Partie V - Arts et Lettres   Chapitre XLI - Section peinture   En plus : l’art de la tapisserie   

L’artiste Jean Lurçat acquit le château de Saint-Laurent-les-Tours dominant Saint-Céré pour en faire son atelier. Il y réalisa  des céramiques, des gouaches et surtout ses plus belles tapisseries. Il donna un nouvel essor à cet art qui restait cantonné à la reproduction de sujets médiévaux. Ses œuvres sont peuplées d’animaux fantastiques. Une de ses tapisseries Le cerf dans l’enclos représente un cerf ailé couché sur un fond de nuit étoilée tenant une lance entre ses pattes de devant comme la licorne des tentures, découvertes à Boussac, de La Dame à la licorne, dont une signification alchimique est donnée par Josane Charpentier au sujet d’un caisson du château du Plessis-Bourré : « Un cerf est étendu, calme et immobile. L’homonymie cabalistique (en latin, cerf : cervus, qui devient phonétiquement servus) permet aux philosophes de désigner ainsi leur mercure (servus fugitivus), l’unique matière de la Pierre. L’inertie visible de cet animal, sur ce caisson, permet de rappeler le précepte : Fac fixum volatile [1]». Un phylactère portant « œil de marjolaine chèvre boisée dans la nuit bleue » nous dirige, à moins que Marjolaine soit une personne ce qui rendrait cette interprétation ridicule, vers la distillation de l’origan qui donne une huile essentielle utilisée en parfumerie (senteur « boisée » ?). Les sommités d’origan (œil) sont employées comme toniques ; la plante fraîche entre dans la préparation de l’alcoolat et de l’alcoolature vulnéraires. Un alcoolat résulte de l’action dissolvante de l’alcool sur les substances volatiles (ailes du cerf) renfermées dans une ou plusieurs plantes sèches ou fraîches.

Comme dans l’alchimie avec la matière première, l’art de la parfumerie procède par broyage, cuisson, filtrage et imprégnation des aromates, maniant un langage mystérieux pour les profanes. Dans l’Antiquité, on connaissait la distillation mais pas l’alcool qui n’est mentionné qu’au VIIème siècle en Italie. Au XIVème, apparaît l’alcoolat de romarin qui ouvrira la voie à la parfumerie alcoolique, l’alcool étant utilisé comme conservant et diluant.

On retrouvera dans le dôme de Quedlinburg en Allemagne, les tapisseries inspirées du Satyricon du poète de la fin de l’empire romain Marcianus Capella  relatant le mariage aux intonations alchimiques de Mercure et de la Philosophie. Elles datent des années 1200 et furent tissées par l’abbesse Agnès II et ses nonnes. La licorne, symbole du Mercure philosophique, est le sujet principal des 6 tapisseries de la Chasse à la Licorne conservées à New York au Metropolitan Museum. Celles-ci proviennent du château de Verteuil-sur-Charente, propriété de la famille de La Rochefoucault. A Courances, dans la bibliothèque du château se trouve l’ensemble des tapisseries des Singes, portant les armes de Maximilien de Béthune, duc de Sully. Quand on sait que les alchimistes étaient représentés en singes pour les symboliser dans l’exercice de l’imitation de la Nature… Plusieurs pièces conservées aux Cloisters représentent les 9 Preux parmi lesquels on reconnaît Alexandre, César, David et Josué. Ces tapisseries étaient primitivement au nombre de trois. Elles présentent des ressemblances avec l’Apocalypse d’Angers mais aussi avec les frises du Palais de Bourges, des vitraux de la cathédrale de cette ville. En effet, les armes du duc Jean de Berry, frère du roi de France Jean le Bon apparaissent sur les pièces consacrées à David et à Josué. Le pendant féminin des 9 Preux, les 9 Preuses, est mentionné dans un inventaire de biens ayant appartenus au neveu du duc de Berry, le roi Charles VI. Les Gobelins, fondés en 1662 par Colbert, produiront des tapisseries inspirées de l’histoire contemporaine tout à la gloire de Louis XIV. La mort de Colbert amènera la mise à l’écart de leur directeur Lebrun par Louvois qui s’éteint en 1691. Après 4 ans de fermeture, les Gobelins rouvrent en 1699 avec des directeurs qui seront des architectes et auxquels seront adjoints des directeurs artistiques comme Oudry ou Boucher. Les ornements prennent une grande place. La manufacture adoptera l’innovation des alentours, tableaux tissés qui se détachent sur des fonds imités d’étoffe, et qui sont inaugurés dans les neuf suites de l’Histoire de Dom Quichotte s’étalant de 1714 à 1794. La dernière œuvre entreprise est constituée des Scènes de l’Histoire de France (1784 – 1787) en neuf pièces d’après Brenet, Durameau, Vincent, Barthélemy, Ménageot, Le Barbier l’Aîné et Suvée, dont la Continence de Bayard et les Frondeurs arrêtant le président Molé.

Guy de Chaunac (1907-1997) rejoint Maxime Jacob qu’il avait connu dans l’entourage de Jacques Maritain et de Jean Cocteau, à l’abbaye bénédictine d’En-Calcat (Massaguel). Jacob devient dom Clément Jacob, s’adonnant à la musique sacrée, et Chaunac dom Robert. En 1940, pendant la démobilisation, la vision de la campagne française fut un déclic pour Chaunac, artiste précoce, qui eut la vocation de célébrer la Création à travers l’art.  Jean Lurçat découvrit Guy de Chaunac à En-Calcat en 1941 et pensa aussitôt que ses créations étaient adaptables à la tapisserie. Il l’emmena à Aubusson où Chaunac fut un des artisans de la renaissance de l’art de la tapisserie. Ses cartons sont peuplés d’un bestiaire coloré, fort éloignés de tout sujet religieux, ce qui en étonna certains. Chaunac se retira alors 10 ans en des monastères lointains pour mettre au clair sa double vocation d’artiste et de religieux. Il choisit les cartons chiffrés, au graphisme net, pour guider le travail du licier qui les place sous la chaîne du métier. Chaque zone de couleur est indiquée par un chiffre, chaque nuance de couleur est numérotée, du clair au foncé[2].

Le tissage rencontre les mathématiques des carrés magiques que nous verrons plus loin dans la IIIème partie. Les carrés panmagiques ou diaboliques « trouvent leur application dans la géométrie des tissus à fils rectilignes, qui a pour objet la construction et la classification de tous les systèmes possibles d’entrecroisement des fils de chaîne et de trame […] Les armures fondamentales sont divisées en deux classes : les sergés et les satins réguliers, en considérant l’armure de la toile comme le sergé le plus simple. Si l’on numérote successivement les divers points de liage ou de croisement des fils d’un satin, ainsi que ceux des satins parallèles soumis à certaines lois, de manière à couvrir le quadrille de l’armure, on obtient les carrés diaboliques ; inversement, ceux-ci représentent toutes les combinaisons des armures fondamentales […] En outre, nous avons constaté l’identité de construction des carrés magiques des Indiens et des armures des sergés composés. Qui sait s’il ne faut pas chercher dans l’observation de la structure des anciens châles du royaume du Cachemire, l’origine des carrés magiques ? » (Edouard Lucas, Récréations mathématiques, I.).

Remarquons que Saint-Céré et Massaguel se trouve sur le même rayon des tracés.

 


[1] Josane Charpentier, « La France des lieux et des demeures alchimiques », Retz, p. 99

[2] « Guide du Lot », Gallimard, p. 220