Partie III - Thèmes   Chapitre XXIX - Oiron   

C’est par le château d’Oiron dans la Charente que l’on aborde le couple symbolique du fer, de la faux ou de la serpe, et du blé. En effet Oiron fut la possession du comte de Caravaz, qui aurait inspiré à Charles Perrault le nom du marquis de Carabas de son célèbre conte Le Chat botté. Le blé, ses produits dérivés et les activités qui s’en occupent sont au cœur du conte. Le maître du chat est en effet le fils d’un meunier. L’animal hérité met en application un plan qui conduira le jeune homme vers la fortune. La deuxième chasse du chat avec son sac lui donne l’occasion de capturer dans un champ de blé deux perdrix qu’il court offrir au roi au nom de son maître le Marquis de Carabas. Après avoir mis en contact le roi et le marquis, le chat menace des moissonneurs pour qu’ils affirment que le champ de blé qu’il fauche et qui est la propriété de l’ogre, appartienne à son maître. Le chat met hors d’état de nuire l’ogre dans son château et transfert toutes ses propriétés au marquis de Carabas qui épousera la fille du roi, tombée follement amoureuse de lui, la réciproque n’étant pas obligatoire, puisque cela n’est pas dit.

Ayant relevĂ© l’importance du blĂ© dans le conte, avec l’aide du Rameau d’or de James Frazer, considĂ©rons maintenant l’esprit du blĂ©. Les hommes d’autrefois associaient Ă  toute chose un esprit, un dĂ©mon, qui la reliait aux puissances divines qui rĂ©gissaient le monde. Ils marquaient ainsi leur respect pour les ressources dont ils tiraient leur subsistance. L’esprit du blĂ© pouvait ĂŞtre reprĂ©sentĂ© par toutes sortes d’animaux comme le cheval, le loup, la chèvre… et le chat. « L’esprit du blĂ© prend parfois la forme d’un chat. Près de Kiel, on avertit les enfants de ne pas aller dans les champs de blĂ© parce que « le Chat y est assis Â». Dans l’Oberland d’Eisenach, on leur dit : « le Chat du BlĂ© viendra te chercher Â» ; « le Chat du BlĂ© va dans le blĂ© Â». Dans certaines parties de la SilĂ©sie, quand on fauche le dernier blĂ©, on dit : « le Chat est pris Â» ; et au battage, on appelle Chat l’homme qui donne le dernier coup. Dans le voisinage de Lyon, on nomme Chat Ă  la fois la dernière gerbe et le souper de la moisson. Près de Vesoul, quand on coupe le dernier blĂ©, on dit : « Nous tenons le chat par la queue Â». A Briançon, dans le DauphinĂ©, au dĂ©but de la moisson, on affuble un chat de rubans, de fleurs et d’épis de blĂ©. On l’appelle le Chat de la balle. Si un moissonneur se blesse en travaillant, on fait lĂ©cher la blessure par un chat. A la fin de la moisson, on affuble Ă  nouveau le chat de rubans et d’épis de blĂ© ; puis on danse et on s’amuse. La danse finie, les filles dĂ©pouillent solennellement le chat de ses atours. A GrĂĽneberg, en SilĂ©sie, le moissonneur qui coupe le dernier blĂ© porte le nom de Matou. On l’enveloppe de tiges de seigle et d’osiers verts, et on lui ajoute une longue queue tressĂ©e. Quelquefois, on lui adjoint un homme habillĂ© de mĂŞme, qu’on appelle la Chatte. Leur fonction consiste Ă  courir après les gens qu’ils voient et Ă  les battre avec un long bâton. Près d’Amiens, l’expression qui veut dire finir la moisson est : « On va tuer le Chat Â» ; et quand on a coupĂ© le dernier blĂ©, on tue un chat dans la cour de la ferme. Dans certaines parties de la France, quand on bat le blĂ©, on place un chat vivant sous la dernière gerbe de blĂ© Ă  battre, et on le tue Ă  coups de flĂ©aux. Puis, le dimanche, on le fait rĂ´tir et on s’en rĂ©gale. Dans les Vosges, on appelle la fin de la fenaison ou de la moisson « la prise du Chat Â», et, plus rarement, « la prise du lièvre Â». On dit que le Chat, le Chien ou le Lièvre, est gros ou maigre, selon que la rĂ©colte est bonne ou mauvaise. On dit de l’homme qui coupe la dernière poignĂ©e de foin ou de blĂ© qu’il prend le Chat ou le Lièvre, ou qu’il tue le Chien. Les camarades le fĂ©licitent, et il a l’honneur de porter le bouquet, ou plutĂ´t le petit sapin ornĂ© de rubans qui marque la fin de la fenaison ou de la moisson. En Franche-ComtĂ© Ă©galement, on appelle la clĂ´ture de la moisson « la prise ou la mort du Chat Â» [1]». Les chats des villes ne sont pas plus Ă  la noce. A Ypres en Flandres, les chats sont jetĂ©s du haut du beffroi de l’hĂ´tel de ville, dans la deuxième semaine de carĂŞme, le mercredi des chats. A Metz, on brĂ»la treize chats la veille de la Saint-Jean, jusqu’en 1773.

L’esprit du blé n’est pas loin du démon qui dès le XIIIème siècle s’incarnait en chat. Umberto Eco rappelle, dans le Nom de la Rose, l’histoire racontée par l’inquisiteur dominicain Etienne de Bourbon (Belleville-sur-Saône, vers 1190 – Lyon, vers 1261) dans les Sept dons de l’Esprit Saint. Saint Dominique prêchait à des femmes cathares en leur promettant qu’elles verraient qui elles adoraient jusqu’alors. Aussitôt un chat gros comme un chien aux yeux embrasés et à la langue longue et pendante apparaît.

Contrairement au fait que le chat reprĂ©sentant l’esprit du blĂ© doive mourir Ă  la fin de la moisson, la morale du conte rencontre l’interprĂ©tation de Bettelheim dans L’InterprĂ©tation des contes de fĂ©es. Quand on est dĂ©favorisĂ©, victime dĂ©signĂ©e, mieux vaut partir avec un moral de battant que de se morfondre ; la roue tourne. Le chat bottĂ© symbolise le retournement de la situation a priori perdue grâce Ă  la dĂ©termination et Ă  l’astuce.

Dans l’histoire des religions, le sacrifice d’animaux remplace le sacrifice humain. Ainsi un agneau est substituĂ© Ă  Isaac que devait immoler Abraham Ă  Dieu. Le sacrifice humain trouve sa justification dans les mythes comme celui d’Atys, dieu de la vĂ©gĂ©tation qui meurt et ressuscite au printemps. Frazer en fait un dieu du blĂ©, on l’appelait en effet l’épi du blĂ© moissonnĂ©. On le fĂŞtait pendant la pĂ©riode de la Pâque chrĂ©tienne. Le Christ, lui-mĂŞme mourant et ressuscitant, est liĂ© au blĂ© par l’intermĂ©diaire de l’hostie, pain sans levain « grillĂ© entre deux fers Â».

« A La Palisse, on suspend un homme fait en pâte de farine au sapin que l’on amène sur la dernière charrette de la moisson. On porte l’arbre et l’homme de pâte Ă  la maison du maire, oĂą ils restent jusqu’à la fin des vendanges. On cĂ©lèbre alors la fin de la moisson par un banquet, au cours duquel le maire brise l’homme de pâte, et en donne les morceaux Ă  manger aux habitants [2]». Qu’il soit sous forme humaine ou animal, la signification religieuse de la consommation du pain sous l’aspect de la victime est la mĂŞme. « On se reprĂ©sente l’esprit du blĂ© comme incarnĂ© dans un animal ; on tue cet animal divin et les moissonneurs consomment une partie de sa chair et de son sang… En outre, on fait Ă  son image, et on mange suivant des formes sacramentelles, du pain ou des gâteaux qui remplacent la chair rĂ©elle de l’être divin [3]».

Les céréales permettent autant de faire du pain que de la bière, premier alcool connu des antiques Egyptiens, qui précédait sans doute l’apparition du vin. Pain et bière sont ainsi associés dans des cérémonies d’Europe du Nord. En Lituanie, vers l’époque des semailles d’automne, au cours de la fête de Sabarios (mélange), chaque fermier prenait 9 poignées de chaque sorte de céréales et de graines. Chaque poignée était partagée en 3, les 27 parts étaient ensuite jetées en tas dont on faisait des miches et de la bière. En décembre, on buvait la bière ainsi faite et chaque membre de la famille au cours d’une autre cérémonie devait vider 3 gobelets chacun 9 fois.

Le vin avec un titrage et un effet orgiaque supérieurs succéda à la bière dans certaines régions, et prit sans doute sa place, ce qui explique qu’il soit associé au pain dans l’eucharistie chrétienne.

La dernière gerbe de blĂ© Ă©tait aussi appelĂ©e « Mère du blĂ© Â» ou « Vierge du blĂ© Â», sans leur donner de noms propres. Or celle qui est la « Mère du blĂ© Â» dans la mythologie grecque est la dĂ©esse DĂ©mĂ©ter, la CĂ©rès romaine, qui institua les fameux mystères d’Eleusis au cours desquels on contemplait un Ă©pi de blĂ© exposĂ© comme l’hostie dans l’ostensoir. La vierge fait penser naturellement Ă  Marie, mère de JĂ©sus. Le portail nord de l’église Notre-Dame de Niort est surmontĂ© d’une balustrade ajourĂ©e en forme d’inscription : O Mater Dei memento mei (Ă” Mère de Dieu, souviens-toi de moi). GĂ©rard de Sède parle de cette invocation qui se retrouve aussi Ă  Gisors, Ă  la fois dans la tour du prisonnier du château et dans l’église Saint-Gervais et Saint-Protais. Il note que c’est l’anagramme exacte de Amo Demeter enim timeo (j’aime DĂ©mĂ©ter car je la crains) et fait remarquer que DĂ©mĂ©ter est le nom grec de la dĂ©esse Isis.  La dĂ©esse Ă©gyptienne rend vie Ă  son frère et mari Osiris grâce Ă  son souffle, comme YahvĂ©. En hĂ©breu ruah (souffle) est traduit par esprit. Osiris, Atys, Christ parlent tous de rĂ©surrection qui, Ă  l’origine, selon Paulette Duval, serait l’objet primordiale de l’alchimie.

Les origines lointaines de l’alchimie la rapprocheraient de l’initiation chamanique. Par la mort et le dĂ©peçage de la « matière première Â», l’adepte parviendrait Ă  l’illumination mystique, correspondant Ă  la rĂ©surrection. Dans ses plus anciennes descriptions l’alchimie ne comporte que deux Ă©tapes : mort et rĂ©surrection, Ă©piphanie lumineuse liĂ©e Ă  l’influence de la Lune.

La Pierre est la force qui assure la cohésion de tout être. L’alchimiste est transfiguré au terme de l’œuvre mais ne se dissout pas dans la Lumière mystique. La résurrection est symbolisée par le signe igné et printanier du Bélier. La résurrection peut être cependant symbolisée par l’apparition de l’or, comme chez Zozime.

Osiris est le plomb, principe de toute liquidité. L’être séparé est souvent comparé à l’homme primordial qui aurait perdu sa virilité (Atys).

Dans le Bahir, un roi plante neuf palmiers, apparemment tous mâles qui ne peuvent se féconder. Alors il plante parmi eux un etrog, symbole féminin assimilé à la Schékina.

En grec palmier et rouge se disent tous deux phoinix. L’eau primordiale est assimilĂ©e Ă  Osiris, au plomb enfermant le feu que l’œuvre doit dĂ©gager comme l’indique Olympiodore avec son eau mâle : arsenikon (arsenic). Selon l’énigme de la Sibylle et la solution apportĂ©e par Cardan et Leibniz, la Pierre est arsenic : « J’ai neuf lettre et quatre syllabes, entends-moi ; les trois premières syllabes ont chacune deux lettres, l’autre syllabe contient le reste des lettres. Cinq sont muettes, le nombre total exprimĂ© renferme seize centaines plus trois plus quatre fois treize Â». En grec le mot arsenikon  vaut 506. En faisant intervenir le coefficient 0,281875 dont je ne connais pas la signification, Cardan et Leibniz ont Ă©galĂ© 506 Ă  16x100 x 0,281875 + 3 + 52 [4]. Adamah veut dire terre et rouge. Le vĂ©ritable Adam, homme rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©, homme debout, est celui qui a retrouvĂ© le feu, l’or, la virilitĂ© et quitte l’état de terre stĂ©rile, l’homme couchĂ©.

Ainsi retrouve-t-on dans les rites de la moisson la sĂ©paration des sexes dans des rĂ´les particuliers liĂ©s Ă  l’utilisation d’outils rĂ©servĂ©s Ă  l’un ou l’autre. « Avant l’introduction de la faux, on coupait le blĂ© avec un heuck, espèce de faucille recourbĂ©e. C’était la plus jeune moissonneuse qui coupait la dernière gerbe. Comme le blĂ© ne devait pas toucher le sol, le maĂ®tre (gueedman) s’asseyait par terre, plaçait le lien sur ses genoux et recevait chaque poignĂ©e de blĂ© Ă  mesure qu’elle Ă©tait coupĂ©e. On liait la gerbe, on l’habillait en femme et, une fois amenĂ©e Ă  la maison, on la plaçait dans un endroit de la cuisine oĂą tout le monde pouvait la voir pendant le repas qui terminait la moisson. Cette gerbe portait le nom de gerbe Clyack… Depuis l’introduction de la faux, c’est le plus jeune garçon qui coupe la dernière gerbe ; la femme qui me donna ces dĂ©tails me dit que, lorsqu’il n’était pas assez fort pour manier la faux, un autre lui guidait la main. C’est la plus jeune fille qui recueille le blĂ©. Quand la gerbe est liĂ©e de trois liens, on Ă©galise les tiges et on ne les laisse pas toucher le sol. [5]»

Le fer, outre qu’il permet le fauchage et la « mort Â» des gerbes qui tombent sur le sol privĂ©es de leurs racines, s’en prend aussi Ă  l’esprit qui les habite. En Estonie, dans l’île d’Œsel, on ne mangeait pas le pain fait avec le nouveau blĂ© sans mordre un morceau de fer. « Il est clair que le fer est ici un charme, dont le but est de rendre inoffensif l’esprit qui loge dans le blĂ© [6]».

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Le conte du Chat bottĂ© de Charles Perrault a des antĂ©cĂ©dents ainsi Constantin le fortunĂ© de Straparole paru entre 1550 et 1553 traduit en français dès 1560 et Gagliuso de Giovan Battista Basile paru entre 1634 et 1636. James Frazer et Bertrand Hemmerdinger ont dĂ©celĂ© une origine Ă©gyptienne au nom Carabas. Philon, juif d’Alexandrie qui vivait Ă  l’époque du Christ, raconte « comment, lorsque Agrippa, petit-fils d’HĂ©rode, eĂ»t reçu la couronne de JudĂ©e des mains de Caligula, Ă  Rome, le nouveau souverain traversa Alexandrie pour se rendre dans son royaume. La turbulente population de cette grande citĂ© […] saisit l’occasion pour donner libre cours Ă  ses sentiments d’hostilitĂ©, en insultant publiquement le monarque juif, et en le ridiculisant. Entre autres moqueries, les gens se saisirent d’un dĂ©ment inoffensif […] qui avait l’habitude d’errer par les rues dans la plus complète nuditĂ©, et Ă©tait le jouet et la risĂ©e de tous les gamins et badauds. Ils installèrent le pauvre diable sur une place publique, lui enfoncèrent sur la tĂŞte une couronne de papier, lui fourrèrent un roseau brisĂ© dans les mains en manière de sceptre ; puis ils l’affublèrent d’une natte en guise de parure royale, et l’entourèrent d’une garde-du-corps armĂ©e de gourdins ; ils lui rendirent ensuite les honneurs, comme Ă  un roi, et firent semblant de prendre son opinion sur des questions de procĂ©dure et de politique [7]». Ils poussèrent ensuite les cris de « Marin ! Marin ! Â» qui, en grec, se dit « Karabas Â», pensant que cela signifiait « Seigneur Â» en syrien. Frazer fait l’hypothèse que le dĂ©ment Ă©tait juif et que les voyous alexandrins s’inspiraient d’une coutume juive de l’élection d’un faux roi qui vivait et d’un faux roi qui mourait dont la Passion du Christ serait un exemple. Barabbas dont le nom signifie « le fils du père Â» et qui ne serait qu’un titre rĂ©miniscence d’un très ancien sacrifice du fils du roi Ă  la place du roi lui-mĂŞme - comme celui d’Isaac -, fut prĂ©fĂ©rĂ© au Christ. Cette coutume aurait eu lieu Ă  la fĂŞte de Purim cĂ©lĂ©brant la victoire de MardochĂ©e sur Aman racontĂ©e dans le livre d'Esther, fĂŞte inspirĂ©e, par l’intermĂ©diaire de la Perse, de la fĂŞte des SacĂ©es ou de celle de Zakmuk qui Ă©taient peut-ĂŞtre une seule et mĂŞme fĂŞte. Au cours de celles-ci, un condamnĂ© Ă  mort Ă©tait choisi pour occuper le trĂ´ne du roi de Babylone pendant cinq jours au terme desquels il Ă©tait exĂ©cutĂ©. Le condamnĂ© remplaçait en fait le roi oĂą le fils du roi et mourait Ă  sa place contrairement Ă  l’ancienne coutume qui voulait que ce soit le roi qui laisse la place. On retrouve ces sacrifices dans d’autres rĂ©gions. En Suède le roi Aun, ou On, sacrifia neuf de ses fils Ă  Odin dans la ville d’Upsal afin de prolonger sa vie. Tous les 9 ans il en sacrifiait un pour vivre 9 ans de plus. Il voulut faire de mĂŞme avec le dixième et dernier fils, mais il Ă©tait tellement faible, se faisant nourrir au biberon, que les SuĂ©dois refusèrent. Il mourut et l’enterra finalement sous un tertre. En Grèce, lorsque Xerxès passa Ă  Alos, on lui raconta que « comme le roi Athamas n’avait pas Ă©tĂ© sacrifiĂ© en victime expiatoire pour tout le pays, les dieux dĂ©crĂ©tèrent que le rejeton aĂ®nĂ© de sa famille, Ă  chaque gĂ©nĂ©ration, devrait sans faute ĂŞtre sacrifiĂ© s’il mettait jamais le pied dans le prytanĂ©e oĂą un membre de la maison d’Athamas faisait des offrandes Ă  Zeus Laphystien. Xerxès apprit que plusieurs membres de la famille avaient fui Ă  l’étranger pour Ă©chapper Ă  ce sort ; mais certains Ă©taient revenus longtemps après ; des sentinelles les avaient surpris en train d’entrer dans le prytanĂ©e ; ils avaient Ă©tĂ© parĂ©s de guirlandes, conduits en procession et sacrifiĂ©s. [8]». J’aurai l’occasion de reparler d’Athamas.

Le dĂ©doublement des deux faux rois avec leur parèdre, Aman et Vashti, la reine dĂ©trĂ´nĂ©e, et MardochĂ©e et Esther, transposition du grand dieu et de la grande dĂ©esse babyloniens Mardouk et Ishtar, reprĂ©sentent l’énergie dĂ©faillante de l’hiver et la vigueur retrouvĂ©e du printemps, comme cela pouvait se passer en Europe le plus souvent. Le livre d’Esther a pour cadre la Perse et c’est de cet empire que les juifs dĂ©portĂ©s eurent connaissance de la fĂŞte des SacĂ©es. Une tradition perse met en scène la ChevauchĂ©e de l’homme sans barbe, borgne si possible, qui Ă©tait promenĂ© nu sur un âne, accompagnĂ© de la maison du roi, Ă  travers les rues de la capitale avec pouvoir de rançonner les commerçants. A la fin de la fĂŞte la populace avait le droit de le battre Ă  mort. Le « Carabas Â» d’Alexandrie a une certaine ressemblance avec le borgne, et avec le marquis du conte. Il se dĂ©shabille sous les conseils du chat qui fait croire Ă  sa noyade dans une rivière. « SauvĂ© Â» par les hommes du roi qui passait par lĂ , il est vĂŞtu magnifiquement d’habits royaux.

Un indice d’influence égyptienne sur le conte est la présence dans le Livre des morts d’un chat botté et ganté de blanc, représentant Râ, coupant avec un couteau la tête d’un serpent, le Dragon des ténèbres. Le chat ganté, ou Felix libycus, est une espèce de chat qui est à l’origine des chats domestiques actuels. Bastet, la déesse chatte, est le double de Sekhmet, la déesse lionne, toutes deux aspect de la déesse Hathor, nourrice du soleil au début du monde et son œil. Râ voulut punir les hommes révoltés contre lui en envoya son œil les décimer. Hathot se transforma en lionne féroce qui extermina tout ce qui avait apparence humaine. Pour arrêter la fureur d’Hathor, Râ répandit de la bière colorée en rouge sur le chemin de la lionne assoiffée de sang qui lapa le liquide, abusée. Enivrée, elle se transforma en chatte douce et maternelle, Bastet, déesse de la fécondité et de la moisson.

L’interfĂ©rence de la tradition grecque n’est pas Ă  Ă©luder, ce qui nous ramène Ă  l’alchimie. En effet, en grec, karabos signifie scarabĂ©e qui, dĂ©jĂ  symbole de rĂ©surrection en Egypte, porteur de corne, peut reprĂ©senter comme la licorne l’unicorne symbole de l’alchimique Mercure, de l’Esprit de vie qui anime aussi le blĂ© comme on l’a vu prĂ©cĂ©demment. « L’unicorne semble donc bien un « symbole unificateur Â» (C.G. Jung) alliant la force masculine de la corne et celle, fĂ©minine de la rĂ©ceptivitĂ© de la coupe [9]».

Quant à l’ogre qui cédera malgré lui toute sa fortune au marquis de Carabas, il est capable de métamorphose comme le dieu Protée et même Dionysos. Celui-ci rendit folles les filles de Minyas, roi d’Orchomène (l’Orcus latin est à l’origine du nom ogre), Alcathoé, Leucippé et Arsinoé qui avaient refusé de participer aux orgies présidées par le dieu déguisé en jeune fille, après s’être transformé en lion, taureau et panthère. Les prêtres orphiques considéraient Apollon, Soleil immortel et dieu de l’intellect, comme la partie immortelle de Dionysos, dieu des sens. Or il existe un Apollon Sminthien (de la souris) objet d’un très ancien culte et vénéré dans le sanctuaire de la Grande Déesse. Il était réputé être né où le soleil ne brille jamais, c'est-à-dire sous terre comme ces rongeurs. Des souris blanches étaient gardées dans les temples d’Apollon comme protection contre les invasions de leurs congénères et contre la peste. Les Philistins faisaient offrandes de souris d’or (I Samuel VI, 4), et ailleurs en Palestine on en mangeait sacramentellement (Esaïe 66, 17). On donnait à avaler une souris, symbole de guérison, enrobée de miel, aux enfants atteints de maladie incurable dans les régions de la Méditerranée orientale.

Les Commentaires hiĂ©roglyphiques de Piero Valeriano Bolzani donnent un rĂ©cit qui rĂ©duits les chats Ă  ĂŞtre des contrefaçons grotesques d’ Â« animaux Â» supĂ©rieurs. Apollon et HĂ©cate, la magicienne, se disputaient pour former les meilleures espèces animales, Apollon crĂ©a l’homme, Ă  quoi HĂ©cate rĂ©pondit en produisant le singe. Apollon formant ensuite le lion, elle fit le chat. Apollon, pour se moquer de ces pitoyables performances, fit par dĂ©rision le rat. HĂ©cate commanda alors au singe de faire la guerre au lion et au chat de poursuivre les rats.

De proche en proche on passe du lion dionysien à la souris apollinienne gage de santé et de pérennité pour le chat botté, destiné au sacrifice comme représentant de l’esprit du blé mais auquel le conte rapporte qu’il échappera. Sacrifié ou pas, le chat bénéficie selon le dicton de 9 vies, immortalisé par le peintre suisse Théophile-Alexandre Steinlen (Lausanne, 1859 – Paris, 1923) qui fit la décoration du cabaret Le Chat noir, créé en 1881 par Rodolphe Salis (Châtellerault, 1851 - 1897), se rendant célèbre pour ses affiches, et manifestant dans sa peinture des préoccupations sociales pour les exclus. « Mais combien savent quel centre ésotérique et politique s'y dissimulait, quelle maçonnerie internationale se cachait derrière l'enseigne du cabaret artistique ? D'un côté le talent d'une jeunesse fervente, idéaliste, faite d'esthètes en quête de gloire, insouciante, aveugle, inacapable de suspicion ; de l'autre, les confidences d'une science mystérieuse mêlées à l'obscure diplomatie, tableau à double face exposé à dessein dans un cadre moyenâgeux.[10] »

 


[1] James George Frazer, « Le Rameau d’Or Â», Laffont, tome III, p. 184-185

[2] ibid., p. 227

[3] A. Van Gennep, « Survivances primitives dans les cĂ©rĂ©monies agraires de la Savoie et du DauphinĂ© (Isère) Â» in Studie materiali di storia della religion, vol. LVI, fasc. 1-2, p. 86-134

[4] Pierre A. Riffard, « L’ésotĂ©risme Â», Robert Laffont, p. 272

[5] Walter Gregor, citĂ© par James George Frazer, « Le Rameau d’Or Â», Laffont, tome III, p. 111

[6] James George Frazer, « Le Rameau d’Or Â», Laffont, tome III, p. 228

[7] Ibid., p. 670

[8] James George Frazer, « Le Rameau d’Or Â», Laffont, tome II, p. 117

[9] Françoise Bonardel, « Philosopher par le feu Â», Seuil, p. 459

[10] Fulcanelli, « Les Demeures Philosophales », tome I, Pauvert, pp. 345-346