Partie V - Arts et Lettres   Chapitre XLI - Section peinture   Du cubisme à l’abstraction   

A l’origine du cubisme, Picasso et Braque, qui possédait une maison à Varengeville en Normandie, inventeurs aussi du collage, furent, comme André Lhote (Bordeaux, 1885), largement influencés par Cézanne, dont une rétrospective les avait profondément marqués, et par l’art nègre. Un graphisme simple et l’emploi de la monochromie caractérisent une première manière. Les deux peintres évoluent vers un schématisme plus grand des plans avec l’emploi de papier collé aux coloris vifs. Braque restera fidèle au cubisme de sa jeunesse, arrivant, « comme Chardin, et en dépit de la même apparente objectivité, à en dire la vie secrète et à faire même œuvre de peintre sacré. Une guitare, une cruche, un pot à tabac, et c’est assez pour qu’il exprime l’ineffable mystère du monde [1]». Ils sont rejoints par Juan Gris (Madrid, 1887 – Boulogne, 1927) qui cherchera un équilibre entre réalisme et abstraction en géométrisant clairement les formes et en établissant une interaction entre lumière intérieure et lumière extérieure, Metzinger, natif de Nantes, Le Fauconnier, né à Hesdin, le Parisien Gleizes, Léger, Dufy et Delaunay, pour peu de temps.

La « lumière effrayante » de L’Estaque, fréquentée par Paul Guigou (Villars, 1834 – 1871) et Adolphe Monticelli dans les années 1860, sera le lieu privilégié pour des peintres en quête d’austérité comme Dufy, Derain et Braque pour s’éloigner du fauvisme, et pour passer au cubisme, initié en ce même lieu par Cézanne. Dufy (Le Havre, 1877 – Forcalquier, 1953), qui aimait à peindre à Cricqueboeuf où séjourna aussi Mistinguett, franchira le pas après un séjour à L’Estaque avec Braque, et un autre à Munich avec son compatriote havrais Othon Friesz (1879 – Paris, 1949). Il s’intéressera à la gravure sur bois et au dessin en soierie, en travaillant chez le soyeux Bianchini-Ferrier. Touche à tout, il réalisera des œuvres dans les domaines de la céramique, de la tapisserie et de la décoration théâtrale. Il sera soigné d’une paralysie partielle des mains aux Etats-Unis, ce qui lui permettra de recommencer à peindre quelque temps avant sa mort.

Delaunay, né à Paris en 1885 et mort à Gambais en 1941, venu de l’impressionnisme, puis d’un néo-impressionnisme inspiré de Seurat, passera après le cubisme à l’art abstrait, « inobjectif » selon ses termes. Il donnera libre cour à sa passion de la couleur et du mouvement (Formes circulaires : le soleil et la lune - 1912-1913). Il écrit lui-même que « l’introduction du temps dans la structure du tableau donne la nouvelle affirmation constructive, et sa force, dans cette réalité nouvelle, donne aux œuvres une force de beaucoup plus d’efficacité que celle du reflet, même talentueux, de la nature ». Son art, baptisé orphisme par Guillaume Apollinaire, se détache de la réalité que le cubisme pur respectait dans une approche figurative. Delaunay, rejoint dans son style par sa femme Sonia Terk, eut une grande influence sur l’art allemand et fut admiré par Make, Marc et Klee.

Delaunay adhère entre 1932 et 1934 au groupe Abstraction-Création, fondé par G. Vantongerloo et Auguste Herbin. Celui-ci, né à Cambrai en 1882, s’installe à Paris en 1901. Il participe aux recherches cubistes de la Section d’or dans de grandes compositions géométriques. Après une période figurative, il fonde Abstraction-Création en 1931 et « cherche à mettre au point, par la combinaison de couleurs pures et de formes rigoureusement géométriques, un « alphabet plastique » riche de références à l’hermétisme symbolique et à la théosophie [2]». Il est devenu un modèle pour les générations suivantes de peintres abstraits français.

Le dépassement du cubisme est réalisé par Amédée Ozenfant (Saint-Quentin, 1886 – Cannes, 1966) à travers le purisme, auquel participe Le Corbusier, donnant toute son importance aux objets dans une vision géométrique aux couleurs anonymes. Parmi les objets, les machines ont leur place, conception inspirée de Fernand Léger. Ozenfant réintroduira l’humain dans sa peinture en 1926, et réalisera des fresques murales. Il fera un séjour aux Etats-Unis où il fonde la New School à New York.

Un mot d'alchimie dans ce chapitre sur la peinture s'impose. Chevreul (1786 - 1889), célèbre chimiste mort à 103 ans, auteur d'ouvrages sur l'alchimie comme Critique d'Artéphius et Critique de Cambriel, s’est fait connaître des peintres pour sa loi du contraste simultané des couleurs. Alors qu'il était directeur de la Manufacture des Gobelins, les teinturiers lui firent observer que certaines teintures ne donnent pas les couleurs prévues. Chevreul découvre d’abord que certaines teintures ne sont pas chimiquement stables, et il suppose que les problèmes sont principalement optiques et non chimiques. Chevreul publie en 1839 son essai De la loi du contraste simultané des couleurs. Il explique qu'une couleur donne à une couleur avoisinante une nuance complémentaire dans le ton : les complémentaires s’éclairent mutuellement et les couleurs non-complémentaires paraissent ”salies” : un jaune placé près d’un vert prend une nuance violette. L’ouvrage de Chevreul était connu d'Eugène Delacroix et inspira l’impressionnisme, le néo-impressionnisme pointilliste de Georges Seurat qui décompose chaque ton en tons primaires, comme celle de la lumière solaire par le prisme en spectre coloré, et l'orphisme de Delaunay qui, comme on l'a vu, s'inspira de thèmes hermétiques. Différentes couleurs marquent en effet les étapes du travail alchimique.


[1] ibid., p. 90

[2] « Encyclopédie de l’art », sous la direction de Lucio Felici, La pochotèque-Garzanti, p.476