo movement suggests, the goal has been to open up new potentialities for literature, and Oulipo members have sought to do this not by trying to tell new stories (again, “everything has been done”) but rather by using the very medium of literature – the alphabetic letters – to generate new works. In a sense, Oulipo can be seen as similar to some of the alphabetical constraints Carolingian writers imposed on themselves, such as Hucbald de Saint Amand's ninth-century poem in praise of baldness in which every word for 146 verses begins with a “c.” One of the founders of Oulipo in 1960 was Raymond Queneau (1903–76) who came from the surrealist movement. Queneau made a number of experiments with constraints, the best known of which is his Exercises de style (1947) in which he describes the same banal scene ninety-nine times, each time using a different style. Each version carries a constraint: in “Surprises” each sentence has to be exclamatory; in “Negativity” all the sentences are written in the negative; “Double in part” says everything in two ways (“Toward the middle of the day and at noon ...”) (Laurence de Looze, The Letter and the Cosmos: How the Alphabet Has Shaped the Western View of the World, 2016 - books.google.fr).

Une spirale elliptique à quatre centres de Saint Amand les Eaux ?

Le carillon se trouve dans la tour abbatiale. Cette tour a été récemment rénovée. En 1340, sous les ravages de la guerre de Cent Ans, la ville est dévastée et la tour abbatiale n'échappe pas au sévice. Ce ne sera pas le seul saccage que connaîtra la ville, souvent pillée et en butte aux armées. Diverses dégradations majeures auront lieu en 1478 et 1566, puis inévitablement 1789. L'abbatiale que nous connaissons aujourd'hui a été érigée à la suite de ces premières dévastations. L'abbé Nicolas Dubois fera monter l'édifice entre 1626 et 1640. Bien que fort étrange, il est d'inspiration baroque, encore qu'il n'y ait aucune réelle unité architecturale dans la conception. De nos jours, seule la tour subsiste, le reste est depuis longtemps disparu. Elle constituait une tour d'angle. Haute de 82 mètres, c'est un monolithe imposant. Elle est purement insolite et fait presque penser au palais du facteur Cheval. Des grotesques, des chimères et des fantaisies ornent les parois. Tout particulièrement, on relèvera la présence de dragon-anacondas géants. Il y a 8 dragons autour de la tour. Ils sont enroulés comme des serpents (tchorski.fr).

119. Tracez une spirale elliptique (fig. 141).

Tirez la droite AB et prenez sur son étendue la longueur EF à volonté. De ces points E et F, pris successivement pour centres, et avec un rayon égal à EF, tracez au-dessus et au-dessous de AB deux petits arcs de cercle qui se couperont en D et en C. Tirez du point C, en passant par les points E et F, deux droites CFf et CEe; et tracez du point D, également par E et F, les droites DEf et DEe. Élevez ensuite les petites perpendiculaires Eh et Fi sur les points E et F, et tirez sur les points C et D les deux droites CS et DK, l'une vers la droite, l'autre vers la gauche, en leur donnant une longueur égale à Fi et EH.

Prenez alors ces quatre points K, i, S et h pour centres, et tracez des arcs de cercle qui se rencontreront dans les quatre droites que vous aurez tirées, savoir : du point K, tirez le premier arc jusqu'en F; faites du point i l'arc Fm; du point S l'arc mn, et enfin du point h décrivez l'arc no, et continuez ainsi pour terminer la spirale que vous aurez projetée (J.B. Pietersz, N. Zwager, Principes du dessin linéaire, à l'usage des écoles primaires en Belgique, 1849 - books.google.fr).

 

Morse - pieds

La présence de 2424-42-424-44-224-24-42-24 dans le texte, et d'un morse dans le visuel nous invitent à utiliser le code Morse. Le décodage naïf "2=point" et "4=trait" donne : La possibilité "2=trait" et "4=point" donne CARIGNAN

-.-./.-/.-./../--./-./.-/-.

Cette séquence cache probablement le nom d'une ville, mais laquelle ? En effet, si beaucoup de chouetteurs pensent que 2424 est en fait Carignan codé en morse, beaucoup d'autres pensent que ce décodage est un piège (piblo29.free.fr).

Pour le Morse, une longue vaut trois brèves (Claude Abromont, Eugène de Montalembert, Guide de la théorie de la musique, 2001 - books.google.fr).

Transposons en pieds :

C : - u - u : deux trochées, ditrochée ou dichorée
A : u - : iambe
R : u - u : amphibraque
I : u u : pyrrhique
G : - - u : anti-bacchius
N : - u : trochée ou chorée
A : u - : iambe
N : - u : trochée

On a 20 symboles ("u" et "-"). 9x2 + 11 = 29 mores (anagramme de morse).

Lorsqu'on «scande» aujourd'hui un vers antique, on établit son schéma métrique et l'on s'efforce de le réciter en rendant ce schéma apparent. Un tel schéma se décompose en pieds élémentaires, construits sur l'alternance de positions syllabiques «longues» (—) valant deux mores avec des positions syllabiques «brèves» (?) valant une more.

La more est une unité de temps en phonologie. Son nom provient du latin mora signifiant «retard, arrêt, pause dans le discours» ou «délai». Comme beaucoup de termes techniques linguistiques, sa définition exacte fait l'objet de discussions. Il s'agit d'une notion plus fine que celle de syllabe. Dans les langues syllabiques, chaque syllabe est constituée d'une ou plusieurs mores, qui en déterminent le poids, ce dernier déterminant à son tour l'accent tonique du mot ou son rythme (fr.wikipedia.org - Pied (poésie), Frédéric Plessis, Traité de métrique grecque et latine, 1889 - books.google.fr).

Pieds pentasyllabiques

Comme il y a 20 symboles, on les divise en 4 pour obtenir des groupes de cinq syllabes : un quatrain de pentasyllabes.

De nombreux métriciens rejettent l’existence de cette classe, au motif que les formes métriques suivantes se décomposent aisément en pieds disyllabiques et trisyllabiques. Elle est attestée néanmoins dans l'Antiquité tardive (fr.wikipedia.org - Pied (poésie)).

- u - u u 7 anapaïstikos/choreodactylus (Tullus armiger, vulnerabitur, cuncta turpia, verberantibus, diligentia, polypi caput)
- u - u u 7 anapaïstikos/choreodactylus
u - - u - 8 dochmie/dochmius, iambocreticus (rei publicae, recantaverint, tuos erudi, imagunculis, laboraveras, scit uti foro)
u u - - u 7 antamoibaïos/antamoebaeus, musicus, hegemo-latus (loca munita, reparatorum, pius albertus, populabundus, animadvertis, Hecates caena). Richard Busby, Rudimentum Anglo-Latinum grammaticæ literalis & numeralis: in usum scholæ regiæ West-monasteriensis, 1688 - books.google.fr).

An octopus'head. Used of a man who is inconsistent and has both faults and virtues at the same time, like Catiline in Sallust's1 description. It also suits anything from which you can derive plenty of advantage not unmixed with harmful features. The image is taken from the head of this animal which, as Plutarch tells us in his essay called 'How Young Men should Study Poetry,' is delicious eating but provokes appalling nightmares. Those who wished to foretell the future from dreams were thus forbidden to eat it, and beans too, as Plutarch again tells us in his 'Table-talk.' So he calls poetry an octopus'head, as containing much that is entertaining and useful, and yet some things that will do harm unless one takes precautions. So we should try to select the good out of such things and avoid what is harmful. As Simonides teaches, we should model ourselves on bees, which ignore everything else and fly only to the places where they can collect what they can use for making honey, and gather nothing for which they will have no use. The complete proverb is given in Plutarch as follows : 'In the octopus' head is much evil and much good. 'Theognis1 likewise in his maxims says of wine' It is both good and bad.' One might divert to the same effect the story of the spear of Achilles, which could cure the wound it had inflicted in the first place (The Collected Works of Erasmus: Adages, 1989 - books.google.fr, Alexandre Vanautgaerden, Erasme typographe : Humanisme et imprimerie au début du XVIe siècle, 2012 - books.google.fr).

Les commentaires des adages Polypi mentem obtine – «Aie l’esprit d’un poulpe» (n° 93) et Cothurno versatilior – «Plus changeant que le cothurne» (n° 94) insistent sur la capacité d’Ulysse à s’adapter à plusieurs situations différentes (Lika Gordeziani, Trois rois pour un prince : les Adages au service de la pédagogie érasmienne, 2020 - theses.hal.science).

Le poulpe a huit tentacules, le huit rappelle l'octogone.

A Silenis imagunculis quibusdam,ita factis, ut clausæ nihil nisi ridiculum ac monstrosum habeant, apertas ucro si propius intucaris, numen aliquod inuenies... qua eruditione & facundia ostendit Erasmus in Chiliadibus (Desiderius Erasmus, Adagiorum epitome, 1540 - books.google.fr).

Dans l'adage sur les silènes, Erasme emploie le terme "imagunculas".

This proverb, and that entitled Silen Alcibiadis, had appeared before 1515,for they were reprinted in that year by Frobenius, separately from the other Adages, as appears by a letter of Beatus Rhenanus in Appendice ad Erasm. Epist. Ep. xxviii. Zazius, a famous jurist alludes to them in another letter, Ep xxvii., praising "fluminosas disserendi undas, amplificationis, immensam uber tatem." And this, in truth, is the character of Erasmus's style. The Silen Alcibiadis were also translated into English, and published by John Gough: see Dibdin's Typographical Antiquities, article 1433 (Henry Hallam, Introduction to the Literature of Europe in the Fifteenth, Sixteenth, and Seventeenth Centuries, Tomes 1 à 2, 1894 - books.google.fr).

Dans un autre adage, Érasme tentait d'expliquer le dicton Hecatae coena, le repas d'Hécate. Sans doute Nicolas de's Hertogenbosch avait-il proposé d'y voir la grenade, alors qu'Érasme songeait aux trigles ou rougets (Aloïs Gerlo, Paul Foriers, La correspondance d'Érasme, Tome 3, 1975 - books.google.fr).

Dans les Vosges, ces manifestations aussi bruyantes que mystérieuses étaient appelées Chasse sauvage ou Mesnie Hennequin. Comme dans le reste de la France et en Europe, on prétendait la Chasse conduite par quelque grand seigneur que, généralement, les crimes de sa vie passée avaient mis au rang des réprouvés; la Mesnie Hennequin, elle, passait pour une sarabande aérienne menée par le diable (le Hennequin). Il s'agissait donc, «en réalité», de deux phénomènes différents que l'on confondait souvent sous le nom de Mesnie Hennequin, car allez donc reconnaître la nature de ces bruits très semblables, lorsque vos yeux ne vous permettent pas d'en distinguer la cause ! Quand la Chasse sauvage ou la Mesnie Hennequin passait dans les airs, il fallait se coucher au sol, invoquer la protection de saint Fabien, et ne pas regarder le ciel, sous peine de s'attirer la vengeance des démons. Quelques audacieux ont parfois osé enfreindre ces recommandations - souvent, d'ailleurs, impunément, et ils ont alors découvert, parmi la troupe hurlante, des défunts de leur connaissance dont la vie ne pouvait guère être citée en exemple. Parfois, surtout Hécate et Proserpine, déesses des enfers, étaient censées mener des meutes hurlantes à travers les airs durant les nuits d'été, ces courses aériennes produisaient une sorte de musique semblable à celle s'échappant de la meule d'un rémouleur au travail; c'est pourquoi la Mesnie Hennequin est appelée Remolin à Ventron, et Remolière à Cleurie. D'autres fois, comme à Rochesson et à Saint-Rémy, ces bruits aériens passaient pour les cris de malheureux enfants morts sans baptême. Jadis, ces phénomènes éoliens, de même que le tonnerre, les éclairs, l'arc-en-ciel, les étoiles filantes, étaient regardés comme des manifestations surnaturelles. Un jour, raconte Thiriat, on expliqua à un jeune homme les causes du tonnerre. Tout fier de sa science nouvelle, il se hâte d'en faire part à son père. Celui-ci gronde sévèrement son fils, en disant que Dieu seul possède le secret de ces choses, et lui défend d'écouter, à l'avenir, des propos aussi scandaleux ! L'origine de la croyance à la Chasse fantastique remonte à la plus haute antiquité. En Grèce, Hécate et Proserpine, déesses des enfers, étaient censées mener des meutes hurlantes à travers les airs. Et le souvenir de ce mythe s'est si bien conservé, qu'on parle encore de la Chasse Proserpine ou Chéserquine en plusieurs endroits de Normandie. En Scandinavie, en Germanie et, plus tard, en Gaule, c'était le dieu Odin qui sillonnait les airs avec ses héros et ses walkyries; et son apparition annonçait une guerre prochaine. Avec le christianisme, Odin est devenu le diable, et les autres dieux, des démons. Comme l'Eglise avait déjà condamné la guerre en instituant la Paix, puis la Trêve de Dieu, elle ne pouvait pas en faire autant de la chasse - sauf pour celle qui avait lieu le dimanche, car la chasse était, par excellence, le privilège des seigneurs, dont il convenait de se concilier les bonnes grâces. Aussi, autant pour détrôner Odin et les anciens dieux que pour honorer la noblesse, le clergé choisit saint Hubert, cet ancien pourfendeur de gibier, converti par l'apparition du cerf portant une croix lumineuse entre ses bois, pour en faire le patron des chasseurs. Ainsi, peu à peu, la Chasse d'Odin se mua, du moins en partie, en Chasse de Saint-Hubert. Mais à côté d'elle, se créèrent des chasses pareillement imaginaires, dirigées par de nobles et puissants personnages : Charles Martel, Charlemagne, Hugues Capet, le comte Thibaut, et d'autres encore, sans oublier le légendaire roi Arthur. Si la Chasse d'Odin, la Chasse maudite, perdit son nom, elle ne disparut pas pour autant. On trouva, pour la mener, le diable d'abord, ce nouvel Odin, puis des réprouvés notoires : Caïn, Hérode, Hérodiade, ou tout simplement des seigneurs locaux, exécrés du peuple et de l'Eglise pour avoir chassé le dimanche, dévasté le champ du pauvre paysan, ou commis des crimes encore plus "pendables". En France, ces chasses plus ou moins mauvaises, portent divers noms. C'est ainsi que l'on trouve la Chasse sauvage, la Chasse Hennequin et la Mesnie Hennequin, dans les Vosges et en Lorraine; la Chasse sauvage ou Haute chasse, en Alsace et en Franche-Comté; la Chasse du Peut ou du Diable, en Côte-d'Or; la Chasse Maligne, en Forez et dans le Bourbonnais; la Chasse à Bodet, la Chasse à Rigaud, en Berry; la Chasse Hennequin, la Mesnie Helquin ou Herlequin, en Normandie; la Chasse Arthur, en Bretagne, en Normandie, dans le Maine; la Chasse du roi Hérode, en Bresse, en Bugey, dans le sud de la Franche-Comté et en Périgord. On ne sait pourquoi le souvenir d'Hérode s'est conservé en Périgord, mais dans les trois autres régions cela est dû au fait que l'empereur Caligula avait envoyé Hérode Antipas en exil du côté de Lyon. Et le fils du massacreur des Innocents avait assez de crimes à son actif, pour qu'on en fît un chasseur maudit. Il a d'ailleurs, sans doute, été confondu avec son père. Selon le grand folkloriste Van Genepp, le plus ancien texte connu sur la Chasse sauvage est celui que donne Ordéric Vital (dans son Histoire de Normandie, d'après le témoignage d'un prêtre), en 1091 (Gabriel Gravier, Légendes de Lorraine, Tome 1 :Legendes des Vosges, 1985 - books.google.fr).

De même que les Grecs avaient choisi, pour y élever le temple d'Hécate, la côte inhospitalière de la Tauride, la région des ténèbres et des tempêtes, où régnaient les mauvais génies dans l'horreur de la nuit Cimmérienne, le Moyen Âge réunit les sorcières au milieu des bois épais, sur les cimes dépouillées, dans la solitude des landes stériles, pour y mener le sabbat, dernier vestige du culte d'Hécate. Satan, condamné à subir l'hommage des plus immondes passions, remplaçait la déesse terrible dont Iphigénie avait été la prêtresse. La tempête nocturne, soulevée par les maléfices, n'obéissait plus aux dieux puissants de l'orage; dans sa course désordonnée, elle emportait à travers les nuées le balai des sorcières (Frédéric Zurcher, Élie Philippe Margollé, Les Tempêtes, 2016 - books.google.fr).

Cf. la Roche de Benaveau à Epinal, lieu de sabbats.

Erasme parle de la Chouette s.v. «Noctua volat», col. 264, «Noctuae Laureoticae», col. 547-48 et «Ululas Athenas», col. 805 où : «La chouette était jadis très chère au peuple d Athènes et consacrée à Minerve, à cause de ses yeux pers, au moyen desquels elle distingue dans les ténèbres ce que les autres oiseaux ne voient pas. On la croyait donc de bon conseil» (Guy De Tervarent, Attributs et symboles dans l'art profane : Dictionnaire d'un langage perdu (1450-1600), 1997 - books.google.fr, Desiderius Erasmus, Adages, Volume 31, traduit par Roger Aubrey Baskerville Mynors, 1982 - books.google.fr).

Dans son De recta latini graecique sermonis pronuntiatione dialogus, Érasme mentionne un carmen in laudem calvitii dont la récitation est conseillée à ceux qui, ayant des difficultés de prononciation (notamment les bègues), «laborant in k». Cette allusion avait été laissée sans référence dans l'édition récente de l'œuvre (cfr M. Cytowska, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterdami, Amsterdam, Ordo I, t. IV, 1973, p. 48). Daniel J. SHEERIN n'a pas eu de peine à combler cette lacune : il s'agit évidemment du fameux poème d'Hucbald dont tous les mots commencent par un c : A Carolingian Cure Recovered : Erasmus Citation of Hucbald of St. Amand's Ecloga de calvis (dans Bibliothèque d'humanisme et Renaissance 1980, t. XLII, p. 167-171). On connaît six éditions du poème de 1496 à 1519. Il bénéficiait donc d'une certaine popularité et il est vraisemblable que l'allusion d'Érasme fut généralement comprise par ses lecteurs. La récente sortie de presse d'une collection de virelangues de Wallonie «à l'intention de ceux qui veulent affiner leur prononciation tant du français que du dialecte montre que la tradition des recueils orthophoniques, honorée du patronage du grand humaniste, n'est pas morte : R. Pinon et J. Servais, Ton thé t'a-t-il ôté ta toux ?, Liège, Musée de la vie wallonne, 1974 (Hubert Silvestre, Chronique, Revue d'histoire ecclésiastique, Volume 80, Partie 1., 1985 - books.google.fr).

En 1681, l'Université de Sedan fut supprimée, par une mesure qui annonçait de plus grands orages, et le jeune Moivre partit pour le Collège protestant de Saumur, tandis que deux professeurs de Sedan, Bayle et Jurieu se réfugiaient à Rotterdam, dans la patrie d'Erasme, où leur élève Basnage devait les retrouver. C'est là que Bayle, ce précurseur de Voltaire, écrivit son dictionnaire historique et critique, et que Jurieu, l'adversaire de Bossuet, prêcha la souveraineté du peuple, cent ans avant la Révolution (Edme Jacquier, Eloge d'Abraham Moivre, Mémoires, Volumes 13 à 14, Société des sciences et arts de Vitry-le-François, 1887 - books.google.fr).

Sur la piste des cistes

L'Ecloga de calvis (De laude calvorum) ou éloge des chauves fut naturellement dédié à Charles le Chauve. Les anciennes éditions portent en effet à la suite du titre ces mots, ad Carolum Calvum imperatorem. Dans un manuscrit de Bohême communiqué à G. Barth, ce poëme était accompagné des quinze vers suivants, en guise d'envoi à l'empereur :

Carmine, clara, cave calvos calvare, camoena;
Crispa cadat contra caudata calumnia cirro.
Calvorum charites cantatæ carmine claro
Conticeant, cum clangenti concita canore
Conciderint cœli cum Christi culmina cultu.
Cæsareæ capides, cauti cata cista Catonis
Concludant cleri captantia carmina culpas.
Carmina, calvorum comtrix, conclude, camœna.
Carole, cum calvis, Cæsar clarissime, canta
Crucifero Christo clari conamina cleri.
Clausa camœna capit cum Cæsare congrua curam.
Comta corona, cave; cum Cæsare condita calvo
Caroleos comunt celebrantia carmina calvos.
Christe, caput calvum cum comto contueare,
Crux cujus cunctis condonat crimina calvis.

Garde-toi, noble muse, de priver les chauves de tes vers: que la calomnie bouclée et crépue tombe devant toi, la queue coupée. Puissent les grâces des chauves, chantées dans ce noble poëme, ne se taire qu'au jour où, ébranlées par la trompette retentissante, les hauteurs du ciel s'écrouleront avec le culte du Christ. Que les vases mystérieux des empereurs, que la corbeille aux secrets du prudent Caton retiennent enfermés les vers qui reprennent les fautes du clergé. Cesse tes chants, muse, qui sais parer les chauves. Charles, très-noble empereur, chante avec les chauves les efforts du noble clergé en l'honneur du Christ portant sa croix. La muse du reclus, d'accord avec l'empereur, partage sa sollicitude. Sois sur tes gardes, couronne, parure du moine : composés au gré de l'empereur chauve, les vers qui les célèbrent sont la parure des chauves Carolingiens. Que ton œil veille sur la tête chauve et sur la tête parée de la couronne, ô Christ, toi dont la croix rachète les péchés de tous les chauves.

Les capides et les cistes étaient des ustensiles employés par les anciens dans les mystères et les sacrifices. Ils forment ici une singulière métaphore (Hucbald, De laude calvorum carmen mirable, 1853 - books.google.fr).

Sur la piste des cistes est un concept créé en 2002 par Max Valentin de son vrai nom Régis Hauser, sur la base d’une chasse au trésor. L’objectif : retrouver une ou plusieurs cistes, petite boîte renfermant quelques babioles sans grande valeur, grâce à une énigme (www.cistes.net).

Poulpe, Hécate

Sur le fait de la réalité des phénomènes, l'érudit bénédictin Dom Calmet, mort à Senones (Vosges) en 1757, dans son Traité des apparitions et des vampires, tome II, répond, plus d'un siècle à l'avance aux théories des savants tels que le Dr Calmeil, qui ne voient dans les êtres vampirisés que les victimes d'une maladive imagination. La doctrine esquissée par nous au précédent tome (pages 229 et 381) semble résoudre la plupart des difficultés dont s'effare la logique du bon Père. L'assassin d'outre-tombe n'est pas un cadavre galvanisé pour un temps par une soif monstrueuse de pourpre humaine, puis rentrant dans sa fosse pour y cuver ce sanglant breuvage, comme un ivrogne cuve son vin. Non, le revenant serait un Élémentaire anticipé, l'âme du défunt qui, vaguant en corps sidéral autour de sa dépouille, n'a garde de rompre le lien d'ombilication fluidique qui la rattache au cadavre, dont elle entretient la vitalité végétative et retarde la désagrégation moléculaire, par un phénomène exceptionnel d'hyperphysique nutrition. Mais pour nourrir la mort, il faut épuiser et détruire la vie. L'impalpable malfaiteur se mêle aux vivants, il les terrifie pour s'emparer de leur fluide vital extériorisé par l'effroi; et ce fluide, il va le transmettre au cadavre, auquel son existence est liée... Figurez-vous un poulpe, embusqué dans sa caverne sous-marine; il étend au dehors ses huit tentacules armés de suçoirs te le cadavre meurtrier dans sa tombe; le spectre-ventouse vagabonde alentour :

...tumulum circumvolat umbra !

Voilà, dans toute son immondice, le mystère infâme de l'erraticité vampirique.

L'intuition populaire l'avait de longue date pressenti, puisque l'usage voulait, en Grèce et ailleurs, qu'on plantât des glaives, la pointe en l'air, sur la sépulture des Vampires, après qu'on leur avait tranché la tête ou féru le cœur d'un épieu. Peut-être quelque magicien avait-il révélé l'efficacité d'une telle pratique... Tournefort a été à Mycone (l'une des Cyclades), témoin fort incrédule de cette singulière cérémonie, qu'il relate en ses Voyages. Or, on sait la vertu que possèdent les pointes de métal, d'anéantir les fantômes en rompant tout coagulat fluidique. Elles soutirent et décomposent l'électricité vivante. en ses anormales condensations. Sur la fosse des Vampires, les épées servaient donc à dissoudre le noeud qui relie au cadavre l'entité erratique du défunt, aussitôt entraînée au gouffre d'Hécate. C'est là, dans ces ténèbres extérieures dont parle l'Évangile, que cette âme prolongera, selon toute vraisemblance, sa triste condition d'Élémentaire extraligné de la voie lumineuse, en attendant de devenir un légionnaire de l'ombre, un Daïmon pervers (Stanislas de Guaita, Essais de sciences mandites, Tome 3, 1897 - books.google.fr).

Stanislas de Guaïta est né à Tarquimpol en Lorraine (Moselle). Il est mort dans cette même ville le 19 décembre 1897. Occultiste et poète français, il est le cofondateur avec Papus et Joséphin Péladan de l'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix (fr.wikipedia.org - Stanislas de Guaita).

Josephin Péladan était surnommé le Mage d'Epinal, le Sâr Pédalant et Artaxerfesses (Jean-Pierre Laurant, Les Péladan, 1990 - books.google.fr).

Sur le poulpe image de l'âme avec chez les Stoïciens cf. nonagones.info - Synthèse - Chapitre LVIII - Autour de Rennes - Dalle verticale de Marie de Nègre : un triangle isocèle rectangle.

L’âme est composée de 8 parties :

- la partie directrice (hêgemonikon)
- le toucher
- le goût
- la vue
- l’ouïe
- l’odorat
- la voix
- la partie reproductrice (unregardstoicien.com).

Une chanson pentasyllabique

Comme le dit Jules Lemaître, analysant la production de Verlaine à cette période : «La poésie de ce prétendu “déliquescent” ressemble alors beaucoup plus à la poésie populaire» Sa rencontre avec Rimbaud l’a aussi incité à poursuivre dans cette voie. Pourtant c’est d’abord Verlaine qui fait partager à Rimbaud son goût pour les «opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs» : Rimbaud vient d’écrire Le Bateau ivre et on peut être étonné qu’il dise ensuite «adieu au monde dans d’espèces de romances» comme Chanson de la plus haute tour ou Ô saisons, Ô châteaux.

Rimbaud oriente en effet vers la chanson les poèmes qu’il écrit au printemps et durant l’été 1872, en utilisant : le pentasyllabe dans Chanson de la plus haute tour, Age d’or, Entends comme brame…, et le bouclage par répétition de la strophe initiale dans L’Eternité : (Brigitte Buffart-Moret, La chanson poétique du XIXe siècle : Origine, statut et formes, 2006 - books.openedition.org).

Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.

Âme sentinelle,
Murmurons l'aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.

Des humains suffrages,
Des communs élans,
Là tu te dégages
Et voles selon.

Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s'exhale
Sans qu'on dise : enfin.

Là pas d'espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.

Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Éternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil
(rimbaudexplique.free.fr).

Le premier quatrain repris à la fin fait penser à la sextine où la septième strophe reprendrait l'ordre des mots-rimes de la première.

L'accentuation de ces quatrains ne correspond pas à celui des pentasyllabes "CARIGNAN".

César de Nostredame, fils de Nostradamus, héros du roman Beaux Inconnus de Pierre Lartigue, a écrit des poésies spirituelles dont un cantique de Noël, Cantique V, dialogue entre deux paysans, Janot et perrot. Ce poème est en vers pentasyllabiques à rimes croisées (Lance K. Donaldson-Evans, Œuvres spirituelles de Cesar de Nostredame, 2001 - books.google.fr).

Taratantara

Au commencement de la poésie de langue française fut le décasyllabe : la «Séquence de Sainte-Eulalie» (datée du IXe siècle) ; il compose l’essentiel de ce poème (16 de ses 28 vers). Parmi ces décasyllabes, 9 vers sont composés en 5-5, autrement dit à césure médiane, et de chaque côté de la césure, l’hémistiche est un taratantara ; c’est donc en cette séquence (qui a décidément bien des qualités) qu’on trouve les premiers taratantaras de la métrique française ; elle commence ainsi :

Buena pulcella / fut Eulalia (5-5)
Bel auret corps, / bellezour anima. (4-6)
Voldrent la veintre / li Deo inimi, (5-5)
Voldrent la faire / diaule servir. (5-5)

À l’origine, le mot «taratantara» est un mimologisme qui désigne le son d’une trompette, on le trouve dans un vers d’Ennius (239-169 av. J.-C.) : at tuba terribli sonitu taratantara dixit (Mais la trompette fait entendre ses terribles sons, son taratantara.)

À la suite de la «Séquence de sainte Eulalie», le décasyllabe en taratantara fera de nombreuses apparitions dans la poésie médiévale (Blondel de Nesle (né vers 1155/1160) est le premier et seul poète courtois à avoir composé une chanson entièrement en taratantara), et dans les âges successifs de la poésie française, jusqu’à aujourd’hui (puisque Alain Chevrier en relève de nombreux chez Jacques Roubaud (en grand connaisseur de ce type de vers).

Quant à l’introduction du mot en tant que spécialité métrique, cela fait partie des beaux désaccords entre érudits de l’histoire littéraire, on s’arrêtera souvent sur le nom de Bonaventure des Périers comme celui ayant annoncé écrire en taratantara, par auto-dérision (Jean-Pascal Dubost, Le Décasyllabe à césure médiane, Histoire du taratantara, d'Alain Chevier, 2011 - books.google.fr).

Il existe dans notre langue un poème très ancien, tout à fait différent du reste de notre poésie par sa facture, et qui, par conséquent, doit être examiné à part. C’est la Cantilène de sainte Eulalie, qui relate l’histoire, dans un style assez pauvre, d’une jeune Espagnole de Merida, martyrisée le 10 décembre 304, sous le règne de l’empereur Maximien, et dont le sacrifice, commémoré à plusieurs reprises par la littérature chrétienne, l’avait été en particulier au ive siècle, par une hymne de Prudence. D’après cette hymne furent composées, à la fin du IXe siècle et sur le même sujet, deux œuvres nouvelles, l’une en latin, l’autre en français. Le manuscrit qui nous les a conservées a appartenu d’abord à l’abbaye bénédictine de Saint-Amand-les-Eaux, tout au nord du territoire de langue française. Depuis la Révolution, il fait partie de la bibliothèque de Valenciennes, où un écrivain allemand, Hoffmann von Fallersleben, l’a découvert en 1837. Le poème latin précède dans ce manuscrit le poème français, qui en est l’adaptation en langue vulgaire. Vient ensuite le Ludwigslied, en allemand, dont le héros, vainqueur des Normands en 881, est mort en 882. C’est donc vers cette époque que la Cantilène de sainte Eulalie a été composée. Comme Hucbald, favori de Charles le Chauve, «monachus insignis et musicus laudabilis qui de multis sanctis cantus composuit», a enseigné à Saint-Amand-les-Eaux jusqu’en 883, on s’accorde à voir en lui l’auteur des deux pièces qui célèbrent la sainte. L’une et l’autre sont des Proses ou Séquences, ainsi que F. Wolf l’a montré le premier ; elles sont de construction notkérienne, avant que les Proses eussent reçu une forme strophique.

Conformément aux habitudes qui régissent tous les textes liturgiques, Sainte Eulalie est coupée par des pauses intérieures. Dans le manuscrit, les clausules sont écrites l’une au-dessous de l’autre, la séparation de chacun des deux membres parallèles étant assurée par un point. Pour prendre un exemple tiré de notre texte, on a donc :

Illi en ortet dont lei nonque chielt. Qued elle fuiet lo nom christiien (Cl. VIII).

Or on remarque une séparation concordante des mots et du sens à la cinquième syllabe, ce qui prouve l’existence d’une césure à cette place. On est donc autorisé à écrire, mieux encore que ci-dessus :

Cl. VII a - Il li enortet
dont lei nonque chielt
Cl. VII b - Qued elle fuiet
lo nom christiien,

selon la disposition usuelle dans la transcription des Proses liturgiques. Mais d’autre part, dans la première clausule, aucune division n’est possible, car elle ne tomberait pas à la même place dans les deux membres parallèles, qui sont récités l’un et l’autre selon la même mélodie. Il faut donc adopter :

Cl. I a - Buona pulcella fut Eulalia,
Cl. I b - Bel avret corps bellezour anima

malgré ce que semble indiquer le sens dans le deuxième membre car c’est ici la forme chantée du premier qui commande celle du second. Il faut noter que la Séquence d’Église, n’étant pas versifiée, peut admettre des repos non seulement à des places variables, mais encore à des intervalles moins rapprochés qu’un poème écrit selon un syllabisme fixe, ainsi qu’on peut s’en rendre compte par la déclamation des Psaumes (Georges Lote, La cantilène de sainte eulalie In : Histoire du vers français. Tome I : Première partie : Le Moyen Age I, 1991 - books.google.fr).

Cuncta turpia (toutes les choses honteuses)

Dans la sartyre III du Livre I ("Comment il faut en agir avec nos amis, quand ils ont fait quelque faute"), Horace écrit :

Illuc praevertamur, amatorem quod amicae Turpia decipiunt caecum vitia, aut etiam ipsa haec. Delectant, veluti Balbinum polypus Agnae. Vellem in amicitia sic erraremus; & isti Errori nomen virtus pofuisset honestum. (Que faut-il donc faire ? le voici : Que fait l'amour dans un amant ? Il lui cache les défauts de sa maîtresse : ou s'il les lui laisse voir, c'est pour les changer en agrémens Balbinus trouvoit de l'agrément jusque dans le polype d'Agna. Je voudrois que la même erreur se trouvât dans l'amitié, & quelle eût le nom d'une vertu) (Quintus Horatius, Les poësies d'Horace, Volume 2, traduit par Jean Chretien Fisher (Amsterdam), 1762 - books.google.fr).

Horace était excessivement sensible aux mauvaises odeurs qui agissaient sur son système nerveux; il prit ainsi en aversion une fort belle courtisane nommée Hagna, qui puait du nez et n'en était pas moins idolatrée de son amant Balbinus (P. L. Jacob, Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde: depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, Toume 2, 1851 - books.google.fr).

Erasme utilise la satyre précédente pour montrer que l'aveuglement dans les rapports amoureux ou amicaux est folie :

Voyons un peu. Connivence, méprise, aveuglement, illusion à l’égard des défauts de ses amis, complaisance à prendre les plus saillants pour des qualités et à les admirer comme tels, cela n’est-il pas voisin de la folie ? L’un baise la verrue de sa maîtresse ; l’autre hume, en se délectant, un polype au nez de son Agna chérie ; un père dit, de son fils qui louche, qu’il a le regard en coulisse. N’est-ce pas de la vraie folie ? Disons-le, répétons-le, c’est bien elle qui unit les amis et les conserve dans l’union (Érasme de Rotterdam, Éloge de la Folie, traduit par Pierre de Nolhac., 1964 - fr.wikisource.org).

Bossuet disait d'Horace qu'il «se donne pour stoïcien et se montre trop souvent cynique» (Histoire de Bossuet, Oeuvres complètes de Bossuet, 1868 - books.google.fr).

Dans la IIIe satyre du Livre II ("Presque tous les hommes sont fous"), Horace nous dit qu'il a emporté dans ses bagages Platon, Ménandre, Eupolis, Archiloque (Je tiens à dire tout de suite que je ne pense pas comme certains à Platon le comique). Mais c'est Chrysippe qui est activement présent dans cette œuvre. Ces auteurs qui sont dans les valises d'Horace qui a fui Rome et les Saturnales , univers de la folie, les a-t-il emportés pour une réflexion sur la folie. La question de la folie est sollicitée de différentes façons. Horace a quitté Rome et le tumulte des Saturnales. Mais il a trouvé, dans la solitude, l'angoisse de la création, et de la stérilité, qui est son autre versant. Telle est l'histoire momentanée d'Horace fatigant les murs de ses poings. Les relations d'Horace et de la folie créatrice sont complexes. L'exposé de Stertinius nous est fait à travers le discours de Damasippe qui conte à Horace sa pseudo-guérison. C'est une autre histoire individuelle. Horace refuse violemment d'être un cas à rattacher à l'énumération d'autres cas. En fait il pose à Damasippe la question de savoir comment ce dernier le connaît si bien, en tant que personne privée, en tant qu'ego, pourrions-nous dire de manière pédante : Sed unde / tam bene me nosti ? ( v . 17-18 ) Damasippe a montré en effet qu'il le connaît bien. Mais Damasippe lui répond par une généralité . Il sait qu'Horace est fou parce que tous les non - sages sont fous ; ce qui est à démontrer. Horace ne supporte pas d'introduire son drame , sa vie , sa passion dans la rigueur casuis- tique ddiscours général ; c'est la révolte de l'individu. Au diable Damasippe, Stertinius et les Stoïciens. Folie que ce discours sur la folie ! Telle pourrait être la leçon d'Horace, si nous le percevons bien. Autour de ce discours rigoureux, virevoltent tous les noms de la folie, comme autant de mouches excitantes. Il fallait d'ailleurs, pour que la uis comica agît, toute cette rigueur, toute cette démonstration. Il fallait que cette dialectique fût très serrée, qu'elle enveloppât Horace d'une irréfutable logique, qu'elle fût impeccablement stoïcienne, pour qu'enfin il la repoussât d'un coup. Seules l'insulte et la dérision peuvent couper le fil. Horace à Damasippe : O maior, tandem parcas, insane, minori (vers 326). «A la fin, grand fou, épargne un plus petit fou que toi». La liberté d'Horace est à ce prix (Jacky Pigeaud, L'art poétique d'Horace, La poétique, théorie et pratique: actes du XVe congrès Orléans, Association Guillaume Budé, 2008 - books.google.fr).

Le polype d'Agna ne peut-il pas avoir une réminiscence stoicienne ?

Empruntant aux Stoïciens, mais sans les nommer, la distinction entre les aireta, les pheukta et les adiaphora ou metaxu, Erasme cite pour mémoire les deux premiers (honesta, turpia : 63, 35 et 31) et s'arrête longuement aux troisièmes, les media (64, 2). Depuis au moins Socrate (cf. l'Alcibiade), ce sont : «la santé, la beauté, la force, l'éloquence, le savoir et choses semblables» (64, 2-3). Sur eux s'exerce un discernement spirituel grâce auquel ils seront orientés vers le Bien ou vers le Mal.

Dans le canon 4 de l'Enchiridion, Erasme développe une conséquence logique de la trichotomie (âme, corps, esprit) d'Origène. L'âme est placée entre la chair et l'esprit. Elle choisit forcément l'un ou l'autre.

Pour Erasme, la chair, partie lascive de l'homme, a pour image la prostituée ; pour Origène, c'est l'âme divorcée de l'esprit qui est une courtisane.

Pour Origène le cœur, c'est le principale animae nostrae, l'hegemonikon stoïcien, le nous organe de la vertu et de la connaissance, l'œil de l'âme et la lampe du corps (cf. H. Crouzel, Origène et la connaissance mystique, 409-410). Impossible de dire si Erasme atteint dans notre texte à une telle plénitude de sens. Chez son ami Vitrier le «cœur» est l'organe et le siège de toute la vie religieuse de l'homme et, comme chez Origène, le haut lieu du kat'eikona (Gn. 1,26) (André Godin, Erasme lecteur d'Origène, 2015 - books.google.fr).

L'idée principale d'Erasme dans ce canon 4 est la distinction entre maux qui ne sont que maux (turpia), biens qui ne sont que biens (honesta) et media (tantôt bons tantôt mauvais) (Jacques Chomarat, Grammaire et rhétorique chez Erasme, Tome 1, 1981 - books.google.fr).

Diaphonie

Nous lisons chez Horace :

Grœcia Barbaries lento collisa duello. Le même poète appelle barbarum le mode phrygien de musique:

Sonante mixtum tibiis carmen lyra, Hac dorium, illis barbarum. (Ode IX, Livre V célébrant la victoire d'Auguste à Actium).

Servius, à propos de l'Enéide (II v. 504), «dit que barbaricus et phrygins sont exactement synonymes» (Bertholon, 800e séance. 14 Février 1905. Note sur les noms de Ibères, Berbères et Africains. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, V° Série. Tome 6, 1905 - www.persee.fr).

Les vers d'Horace démontrent qu'une nouveauté s'était introduite dans la musique, postérieurement au temps où vécut Aristote. Cette réunion de deux modes n'est ni l'homophonie ni l'antiphonie dont parle le philosophe de Stagire : c'est la diaphonie, c'est-à-dire le chant par des voix dissemblables, dont on ne trouve aucune indication dans les écrivains d'une haute antiquité. Or, nous avons la preuve que la diaphonie, par suite de quartes ou de quintes, s'était introduite dans le chant de l'Église catholique dès le VIme siècle, puisque saint Isidore, évêque de Séville, qui vécut à cette époque, en parle dans ses sentences de musique, lesquelles sont une partie de son livre des origines ou étymologies. Hucbald, moine de Saint-Amand, qui écrivait au IXe siècle, en donne la description et en offre des exemples, dans son manuel de musique (Enchiridion Musicae, cap. XIII, XIV, XV). [...] Tout porte à croire que la diaphonie a pris naissance à Rome, par le caprice de quelque artiste qui y aura été conduit par le principe de la magadisation; puis cette nouveauté, bien qu'absurde et opposée au véritable sentiment de l'harmonie, sera devenue un objet de mode. C'est peut-être en ce sens qu'il faut entendre le paragraphe de la 84me lettre de Sénèque (Quintus Horatius Flaccus, Carminum libri V, Tome 2, traduit par Martin Marie Charles de Boudens de Vanderbourg, 1813 - books.google.fr).

Enchiridion Musicae n'est plus attribué à Hucbald.

L'Ode à Philis d'Horace est transcrite en musique dans un manuscrit du Xe siècle conservé à Montpellier sur la mélodie d'Ut queant laxis (Théodore Nisard, Musique des odes d'Horace, Archives des missions scientifiques et littéraires: choix de rapports et instructions, Volume 2, 1851 - books.google.fr).

"organum" et "diaphonie" signifiaient, aux IXe et Xe siècles, ce que nous appelons harmonie. Quand nous nous servirons donc de l'un ou de l'autre de ces mots, on saura qu'il s'agit de l'harmonie de cette époque. On distinguait deux espèces de diaphonies. Dans la première, le chant était accompagné par une, deux ou trois parties qui le suivaient par mouvement direct à l'octave, à la quinte, à la quarte, à la double octave, à l'octave unie à la quinte ou à l'octave unie à la quarte, avec redoublements de ces intervalles à la partie supérieure ou inférieure. Dans la seconde, il n'y avait que deux parties : la mélodie et l'organum ; mais l'organum, au lieu de suivre la mélodie exclusivement par mouvement direct à l'octave, à la quinte ou à la quarte, l'accompagnait par mouvement tantôt direct, tantôt oblique, tantôt contraire, en employant d'autres intervalles que ceux rangés sous le nom de symphonie. On comptait, on se le rappelle, trois symphonies simples : l'octave, la quinte et la quarte; et trois symphonies composées : la double octave, l'octave unie à la quinte, et l'octave unie à la quarte. Ces symphonies produisaient autant de diaphonies. [...] Avons-nous besoin de faire remarquer combien de pareils assemblages de sons seraient durs et insupportables à notre oreille ? Il n'en était pas ainsi du temps de Hucbald; ils étaient alors regardés comme «produisant un concert harmonieux, un chant d'une grande suavité.» (Charles Edmond Henri de Coussemaker, Histoire de l'harmonie au moyen age, 1852 - books.google.fr).

M. Vincent conteste que le vers d'Horace relève de la diaphonie des siècles suivants et M. Fétis conteste que le mode barbare soit phrygien (M. Vincent, Réponse à M. Fétis, Mémoires de la Société impériale des sciences, de l'agriculture et des arts, de Lille, 1859 - books.google.fr).

Dorien et phrygien

Les Grecs savaient qu'il y a deux musiques, qui exercent sur l'âme des influences ennemies. La première nous porte à la pitié, à la terreur, à tous les transports. Autant de désordres, dont la seconde nous purifie, en nous disposant à juger calmement les choses : ce qui pour un Grec constitue la vertu. Il est éternel, le débat de ces deux arts. Bossuet le dénonce, quand il oppose les hymnes de Sion aux cantiques de Babylone (Maurice Barrès, Discours de réception de Maurice Barrès, 1907 - books.google.fr).

C'est en effet par son caractère imitatif, par ce processus d'identification, que la musique s'avère efficace. Elle imite des dispositions comportementales, des caractères. Elle opère des mimémata tôn ethôn (des «imitations des dispositions morales»). Et c'est là précisément ce qui explique le contraste entre les effets causés sur l'auditeur par le mode dorien (qui le calme, et l'installe dans un sentiment de juste milieu, d'équilibre), et le mode phrygien, qui le projette dans un état d'enthousiasme. Des effets possibles de la musique, seuls les premiers doivent être réservés à l'éducation des citoyens (Philippe Borgeaud, Exercices de mythologie, 2004 - books.google.fr).

Dans la Colline Inspirée, Barrès a voulu consacrer un hymne au Divin; mais, précisément parce que ce Divin n'est pas Dieu, son délire lyrique l'entraîne en de dangereuses équivoques. Livre attachant et puissant où nous trouvons le drame intime de Barrès : l'amour des disciplines traditionnelles en lutte avec un secret individualisme. Deux grands thèmes qui se répondent, celui de l'enthousiasme et celui de l'ordre. Dans la pensée de M. Barrès, Dieu et l'inconscient se confondent : c'est l'Esprit qui souffle où il veut, croit-il. Ce Dieu obscur et dangereux n'a pas une vie personnelle; il est la fleur étrange de l'âme humaine, son désir illimité qui erre partout. Ce Dieu commettrait les pires folies, s'il n'y avait, pour le contenir, les puissances d'ordre, de raison, que M. Barrès avec les positivistes personnifie dans l'Église. L'Église pour les positivistes n'a rien de surnaturel. Ils pensent, avec M. J. Lemaître, qu'elle fut «une correctrice prudente de l'Évangile». Au surplus, surnaturel et merveilleux se confondent. Aussi La Colline Inspirée, le lieu où souffle l'Esprit, semblera aussi divine à M. Barrès quand elle érigera sur les foules prosternées la déesse Rosmertha, la Vierge de Sion, le Paraclet de Vintras ou l'hermaphrodite déterré des ruines. Prisonnier de cette erreur fondamentale, M. Barrès ne voit pas ce qu'il y a d'inquiétant et de décourageant à évoquer comme un grand inspiré, comme un successeur des Pierre l'Ermite et des saint Bernard, l'hérésiarque Baillard. Si l'Inspiration religieuse s'incarne ainsi dans un révolté et si l'Église lui est toujours opposée sous la figure d'un gendarme de l'ordre social, tout naturellement le lecteur ignorant de ces questions — et il est légion — croira qu'il existe un divorce injuste et meurtrier entre la Raison et l'Amour, l'Ordre et l'Enthousiasme (Robert Vallery-Radot, Le réveil de l'esprit, 1917 - books.google.fr).

Cherchons une ville dorienne en France.

Il y a antiquement Marseille (Charles Joseph Barthélémy Giraud, Essai sur l'histoire du droit français au Moyen Age, Tome 1, 1846 - books.google.fr).

Dans la fameuse préface au Dodecacorde, Claude Le Jeune exprime - sans doute par la plume d'Agrippa d'Aubigné - sa position sur la question de l'éthos des modes; ses souhaits initiaux : «Pleust à Dieu pouvoir par le mode Dorien esteindre les fureurs, que le Phrygien peut avoir esmeuës...» sont aussitôt nuancés : pour éteindre les «Phrygiennes fureurs» des Français, Henri IV a été plus efficace «que tous les Tons du monde», puisqu'il n'a pas eu besoin de «mesures Doriennes» pour «fomenter ses esprits». Le Jeune exprime en effet ses doutes quant à la force de la musique : il croit en revanche que les différents modes sont des «échantillons» des affections dominantes des peuples dont ils sont issus, et qu'ils peuvent donc éventuellement être les «présages» de ces mêmes affections, les reproduire en quelque sorte auprès de l'auditeur. Cette position platonicienne, somme toute assez sage et modérée, se trouve quelque peu dépassée par la fameuse anecdote racontée, d'après les dires de Le Jeune lui-même, par Artus Thomas puis Titelouze. Selon cette anecdote, un air composé à l'occasion des noces du duc de Joyeuse en 1581, vraisemblablement du mode dit «phrygien» puisque c'est à son propos qu'elle est racontée, déclencha lors d'une répétition la fureur guerrière d'un gentilhomme, avant qu'on commence à chanter «un autre air du mode sous-Phrygien qui le rendit tranquille comme auparavant». F. Yates a identifié de façon très convaincante «La Guerre» de Claude Le Jeune, publiée en 1608, comme étant la pièce qui réveilla cet instinct belliqueux, mais localise de façon moins convaincante un passage précis de cette pièce composée de plusieurs airs : «Rendez vous tous» (Guy Demerson, Un thème lyrique de J.-A. de Baïf : la métamorphose, Claude Le Jeune et son temps en France et dans les Etats de Savoie, 1530-1600: musique, littérature et histoire, 1996 - books.google.fr).

Pleust à Dieu pouvoir par le Mode Dorien resteindre les fureurs, que le Phrigien peut avoir esmeuës, & estre aussi puissant aux effects de mon harmonie, comme Possidonius tesmoigne avoir esté Damo, Milezien. Aussi faut-il d'autres mouvements plus energiques, pour esteindre les Phrigiennes fureurs des François : A tel effects ont eu plus de puissance l'heur & la vertu du Roy, que tous les Tons du monde : Sa magnanimité n'a point eu besoin des Modes, desquels Timothee resveilloit le coeur d'Alexandre : Sa patience & probité ont esté naturelles, sans que les mesures Doriennes ayent fomenté ses esprits : Et pour l'advenir, je ne voudroy' pas tant de force à la Musique, comme luy en ont attribué les Anciens : Mesmement je n'oseroy' pas dire d'elle, ce qu'on dit des Astres, asçavoir, que si elle ne violente, pour le moins elle incline (Dédicace : "A MONSEIGNEUR MONSEIGNEUR LE DUC DE BOUILLON, VICOMTE DE TURENNE") (Claude Le Jeune (1530 ca-1600), Dodécacorde, 1598 - books.google.fr).

Chartres dorien

Depuis quelques mois, les ligueurs luttaient en vain contre la force des événements; la conversion de Henri leur porta le dernier coup. Au grand contentement de ses sujets catholiques, ce prince fit son abjuration à Saint-Denis, le 25 juillet 1593, entre les mains du cardinal de Bourges. La ville de Reims étant encore au pouvoir des factieux, Henri se fit sacrer à Chartres. Cette cérémonie eut lieu le 27 février 1594, et le 22 mars suivant ce prince fit son entrée dans sa capitale. Les événements se succédaient rapidement, et tout semblait concourir au gré de ses désirs (Alexandre Lesguilliez, Lettres sur la ville de Rouen, ou Précis de son histoire topographique, civile, ecclésiastique et politique, depuis son origine jusqu'en 1826, 1826 - books.google.fr).

La musique catholique est rivée à la tradition médiévale avec le motet et la messe. Elle conserve son intégralité polyphonique et reste sous la férule du Concile de Trente. Attardons-nous seulement sur le Te Deum de Du Caurroy (1549-1609). «Sous-maître de la Chapelle royale», «compositeur de la chambre du Roy», il a écrit ce Te Deum pour le sacre de Henry IV le 27 février 1594 à Chartres. En effet, le roi avait abjuré six mois auparavant et les Ligueurs occupaient Reims. Chartres fut donc choisie. On fit quérir la deuxième Sainte Ampoule à Saint-Martin de Tours, apportée en procession par les moines. A l'issue du sacre et juste avant la messe, le Te Deum fut, selon Nicolas de Thou (Cérémonies observées au sacre...) «chanté en musique par la Chapelle du Roy». La version originale est à 6 voix et suit le thème liturgique. Les versets de plain-chant alternent avec les chœurs. Du Caurroy a écrit également la Missa pro defunctis à 5 voix pour les obsèques du même Henry IV. En conclusion : Henry IV était-il musicien ? On possède peu de témoignages sur ce point. Louis XIII, lui, sera l'authentique compositeur de psaumes, de chansons ou du Ballet de la Merlaison. A Nérac, la musique était évidemment à l'honneur. Selon Pierre Babelon : "autant que Catherine de Médicis, Marguerite aime la musique et Henri avec elle qui a son joueur de luth attitré, Hector Vachier... La reine a aussi deux joueurs de luth, un autre de musette et un de violon et elle augmente ses effectifs pour de petits concerts avec les clercs de sa chapelle et les musiciens de la ville voisine de Condom.» Selon Pierre de l'Estoile dans son Journal, Henry IV à l'occasion du siège de Paris usa d'un subterfuge qui le mit en joie : «Sur les deux heures après minuit, quelques troupes royales passantes... donnèrent des réveils à la ville avec tambours, trompettes, clairons, hautbois et cornets à bouquin. A l'occasion de quoi il y eut alarme à Paris... Le roi étant averti disait qu'il fallait bien que sa maîtresse (c'était Paris) fut bien farouche puisqu'elle allait jusqu'à refuser la douce musique qu'il lui envoyait pour la réjouir.» Peut-être composa-t-il lui-même quelques chansons. On lui attribue ainsi (à moins que l'auteur ne soit Nicolas Rapin, 1540-1608) une chanson d'amour Charmante Gabrielle dédiée à sa maîtresse, la marquise d'Estrées. Le refrain est attesté dès 1602, mais le texte intégral n'apparaît qu'en 1706. Cette dramatique anecdote a permis à la chanson une large diffusion populaire puisqu'on la retrouve en Forez et même au Canada

Au temps du bon roi Henry, on assiste au renouveau de la musique française dans l'épanouissement des formes nées sur son sol comme l'air ou le ballet de cour, mais avec une influence italienne importante de chanteurs qui suivent Marie de Médicis (mouvement amorcé sous François Ier et les guerres d'Italie). Ainsi, entre la mort de Janequin (1560) et celle de Du Caurroy (1609) se crée une musique nouvelle plus souple, plus ouverte aux civilisations méditerranéennes. Henry IV cristallise autour de lui tous les apports culturels malgré les guerres de religion et peut-être à cause d'elles, car dans l'horreur des combats, la musique reste un hâvre qui réconcilie et où l'on oublie le drame du quotidien. L'orchestre se forme, les instruments s'améliorent, l'opéra qui naît à la fin du siècle se constitue déjà à travers le ballet ou l'air de cour. Comme l'écrit René Pillorget, au sujet du mécénat capétien : «Dans cette protection réservée aux artistes notamment par Henry IV et ses successeurs, il [le roi capétien] entérine une pensée poétique. Promouvoir sans doute une esthétique de l'ordre de l'équilibre, en un temps où abondent les révoltes individuelles et collectives... ainsi que des troubles de la sensibilité et de la pensée. Plus directement et plus simplement mettre le plus de talents possible au service du prestige royal.» (Claude Le Jeune et son temps en France et dans les Etats de Savoie, 1530-1600: musique, littérature et histoire, 1996 - books.google.fr).

On revient à Chartres ou près de Chartres (Josaphat) comme nef encalminée selon le mode dorien.

Chartres (1° 30' environ longitude est) se trouve sur un même parallèle que Sion-Vaudémont (6° 4' longitude est) : 48° 25' environ. La distance entre les deux : 336/7 km. Au milieu Marigny-le-Châtel, dans le département de l'Aube (fr.wikipedia.org - Marigny-le-Châtel).

Marigny est aligné sur Epernay - Issoire et sur Roncevaux - Bourges - Carignan. Sur le méridien de Marigny : Vézelay.

Marigny se trouve près de Gélannes qui porte une comète dans son blason (cf. "lumière céleste") (fr.wikipedia.org - Gélannes).

Le pied dorien vaut 32,654 cm. On marche sur deux pieds, dorien et phrygien (bipolarité).

Que le Christ de Chartres semble mineur en face de Moissac, et même de Vézelay, ne tient pas au talent de son auteur; nous l'admirons, mais notre admiration devant son autorité dorienne ne nous masque pas le trouble caractère d'une figure que le sacré inspire et abandonne à la fois. Les Christs des tympans romans dominaient l'humanité qui les entourait et pas seulement par leur taille; celui de Chartres ne domine pas ses préfigures, il se confond avec elles. La libération qu'il appelle chassera l'expression symbolique : le Couronnement de la Vierge succède au tétramorphe, les scènes du Jugement à son symbole, et le Christ Juge du portail Sud, au Christ d'Apocalypse du Portail Royal. La rupture décisive est accomplie la représentation des spectacles - fût-ce celle du Jugement - va remplacer la création des symboles. L'art ignorera désormais la "distance" qui séparait l'Éternel de ses Vieillards; le Pantocrator, de ses élus et de ses anges. Le Christ roman était : il apparaissait aux tympans en tant que Dieu, symbole de l'inexprimable et du monde de l'Être. A partir de Senlis, il agit; et la Vierge couronnée remplace la Majesté. Ce qui appartenait à Dieu en tant que Dieu a disparu. Mais le Christ gothique n'est pas la promotion d'une figure secondaire, un ange d'Autun devenu Jésus. L'ange du tympan d'Autun, comme ceux des plus humbles chapiteaux, impliquait le Pantocrator qu'il adorait. En se confondant avec les préfigures, le Christ du Portail Royal, qui les fait accéder au sacré, annonce leur fin : le monde spirituel des Moïses et des Melchisedechs gothiques n'est plus celui des prophètes romans, mais celui où le Beau Dieu d'Amiens devient le premier d'entre eux comme il devient le premier des Apôtres. La relation du Fils avec le Père, de l'Incarnation avec le mystère fondamental, s'est inversée. Le Père était jusque-là le Dieu de Job, l'Insondable, dont l'amour se manifestait par le Christ. Au credo initial : Dieu est amour, la piété séculière gothique substitue : Dieu est Jésus. L'image de celui-ci remplace de plus en plus la Main carolingienne, qui chassait Adam et Ève du Paradis. L'Incarnation se prolonge jusqu'à la Création... D'où l'impression assez trouble que nous ressentons devant toute la sculpture gothique qui forme l'héritage direct du sacré, devant toutes les représentations substituées aux grands symboles Jésus est intrus dans les Jugements au-dessus desquels il lève ses mains trouées. Je doute qu'un seul sculpteur chrétien admire le Jugement de Chartres à l'égal de celui d'Autun (André Malraux, La métamorphose des dieux, Tome 1 : Le Surnaturel, 1977 - books.google.fr).

De nouveau l'Archange sonnera, et les Anges répèteront à grande voix et avec solennité : «Morts levez-vous !» Alors Dieu ranimera les cendres de chacun; les Anges rassembleront les élus des quatre vents et les transporteront dans la vallée de Josaphat, où, selon Joël, se tiendra le jugement. «Je rassemblerai, dit-il, toutes les nations, je les amènerai dans la vallée de Josaphat, et je discuterai avec elles.» (Abbé Delmas, Saint Michel et les saints Anges) (Les anges de Dieu: Amis des Hommes, 1872 - books.google.fr).

Les Livres Saints nous apprennent que la résurrection se fera en un clin d'œil : «Surgite mortui, morts, levez-vous, dira le fils de Dieu; Peuples, rassemblez-vous, dans la vallée de Josaphat. Erumpite, gentes, et congregamini in vallem Josaphat (Joel, III, 1)» (Maxime Adam, Sermons et instructions simples et pratiques sur les grandes vérités de la religion, Tome 1, 1898 - books.google.fr).

Les seigneurs chartrains, qui s'étaient croisés en grand nombre, avaient été frappés de la similitude topographique de Jérusalem et de Chartres. Il est intéressant de lire les motifs de la fondation du monastère de Sainte-Marie construit vers le nord dans la vallée de Lèves, et appelé du nom de Josaphat, afin, est-il dit, que cette ville, dont le site rappelle celui de Jérusalem, possédât jusque dans le détail une exacte ressemblance avec les lieux saints : ut urbi illi, quam Jerosolymam situ referre aiunt, nihil ad sacrorum locorum similitudinem deesse videretur. De nobles hommes et de puissants eigneurs firent commuer leur vœu de visiter la terre de Paestine en celui de mener la vie religieuse à Josaphat, où ils devaient, d'après les bulles pontificales, être occupés spécia. iement de trois choses, savoir : de prier pour la Terre sainte, de méditer sur la Passion, et de nourrir leur âme de la douce espérance de la résurrection des saints. Or, en même temps que la vallée de Lèves fut trouvée répondre à celle de Josaphat, la montagne de Saint-Cheron sembla pouvoir être assimilée à celle des Oliviers. Et voilà pourquoi, le jour des Rameaux, tout le clergé de la ville, présidé par l'évêque, faisait une procession générale à Saint-Cheron (Louis-Édouard Pie, Oeuvres, Tome 6, 1887 - books.google.fr).

Marigny le Châtel et le mode ionien

La mort nos coite et esperonne ; trop m'ait tolut de mes amis. Qui fut Symons de Commercis ! Qui fut Guillames de Merlo ! Et qui refu Raimmons d'Ango ! Qui fu Haimmes de Maregney (Guiot de Provins, Bible, vv. 416-421).

Aymon de Marigny v. Haimmes; Haimmes de Maregney, 421 : probablement Marigny-le-Châtel (Aube) (Les Œuvres de Guiot de Provins éditées par John Orr, 1915, p. 22-23).

Aimon de Marigni (Marigny-le-Châtel, dans l'Aube - A. Roserot, Dictionnaire : Marigny-Traînel) et Bartholomé de Vignory sont à nouveau des seigneurs champenois; les Marigni sont une branche des Traînel (Marie-Geneviève Grossel, Le milieu littéraire en Champagne sous les Thibaudiens (1200-1270) , 1994 - books.google.fr).

Contemporain de Guiot, il existe un Aymon de Marigny, connétable de Bourgogne, d'un Marigny en Bourgogne (Urbain Plancher, Histoire generale et particuliere de Bourgogne, Tome 2, 1741 - books.google.fr).

Guiot de Provins (né à Provins vers 1150, mort après 1208) était un trouvère et poète français parfois identifié avec le troubadour Kyot, source présumée du Parzival de Wolfram von Eschenbach. Des chansons composées par Guiot, seules six sont parvenues jusqu'à nous, et peuvent toutes être datées des environs de l’an 1180.

Il voyagea énormément, en récitant ses vers dans les principales cours d'Europe, du Saint Empire à la Grèce. Il connaissait Constantinople et Jérusalem, et a vraisemblablement pris part à la Troisième et même la Quatrième croisade. Guiot se retira comme moine à l’Abbaye de Cluny. Il a composé dans sa retraite deux poèmes satiriques touchant la morale, dont la célèbre Bible Guiot (le mot «bible» signifiant à cette époque «poème didactique»), vers 1204. Ce poème, qui se compose de 2700 vers est un des plus anciens livres où il est parlé de la boussole : elle y est désignée sous le nom de «marinette.» Guiot y critique les vices des hommes de tous états, depuis les princes jusqu'aux plus petits (fr.wikipedia.org - Guiot de Provins).

Représentation d'une boussole dans Epistola de magnete de Pierre de Maricourt, 1269

La boussole (surnommée la «marinette», désignée comme «ce morceau de fer qui se tourne vers l'étoile tramontane») est utilisée comme métaphore de l'attitude du bon chrétien qui doit se défier des faux prophètes et se tourner vers la vraie religion comme la boussole se tourne vers l'étoile polaire. Le texte de Guiot de Provins mentionne également la méthode pour magnétiser le fer ordinaire à partir d'un morceau de magnétite naturelle. La mention de la boussole dans ce type de texte permet de penser que la boussole et son usage étaient d'un usage naval relativement connu à l'époque (fr.wikipedia.org - Boussole).

Garnier II de Trainel, dit le Jeune, seigneur de Marigny. Garnier II était le second fils d'Anseau Ier de Traînel et d'Hélissende, et frère d'Anseau II le bouteillier. La vie de Garnier II, seigneur de Marigny, nous est connue à partir de 1145 par nos chartes. Garnier II de Traînel est témoin trente-cinq fois dans les chartes du comte Henri-le-Libéral de 1152 à 1179. Après la mort du comte, on retrouve Garnier de Traînel en 1181 et 1182 auprès de la comtesse Marie. Garnier II de Traînel se croise à Vézelai le 31 mars, jour de Pâques 1146; il dut revenir avec le comte de Champagne, vers le commencement de l'année 1149. En 1175, il était sénéchal du comte de Nevers; en 1179, il est guéri miraculeusement à la fontaine de Saint-Vinebaud en 1188, il fonde le prieuré de Marigny, où il place des chanoines de Saint-Loup de Troyes. Garnier II, qui vivait encore en 1194, meurt cette année même; Garnier III, pour le repos de l'âme de son père, fait remise à l'évêque de Troyes d'un droit de régale. Il fut enseveli à l'abbaye de Vauluisant. Il est marqué à l'obituaire, le III des nones de septembre, ainsi qu'au 31 décembre (C. Lalore, Anciens seigneurs de Traînel, Mémoires de la Société académique d'agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l'Aube, Volume 34, 1870 - books.google.fr).

Ils sont contemporains de Chrétien de Troyes, auteur du Conte du graal.

La musique, dominée par la réforme grégorienne depuis longtemps, cherchait, elle aussi, à manifester l'esprit de l'époque. Elle était enseignée comme une expérience pratique à la suite des théories. Entouré du drame liturgique exprimé par la grande cathédrale, les bas-reliefs et les scènes sculptées, les couleurs des vitraux et la lumière qui éclairait pendant les cérémonies quotidiennes, le fidèle pouvait compléter son expérience chrétienne par l'apport de la sensibilité de la musique. Nous suivrons brièvement l'histoire de la musique chrétienne pour comprendre la tradition qui changea à la fin du XIIe siècle. Le chant grégorien était exécuté en langue latine par des chanteurs capables de rendre une vocalise jubilatoire, un alleluia par exemple, légère et souple. La hiérarchie de l'Eglise imposait un strict principe d'interprétation qui était accepté par les peuples réunis sous un seul Dieu et un seul suzerain, tel que Charlemagne. La liberté de l'exécution vocale se trouvait dans la tonalité plaintive ou joyeuse et était difficile à réussir. Ces chants font penser à la musique orientale et il est certain que l'origine du genre remonte à Byzance. Au XIIe siècle, toujours influencé par la tradition grégorienne, les églises se remplirent de sons nouveaux, exaltants et précieux. La musique devint sensiblement plus mélodique et s'approcha petit à petit de la polyphonie, laissant entrer des influences populaires et folkloriques qui auraient fait frémir les pères du VIIe siècle, alors qu'elles s'accordent parfaitement avec l'esprit du XIIe siècle. Le schéma «organum-déchant-motet» présenté par Emile Vuillermoz dans son Histoire de la Musique nous décrit le développement progressif de la polyphonie. [...]

Comme dans la Cène de Chartres, c'est le motet qui nous apporte le maximum d'éléments nouveaux et qui nous donne un exemple de la complexité atteinte par l'intelligence et le goût du siècle. Tout en présentant quatre thèmes différents, liés à la base par la musique et se reposant toujours sur la liturgie, cet ensemble musical est encore un exemple de la difficulté recherchée par ses compositeurs. Tous les aspects de la vie du siècle - religion, chevalerie, amour, et synthèse intellectuelle y sont réunis. La musique donne un apport phonique au mouvement et participe à la «renaissance». [...]

Dans le domaine de la littérature, qui s'accroît considérablement au XIIe siècle, le processus d'évolution est identique aux précédents. Nous appelons «littérature» non seulement tout ce qui a été écrit par les poètes, les romanciers, les historiens et les chroniqueurs, mais aussi les légendes qui ne nous sont parvenues que partiellement à travers certains écrits. Quel que soit le genre, le développement suit une ligne précise. Elle commence par l'épopée et progresse jusqu'à la poésie des troubadours et au roman courtois. [...]

Au début du XIIe siècle un autre genre apparaît la poésie des troubadours Cet art marque le même point d'évolution que l'intérêt pour la Sainte Vierge dans l'Eglise, l'exaltation de la femme dans la société, l'effémination des œuvres d'art, et le déchant dans la musique. La poésie des troubadours est une expression de ce grand effort du XIe siècle qui vise à une véritable résurrection de l'esprit. Par ses effets phonétiques et rythmés cette poésie nous rappelle souvent la musique liturgique où elle trouve vraisemblablement son origine. A l'époque qui nous intéresse particulièrement, c'est-à-dire dans la deuxième moitié du XIIe siècle, elle est, comme la musique, pleine de variations sur un thème. Il n'y a pas de doute que la plupart des poèmes furent chantés. En somme, la poésie devint spontanément un acte social parmi tant d'autres, elle rappelle la musique liturgique, l'adoration de la Vierge et le raffinement des mœurs. Son frère, le roman de chevalerie, complète l'épanouissement qui accompagne toujours les poussées intellectuelles. Le roman de chevalerie sera le dernier point sur la courbe que nous avons tracée. Il tient de la poésie une chose importante le vers. Ce n'est donc pas de la prose qui apparaît mais un genre qui peut raconter une histoire tout en étant poétique. Son origine est encore discutée aujourd'hui mais il semble bien qu'il soit né dans les milieux cultivés de la cour où les innovations de l'administration mettaient au premier rang des historiens et des chroniqueurs désignés pour chercher tous les éléments populaires susceptibles d'intéresser le royaume. En particulier, Henri de Plantagenet recherchait le palais du roi Arthur à Tintagel. La légende y trouvait facilement sa place ainsi que plusieurs aspects des deux genres précédents des groupes de douze personnages, des rois de caractère doux et bon tels que l'idéal chrétien demandait à une époque où l'image de Jésus était ainsi adoucie, une adoration de la femme telle que celle que l'on trouve chez les troubadours, un rythme qui rappelle la musique polyphonique de l'époque et surtout une attitude intellectuelle qui pouvait remettre en valeur la culture classique (John Bednar, La spiritualité et le symbolisme dans les Œuvres de Chrétien de Troyes, 1974 - books.google.fr).

Chez les Grecs la musique eut une importance toute particulière. Pythagore inventa la lyre tripodienne, en souvenir du trépied de Delphes, et qui se composait de trois lyres accordées l'une sur le mode dorien, l'autre sur le mode phrygien, et la troisième sur le mode lydien; ces trois lyres étaient réunies sur un pied mobile, que le musicien pouvait faire tourner pour substituer l'une à l'autre sans que personne s'en apperçût. Les Grecs avaient en outre le mode ionien, intermédiaire entre le dorien et le phrygien, et le mode éolien, intermédiaire entre le phrygien et le lydien. Le mode lydien était spécialement doux et voluptueux, l'ionien était pathétique et suave (Diodato Lioy, La philosophie du droit, traduit par Louis Durand, 1887 - books.google.fr).

Le dialecte ionien était le plus doux de la langue hellénique, et le mode ionien (en musique) était le plus efféminé et le plus voluptueux selon Platon (République) (Dictionnaire universèle et classique d'histoire et de géographie, Tome 2, 1855 - books.google.fr).

Platon expulse de sa République non seulement les harmonies relâchées de type ionien ou lydien, «celles qui sont molles et propres aux banquets» mais surtout les poètes, précisément parce que leur art échappe à la raison et fait appel à ces forces obscures de l'être (Suzanne Larnaudie, Paul Valéry et la Grèce, 1992 - books.google.fr).

Il convenait aux fêtes et aux danses voluptueuses de l'Asie (Dictionnaire de conversation à l'usage des dames et des jeunes personnes, Tome 7, 1841 - books.google.fr).

Voici ce qu'en disent les commentateurs de Plutarque :

CHAP. XLII, p. 200. Première Observation. La cithare de Terpandre n'avoit que sept cordes, ou, çe qui revient au même, étoit composée de deux tétracordes conjoints. Ces sept cordes étoient, 1°. l'hypate (mi); 2°. la parhypate (fa); 3°. le lichanos (sol); 4°. la mèse (la); 5°. la trite (si-bémol); 6°. la paranète (ut); 7°. la nète (ré). Des trois modes usités alors, savoir, le dorien, le phrygien et le lydien, le premier étoit le plus grave, et sa plus basse note étoit l'hypate. Les musiciens n'en poussoient point la modulation jusqu'à la nète ou au Ré avant Terpandre; ensorte que le mode dorien étoit chez eux renfermé dans les six premiers sons de l'heptacorde, ou dans l'étendue de la sixte. Mais Terpandre mit en œuvre la septième corde, ou la nète pour ce mode; et par-là, il en égaya un peu la gravité.

CHAP. XLII, p. 200. Seconde Observation. Les trois modes les plus anciens, le dorien, le phrygien et le lydien, étoient distans l'un de l'autre d'un ton à l'aigu; ensorte que si le dorien répondoit à notre Mi, le phrygien répondoit à notre Fa-dièse, et le lydien à notre Sol-dièse. Dans la suite on partagea en deux demi-tons chacun des deux tons, que comprenoient ces trois premiers modes; ce qui donna place à deux modes nouveaux; à l'ionien, entre le dorien. et le phrygien; et à l'éolien, entre le phrygien et le lydien: d'où il paroît que l'ionien répondoit à notre Fa, et l'éolien à notre Sol. Enfin on y joignit le mixolydien (autrement dit l'hyperdorien) que l'on plaça un demi-ton plus haut que le lydien (c'est-à-dire, sur notre La), et lorsqu'on jouoit sur ce mode mixolydien, la cithare heptacorde devoit être montée de deux tons et demi plus haut que celle sur laquelle on jouoit dans le mode dorien (Clavier, Brotier, Vauvilliers, Oeuvres de Plutarque, Tome 5, traduit par Jacques Amyot, 1801 - books.google.fr, Jean-Jacques Barthélemy, Voyage d'Anacharsis en Gréce, vers le milieu du 4e siècle avant l'ére vulgaire, 1829 - books.google.fr).

Le classement aujourd'hui procède autrement :

Le mode ionien, qui deviendra notre mode majeur, part de do et apporte, aux yeux des Héllènes, l'agrément et une douceur un peu efféminée. Le mode phrygien, lui, part du mi (Jacques Siroul, La musique du son: De Pythagore aux technologies numériques, 2012 - books.google.fr, www.guitorama.com).

L'apparition de Moissac, de Vézelay, d'Autun signifie bien que la civilisation, au XIIe siècle, a «changé de Christ», c'est-à-dire que l'âme chrétienne appelait, découvrait, créait, et par ces œuvres mêmes, une spiritualité nouvelle, qui n'avait jamais été soupçonnée sur le Bosphore (Philippe Minguet, A propos de la théorie de l'art d'André Malraux, Synthèses, Numéros 123 à 129, 1956 - books.google.fr).

A Vézelay

Nous voyons, sur le portail intérieur de la célèbre église de Vézelay, un immense tympan au milieu duquel est représenté le Sauveur dans sa gloire, entouré des douze apôtres. Cette figure, de dimension colossale, est évidemment exécutée sous l’inspiration d’artistes byzantins, si ce n’est par eux-mêmes. L’attitude, les vêtements, le faire ne rappellent en rien les grossières et lourdes sculptures françaises antérieures à cette époque, empreintes des dernières traditions de la décadence romaine. [...] Ce Christ est vêtu d’une longue robe flottante, plissée à petits plis suivant un usage oriental fort ancien et conservé jusqu’à nos jours. La brise semble soulever les longs plis de la robe. Le pallium ne rappelle en rien, ni comme forme, ni comme façon de le porter, le manteau romain ou franc. Le col est découvert ; les manches de la tunique sont larges, un peu fendues à leur extrémité et très-ouvertes. Quant à la face du fils de Dieu, elle offre un type tout nouveau alors pour l’Occident. Les yeux sont légèrement relevés vers leurs extrémités, saillants ; les joues longues et plates, le nez très-fin et droit, la bouche petite et les lèvres minces. La coiffure est conforme au signalement de Lentulus et la barbe courte, fournie, soyeuse et divisée en deux pointes. Ce type, l’un des premiers peut-être introduits en France à la fin du XIe siècle ou au commencement du XIIe, dut être regardé, à cette époque, comme une œuvre remarquable, car nous le voyons reproduit, mais par des artistes grossiers, sur le tympan de la cathédrale d’Autun, postérieure de quelques années à la nef de Vézelay, puis à l’abbaye de Charlieu, puis enfin dans beaucoup d’églises secondaires (Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Tome 3, 1854 - books.google.fr).

Eugène-Eugénie, chapiteau 59 de l'abbatiale de Vézelay

On rencontre sur un chapiteau de la nef de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay un moine ouvrant son habit pour montrer ses seins, sous les yeux d’un juge et d’une femme en civil. Il s’agit d’un personnage saint décrit comme ayant vécu une partie de sa vie sous une identité sociale féminine, puis une autre en tant qu’homme.

Fille du gouverneur Philippe, Eugénie s’était convertie au christianisme après des études poussées de philosophie avec Prothe et Hyacinthe, deux frères eunuques déjà chrétiens. Attirée par le monastère du futur saint Hélénus, réputé pour son rigorisme, la jeune personne se coupa les cheveux, prit l’habit d’homme, le nom d’Eugène et se fit accepter auprès de l’abbé Hélénus en tant que moine. Ce dernier, qui aurait été miraculeusement informé du changement de genre, aurait accepté le novice au monastère. Une femme nommée Mélancie, parfois désignée comme Mélanie, fit des avances sexuelles non équivoques à Eugène (une invitation à la rejoindre dans son lit ou une étreinte forcée, selon les versions). Face au refus, la femme accusa le frère Eugène de viol. Il fut alors porté en justice devant un gouverneur qui n’était autre que son propre père, Philippe. Là, devant les yeux étonnés de la foule et de son père qui ne la reconnaissait pas, il ouvrit son habit de moine et découvrit un corps qui apparut à tous comme pourvu de seins. Blanchi·e de l’accusation (on ne pense pas qu’une femme puisse en violer une autre), le moine redevenu Eugénie convertit ses parents par ce geste ; ils subirent ensemble le martyre lors d’une persécution chrétienne postérieure.

Le chapiteau est donc le seul qui montre une «femme» en tant que personnage positif. Remarquons que le chapiteau d’Eugénie se situe au nord, un emplacement important puisqu’il correspond généralement à l’entrée des églises (on passe d’abord par le nord avant d’aller vers le sud). Et même s’il est peu probable qu’il y ait eu un véritable portail au nord, il reste une petite porte qui pouvait au moins être utilisée par les moines. Or, en face de cette porte, on trouve justement le chapiteau d’Eugénie.

L’image est située dans la nef, et Eugène-Eugénie se déshabille, mais il-elle montre ses seins, non sa vulve. Le corps d’Eugène-Eugénie n’apparaît pas comme doté de caractéristiques physiques attirantes, on y voit les os sous la poitrine. C’est celui d’un ascète, dévoilant une partie de son anatomie, le corps redoublé par son vêtement, puisqu’une suivante tend une robe féminine à la jeune personne qui a quitté l’habit d’homme (Chloé Maillet, Des seins de moine à Vézelay. Eugène-Eugénie, nouvelle image transgenre au XIIe siècle, Gradhiva N° 28, 2018 - journals.openedition.org).

Comme l'a bien montré Kathi Meyer, les musiciens de Cluny sont de véritables jongleurs et seules les inscriptions les met- tent en relation avec la pratique du chant grégorien. Dans la mesure où les chapiteaux de Vézelay et d'Autun sont dépourvus d'inscriptions, il n'y a que les demi-mandorles du chapiteau de Vézelay qui pourraient encore rattacher le thème au chant sacré. Le chapiteau de Saint-André-de-Bâgé consacré à la colère montre pourtant qu'un vice peut également s'inscrire dans une mandorle. À Autun, l'environnement iconographique ne permet pas de confirmer ou d'infirmer cette lecture dévalorisante. Au portail nord de la façade de la nef de Vézelay, au contraire, cette interprétation est corroborée par le contexte : les musiciens se situent en position extérieure et en symétrie transversale par rapport à un oiseau à queue de reptile et à tête humaine (nef X , fig . 147). Or, ce dernier évoque vraisemblablement le péché de luxure, au même titre que les autres femmes ou hommes-oiseaux de la série précédente, et peut-être le chant des sirènes. De plus, la sirène mâle musicienne du portail sud (nef VI) semble incarner à la fois les péchés de la chair et les dangers de la musique profane. Il se pourrait donc qu'au portail nord, on ait dissocié ces deux thèmes pour les distribuer sur deux chapiteaux symétriques. Dans cette hypothèse, les musiciens auraient effectivement été considérés comme des jongleurs dont la musique lascive conduit à la luxure, à l'instar du chant des sirènes. Mais les portails de la nef de Vézelay comportent également une allusion à la musique sacrée à travers le chapiteau qui montre David jouant pour Saül (nef V). [...] Pour SALET, Vézelay, p. 180 les deux musiciens représentent deux tons du plain-chant : le troisième et le quatrième. Pour DIEMER, Vézelay, p. 266-267, au contraire, ils évoquent la musique profane (Marcel Angheben, Les chapiteaux romans de Bourgogne : thèmes et programmes, 2003 - books.google.fr).

Le quatrième ton du plain-chant est l'hypophrygien, qui correspondrait à l'ionien (Antoine Dechevrens, Études de science musicale, Tome 1, 1898 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Mode (musique)).

Certains modes «éthiques» pourraient avoir un caractère intermédiaire qui les apparenterait aux «modes d'action»; «ce qui serait le cas de lionien relâché et du lydien relâché. Comme modes dynamiques on pourrait admettre le lydien, l'hypophrygien (Ionien) et peut-être l'hypolydien. Les modes exaltants sont le phrygien, le mixolydien, le lydien aigu et l'ionien aigu, peut être identique au mixolydien; ils ont un effet direct, non pas d'ordre éthique, mais d'ordre pathologique (Jean Aubonnet, Politique: Livre VIII d'Aristote, 1989 - books.google.fr).