Partie II - Voyage dans le temps   Chapitre XII - Jacques Cœur   

Jacques cœur est né en 1395 à Bourges, d’un père pelletier originaire de Saint-Pourçain-sur-Sioule. Le futur Charles VII, fuyant les Bourguignons, se réfugie dans cette ville à la mort du duc Jean de Berry, son grand oncle, qui lui lègue son héritage en 1416. Jacques Cœur se marie dans ces années-là à Macée de Léodepart, fille du prévôt de la ville. Il s’associa avec Ravaut le Danois, dans un atelier de monnaie dont la ferme lui avait été concédée par Charles VII. Les demandes étaient si importantes que les maîtres de monnaie diminuèrent le poids de métal fin de chaque pièce pour en frapper une plus grande quantité. La cour des monnaies les condamna, mais le roi commua la peine en amende par lettre de rémission en date du 6 décembre 1429. On reprochera ce fait à Cœur lors de son procès bien qu’il fût déjà jugé. Il partit alors en Orient pour faire du commerce et réussit à reconquérir des marchés à la France qui en avait été pratiquement toujours absente. Sa réussite fit qu’il fut appelé par le roi à des fonctions publiques qu’il cumulait et mélangeait avec ses activités de banque, de commerce et d’industrie.

Jacques Cœur avait trois grands entrepôts en France, Bourges, Lyon et Montpellier qui fut très mécontente d’un déménagement vers Marseille qui se faisait progressivement. Des comptoirs avaient été créés à travers la France, à La Rochelle, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Beaucaire, Avignon, Collioure etc. avec des antennes en Europe. En 1451, Jacques Cœur comptait 300 « facteurs » dont Jean du Villages qui lui rendra bien service lors de son évasion, et qui sera comblé d’honneur par René d’Anjou, Charles VII et le duc de Calabre après la mort de son maître.

Maître de Mines attaché au bien-être de ses travailleurs, il obtient la concession du roi, de gisement dans le Beaujolais et le Lyonnais, connaissant le besoin des pays musulmans en cuivre, plomb et argent dont l’extraction pouvait contourner l’interdiction de l’exportation de monnaie chez les infidèles.

En 1438, il était argentier du roi, recevant du Trésor de quoi entretenir la Maison du roi, qu’il fournissait avec ses propres entrepôts, en fourrures ou tissus précieux. Puis il fut envoyé en province en diverses missions, pour réprimer des abus ou lever l’impôt. Il entra au Grand Conseil en 1442, et y siégera jusqu’à son arrestation. Il participera donc à la remise en ordre du royaume : diminution des redevances seigneuriales afin de faciliter la circulation des biens ; restauration et création de foires ; taxation des roturiers ayant acquis des fiefs, mais une ordonnance de 1439 en exemptait les bourgeois de Bourges, sans doute à la demande de Cœur ; remise en ordre des droits attachés à la Couronne ; assainissement de la monnaie et réorganisation du système fiscal etc.

En 1449, la trêve étant rompue entre Français et Anglais qui avaient pris Fougères par surprise, Charles VII entreprend la reconquête de la Normandie avec les subsides avancés par Jacques Cœur. C’est au château des Roches Tranchelion sur la commune d’Avon-les-Roches qu’il réunit son Conseil le 17 juillet pour partir en guerre. Le roi fera une entrée fastueuse dans Rouen le 10 novembre 1449, après avoir négocier la reddition de la ville. Après la victoire de Formigny, le 15 avril 1450, avec une nouvelle avance de Cœur, les armées du roi mirent le siège devant Falaise et Domfront qui capitulèrent. Cherbourg résista, l’amiral de Coëtivy, gendre de Gilles de Rais, mourut au cours de l’assaut. Glower ne se résigna à rendre la ville qu'en échange de la libération de son fils et d’une somme de 40 000 écus, dédommagement et rapatriement en Angleterre compris. C’est toujours Jacques Cœur qui prêta l’argent, ou plutôt le donna, puis que le roi ne remboursa jamais comme on va le voir.

Jacques Cœur remplit des missions diplomatiques. A Rome et à Lausanne, il négocia, avec d’autres envoyés du roi, la démission de l’anti-pape Félix V, alias Amédée VIII de Savoie, élu par le concile. Amédée reconnut finalement Nicolas V comme seul pape, qui trouvait en Cœur un ami.

Un procès, celui  de Jean de Xaincoins, trésorier et receveur général des finances, membre du grand Conseil, qui avait assumé les fonctions de commissaire royal en province et gérait les finances de la reine, se termina quelques jours avant l’arrestation de Jacques Cœur. Celui-ci avait participé à la commission présidée par le roi qui constata les malversations commises par Jean de Xaincoins. Il fut condamné à verser une amende de 60 000 écus d’or, à être emprisonné et privé de ses biens. L’argentier devait donc se sentir menacé, puisque même un haut personnage de l’Etat, manipulant les finances du royaume avait été mis en cause. Pourtant, le 26 juillet 1451, le roi accordait à Cœur la somme de 762 livres pour son entretien.

Jacques Cœur fut subitement arrêté le 31 juillet suivant. L’enquête fut menée par plusieurs commissaires dont Chabannes, ennemi de l’accusé et Castellani, accusateur de l’argentier.

Le déclencheur de sa chute fut la dénonciation de Jeanne de Vendôme qui l’accusa d’avoir empoisonner Agnès Sorel, maîtresse du roi, qui mourut en couche, en janvier 1449, deux ans plus tôt. Aujourd'hui, une expertise de son cadavre a révélé qu'Agnès Sorel est décédée d'une trop forte dose de mercure qu'elle employait sûrement pour soigner ses parasites intestinaux - dont les traces ont été retrouvées lors de l'examen. Mais l'on ne sait si c'est par accident ou par malveillance que cela s'est produit. [1]. La commission, devant l’expertise du médecin qui soigna la favorite, dut disjoindre par la suite ce chef d’accusation. Le roi aurait affirmé que « s’il n’était trouvé chargé d’empoisonner la dicte Agnès Sorelle, il lui remettait tous les autres cas dont on lui faisait charge ». Mais il ne tint pas son engagement. Le procès se poursuivit.

Les chefs d’accusation mis en avant furent au nombre de 7, en dehors de la conspiration contre la personne du roi dont parlaient les commissaires dans leur rapport d’enquête :

-           cadeau fait au soudan d’Egypte d’un lot d’armes de parade

-           remise d’un esclave chrétien fugitif réfugié à bord d’une caraque de Jacques Cœur aux Egyptiens

-           Exportation de monnaies chez les infidèles, billons fondus ou lingots

-           Embarquement forcé à bord des galées

-           Emission de fausse monnaie, chose déjà amnistiée en 1429

-           Contrefaçon d’un sceau royal

-           Spéculations

La défense de Jacques Cœur était de demander le privilège de clergie, qui était rendu probable par le décès de sa femme Macée de Léodepart, début 1453. Mais on ne retrouva les lettres le prouvant qu’après qu’il eut été torturé, entendu la sentence et condamné à l’amende honorable dont la séance eut lieu le 6 juin 1453. Ces lettres qu’elles fussent authentiques ou non, peut-être fournies par le pape Nicolas V, ami de Jacques Cœur, ne serviront à rien. Les commissaires refuseront de recevoir leurs porteurs diligentés par l’évêque de Poitiers, Jean des Ursins. La défense fut aussi entravée par le refus d’enregistrer les témoignages à décharge. Brisé par les séances de torture, il finit par avouer pratiquement tout ce qu’on lui reprochait.

Jacques Cœur fut condamné à verser 400 000 écus à la couronne, ses biens étant confisqués, à racheter l’esclave chrétien renvoyé à Alexandrie, et à être banni perpétuellement une fois l’amende payée. Jeanne de Vendôme, la dénonciatrice, fut, elle aussi, condamnée à l’amende honorable et bannie de la Cour.

Jacques Cœur avait des créances sur toute la haute société de son temps. Sa condamnation libéra à moindres frais ses débiteurs et en premier chef le roi lui-même, tandis que ses domaines étaient adjugés pour beaucoup moins que ce qu’ils valaient.

Jacques Cœur trouva refuge au couvent des cordeliers de Beaucaire, mais y fut victime d’une tentative d’assassinat par le poison et par objet contondant, un maillet de plomb. Des hommes rassemblés par Jean du Villages et lui-même parvinrent jusqu’à Beaucaire depuis Marseille. Ils prirent d’assaut le couvent cerné par les gens de Castellani et firent évader l’ancien argentier du roi de France. A Rome, il devint capitaine général des galères et partit en croisade pour secourir les îles du Dodécanèse. Atteint d’une maladie, il meurt à Chio le 25 novembre 1456, jour de la sainte Catherine. Inhumé dans l’église des cordeliers de l’île, ses restes disparurent avec la démolition du sanctuaire. L’année 1456 est celle de l’annulation de la condamnation de Jeanne d’Arc qui contribua comme lui à la libération de la France.

Louis XI, né à Bourges, en montant sur le trône en 1461, restitua à Geoffroy Cœur tous les biens de son père qu’Antoine de Chabannes avait accaparés, c’est-à-dire Saint-Fargeau et les seigneuries dépendantes. Chabannes avait été condamné à la prison. En 1464, il s’évade de la Bastille et participe à la Ligue du Bien Public dirigée contre le roi. Pendant la révolte, il s’empara des terres rendues à Geoffroy Cœur et de celui-ci. Louis XI préféra négocier si bien que Chabannes se vit confirmer ses possessions ce qui le motiva pour demander restitution des revenus que le fils de Jacques Cœur avait réalisés pendant ce temps. Chabannes rentré en grâce, Geoffroy Cœur fut dédommager en étant élevé au titre de chevalier, et nommé membre du grand Conseil et maître de l’hôtel du roi. Il mourut seigneur de la Chaussée, nom du palais de Bourges et de ses dépendances, d’Augerville, de Beaumont, de Géronville et de Boulancourt.

Georges Bordonove, fait remarquer qu’à l’avènement de Louis XI, la famille Cœur fut élevée, et il en tire la conclusion que Jacques Cœur avait partie liée avec lui quand il était dauphin, en lui accordant un prêt par exemple, pour le ménager puisqu’il était le futur roi désigné. Le futur Louis XI s’était retiré en Dauphiné, loin de la Cour, après la Praguerie, révolte des grands du royaume contre Charles VII, dont il avait pris la tête Cette collusion entre le dauphin et l’argentier pouvait être considérée comme une trahison.

 

[1] Dr Charlier, « Tout s'explique », France Inter, 25-08-2006