C’est par le château d’Oiron dans la Charente que l’on aborde le couple symbolique du fer, de la faux ou de la serpe, et du blé. En effet Oiron fut la possession du comte de Caravaz, qui aurait inspiré à Charles Perrault le nom du marquis de Carabas de son célèbre conte Le Chat botté. Le blé, ses produits dérivés et les activités qui s’en occupent sont au cœur du conte. Le maître du chat est en effet le fils d’un meunier. L’animal hérité met en application un plan qui conduira le jeune homme vers la fortune. La deuxième chasse du chat avec son sac lui donne l’occasion de capturer dans un champ de blé deux perdrix qu’il court offrir au roi au nom de son maître le Marquis de Carabas. Après avoir mis en contact le roi et le marquis, le chat menace des moissonneurs pour qu’ils affirment que le champ de blé qu’il fauche et qui est la propriété de l’ogre, appartienne à son maître. Le chat met hors d’état de nuire l’ogre dans son château et transfert toutes ses propriétés au marquis de Carabas qui épousera la fille du roi, tombée follement amoureuse de lui, la réciproque n’étant pas obligatoire, puisque cela n’est pas dit.
Ayant relevé l’importance du blé dans le conte, avec l’aide du Rameau d’or de James Frazer, considérons maintenant l’esprit du blé. Les hommes d’autrefois associaient à toute chose un esprit, un démon, qui la reliait aux puissances divines qui régissaient le monde. Ils marquaient ainsi leur respect pour les ressources dont ils tiraient leur subsistance. L’esprit du blé pouvait être représenté par toutes sortes d’animaux comme le cheval, le loup, la chèvre… et le chat. « L’esprit du blé prend parfois la forme d’un chat. Près de Kiel, on avertit les enfants de ne pas aller dans les champs de blé parce que « le Chat y est assis ». Dans l’Oberland d’Eisenach, on leur dit : « le Chat du Blé viendra te chercher » ; « le Chat du Blé va dans le blé ». Dans certaines parties de la Silésie, quand on fauche le dernier blé, on dit : « le Chat est pris » ; et au battage, on appelle Chat l’homme qui donne le dernier coup. Dans le voisinage de Lyon, on nomme Chat à la fois la dernière gerbe et le souper de la moisson. Près de Vesoul, quand on coupe le dernier blé, on dit : « Nous tenons le chat par la queue ». A Briançon, dans le Dauphiné, au début de la moisson, on affuble un chat de rubans, de fleurs et d’épis de blé. On l’appelle le Chat de la balle. Si un moissonneur se blesse en travaillant, on fait lécher la blessure par un chat. A la fin de la moisson, on affuble à nouveau le chat de rubans et d’épis de blé ; puis on danse et on s’amuse. La danse finie, les filles dépouillent solennellement le chat de ses atours. A Grüneberg, en Silésie, le moissonneur qui coupe le dernier blé porte le nom de Matou. On l’enveloppe de tiges de seigle et d’osiers verts, et on lui ajoute une longue queue tressée. Quelquefois, on lui adjoint un homme habillé de même, qu’on appelle la Chatte. Leur fonction consiste à courir après les gens qu’ils voient et à les battre avec un long bâton. Près d’Amiens, l’expression qui veut dire finir la moisson est : « On va tuer le Chat » ; et quand on a coupé le dernier blé, on tue un chat dans la cour de la ferme. Dans certaines parties de la France, quand on bat le blé, on place un chat vivant sous la dernière gerbe de blé à battre, et on le tue à coups de fléaux. Puis, le dimanche, on le fait rôtir et on s’en régale. Dans les Vosges, on appelle la fin de la fenaison ou de la moisson « la prise du Chat », et, plus rarement, « la prise du lièvre ». On dit que le Chat, le Chien ou le Lièvre, est gros ou maigre, selon que la récolte est bonne ou mauvaise. On dit de l’homme qui coupe la dernière poignée de foin ou de blé qu’il prend le Chat ou le Lièvre, ou qu’il tue le Chien. Les camarades le félicitent, et il a l’honneur de porter le bouquet, ou plutôt le petit sapin orné de rubans qui marque la fin de la fenaison ou de la moisson. En Franche-Comté également, on appelle la clôture de la moisson « la prise ou la mort du Chat » [1]». Les chats des villes ne sont pas plus à la noce. A Ypres en Flandres, les chats sont jetés du haut du beffroi de l’hôtel de ville, dans la deuxième semaine de carême, le mercredi des chats. A Metz, on brûla treize chats la veille de la Saint-Jean, jusqu’en 1773.
L’esprit du blé n’est pas loin du démon qui dès le XIIIème siècle s’incarnait en chat. Umberto Eco rappelle, dans le Nom de la Rose, l’histoire racontée par l’inquisiteur dominicain Etienne de Bourbon (Belleville-sur-Saône, vers 1190 – Lyon, vers 1261) dans les Sept dons de l’Esprit Saint. Saint Dominique prêchait à des femmes cathares en leur promettant qu’elles verraient qui elles adoraient jusqu’alors. Aussitôt un chat gros comme un chien aux yeux embrasés et à la langue longue et pendante apparaît.
Contrairement au fait que le chat représentant l’esprit du blé doive mourir à la fin de la moisson, la morale du conte rencontre l’interprétation de Bettelheim dans L’Interprétation des contes de fées. Quand on est défavorisé, victime désignée, mieux vaut partir avec un moral de battant que de se morfondre ; la roue tourne. Le chat botté symbolise le retournement de la situation a priori perdue grâce à la détermination et à l’astuce.
Dans l’histoire des religions, le sacrifice d’animaux remplace le sacrifice humain. Ainsi un agneau est substitué à Isaac que devait immoler Abraham à Dieu. Le sacrifice humain trouve sa justification dans les mythes comme celui d’Atys, dieu de la végétation qui meurt et ressuscite au printemps. Frazer en fait un dieu du blé, on l’appelait en effet l’épi du blé moissonné. On le fêtait pendant la période de la Pâque chrétienne. Le Christ, lui-même mourant et ressuscitant, est lié au blé par l’intermédiaire de l’hostie, pain sans levain « grillé entre deux fers ».
« A La Palisse, on suspend un homme fait en pâte de farine au sapin que l’on amène sur la dernière charrette de la moisson. On porte l’arbre et l’homme de pâte à la maison du maire, où ils restent jusqu’à la fin des vendanges. On célèbre alors la fin de la moisson par un banquet, au cours duquel le maire brise l’homme de pâte, et en donne les morceaux à manger aux habitants [2]». Qu’il soit sous forme humaine ou animal, la signification religieuse de la consommation du pain sous l’aspect de la victime est la même. « On se représente l’esprit du blé comme incarné dans un animal ; on tue cet animal divin et les moissonneurs consomment une partie de sa chair et de son sang… En outre, on fait à son image, et on mange suivant des formes sacramentelles, du pain ou des gâteaux qui remplacent la chair réelle de l’être divin [3]».
Les céréales permettent autant de faire du pain que de la bière, premier alcool connu des antiques Egyptiens, qui précédait sans doute l’apparition du vin. Pain et bière sont ainsi associés dans des cérémonies d’Europe du Nord. En Lituanie, vers l’époque des semailles d’automne, au cours de la fête de Sabarios (mélange), chaque fermier prenait 9 poignées de chaque sorte de céréales et de graines. Chaque poignée était partagée en 3, les 27 parts étaient ensuite jetées en tas dont on faisait des miches et de la bière. En décembre, on buvait la bière ainsi faite et chaque membre de la famille au cours d’une autre cérémonie devait vider 3 gobelets chacun 9 fois.
Le vin avec un titrage et un effet orgiaque supérieurs succéda à la bière dans certaines régions, et prit sans doute sa place, ce qui explique qu’il soit associé au pain dans l’eucharistie chrétienne.
La dernière gerbe de blé était aussi appelée « Mère du blé » ou « Vierge du blé », sans leur donner de noms propres. Or celle qui est la « Mère du blé » dans la mythologie grecque est la déesse Déméter, la Cérès romaine, qui institua les fameux mystères d’Eleusis au cours desquels on contemplait un épi de blé exposé comme l’hostie dans l’ostensoir. La vierge fait penser naturellement à Marie, mère de Jésus. Le portail nord de l’église Notre-Dame de Niort est surmonté d’une balustrade ajourée en forme d’inscription : O Mater Dei memento mei (Ô Mère de Dieu, souviens-toi de moi). Gérard de Sède parle de cette invocation qui se retrouve aussi à Gisors, à la fois dans la tour du prisonnier du château et dans l’église Saint-Gervais et Saint-Protais. Il note que c’est l’anagramme exacte de Amo Demeter enim timeo (j’aime Déméter car je la crains) et fait remarquer que Déméter est le nom grec de la déesse Isis. La déesse égyptienne rend vie à son frère et mari Osiris grâce à son souffle, comme Yahvé. En hébreu ruah (souffle) est traduit par esprit. Osiris, Atys, Christ parlent tous de résurrection qui, à l’origine, selon Paulette Duval, serait l’objet primordiale de l’alchimie.
Les origines lointaines de l’alchimie la rapprocheraient de l’initiation chamanique. Par la mort et le dépeçage de la « matière première », l’adepte parviendrait à l’illumination mystique, correspondant à la résurrection. Dans ses plus anciennes descriptions l’alchimie ne comporte que deux étapes : mort et résurrection, épiphanie lumineuse liée à l’influence de la Lune.
La Pierre est la force qui assure la cohésion de tout être. L’alchimiste est transfiguré au terme de l’œuvre mais ne se dissout pas dans la Lumière mystique. La résurrection est symbolisée par le signe igné et printanier du Bélier. La résurrection peut être cependant symbolisée par l’apparition de l’or, comme chez Zozime.
Osiris est le plomb, principe de toute liquidité. L’être séparé est souvent comparé à l’homme primordial qui aurait perdu sa virilité (Atys).
Dans le Bahir, un roi plante neuf palmiers, apparemment tous mâles qui ne peuvent se féconder. Alors il plante parmi eux un etrog, symbole féminin assimilé à la Schékina.
En grec palmier et rouge se disent tous deux phoinix. L’eau primordiale est assimilée à Osiris, au plomb enfermant le feu que l’œuvre doit dégager comme l’indique Olympiodore avec son eau mâle : arsenikon (arsenic). Selon l’énigme de la Sibylle et la solution apportée par Cardan et Leibniz, la Pierre est arsenic : « J’ai neuf lettre et quatre syllabes, entends-moi ; les trois premières syllabes ont chacune deux lettres, l’autre syllabe contient le reste des lettres. Cinq sont muettes, le nombre total exprimé renferme seize centaines plus trois plus quatre fois treize ». En grec le mot arsenikon vaut 506. En faisant intervenir le coefficient 0,281875 dont je ne connais pas la signification, Cardan et Leibniz ont égalé 506 à 16x100 x 0,281875 + 3 + 52 [4]. Adamah veut dire terre et rouge. Le véritable Adam, homme régénéré, homme debout, est celui qui a retrouvé le feu, l’or, la virilité et quitte l’état de terre stérile, l’homme couché.
Ainsi retrouve-t-on dans les rites de la moisson la séparation des sexes dans des rôles particuliers liés à l’utilisation d’outils réservés à l’un ou l’autre. « Avant l’introduction de la faux, on coupait le blé avec un heuck, espèce de faucille recourbée. C’était la plus jeune moissonneuse qui coupait la dernière gerbe. Comme le blé ne devait pas toucher le sol, le maître (gueedman) s’asseyait par terre, plaçait le lien sur ses genoux et recevait chaque poignée de blé à mesure qu’elle était coupée. On liait la gerbe, on l’habillait en femme et, une fois amenée à la maison, on la plaçait dans un endroit de la cuisine où tout le monde pouvait la voir pendant le repas qui terminait la moisson. Cette gerbe portait le nom de gerbe Clyack… Depuis l’introduction de la faux, c’est le plus jeune garçon qui coupe la dernière gerbe ; la femme qui me donna ces détails me dit que, lorsqu’il n’était pas assez fort pour manier la faux, un autre lui guidait la main. C’est la plus jeune fille qui recueille le blé. Quand la gerbe est liée de trois liens, on égalise les tiges et on ne les laisse pas toucher le sol. [5]»
Le fer, outre qu’il permet le fauchage et la « mort » des gerbes qui tombent sur le sol privées de leurs racines, s’en prend aussi à l’esprit qui les habite. En Estonie, dans l’île d’Œsel, on ne mangeait pas le pain fait avec le nouveau blé sans mordre un morceau de fer. « Il est clair que le fer est ici un charme, dont le but est de rendre inoffensif l’esprit qui loge dans le blé [6]».
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Le conte du Chat botté de Charles Perrault a des antécédents ainsi Constantin le fortuné de Straparole paru entre 1550 et 1553 traduit en français dès 1560 et Gagliuso de Giovan Battista Basile paru entre 1634 et 1636. James Frazer et Bertrand Hemmerdinger ont décelé une origine égyptienne au nom Carabas. Philon, juif d’Alexandrie qui vivait à l’époque du Christ, raconte « comment, lorsque Agrippa, petit-fils d’Hérode, eût reçu la couronne de Judée des mains de Caligula, à Rome, le nouveau souverain traversa Alexandrie pour se rendre dans son royaume. La turbulente population de cette grande cité […] saisit l’occasion pour donner libre cours à ses sentiments d’hostilité, en insultant publiquement le monarque juif, et en le ridiculisant. Entre autres moqueries, les gens se saisirent d’un dément inoffensif […] qui avait l’habitude d’errer par les rues dans la plus complète nudité, et était le jouet et la risée de tous les gamins et badauds. Ils installèrent le pauvre diable sur une place publique, lui enfoncèrent sur la tête une couronne de papier, lui fourrèrent un roseau brisé dans les mains en manière de sceptre ; puis ils l’affublèrent d’une natte en guise de parure royale, et l’entourèrent d’une garde-du-corps armée de gourdins ; ils lui rendirent ensuite les honneurs, comme à un roi, et firent semblant de prendre son opinion sur des questions de procédure et de politique [7]». Ils poussèrent ensuite les cris de « Marin ! Marin ! » qui, en grec, se dit « Karabas », pensant que cela signifiait « Seigneur » en syrien. Frazer fait l’hypothèse que le dément était juif et que les voyous alexandrins s’inspiraient d’une coutume juive de l’élection d’un faux roi qui vivait et d’un faux roi qui mourait dont la Passion du Christ serait un exemple. Barabbas dont le nom signifie « le fils du père » et qui ne serait qu’un titre réminiscence d’un très ancien sacrifice du fils du roi à la place du roi lui-même - comme celui d’Isaac -, fut préféré au Christ. Cette coutume aurait eu lieu à la fête de Purim célébrant la victoire de Mardochée sur Aman racontée dans le livre d'Esther, fête inspirée, par l’intermédiaire de la Perse, de la fête des Sacées ou de celle de Zakmuk qui étaient peut-être une seule et même fête. Au cours de celles-ci, un condamné à mort était choisi pour occuper le trône du roi de Babylone pendant cinq jours au terme desquels il était exécuté. Le condamné remplaçait en fait le roi où le fils du roi et mourait à sa place contrairement à l’ancienne coutume qui voulait que ce soit le roi qui laisse la place. On retrouve ces sacrifices dans d’autres régions. En Suède le roi Aun, ou On, sacrifia neuf de ses fils à Odin dans la ville d’Upsal afin de prolonger sa vie. Tous les 9 ans il en sacrifiait un pour vivre 9 ans de plus. Il voulut faire de même avec le dixième et dernier fils, mais il était tellement faible, se faisant nourrir au biberon, que les Suédois refusèrent. Il mourut et l’enterra finalement sous un tertre. En Grèce, lorsque Xerxès passa à Alos, on lui raconta que « comme le roi Athamas n’avait pas été sacrifié en victime expiatoire pour tout le pays, les dieux décrétèrent que le rejeton aîné de sa famille, à chaque génération, devrait sans faute être sacrifié s’il mettait jamais le pied dans le prytanée où un membre de la maison d’Athamas faisait des offrandes à Zeus Laphystien. Xerxès apprit que plusieurs membres de la famille avaient fui à l’étranger pour échapper à ce sort ; mais certains étaient revenus longtemps après ; des sentinelles les avaient surpris en train d’entrer dans le prytanée ; ils avaient été parés de guirlandes, conduits en procession et sacrifiés. [8]». J’aurai l’occasion de reparler d’Athamas.
Le dédoublement des deux faux rois avec leur parèdre, Aman et Vashti, la reine détrônée, et Mardochée et Esther, transposition du grand dieu et de la grande déesse babyloniens Mardouk et Ishtar, représentent l’énergie défaillante de l’hiver et la vigueur retrouvée du printemps, comme cela pouvait se passer en Europe le plus souvent. Le livre d’Esther a pour cadre la Perse et c’est de cet empire que les juifs déportés eurent connaissance de la fête des Sacées. Une tradition perse met en scène la Chevauchée de l’homme sans barbe, borgne si possible, qui était promené nu sur un âne, accompagné de la maison du roi, à travers les rues de la capitale avec pouvoir de rançonner les commerçants. A la fin de la fête la populace avait le droit de le battre à mort. Le « Carabas » d’Alexandrie a une certaine ressemblance avec le borgne, et avec le marquis du conte. Il se déshabille sous les conseils du chat qui fait croire à sa noyade dans une rivière. « Sauvé » par les hommes du roi qui passait par là , il est vêtu magnifiquement d’habits royaux.Un indice d’influence égyptienne sur le conte est la présence dans le Livre des morts d’un chat botté et ganté de blanc, représentant Râ, coupant avec un couteau la tête d’un serpent, le Dragon des ténèbres. Le chat ganté, ou Felix libycus, est une espèce de chat qui est à l’origine des chats domestiques actuels. Bastet, la déesse chatte, est le double de Sekhmet, la déesse lionne, toutes deux aspect de la déesse Hathor, nourrice du soleil au début du monde et son œil. Râ voulut punir les hommes révoltés contre lui en envoya son œil les décimer. Hathot se transforma en lionne féroce qui extermina tout ce qui avait apparence humaine. Pour arrêter la fureur d’Hathor, Râ répandit de la bière colorée en rouge sur le chemin de la lionne assoiffée de sang qui lapa le liquide, abusée. Enivrée, elle se transforma en chatte douce et maternelle, Bastet, déesse de la fécondité et de la moisson.
L’interférence de la tradition grecque n’est pas à éluder, ce qui nous ramène à l’alchimie. En effet, en grec, karabos signifie scarabée qui, déjà symbole de résurrection en Egypte, porteur de corne, peut représenter comme la licorne l’unicorne symbole de l’alchimique Mercure, de l’Esprit de vie qui anime aussi le blé comme on l’a vu précédemment. « L’unicorne semble donc bien un « symbole unificateur » (C.G. Jung) alliant la force masculine de la corne et celle, féminine de la réceptivité de la coupe [9]».
Quant à l’ogre qui cédera malgré lui toute sa fortune au marquis de Carabas, il est capable de métamorphose comme le dieu Protée et même Dionysos. Celui-ci rendit folles les filles de Minyas, roi d’Orchomène (l’Orcus latin est à l’origine du nom ogre), Alcathoé, Leucippé et Arsinoé qui avaient refusé de participer aux orgies présidées par le dieu déguisé en jeune fille, après s’être transformé en lion, taureau et panthère. Les prêtres orphiques considéraient Apollon, Soleil immortel et dieu de l’intellect, comme la partie immortelle de Dionysos, dieu des sens. Or il existe un Apollon Sminthien (de la souris) objet d’un très ancien culte et vénéré dans le sanctuaire de la Grande Déesse. Il était réputé être né où le soleil ne brille jamais, c'est-à -dire sous terre comme ces rongeurs. Des souris blanches étaient gardées dans les temples d’Apollon comme protection contre les invasions de leurs congénères et contre la peste. Les Philistins faisaient offrandes de souris d’or (I Samuel VI, 4), et ailleurs en Palestine on en mangeait sacramentellement (Esaïe 66, 17). On donnait à avaler une souris, symbole de guérison, enrobée de miel, aux enfants atteints de maladie incurable dans les régions de la Méditerranée orientale.
Les Commentaires hiéroglyphiques de Piero Valeriano Bolzani donnent un récit qui réduits les chats à être des contrefaçons grotesques d’ « animaux » supérieurs. Apollon et Hécate, la magicienne, se disputaient pour former les meilleures espèces animales, Apollon créa l’homme, à quoi Hécate répondit en produisant le singe. Apollon formant ensuite le lion, elle fit le chat. Apollon, pour se moquer de ces pitoyables performances, fit par dérision le rat. Hécate commanda alors au singe de faire la guerre au lion et au chat de poursuivre les rats.
De proche en proche on passe du lion dionysien à la souris apollinienne gage de santé et de pérennité pour le chat botté, destiné au sacrifice comme représentant de l’esprit du blé mais auquel le conte rapporte qu’il échappera. Sacrifié ou pas, le chat bénéficie selon le dicton de 9 vies, immortalisé par le peintre suisse Théophile-Alexandre Steinlen (Lausanne, 1859 – Paris, 1923) qui fit la décoration du cabaret Le Chat noir, créé en 1881 par Rodolphe Salis (Châtellerault, 1851 - 1897), se rendant célèbre pour ses affiches, et manifestant dans sa peinture des préoccupations sociales pour les exclus. « Mais combien savent quel centre ésotérique et politique s'y dissimulait, quelle maçonnerie internationale se cachait derrière l'enseigne du cabaret artistique ? D'un côté le talent d'une jeunesse fervente, idéaliste, faite d'esthètes en quête de gloire, insouciante, aveugle, inacapable de suspicion ; de l'autre, les confidences d'une science mystérieuse mêlées à l'obscure diplomatie, tableau à double face exposé à dessein dans un cadre moyenâgeux.[10] »
[1] James George Frazer, « Le Rameau d’Or », Laffont, tome III, p. 184-185
[2] ibid., p. 227
[3] A. Van Gennep, « Survivances primitives dans les cérémonies agraires de la Savoie et du Dauphiné (Isère) » in Studie materiali di storia della religion, vol. LVI, fasc. 1-2, p. 86-134
[4] Pierre A. Riffard, « L’ésotérisme », Robert Laffont, p. 272
[5] Walter Gregor, cité par James George Frazer, « Le Rameau d’Or », Laffont, tome III, p. 111
[6] James George Frazer, « Le Rameau d’Or », Laffont, tome III, p. 228
[7] Ibid., p. 670
[8] James George Frazer, « Le Rameau d’Or », Laffont, tome II, p. 117
[9] Françoise Bonardel, « Philosopher par le feu », Seuil, p. 459
[10] Fulcanelli, « Les Demeures Philosophales », tome I, Pauvert, pp. 345-346