Partie I - Généralités   Chapitre III - Alchimie et nonagones   

Le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle a une connotation alchimique premièrement parce que Saint-Jacques le Majeur a été pris pour patron par les alchimistes, ensuite en raison du pèlerinage qu’y firent, à leurs dires, Basile Valentin et Nicolas Flamel. A son retour, à Léon, le futur adepte parisien rencontre un vieux juif, Maître Canches, qui lui enseignera les secrets du grand Art avant de mourir dans ses bras à Orléans. Par ailleurs, le Chemin, par un jeu de mots que les alchimistes affectionnent, est celui du compost, où matière préparée du Grand Œuvre métallique, et de l’étoile qui surgit à un certain stade des travaux. La coquille Saint-Jacques, la mérelle, est aussi le symbole du Mercure.

Plusieurs lieux sur les nonagones correspondent à des haltes sur les Chemins de Saint-Jacques, traditionnels ou de liaison.

- Du Chemin partant de Vézelay (Via Lemovicensis) ou plus précisément d’Asquins, Maison-Dieu, Neuvy-Saint-Sépulcre, Bénévent-l’Abbaye, Châlus, Saint-Ferme, Saint-Sever.

- Du Chemin partant de Paris (Via Touronensis), déjà sur les nonagones, Etampes, Artenay, Amboise, Sainte-Catherine de Fierbois, Dangé-Saint-Romain, Châtellerault, Poitiers, Melle, Belin.

Notons que de Paris, le chemin passait par l'Hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, fondé par l'Ordre du même nom appelé aussi Ordre des Chevaliers du Tau. "Haut-Pas" vient de Altopascio, cité près de Lucques, qui se trouve sur la voie Francigena reliant Canterbury à Rome et sur le chemin italien de Saint-Jacques. Vers le milieu du Xème siècle un hôpital y fut fondé par plusieurs moines augustins. L'ordre prit un aspect militaire en vue d'escorter les pèlerins le long d'une route infestée de brigands. C'est donc le plus vieil ordre à la fois monacal et militaire. L'actuelle église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas qui fut bâtie à partir de 1630. Le principal architecte fut Daniel Gittard, qui travailla aussi à Saint-Sulpice, né à Blandy-les-Tours, où se trouvait probablement un établissment templier, le domaine d'Aiguillon.

D’autres haltes sur les chemins de liaison sont à compter : Brioude, Saint-Émilion, Aubeterre, La Rochelle, Lyon, Pons, Rouen, Chartres.

Le côté du grand nonagone Briscous – Rennes-le-Château passe à proximité de la jonction des Chemins venant de Paris et de Vézelay, au sud de Sauveterre de Béarn.

Saint Jacques le Majeur, fils de Zébédée et de Marie-Salomé et frère de Jean l’Evangéliste, est un apôtre de Jésus. Selon la légende dorée, à la mort du Christ, il prêcha en Judée et en Samarie. Puis il s’embarqua pour l’Espagne où sa prédication ne réussit qu’à convertir que 9 disciples et un chien. De retour en Judée, il eut maille à partir avec un magicien du nom d’Hermogène, s’opposant par l’intermédiaire de légion de démons. Vaincu, Hermogène voulut brûler ses grimoires, mais Jacques les lui fit jeter à la mer. Le Saint fut décapité -comme Sainte Valérie, Sainte Spérie, Saint Jean-Baptiste, Saint Quentin, Saint Barthélemy, Saint Symphorien, Saint Maurice que l’on rencontre sur les tracés des nonagones - sur les ordres d’Hérode Agrippa, le jour de l’Annonciation. Des disciples furent conduits miraculeusement en Espagne  sur un bateau sans gouvernail avec le corps de Jacques à son bord. Ils abordèrent en Espagne et eurent à faire à la reine Louve qui, malgré son opposition, dut consacrer son palais au saint.

Le Chemin de Saint-Jacques était destiné originellement aux maçons. C’est « un chemin initiatique de gens allant chercher, dans leur métier et par leur métier, une connaissance supérieure en même temps qu’une transformation profonde d’eux-mêmes [1]». L’ordre clunisien en a profité puis l’a aménagé pour les pèlerins pénitents en le détournant par endroit.

On trouve un autre rapport entre Saint-Jacques et les nonagones grâce à la Légende dorée de Jacques de Voragine, dans laquelle est cité à plusieurs reprises le pape Calixte II, né à Quingey. Il aurait rapporté « qu’un homme de Vézelai, dans un pèlerinage qu’il fit à Saint-Jacques, se trouvant à court d’argent, avait honte de mendier. En se reposant sous un arbre, il songeait que saint Jacques le nourrissait. Et à son réveil, il trouva près de sa tête un pain cuit sous la cendre, avec lequel il vécut quinze jours, tant qu’il arriva chez lui. Chaque jour il en mangeait deux fois suffisamment, et le jour suivant, il le retrouvait entier dans son sac [2]».

Le pape Calixte II est désigné comme l’auteur du Liber Sancti Jacobi, appelé aussi de ce fait Codex Calixtinus, par une lettre considérée comme apocryphe qui sert de préface au manuscrit. Le Codex est composé de 5 livres dont le dernier, le Guide du Pèlerin, comporte plusieurs chapitres attribués à ce même pape. Un de ces chapitres décrit la basilique Saint-Jacques, dans l’agencement de laquelle on retrouve le chiffre neuf, au XIIème siècle : « La Basilique Saint-Jacques mesure en longueur 53 fois la taille d’un homme, depuis la porte occidentale jusqu’à l’autel du Saint-Sauveur ; en largeur quarante fois moins une, depuis la porte de France, jusqu’à la porte méridionale ; quant à l’élévation intérieure, elle est de quatorze hauteurs d’homme […] L’église comporte neuf nefs dans sa partie inférieure et six nefs dans la partie haute [3]». Il y a 9 chapelles dont une plus grande que les autres, celle du Saint-Sauveur. Les autres sont celles de saint Nicolas, de la sainte Croix, de sainte Foy, de saint Jean, de saint Pierre, de saint André, de saint Martin et de Jean-Baptiste. Du côté nord, on accède à la fontaine Saint-Jacques, reposant sur trois degrés, en descendant neuf marches. La construction de la basilique n’étant pas achevée, l’auteur poursuit : « Il y aura neuf tours dans cette église : deux au-dessus du portail  de la fontaine et deux au-dessus du portail méridional ; deux au-dessus du portail occidental et deux au-dessus de chaque escalier à vis et la  plus grande surmontera la croisée du transept au milieu de la basilique [4]».

C’est la pape Calixte II qui transféra à Saint-Jacques-de-Compostelle le siège archiépiscopal attaché à Mérida et sacra Diego Gelmirez premier archevêque en 1120.

Un membre de la famille du duc de Lauzun, que l’on retrouvera dans le chapitre Littératures, Nompar II de Caumont effectua le pèlerinage de Saint-Jacques en 1417. Il raconte son voyage dans un manuscrit conservé au British Museum et en particulier un miracle survenu à Santo Domingo de la Cazalda. Une servante s’était éprise d’un garçon parti avec ses parents sur le chemin de Compostelle et qui n’en avait eu cure. Elle cacha la nuit une coupe dans les affaires du fils et l’accusa de vol le lendemain. Le garçon, accusé par la coupe retrouvée sur lui, fut pendu. Mais un prudhomme l’avait soutenu par les pieds si bien qu’il était encore vivant. Les parents demandèrent à faire dépendre leur enfant au juge qui s’y refusa. Mais un coq et une géline rôtis pour le repas du magistrat se mirent à chanter. La servante fut confondue et pendue à son tour. Nompart II de Caumont fit ensuite le pèlerinage de Jérusalem, et à son retour prit fait et cause pour les Anglais contre Charles VII. Il dut s’exiler en Angleterre où il mourut.


[1] Louis Charpentier, « Les Jacques », J’ai lu – Laffont, p. 133

[2] Jacques de Voragine, « La légende dorée », traduite par J.-B. M. Roze, Garnier Flammarion, p. 479

[3] « Guide du Pèlerin », traduit par Jeanne Vielliard, Vrin, p. 87

[4] ibid., p. 105