Partie XVI - Darmstadt   La piste Darmstadtienne   Atlantide et langage   
DARMSTADT VOTAN WOTAN ATLANTIDE GRAAL LANGAGE ALET

Votan

Le docteur Paul Felix Cabrera du Guatemala publie en 1794 une thèse faisant d'un certain Votan - connu de l'évêque du Chiapa Nunez de la Vega à la fin du XVIIème siècle qui en fait le petit-fils de Noé -, un descendant de l'Hercule Tyrien, un Hivite, qui venait de la ville de Tripoli appelée Vallum Chivim.

Salluste, dans son Commentaire sur la Guerre de Jugurtha, fait mention d’une tradition africaine, qui rapporte l’arrivée en Numidie d’Hercule Tyrius ou Libyus, avec une armée de Mèdes, de Perses et d’Arméniens, qui épousèrent des femmes Libyennes; leur langage ayant dégénéré, ils furent appelés par corruption Maurici ou Maures. Diodore affirme qu’un Hercule navigua tout autour de la terre, et bâtit la ville d’Alecta dans la Septamanie [île des Sept Cités] ; cet Hercule Tyrien fut peut-être un des ancêtres de Votan; la Septamanie est l’île d’Atlantis ou Hispaniola, et la ville d’Alecta, Valum Votan, capitale de cette île, d’où Votan fit partir sa première colonie pour l’Amérique, et où il s’embarqua, lors des voyages qu’il fit sur l’ancien hémisphère. Pour découvrir l’époque où viVait Hercule Tyrien, et où il aurait pu fonder la première, ville en Amérique, on suppose 30 ans par génération. En admettant que Votan soit le troisième de sa race, Hercule aura vécu 90 ans avant lui, ce qui correspond à-peu-près à l’année 381 avant l’ère chrétienne. Votan dit qu’il alla à Rome, et qu’il vit la grande maison bâtie par Dieu. On peut alors fixer avec précision, l’époque de ses voyages sur le vieux continent. Suivant les annales de la République Romaine, l’an 464 de la fondation de Rome, et 291 avant J. C., la paix fut faite avec les Samnites, après une guerre sanglante qui avait duré huit ans, et une alliance fut jurée entre les deux nations (Antonio del Río, Paul Felix Cabrera, Description of the Ruins of an Ancient City: Discovered Near Palenque, in the Kingdom of Guatemala, 1822 - books.google.fr, Recueil De Voyages Et De Memoires, 1825 - books.google.fr, Antologia: giornale di scienze, lettere e arti, Tome 35, 1829 - books.google.fr).

Alecta et Septamanie résonnent dans Alet et Septimanie. Le "Septamania" de la traduction est en fait un "Septimania" (tel en anglais) que l'on trouve seulement dans Calmet qui ne cite pas le livre d'où il tire cette information provenant de Didore de Sicile (Augustin Calmet, Prolegomena in Sanctae Scripturae libros, Tome 1, 1729 - books.google.fr).

Le mot Septimanie est attesté pour la première fois dans une lettre de l'évêque de Clermont-Ferrand Sidoine Apollinaire, datée de 472. Il écrit : « Fiez-vous notamment aux Goths qui vont bien souvent jusqu'à montrer du dégoût pour leur Septimanie, pourvu qu'ils prennent possession de ce coin de terre [l'Auvergne], même dévastée, qui est l'objet de leur envie. ». Il est d’ailleurs le seul au Ve siècle à l’utiliser et, qui plus est, une seule fois dans toute son œuvre conservée. Il utilise sans doute un néologisme, créé par imitation du nom de la province romaine voisine de Novempopulanie, lequel signifie « le pays des neuf peuples » (fr.wikipedia.org - Septimanie).

La Septimanie, nommée aussi Gothie, depuis le sixième siécle, fut détachée l'an 817 du royaume d'Aquitaine, & érigée en duché, ou gouvernement général, qui comprenoit la Septimanie propre, en deçà des Pyrénées, & la Marche d'Espagne, au-delà des montagnes. Les ducs de Septimanie, étoient comtes particuliers de Barcelonne. Ils sont souvent désignés sous ce seul titre. Bera, comte de Barcelonne en 801, fut le premier duc de Septimanie. Il fonda l'abbaye d'Alet, en 813 & fut proscrit en 820. Les ducs de Septimanie furent dans la fuite nommés marquis de Gothie, l'an 865 le marquisat de Gothie fut séparé du gouvernement des Marches d'Espagne, & ce titre demeura attaché à la Septimanie propre, en deçà des [Pyrénées], dont Narbonne, fut la capitale, comme Barcelonne le fut de la Marche d'Espagne (François-Alexandre Aubert de La Chesnaye Des Bois, Dictionnaire généalogique, héraldique, chronologique et historique, Tome III, 1757 - books.google.fr).

Alet est une ville de France, dans le bas Languedoc, avec évêché, suffragant de l'archevêché de Narbonne. Elle est au pied des monts Pyrénées, sur la rivière d'Aude. Cette ville est appellée indifféremment dans les anciens actes, & dans les auteurs du moyen siècle, Electa , Electum & Alecta. Il ne faut pas la confondre avec Aletum, qui certainement est la ville de Saint Malo en Bretagne. On croit qu'Arles le Blanc, dont le président Fauchet parle en ses antiquités Gauloises, où il dit que Charles le Chauve donna à Bernard, comte de Toulouse, Carcaílonne, Rodez & Arles le Blanc, doit être entendu d'Alet plutôt que d'Albi: quoique la dénomination d'Albi donne l'idée de quelque chose de blanc, qui est exprimé par le mot Albus dans la langue latine ; cependant l'état où étoit la ville d'Albi au tems que ce don fut fait, ne s'accorde pas au sentiment de ceux qui veulent qu'Arles le Blanc soit Albi, puisque du tems de Charles le Chauvre, Ermengard étoit comte d'Albi, comme le remarque Aimoin en son traité de la translation des reliques de Saint Vincent. [...] Ce qu'il y a de certain, c'est qu'Alet n'étoit autrefois qu'une abbaye de l'ordre de Saint Bènoít, qui devint évêché par la translation que le pape Jean XXII y fit en 1319, de l'évêché, que deux ans auparavant il avoit établi à Limoux.

La ville d'Alet est située dans une vallée étroite, & au pied d'une des montagnes qui l'environnent, soir une fontaine d'eau chaude, appellée le Tuberon, qu'on dit avoir plusieurs propriétés pour la guérison de diverses maladies. On prétend que les Romains ont tiré de l'or de ces montagnes. Il y a plusieurs ouvertures dans ces rochers (Antoine Auguste Bruzen de la Martinière, Le grand dictionnaire géographique, historique et critique, Tome I, 1768 - books.google.fr).

ALECTUM, près d'une source d'eau chaude nommée le Tuberon. A, près, Laith ou Laic, eau, Tom, chaude. Tw, eau. Bero, chaude (Jean-Baptiste Bullet, Mémoires sur la langue Celtique, Tome I, 1754 - books.google.fr).

Alexander von Humboldt (1769-1859) rapprochait ce Votan du dieu Wotan (American Quarterly Review, Numéros 21 à 22, 1832 - books.google.fr, Alexander von Humboldt, Pittoreske Ansichten der Cordilleren und Monument Americanischer Volker, 1810 - books.google.fr).

Cela sera repris par Ignatius Donnelly, Atlantis: The Antediluvian World, 1882 - books.google.fr.

En 1675, le Suédois Olaüs Rudbeck fera par exemple de l'Atlantide platonicienne une contree insulaire nordique, origine à ses yeux incontestablement suédoise du peuplement humain. Cette hypothèse fit longtemps autorité. [...] On la retrouve notamment et peu modifiée dans un ouvrage de l'astronome Jean-Sylvain Bailly publié en 1779 (l'année même de la parution de l'Essai de G. Bartoli), les Lettres sur l'Atlantide de Platon. Il s'agit d'un recueil de lettres adressées à Voltaire (en partie après la mort de celui-ci, ce qui n'a pas entame l'enthousiasme épistolaire de Bailly), dans lesquelles Bailly, à la suite d'O. Rudbeck et en se fondant sur l'autorité de Plutarque, installe l'Atlantide au Nord de l'Europe (non pas en Suède toutefois, mais en Sibérie) (J.-F. Pradeau, Le poème politique de Platon, Le Timée de Platon: contributions à l'histoire de sa réception, 2000 - books.google.fr).

La Vraie Langue Celtique

Jugurtha (première mention) et Alet (dernière mention) sont appariés dans La Vraie Langue Celtique aux pages 86 et 241 (86+155) qui correspond à Recueil De Voyages Et De Memoires :

Dans son écrit sur la guerre soutenue par Jugurtha contre les Romains, Salluste donne sur les premiers habitants du nord de l'Afrique certains détails fort intéressants. D'après cet auteur, l'Afrique aurait été d'abord occupée par les Gaetules et les Libyes. Ils étaient, dit-il, d'une nature rude et intraitable, se nourrissaient des fruits spontanés du sol et de la chair des bêtes fauves. Les lois, les chefs, la civilisation leur étaient inconnus ; errant de çà de là, ils s'arrêtaient dans le lieu où la nuit venait les surprendre. Mais, continue Salluste, après la mort d'Hercule, arrivée en Espagne suivant la croyance des Africains, son armée composée de divers peuples et privée de son chef, se répandit de tous côtés. Les Mèdes, les Perses et les Arméniens qui faisaient partie de son armée, traversèrent la mer sur des vaisseaux et s'emparèrent du littoral de notre mer. Les Perses se dirigèrent surtout du côté de l'Océan : ne trouvant point dans les champs les matériaux nécessaires à la construction de leurs maisons, ils se servirent des carènes renversées de leurs vaisseaux en guise d'habitation. Ils se mêlèrent peu à peu aux Gaetules par des alliances, et comme ils changeaient souvent de lieu suivant la fertilité des campagnes qu'ils rencontraient, ils se donnèrent à eux mêmes le nom de Numides. (VLC, p. 86)

Ce qui détermine en nous cette pensée, c'est le fragment de meule à bras, en fonte de fer, retiré du sol le 26 novembre 1884, par des ouvriers travaillant, au-dessous de la Borde-neuve, à la construction du chemin de Rennes-les-Bains à Sougraigne. (Ce fragment de meule est en la possession de M. Constantin Cailhol, à Alet). Cette partie de meule, sans doute fondue à la Ferrière, est légèrement concave, et mesure quinze ou seize centimètres de rayon. Elle a été malheureusement partagée par l'instrument de l'ouvrier qui l'a mise au jour, et présente une cassure semblable à celle du fer de fonte, mais d'un fer plus poreux que celui des hautsfourneaux actuels. Cette meule devait moudre le blé d'une manière parfaite, et n'avait nul besoin, à cause de ses pores nombreux, d'être repiquée, ni même sillonnée dans sa surface moulante par des cannelures angulaires. Les manèges à cheval avec de fortes meules ont, plus tard, remplacé les petites meules à bras, et afin que leurs descendans ne le pussent ignorer, les Celtes ont écrit leur manière de faire dans Milizac, village du Finistère, – to mill, moudre, – to ease (ize), alléger, – hack, cheval –, et dans Millas, gros village des Pyrénées-Orientales. – to mill, moudre, – ass, âne –. (VLC, p. 241)

Le prophète Jérémie annonce la prise et la destruction de Jérusalem (chapitre XXV) et l'extinction des bruits quotidiens comme celui de la meule (La Vraie Langue Celtique de l’abbé Henri Boudet : Livre III - Ps. 86).

L'Atlantide fut, l'Apocalypse sera. « En un seul jour arriveront ses plaies... et elle sera consumée par le feu... Et ils pleureront et se frapperont la poitrine à son sujet, les rois de la terre... Et tous les pilotes, tous ceux qui naviguent sur des bateaux et qui font commerce sur la mer se tinrent au loin et, regardant la fumée de son incendie... ils se jetaient de la cendre sur la tête et ils criaient, pleurant et menant le deuil : "Malheur, malheur à toi, grande ville !.. En une heure elle a été dévastée !"... Et un Ange vigoureux prit une pierre comme une grande meule et la jeta dans la mer, en disant : "D'un tel élan, sera précipitée... la grande ville, et jamais plus on ne la trouvera !" » (Ap.XVIII,8-9 ; 17-19 ; 21) (Dmitry Sergeyevich Merezhkovsky, Atlantide-Europe: le mystère de l'Occident, traduit par Constantin Andronikof (1929), 1995 - books.google.fr).

Sous le nom de Grotta-saungr, ou chant du moulin, on possède un petit poème très vieux et très singulier, dans lequel figurent deux femmes de la race des géants, appelées Fenia et Menia, qui exercent les fonctions de Valkyries, en préparant les destinées des hommes; mais ce n’est point en filant, Comme les Parques de la mythologie grecque, ni en tissant comme les Valkyries ; c’est en faisant tourner les immenses meules d’un moulin qu’elles broient, en quelque sorte, les élémens de ce que les hommes désirent, l’or, la paix, la félicité. Le chant du moulin est le seul qui nous conserve cette allégorie antique des Parques meunières ou broyantes (Georg-Bernhard Depping, Introduction sur la litterature, la mythologie, les moeurs des hommes du nord, 1835 - books.google.fr).

Parmi les cités dont il est question dans un texte des Stromates de Clément d'Alexandrie, où « les poètes » ont cru trouver les « images » de cette cité céleste, mentionnons, après P. Mazon (Sur l'Euboïque de Dion de Pruse, Lettres d'humanité II, 58), outre celle des Hyperboréens - peuple bienheureux célébré par Pindare (Pyth. X, 49-56) et présent&é par des poètes comme un modèle idéal de l'état de justice et de piété que doit atteindre l'âme (J. Chevalier, Axiochos, 87) - l'Atlantide de Platon, le pays méropien de Théopompe, l'Helixoia d'Hécatée d'Abdère, la Panchaïa d'Evhémère, puis les Iles du Soleil d'Iamboulos, et le Royaume de Cronos décrit par Plutarque dans le De facie orbis lunae.J. Bidez, dans son étude sur La Cité du monde et la Cité du Soleil chez les stoïciens (Budé 1932), a montré que les stoïciens, identifiant la loi du monde avec le destin ou Fatum des astrologues, ont précisément choisi la fiction chaldéenne de la Cosmopolis pour la mettre à la base de leur système fataliste. [...] Et, sur la « cité de Dieu » ou la cité sainte, les textes du Vieux Testament que cite saint Augustin au début du livre XI, sont les psaumes (Vulgate) 86,3 ; 47, 2-9 ; 45, 5-6 (Jacques Chevalier, De saint Augustin à saint Thomas d'Aquin: Histoire de la pensée, Tome 3, 2012 - books.google.fr).

Wilhelm von Humboldt

Humboldt était le représentant de la Prusse à Rome. Il reçut aussi des lettres d'accréditations de la part de la cour de Hesse-Darmstadt. Le contenus des rapports aux deux sont assez comparables et ont été publiés par Eckhardt G. Franz (Rudolf Lill, Barthold Georg Noebuhr als Gestandter Preussens in Rom (1816-1823), Ortskirche und Weltkirche in der Geschichte: Kölnische Kirchengeschichte zwischen Mittelalter und Zweitem Vatikanum ; Festgabe für Norbert Trippen zum 75. Geburtstag, 2011 - books.google.fr).

De 1797 à 1799, Humboldt vit à Paris, où il mesure le fossé entre la philosophie kantienne et la philosophie française des Idéologues. Les Idéologues pensaient bien la différence des langues, mais dans un contexte mental bien trop empiriste ou sensualiste. À la fin de son séjour parisien, il voyage en Espagne et surtout au Pays basque. Il découvre ainsi la langue et la culture basques. C'est pour lui l'occasion de mettre en place, avec cent cinquante ans d'avance, les principes de la description linguistique moderne : l'étude des langues en synchronie, l'étude descriptive et non prescriptive, l'importance du corpus et des informateurs ainsi que l'importance de catégories grammaticales décrivant précisément les phénomènes propres à la langue étudiée, ce qui le conduit à rejeter la pertinence des catégories de la grammaire latine pour une langue comme le basque. Plus tard (1827-1829), il tente de repenser dans toute sa généralité la grammaire universelle (fr.wikipedia.org - Wilhelm von Humboldt).

Humboldt a en effet été ambassadeur de Prusse à Rome pendant six ans, de 1802 à 1808. Il a aimé cette ville comme aucun autre lieu de l'Europe, dont il avait pourtant connu une portion considérable lors de ses nombreux voyages. Il a passé là les plus heureuses années de sa vie. [...] La rencontre avec la langue et la culture basques (1800/1801), peu avant que Humboldt ne fût envoyé à Rome, avait constitué une expérience décisive pour sa conversion à la linguistique. Rome est donc le lieu où se confirme pour Humboldt le fait que le langage va devenir son sujet, le lieu où l'étude des langues deviendra le centre de son travail. C'est pendant les années romaines que mûrit le projet linguistique de Humboldt. Le fragment Latium et Hellade mentionné plus haut, conçu à Rome, contient en effet aussi une esquisse précoce de la théorie humboldtienne du langage. Et Rome signifie surtout la rencontre avec l'Amérique, en ce qui concerne l'élargissement des connaissances linguistiques de Humboldt qu'il indique danssa lettre, avec déjà en vue la « mystérieuse et merveilleuse corrélation interne de toutes les langues ». A Rome, Humboldt eut en effet la chance de pouvoir disposer du riche matériel linguistique de Lorenzo Hervâs, consacré aux langues d'Amérique. C'est à Rome aussi que son frère Alexandre lui avait rapporté de son grand voyage d'exploration du matériel linguistique américain, qu'il devait exploiter pour le récit de voyage d'Alexandre. [...] Parmi les trois grands traités de Humboldt sur la «linguistique générale », Diversités (Verschiedenheiten) est le seul qui n'ait pas été conçu comme introduction à la présentation d'une famille de langues précise. Les années de genèse de ce texte sont une période d'hésitation entre deux groupes de langues : Humboldt a renoncé à l'œuvre sur les langues américaines - un grand projet, jamais achevé, dont l'introduction, Grundzuge des allgemeinen Sprachtypus (1826), est restée son premier grand traité de théorie du langage - et manifestement il n'est pas encore arrivé aux langues malayo-polynésiennes auxquelles sera consacrée sa dernière œuvre (qu'il ne put achever, mais dont il avait déjà rédigé, à sa mort, deux livres de grande dimension) (Jurgen Trabant, Traditions de Humboldt, traduit par Marianne Rocher-Jacquin, 1999 - books.google.fr).

Lorsqu’il se retire des affaires publiques en 1820 pour se consacrer exclusivement à son projet d’étude comparative des langues, il maîtrise le français, l’anglais, l’italien, l’espagnol, le latin, le grec, le basque, le provençal, le hongrois, le tchèque, le lituanien. Sans négliger les langues amérindiennes (entre 1820 et 1825 il rédigera des grammaires et des lexiques d’une vingtaine d’entre elles, incluant l’Aztèque), il s’intéresse au chinois, au japonais, au copte, à l’égyptien, au sanskrit surtout, et, en rapport à cette langue, à l’ancienne langue kavi de Java et à l’ensemble des langues malaises (Jean Leroux, Langage et pensée chez W. von Humboldt, Philosophiques, vol. 33, n° 2, 2006 - www.erudit.org).

Humboldt fut le premier à conceptualiser, au début du XIXe siècle, les rapports entre le langage, la pensée et le monde, dans le cadre d’un programme de description structurale des langues.

La théorie du langage de Humboldt est issue d’un cheminement anthropologique. On le sait, à la fin du XVIIIe siècle, le concept d’homme, examiné jusqu’à cette époque à l’intérieur du discours philosophique, tend à s’autonomiser et à devenir l’objet d’une science nouvelle, l’anthropologie. Si Humboldt, dans ses premières réflexions, participe complètement de ce débat, il parcourt assez vite la distance intellectuelle qui sépare son essai sur l’anthropologie comparée élaboré au tournant du XIXe siècle du plan d’une étude linguistique comparative qu’il présente en 1820. Dans sa recherche de ce qu’est l’humanité, Humboldt comprend que c’est cette faculté universelle qu’est le langage qui se spécifie dans les langues, parlées par tous les individus peuplant la terre, qui va lui permettre de parvenir à la caractérisation des hommes. Convaincu que la diversité des langues est l’indice d’une variété de pensée, il conçoit l’idée que pour cerner la diversité humaine, il lui faut appréhender l’ensemble des développements possibles de l’esprit humain que laisse entrevoir la multiplicité des langues. L’originalité théorique tient à l’approche globale du langage. Il fonde une linguistique sur :

1. La reconnaissance de la diversité des langues. Ce qui n’était pas acquis d’avance car si l’Occident a toujours été plurilingue, cette situation n’a jamais constitué un fil conducteur de l’étude linguistique. Ainsi pour la première fois dans l’histoire occidentale de la description des langues se développe un intérêt scientifique pour la diversité des langues qui, loin de constituer un handicap pour l’humanité en est la richesse même.

2. La connaissance de la diversité des langues. Il entend la cerner à partir d’une définition de la langue dans des rapports de dépendance avec la pensée, l’homme et la nation, en prenant en compte ensemble et reliés entre eux tous les aspects de cette aptitude naturelle au langage. Pour la première fois on peut lire une théorisation de la fonction cognitive et sa mise en liens avec les aspects expressif, communicatif, historique, social du langage (Anne-Marie Chabrolle-Cerretini, La linguistique cognitive et Humboldt , 2007 - corela.revues.org).

La pensée de l'Innere Sprachform de W. von Humboldt [...] est bien dans le sillage de cette tradition occidentale qui nous relie à Aristote : pensée du Logos comme signifié transcendental. [...] L'idéalisme des temps modernes était déjà une façon de repenser le Logos grec. La présence devient la conscience comme présence à soi, comme sujet chez Descartes. Cette présence se dilate, chez Kant, en une saisie du temps comme auto-affection. Le temps est la forme a priori qui réconcilie la réceptivité et la spontanéité ; il inaugure chez les successeurs de Kant la notion de vie et de finalité. La raison, pour Herder, c'est le Logos comme reprise sur soi du temps, dans son devenir et dans son unité. Le langage, chez Schlegel, est conçu comme un organisme vivant, notion encore métaphysique chez lui, qui virera bientôt, avec le grammairien Schleicher, à l'idée positiviste d'un organisme biologique, d'un objet vivant étudié du dehors. Et par delà Kant, chez Leibniz déjà, nous trouvions cette notion de l'universel comme relation vivante et non comme unité hypostasiée, dans la forme individuelle qu'est la monade. L'essence du langage n'est pas à chercher dans une origine ou rationnelle ou génétique, mais elle est véritablement la totalité de ses manifestations historiques, la totalité de ses différences. La pensée du langage, chez W. von Humboldt, est bien cette contraction entre l'idée de forme vivante, d'organisme, et l'idée de totalité. Humboldt se situe à ce moment étrange où l'idéalisme est sur le point de muer en positivisme. Si Humboldt a mis en évidence le caractère dynamique du langage, il considère aussi la langue comme une totalité cohérente, se faisant ainsi le précurseur de l'étude synchronique du langage. La grande synthèse hégélienne se videra bientôt de sa moelle métaphysique et les esprits historicistes s'affaireront autour de son cadavre. Dans cette vague montante de positivisme, Humboldt demeure quelque peu un isolé, un philosophe qui s'ignore. Extérieurement, il s'intéresse surtout aux facteurs historiques de la culture des peuples, mais néanmoins sa préoccupation reste foncièrement métaphysique. Comme pour Herder, la question du langage est pour lui d'ordre ontologique. L'explication du langage n'est pas seulement génétique. Le langage est dans ses manifestations, mais la totalité prime sur ces manifestations ; le langage n'existe qu'avec l'homme, mais il le précède.[...]

Peut-être arrivons-nous maintenant à serrer au plus près ce que Humboldt entend par la forme du langage, ou mieux, le langage en tant qu'il est « forme ». Cette forme a deux degrés : la forme des langages, c'est-à-dire leur solution combinatoire (die Lautform), la « forme intérieure » (innere Sprachform) du langage, qui est son aspect spirituel grâce auquel une forme déterminée peut naître. Rappelons un instant Aristote : pour lui, la forme détermine la matière d'une part, c'est la forme extérieure ; mais, d'autre part, pour la déterminer, il faut qu'elle soit antérieure au composé matière-forme, c'est la « forme intérieure ». La forme intérieure du langage, c'est donc la manière de structurer les éléments. Il faut la chercher, dit Humboldt, par-delà la grammaire et la lexicologie, dans la formation des racines des mots, dans les mots fondamentaux (Grundwôrter); nous trouvons ici le souvenir d'un langage « naturel», qui trouve son origine chez Vico.

Le langage est donc articulation de l'esprit dans le sensible. Remarquons tout de suite que ce nœud du son et du sens ne se dénoue pas pour autant; et Humboldt restera d'ailleurs toujours fasciné par le mystère de la représentation. Mais sa quête est imprécise et il s'en détourne bien souvent pour poser la question du point de vue anthropologique : pourquoi y a-t-il différentes langues? Sans doute parce que le langage s'accomplit différemment. Mais qu'a-t-il en propre cet accomplissement spirituel, demandera Heidegger lorsqu'il méditera, dans Unterwegs zur Sprache, les propositions de Humboldt ?

L'Innere Sprachform, il faut le reconnaître, reste une notion très vague, et cela en raison même de sa profonde ambiguïté : d'une part, elle est l'aspect créateur de la subjectivité qui projette une conception du monde; d'autre part, elle est la trame même à partir de laquelle l'homme crée le langage comme projection d'un monde, « c'est le même acte qui fait que l'homme tisse le langage et se mêle à sa trame». Notre vision du monde, ce ne sont pas les objets comme tels mais les perceptions reçues et les mots que nous employons pour les exprimer ; autrement dit : nous créons des signes à partir de signes. Sans doute un tel idéalisme mène-t-il au sujet hégélien. Mais il pose aussi la question du langage comme médiation. Quelle est cette energeia qui fait naître des langues de formes diverses ?

La conception du langage comme représentation trouve, selon Heidegger, son accomplissement suprême dans la pensée du langage de Humboldt, en qui elle conserve d'ailleurs l'impensé qui l'a rendue possible depuis les Grecs. C'est pourquoi elle est l'étape à laquelle se réfère, consciemment ou non, toute pensée du langage et toute linguistique actuelle. Humboldt se situe dans le courant romantique qui apparaît en réaction contre le siècle des lumières. Le langage est un vivant, une spontanéité, non pas d'abord ergon mais energeia, une activité, ce qui toujours se dépasse à partir de soi, etwas vorübergehendes. Les formes des langues ne sont que des moments, des coupes dans ce procès. La vie est histoire, s'expliquant elle-même à partir de soi, développement du Je constituant de Kant. La pensée du langage doit être une génétique saisissant le langage comme le produit de l'activité de l'esprit qui s'incarne dans les sons. En son essence, le langage est donc activité spirituelle, Arbeit des Geistes, c'est la spontanéité de l'esprit qui se crée un monde, et le monde en retour est un monde de mots, c'est la manière dont l'esprit perçoit les choses. Nous n'avons pas quitté Aristote, et nous retrouvons, comme chez Kant, le langage comme activité constituante qui nous permet de rencontrer des objets. La faculté de représenter un monde fonde toute expérience possible. [...]

Heidegger décèle [...] chez Humboldt un pressentiment de ce retournement de la pensée et des limites de l'idéalisme. Le mystère du langage ne cessera de le fasciner. Son frère écrit qu'il travailla jusqu'aux abords de la mort à l'essai Ueber die Verschiedenheit... où il est dit notamment : « qu'à un moment donné une langue dans sa formation peut se tourner vers le but intérieur au langage lui-même, de manière à provoquer un bouleversement complet en elle (...)». Mystère qui tourmentait aussi Novalis lorsqu'il disait : «ce qui est particulier au langage, le fait qu'il ne concerne que lui-même, cela personne ne le connaît». [...]

Pour Humboldt, le monde (Welt) est un monde de mots, et non un monde de choses. Notre activité spirituelle est déployeuse de mots (Luce Fontaine-De Visscher, La pensée du langage comme forme. La « forme intérieure du langage » chez W. von Humboldt. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 68, n°100, 1970 - www.persee.fr).

Le jeu de mot Alet / Aletheia est vu dans le contexte de la ligne gnostique qui joint Magalas (Héraut) au plateau de Beille (Ariège) (Autour de Rennes le Château : Un alignement inattendu : la ligne gnostique).

Volney et les Idéologues

L'histoire « systématique» de Gébelin n'a guère de rapports avec les faits. Elle est histoire philosophique, spéculation sur un être primitif abstrait, extrait de l'histoire, tel que Constantin François Volney l'imagine dans ses Ruines. Sauf à considérer que l'histoire est inscrite dans les langues dont la construction est à elle seule l'histoire complète de chaque peuple, et dont les filiations et les analogies sont le fil d'Ariane dans le labyrinthe des origines, explique encore Volney dans ses Leçons d'histoire (1795) présentées à l'Ecole normale en l'an III. Les langues sont, avec la mythologie, l'une des clefs d'accès aux origines. Boulanger a laissé en manuscrit un dictionnaire considérable, « qu'on pourrait regarder comme une concordance des langues anciennes et modernes, fondée sur l'analogie des mots simples et composés de ces langues, sans en excepter la française», selon d'Holbach. A l'étude du chinois, du phénicien, du copte étudié par l'abbé Barthélemy, de l'arménien dont Mathurin Veyssière de la Croze a laissé un dictionnaire manuscrit que Gébelin connaissait bien, s'ajoute celle du sanskrit qui conduira à la « découverte » de l'indo-européen. Dès 1731–1733, les pères Calmette, Le Gac et Pons ont envoyé à la Bibliothèque du roi un Rigveda complet et d'autres textes très importants. De retour en Europe en 1762, Anquetil Duperron rapporte d'Inde de très nombreux manuscrits déposés à la Bibliothèque royale. Il y a étudié les traditions religieuses des Pârsî et leur texte sacré zoroastrien l'Avesta, dont il publie la traduction en 1771. Ce pionnier de l'étude de la pensée religieuse persane et indienne en Europe a laissé, à sa mort en 1805, des ébauches de dictionnaires de malayalam, de sanskrit et de telougan. Gébelin travaillait beaucoup à la bibliothèque du roi; mais il décédé avant que la théorie de l'existence d'une langue indo-européenne donne une nouvelle impulsion aux études de philologie comparée, grâce aux travaux de William Jones et de Charles Wilkins en 1786. Il a lui-même laissé nous l'avons vu, une série de dictionnaires et avait prévu, dans son plan initial, un «dictionnaire primitif » car « la première des langues, composée de mots nécessaires et représentatifs n'a jamais pu se perdre »; un dictionnaire comparatif des langues qui devait permettre de suivre les déformations de la langue primitive ; un dictionnaire étymologique de la langue française, de la langue hébraïque, des noms propres et appellatifs et une Bibliothèque étymologique, jamais réalisés (Chantal Grell, L'histoire des origines en France 1780-1820, Sattelzeit: Historiographiegeschichtliche Revisionen, 2016 - books.google.fr).

It was probably during his visit to America (17951798) that the French statesman, oriental scholar and reformer Constantin François Chassebœuf, Comte de Volney (1757-1820), conceived the idea of a writing system that could be universally applied. Volney's interest in this sprang from his conviction of the need to improve the methods employed for teaching and learning oriental languages. A vital tool, in his view, was a system for converting oriental orthographies into roman script. In America he made the acquaintance of William Thornton and also became familiar with the transcription system of Sir William Jones (Jones 1788). In Simplification des langues orientales (1795) he attempted to tackle the problem, limiting himself to a few oriental languages. He assumed that a firm basis for the transcription would require a knowledge of the anatomy of the vocal organs, but in fact he includes little information of this kind. He limits the sounds to be described to those which could make a difference of meaning a - foretaste of the phonemic criterion to be formulated later in the century. The roman alphabet is supplemented by Greek letters and by some completely new symbols for the representation of the Arabic emphatic consonants. Digraphs are avoided, in accordance with the "one sound/one symbol" principle. In L'alphabet européen appliqué aux langues asiatiques (1819), Volney added further oriental languages. The notation has been simplified, and now excludes Greek symbols, but allows some diacritics. Volney made no use of digraphs or turned letters. Aware of the deficiencies in his own attempts Volney left a sum of 24,000 francs in his will to the French Academies to establish a Prize "de provoquer et encourager tout travail tendant à donner suite et exécution à ma méthode de transcrire les langues asiatiques en langues européennes regulièrement organisées". In the "programme" of the first competition (1821) the Commission appointed by the Academies to organise it rejected the idea of including universal schemes. They justified this on the grounds that to allow such a wide scope would delay the much-needed solution. Several of the contenders for the prize, such as one whom we know only as de Brière (1832?), and even members of the Commission itself, such as Destutt de Tracy, were bitterly critical, seeing this as a betrayal of Volney's true intentions. In the end Destutt resigned from the Commission in protest. However, for the 1827 competition the Commission actually invited participants to put forward a universal scheme, but then awarded the prize to Andreas Schleiermacher whose alphabet was intended for the transliteration of some 32 not for a system of transcription, much less a universal one. Although universal alphabets were put forward for the Prize over the next 20 years (for example by de Brière in 1831) none was successful (Sylvain Auroux, History of the Language Sciences / Geschichte der Sprachwissenschaften / Histoire des sciences du langage. 2. Teilband, 2001 - books.google.fr).

On rencontre les Destutt de Tracy dans le Bourbonnais (Allier) chez qui Georges Simenon travailla. Il s'en inspira pour son roman L'Affaire Saint Fiacre (La Croix d’Huriel et Rennes le Château : Blaise et Ursule : division de l’année en 14).

Le château de Paray-le-Frésil appartient en 1914 à Jacques de Tracy, né en 1836. Il s'agit d'une famille de la haute aristocratie dont plusieurs membres se sont illustrés dans divers domaines au cours des temps. Le plus connu reste le philosophe Destutt de Tracy, député de la noblesse du Bourbonnais aux Etats Généraux, président du directoire départemental de l'Allier, second commandant de cavalerie de La Fayette en 1792. Emprisonné en 1793 jusqu'en 1794, il devient membre de l'Institut en 1795, de l'Académie française en 1808, de la Chambre des Pairs en 1814, etc. ; sa fille épouse le fils du général de La Fayette, son fils Victor, qui impulse les transformations agricoles de la Sologne bourbonnaise, se marie à Sarah Newton, petite-nièce du physicien. Lui aussi mène une carrière politique bien remplie. Bien qu'il soit légèrement postérieur à cette date, le témoignage de Georges Simenon, à travers ses Mémoires intimes et L'Affaire Saint-Fiacre, un roman dont l'action s'inspire de son passage au château de Paray- le-Frésil, apporte un éclairage particulièrement riche sur la vie de château d'un grand aristocrate bourbonnais au début du XXème siècle. A Paris, au printemps 1923, alors qu'il est garçon de bureau du président de la ligue des chefs de sections et des soldats combattants, à Paris, le président de l'association propose à Simenon de « devenir secrétaire particulier d'un de ses grands amis qui vient de perdre son père. Il porte un des très grands noms de France... » (Simenon, 1981). Georges Simenon n'hésite pas et se rend au rendez-vous. Il entre alors dans un autre «monde » (Jean-Louis Etien, Les châteaux dans les bocages bourbonnais: du lieu de pouvoir à l'encombrant héritage, 2009 - books.google.fr).

Andreas Schleiermacher est mentionné dans la correspondance de Humboldt (lettre du 20/09/1825 à Franz Bopp, et du 21/02/18354 Frizedrich Eduard Schulz). Le bibliothécaire de Darmstadt avait publié une grammaire malaise dans De l'influence de l'écriture sur le langage : suivi de grammaires barmane et malaie, et d'un aperçu de l'alphabet harmonique pour les langues asiatiques en 1835, qui avait reçue le Prix Volney 1828 (Wilhelm von Humboldt: Schriften zur Sprachwissenschaft, Briefdatenbank - telota.bbaw.de, Darmstadt : La piste Darmstadtienne : Andreas Schleiermacher et Sainte Marie Madeleine).

Comme hébraïsant, Volney est vite dépassé, encore que Humboldt fasse grand cas de son Hébreu simplifié si l'on en juge par une lettre à Daru du 10 juin 1820. Le prix académique fondé par Volney comporte des clauses telles qu'il n'a jamais pu être décerné selon son exacte volonté, et ceux qui en ont bénéficié — parmi lesquels on relève de grands noms: Burnouf en 1831, Renan en 1847, Max Müller en 1849 — n'ont pas montré de reconnaissance particulière à l'égard du donateur (Jean Gaulmier, L'idéologue Volney, 1757-1820: contribution à l'histoire de l'orientalisme en France, 1951 - books.google.fr).

Volney parle incidemment de l'Atlantide au sujet de Solon qui rédigea dans sa retraite les dires des prêtres égyptiens à ce sujet, dont s'empara Platon (Constantin François de Chassebœuf de Volney, Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, 1822 - books.google.fr).

Dès l'origine, les plus illustres membres de la seconde classe de l'Institut "Analyse des sensations et des idées", et précisément le plus philosophe d'entre eux, et le nouveau théoricien, après Condillac, de cette « analyse » des idées, Destutt de Tracy qui, estimant qu'une science qui n'a pas de nom n'existe pas, proposa, dès 1796, dans des Mémoires sur la faculté de pensée, lus à l'Institut, le nom d'Idéologie pour cette science, ou cette philosophie, qui n'est pas seulement cognitive, mais prétend donner la clé qui permet d'unifier toutes les sciences, et d'obtenir également le meilleur état possible de la société et de la république. Le nom d'Idéologues est désormais attribué à tous ceux — nombreux à l'Institut et majoritaires dans la seconde classe — qui se réclamaient plus ou moins, en toute liberté d'ailleurs, du « sensualisme » de Condillac. C'étaient aussi des « encyclopédistes » de la deuxième génération, comme Naigeon, Cabanis (le fameux médecin), Volney et Daunou lui-même, qui publiaient une revue à grand succès, la Décade philosophique, et se retrouvaient aussi, comme Destutt de Tracy lui-même, dans la Société d'Auteuil, autour de Mme Helvétius : bref, « des rêveurs, des phraseurs, des métaphysiciens, bons à jeter à l'eau », comme disait Bonaparte. « Brocardés » sur ce ton par le despote, emportés, dès le début du XIX siècle, par la vague romantique et par le triomphe chez nous d'un idéalisme philosophique allemand [...], on a cessé de lire les Idéologues pendant presque deux siècles : ils étaient pourtant, disait Taine, « notre philosophie classique » (il est vrai, que Taine n'aimait guère « l'esprit classique ») (Claude Nicolet, Histoire, nation, république, 2000 - books.google.fr).

Pour Diderot, ami de Condillac et qui adhère très tôt à ses recherches, le Traité des sensations (1755) est un autre volet de la conception matérialiste du monde. Condillac fonde son « sensualisme » dans la continuité pragmatique des recherches de Locke en montrant le rôle essentiel que possèdent les cinq sens comme moyens d'information sur le monde (Denis Diderot, Jacques le fataliste, présenté par Paule Andrau, 2006 - books.google.fr).

Le « sensualisme » de Diderot est un sensualisme profondément sceptique : non seulement la multiplicitéde nos sens constitue un avantage autant qu'une infirmité, mais les sens pris particulièrement, et notamment ceux de la vision et du toucher, ne nous restituent pas la réalité telle qu'elle est. Nous ne Nous ne faisons que combiner des points visibles et/ou palpables ; la réalité nous échappe, ou plus précisément nous ne pouvons pas comparer nos perceptions, toutes plus ou moins abstraites, avec les objets qui ébranlent nos sens (Gerhardt Stenger, Diderot: Le combattant de la liberté, 2013 - books.google.fr, Autour de Rennes le Château : Dalle verticale de Marie de Nègre : Thérèse, Catherine et Julie, La Croix d’Huriel et Rennes le Château : Par ce signe tu le vaincras : Daath, la connaissance cachée).

Atlantide, graal et langage

Le «Mythe», comme récit sacré («le lieu où l'objet se crée à partir d'une question et de sa réponse » selon André Jolles), est donc de l'ordre de l'indubitable et de l'indiscutable, deux qualités qui ne peuvent nullement s'appliquer à l'histoire de l'Atlantide, récit éminemment douteux, et dont on ne finira jamais de discuter. Si l'on veut bien poursuivre cette petite incursion dans les Formes simples, l'on dira même que Jolles situerait le mythe platonicien aux antipodes des récits étiologiques, dits «récits de création». Son domaine à lui, c'est bien plutôt celui de la «connaissance» et de la «découverte» («Erkennen und Erkenntis»), domaine dans lequel le théoricien allemand voit précisément «l'ennemi du mythe», c'est-à-dire le discours du savant. Connaître et découvrir, écrit André Jolles, implique «la volonté de transformer le monde» et «la pénétration au cœur de l'univers afin d'élucider sa nature ». [...]

Par bien des traits, les deux dialogues de Platon relèvent d'une entreprise de ce genre. L'exposé scientifique s'y conjugue à la relation historique, et le philosophe marque bien son souci d'observer et de comprendre l'évolution des choses, processus que Jolles décrit en opposant aux objets «créés» du mythos les objets «produits» du logos. Les remarques du critique nous ramènent à la complexité d'un récit ayant les dehors de l'histoire sacrée (comment le monde fut-il créé puis partiellement anéanti ?), mais qui s'attache à soulever des questions d'histoire naturelle (quelles sont les causes et les effets des cataclysmes ?). [...]

L'insistance sur l'authenticité des faits racontés prend place dans une démonstration scientifique où Platon, par la voix de Critias, expose une théorie sur les causes astronomiques qui président au déclenchement des catastrophes et sur la répétition cyclique de ces dernières. Une thèse qui a trait là encore à la «vérité» et non au «mythe» comme il est dit à son propos (Timée 22c). [...]

De Platon aux nombreux visionnaires de l'Atlantide, il apparaît que le continent enfoui/exhumé est le symbole d'une vérité cachée, accessible aux seuls initiés. Cette «vérité» a, bien entendu, plusieurs noms et plusieurs visages. Dans les avatars romanesques des XIXe et XXe siècles, l'objet de la quête est le lointain passé, un univers originel, que figurent symboliquement les contours de l'île engloutie, et que l'aventure racontée révèle au monde. Le dévoilement de l'occulte s'exprime parfois très concrètement à travers des phénomènes physiques. C'est le cas, notamment, lorsque la fiction romanesque devient un chapitre d'histoire naturelle et que le «réveil de l'Atlantide» se traduit en termes géologiques par le truchement d'une véritable résurgence insulaire (Chantal Foucrier, Le mythe littéraire de l'Atlantide, 1800-1939: l'origine et la fin, 2004 - books.google.fr).

Dans la tradition occidentale, qui culmine chez Humboldt, le langage apparaît comme l'exercice d'un pouvoir. Ainsi Aristote, nous l'avons vu, nous dit que les mots sont des signes exprimant nos états d'âme, ceux-ci renvoyant eux-mêmes aux choses. Mais ce qu'Aristote ne nous dit pas, c'est ce qu'est le signe en tant que signe. Il ne pose pas la question de la représentation comme telle, de l'essence même du « signifier ». Or, cette essence ne repose-t-elle pas sur la vérité comme "alètheia", comme dévoilement, comme venue de présence ? Peut-être y a-t-il encore dans le Logos des présocratiques un reflet de ce « montrer » qui est l'être même du signe, du dire en tant que "deiknumi". Mais il est de l'origine essentielle de décliner et l'oubli de l'origine fait du signe un instrument de signification, ce dont l'homme se sert pour manier les choses, les res ; le Logos devient ratio. Le signe renvoie à la chose dont il tient lieu, il est oubli de l'Apparaître qui en est la source. La Présence comme telle est obnubilée par l'étant présent, le sujet du jugement. La pensée occidentale se fait métaphysique et science (Luce Fontaine-De Visscher, La pensée du langage comme forme. La « forme intérieure du langage » chez W. von Humboldt. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 68, n°100, 1970 - www.persee.fr).

La synthèse créatrice que Humboldt a élaborée pour l'imagination poétique est essentiellement le modèle de ce qu'il appelle le «procédé» du langage (Verfahren der Sprache), le modèle de ce que nous pourrions appeler le génie du langage et, par conséquent, le modèle de la synthèse de la connaissance tout court, solution humboldtienne du problème kantien des conditions de possibilité de la connaissance. Car l'imagination kantienne, cette fonction aveugle et indispensable de notre âme, se révèle comme étant le sens du langage, Sprachsinn. C'est le sens linguistique qui, en tant que forme suprême de sublimation de la sexualité, engendre la pensée, cette «dernière et plus fine pousse» de la sensibilité-sensualité, dans son unité indissoluble, où elle fait nécessairement corps avec la matérialité du mot, avec le signifiant (Jurgen Trabant, Traditions de Humboldt, traduit par Marianne Rocher-Jacquin, 1999 - books.google.fr).

Le processus de rationalisation qui - en fermant et en disqualifiant notre imaginaire et toutes les ressources qui lui sont associées – permettrait la progression de la tragédie et son aboutissement catastrophique. En même temps que la catastrophe nous observons le déni de celle-ci, augmentant ainsi son intensité et sa gravité. [...]

La question du logos, terme qui signifie en grec à la fois « raison » et « langage » a vu décliner l'un (le langage, le verbe, le dialogue) au profit de l'autre (la raison). Devenue hégémonique, la raison devient une tyrannie et un enfermement. Elle évacue et fait table rase d'une part de l'imaginaire et d'autre part, du sacral. [...]

La civilisation est d'abord volonté de puissance. Civiliser les sauvageons ? Dressage de la société, d'elle-même contre elle-même ? Civilisation et Empire colonial. La civilisation des valeurs, des loisirs mais aussi civilisation comme contrôle des moeurs. On revient au Refoulé qui renverse le beau château de cartes de la civilisation : les camps de concentration, les hôpitaux psychiatriques, les abattoirs d'animaux, les maisons de retraite – mouroirs – les prisons, les écoles de la reproduction sociale, etc. À l'analyse, l'on s'aperçoit que la civilisation rationalise les rapports humains en fonction de valeurs justificatrices de domination des uns sur les autres (maintenir les classes sociales dans le statu quo, réduire et contrôler la « classe dangereuse », cultiver l'entre-soi des classes dirigeantes) (Bernard Delobelle, Idées pour repenser l'éducation en fonction de la catastrophe annoncée, 2012 - books.google.fr).

Platon attribue la destruction de l'Atlantide à la décadence de ses habitants, race divine tout d'abord, mais qui, d'altération en altération, finit par sombrer dans tous les vices accompagnant l'exacerbation de la frénétique volonté de puissance. Laissons la parole au philosophe grec, dans le Critias : « Mais quand vint à se ternir en eux (chez les Atlantes), pour avoir été mélangé, et maintes fois, avec maint élément mortel, le lot qu'ils tenaient du dieu ; quand prédomina chez eux le caractère humain, alors, impuissants désormais à porter le poids de leur condition présente, ils perdirent toute convenance dans leur manière de se comporter, et leur laideur morale se révélait à des yeux capables de voir, puisque, entre les biens les plus précieux, ils avaient perdu ceux qui sont les plus beaux ; tandis qu'à des yeux incapables de voir le rapport d'une véritable vie avec le bonheur, ils passaient justement alors pour être beaux en tout au suprême degré et pour être bienheureux, remplis comme ils étaient d'injuste cupidité et de puissance ». [...]

On retrouve d'ailleurs ici une théorie chère à l'ésotérisme traditionnel : celle selon laquelle toute civilisation humaine est régie par une inexorable loi cyclique, qui fera toujours suivre l'atteinte d'une perfection humaine et sociale du début de la décadence, cette phase d'involution devant à son tour, après la catastrophe, déboucher sur un nouvel âge d'or, loi reflétant le déterminisme terrestre général, le plan divin ne pouvant se réaliser que par les phases (complémentaires) d'involution et d'évolution. L'engloutissement final de l'Atlantide, s'insère dans l'impressionnante loi cyclique selon laquelle, à divers intervalles, l'histoire du globe se trouve bouleversée par des catastrophes géologiques (Serge Hutin, L'Esotérisme de l'Histoire: De l'Atlantide aux Etats-Unis, De Cagliostro à Mary Poppins, 2014 - books.google.fr).

La linguistique intervient pour décider si oui ou non l'Atlantiqde a existé :

Paul Le Cour veut « montrer que l'étude de l'élément essentiel de la transmission des idées et des croyances, le langage, suffit pour projeter de vives lumières tant sur l'existence de l'Atlantide que sur la nature des traditions atlantéennes et sur la priorité si discutée de la civilisation » (A la rechetrche d'un monde perdu : 657). Il semble donc vouloir développer une démarche comparative basée sur la linguistique. Il ajoute un peu plus loin : « On ne peut s'empêcher d'être frappé en constatant que certains de ces mots et certaines constructions de langage existent avec des analogies étonnantes de part et d'autre de l'Atlantique depuis les temps les plus reculés. » D'où la nécessité d'admettre « à une époque lointaine [...] une connexion entre les deux rives ». Le Cour renverse presque l'ordre des preuves, la comparaison des langues permettant d'affirmer la thèse géologique (Claudie Voisenat, Imaginaires archéologiques, 2015 - books.google.fr).

La "terre gaste" de la légende du graal est aussi une catastrophe. Le clan du "graal", espèce de totem familial, dont est issu Perceval le rend responsable de l'échec du renversement de la situation par son mutisme lors du cortège mais surtout par son allégence au roi Arthur, représentant d'une lignée hostile. L'accusation est injustifiée du fait qu'il est ignorant de ses liens familiaux et de l'histoire du graal, mais elle a lieu pour en faire le champion redevable de son clan contre Arthur.

La question posée au cortège du graal aurait marqué l'intérêt de Perceval pour son clan voire son adhésion.

S'il avait posé ses questions, la terre aurait retrouvé sa fertilité et le roi-pêcheur sa validité. C'est au cours de la conversation avec sa cousine qui lui révèle tout cela, que son nom vient enfin à l'esprit de Perceval : l'épreuve du monde se présente comme le drame d'un sujet. La résolution de la terre gaste, son ré-enchantement, était à la clef de la timidité de Perceval. Jamais il n'est question, dans le texte de Chrétien, de s'approprier le Graal comme chose ou comme savoir : le Graal et la lance sont surtout présentés comme des objets capables d'attirer l'attention du valet et de lui faire poser ses questions rédemptrices. Chrétien n'écrit pas une quête du Graal, il écrit le roman de la terre gaste et, si la terre « gaste » est la question, l'épisode au château du Graal se donne comme la résolution possible d'un... malaise de la culture, qui est l'affaire non d'une quête ou d'un acte guerrier mais, pourrait-on dire, d'une simple présence d'esprit. Le Graal, doublé de la lance, a la même fonction que le Léviathan dans le Livre de Job : il soutient tout le champ des représentations dont la terre « gaste » représente le bouleversement. Relever le passage du cortège, cela eût été ré-assurer la validité du champ (Marie Blaise, Le ré-enchantement du mode, Littérature & espaces: actes du XXXe Congrès de la Société française de littérature générale et comparée, SFLGC, Limoges, 20-22 septembre 2001, 2003 - books.google.fr).

L'histoire de Perceval n'est pas le lieu d'un progrès, mais celui d'un procès au cours duquel, d'accusé, il passe au rang de héros rédempteur. [...] L'acculturation de Perceval est de fait l'occasion, de la part de guides affiliés à des partis réciproquement hostiles, d'imposer au jeune rustre un code de comportement dont ces éducateurs seront les seuls bénéficiaires. Le discours pénitentiel que certains d'entre eux adressent a Perceval joue là un rôle capital ; s'y recèle la clé de l'énigme linguistique dont fait état le Conte du Graal; et c'est sur cette énigme que repose l'éventuelle transformation de la légende du Graal en une quête d'harmonie et de réciprocité. [...]

Le sens de l'histoire de Perceval decoule de la tension entre nature et culture, au sens ou la nature, synonyme ici d'ignorance culturelle, se trouve exposée a un paysage social dont les seules composantes s'avèrent être l'hostilité et la rivalité. Aucun des personnages du conte n'entend révéler cette vérité, et tous — sauf Perceval — savent qu'elle se situe par dela le langage. Pareille unanimité d'intention a pour effet de transformer l'histoire de Perceval en roman policier : déchiffrer l'énigme du Conte du Graal suppose donc de déconstruire un discours interne qui se prétend révélateur, mais qui n'est en fait que mystificateur (Brigitte Cazelles, Genèse de la violence institutionnalisée, Modernité au Moyen Age: le défi du passé, 1990 - books.google.fr).

On retrouve dans l'histoire de Perceval, mettant en opposition clan du graal et pouvoir royal centralisé, l'intrigue des Quatre Fils Aymon, ou Garin le Lorrain, opposant empereur et vassal (Synthèse : Super-étoile (Superstar in english) : Introduction).