Partie X - 22 v’la l’Tarot   Chapitre II - Kabbalisation du Tarot   X - Roue de la Fortune . XXI - Monde   

X – La Roue de la Fortune – Ishim – Anges – Sandalphon – Malkuth - 16 avril – Joachim de Sienne - Yod

XXI – Le Monde – Lilith – 15 octobre – Thérèse d’Avila - Shin

La Roue de la Fortune

La roue adopte la forme du rond, du sipos de l’abaque, du zéro qui forme le chiffre 10, numéro de la carte. Le rond est aussi la forme du globe sur laquelle est juchée la Shekhina de la carte XXI du Monde.

Le Monde

Les Juifs exilés, sans Temple, sans culte sacrificiel, sans prophète, vivent humiliés, vilipendés, persécutés comme le Serviteur souffrant d'Isaïe (chap. 52, 13-53), mais ils n'en restent pas moins liés à Dieu par l'alliance de la circoncision et l'alliance du shabbat. Certes, en proférant un seul mot, le credo de leurs adversaires, chrétiens et musulmans, ils pourraient facilement rejoindre la majorité et échapper à leur humiliation; mais ils ne le font pas par fidélité à leur Dieu qui ne peut manquer de tenir compte de leur fermeté et leur constance. La Majesté divine (Shekhina) semble s'être retirée loin d'eux; en réalité, seule la Shekhina manifeste n'est plus avec eux mais la Shekhina cachée continue à les assister (Judah (ha-levi), Charles Touati, Le Kuzari: apologie de la religion méprisée, 2006).

Ce qui cachait la Shekinah des yeux des profanes est le rideau qui séparait le Saint des Saints du reste du Temple. Rideau que semble porter la femme montée sur le globe, la « machine ronde ». En véritable globe trotter est tranformée la Shekinah par son errance.

La Shekhina, la présence de Dieu qui descend sur les hommes et habite parmi eux, est comprise comme une scission en Dieu même. Dieu lui-même se sépare de soi, il marche avec son peuple, il subit avec lui sa souffrance, avec lui il s'exile dans la misère des mondes étrangers, et avec lui il partage son existence aventureuse. » (Franz Rosenzweig, L'étoile de la rédemption, 2003).

Au deuxième ciel de la Révélation de Moïse, des anges ont leurs faces tournées vers la Shekinah, ils chantent un hymne de louanges à Dieu. Metatron explique à Moïse que ces anges gouvernent les nuées, les vents, les orages. (Ioan P. Culianu, Expériences de l'extase: extase, ascension et récit visionnaire de l'hellénisme au Moyen Age, 1984).

Ils ressemblent aux chérubins souflant sur le globe, leur face tournées vers la femme centrale.

Sandalphon

L'ange Sandalphon est déjà connu du Talmud. Dans le traité Hagïgâ 13b 3), au sujet de Ez. 1, 15… et voici qu'il y avait une roue à terre. R. Eliézer dit : « [Cette roue] est un ange qui est sur terre et sa tête atteint les Hayôt. Une berâytâ enseigne que son nom est Sandalphon; il est plus grand que son compagnon de 500 années de marche et se tient derrière la Merkâbâ; il tresse des couronnes [pour son Créateur] ». Sandalphon est donc en quelque sorte le pont entre la terre et le monde céleste. Sa dimension gigantesque, qui lui permet de relier le ciel et la terre, est soulignée aussi par le midrash) et dans un texte de la littérature de Merkâbâ.

Dans la mystique juive médiévale, Elie a été identifié à l'ange Sandalphon, le frère jumeau de Métatron, en fonction d'une analogie explicite avec l'identification de Métatron à Hénoch (voir Yalqout Réoubéni 54b, 58a). L'identification Élie = Sandalphon signifiait peut-être que les enseignements transmis comme des « révélations » du Prophète relevaient d'un courant ésotérique qui se situe dans le prolongement de la mystique de la Merkâbâ (Azriel (of Gerona), Commentaire sur la liturgie quotidienne, Volume 5 de Études sur le judaïsme médiéval, traduit par Gabrielle Sed-Rajna, 1974).

Elie

Elie le Tishbite, de Tishbé en Galaad (sur les hauteurs d'une chaîne montagneuse à l'est du Jourdain), s'appelait Elliyyahou, l'Ancien testament a laissé l'image d'une personnalité religieuse extrêmement riche, contrastée et complexe. Si l'aspect acétique est indéniable, c'est avant tout un solitaire. Elie passera sa vie à ramener ses contemporains au yahwisme absolu et exclusif, au monothéisme d'Abraham et de Moïse, en s'opposant aux adeptes et prophètes du culte de Baal (dans la bible ce mot ne désigne aucune identité précise, mais rassemble toutes les divinités qui pourraient détourner le peuple de Yahvé du droit chemin), et de la déesse Ashérah, qu'il confond devant le peuple massé sur les pentes du mont Carmel, à la suite d'une intervention spectaculaire de Yahweh qui, par un orage, met fin aux trois années et six mois de sécheresse qu'il avait prédit à Achab, roi d'Israël (874 † 853 avant JC).

Pâque et Elie

En fait, nous savons que le prophète Élie se rend volontiers au seder (repas de Pâques), mais seuls les yeux purs peuvent l'apercevoir. L'évocation d'Élie tient une place considérable dans les prières et la liturgie juives. Des dizaines de chants populaires lui sont consacrés et sont chantés notamment le samedi soir, après la sortie du chabbat.

La tradition juive attend le retour du prophète Elie qui sera suivi immédiatement par l'arrivée du Messie. Le rituel du seder, ou repas pascal, exige-t-il quatre ou cinq coupes ? Élie, qui résout tout, le dira quand il viendra. Car le précurseur du Messie visite la nuit de Pâque toute maison juive. La nuit de la Pâque, on l'attend et on lui réserve la cinquième coupe, coupe messianique, remplie mais non distribuée, c'est la « koso shel Eliyahou ». La coupe d'Élie est prête sur toutes les tables et le père de famille va ouvrir la porte pour voir si Élie n'attend pas dehors.

Non seulement Élie inaugure à chaque nuit de Pâque l'avènement improbable du Messie identifié par avance à la libération de la servitude d'Egypte, mais il donne son nom à la banquette sur laquelle, dans les vieilles synagogues d'Alsace, on circoncit le nouveau-né au huitième jour, celui de la venue du Messie. On l'appelle le « siège d'Élie ». Quand on ne dispose ni de synagogue, ni de cette banquette, on prend n'importe quel siège et on le baptise « siège d'Élie » – kisséh Eliahou hanavi, de sorte que le parrain, qui est souvent le grand- père, prenne le bébé sur ses genoux pendant la cérémonie de circoncision (Claude Vigée, Anne Mounic, Mélancolie solaire: nouveaux essais, cahiers, entretiens inédits, poèmes, 2008, Pierre Bourriquand, L'évangile juif: la liturgie synagogale source du premier évangile, 2007).

La transmission des secrets de la Torah par une âme venue du monde d'En-Haut à un Juste vivant n'est pas une innovation du Hassidisme. Tel était déjà mode d'initiation traditionnel des Kabbalistes.

Considéré comme l'un des pères de la Kabbale Rabbi Isaac l'Aveugle était aveugle de naissance et surnommé Sagui Nahor : riche en lumière, celles de la spiritualité et de la clairvoyance, éclairé des enseignements du prophète Élie.

Il n'est pas aisé de déterminer l'origine de la Kabbale de Provence. Les kabbalistes eux- mêmes se contentèrent d'affirmer que la doctrine ésotérique avait été révélée par le prophète Élie à Jacob ha-Nazir, au début du XIIème siècle. Le prophète Élie apparaît au rabbin Siméon ben Jochaï, et lui révèle les mystères de la kabbale. Cette date peut être considérée comme le point de départ de la rédaction du Zohar, ou livre de la lumière.

Rabbi Yits 'hak Louria, le « Ari Zal », Maître de l'école kabbalistique de Galilée (1500-1536) recevait les mystères de la bouche du prophète Elie et, plus tard, le Baal Shem Tov, de celle du Maître d'Elie, Ahya de Shilo. La transmission s'opère ensuite de Rabbi à Rabbi (Israël Goldberg, Prince d'Israël: le journal de rabbi Yosseph Yits'hak Schneerson de Loubavitch, 2008).

C’est encore un Elie, Elie del Medigo qui apparaît comme le plus célèbre de ces Juifs qui font connaître le judaïsme, ainsi que des notions de kabbale, à Pic de la Mirandole.

Pâques et Elie

Al-Khadr est assimilé au prophète Élie et à saint Georges. Il s’identifie aussi à d’autres personnages de l’histoire sainte, dont Éliezer à ‘Awarta ainsi que les tombes de son fils Phinéas, d’Itamar et des 70 Anciens situées à proximité de ce village : tous sont associés à Al- Khadr. Cette assimilation concerne un nombre assez remarquable de sites, sans d’ailleurs que l’assimilation tantôt à saint Georges, tantôt à Élie (de loin les deux cas les plus fréquents) ne suive une loi géographique. Elle occupe une grande place dans la piété populaire. D’après A. Augstinovic, qui s’est efforcé de repérer systématiquement les lieux associés à Al-Khadr, l’assimilation la plus claire sur le plan thématique est l’identité d’Al-Khadr et Élie ; cependant, les sites consacrés à saint Georges sont aussi systématiquement rattachés à Al- Khadr que ceux associés au prophète du Mont Carmel. On pourrait supposer qu’il s’agit d’une association à caractère topique, mais dans un même endroit, les associations à l’une et l’autre figure peuvent se superposer : ainsi le couvent de Mar Élias entre Jérusalem et Bethléem est réputé abriter les chaînes de saint Georges. Dans ce dernier cas, Jawhariyyah va jusqu’à affirmer que la référence à Élie dans le nom du couvent est fortuite, destinée à protéger le lieu des attaques des bédouins musulmans des environs, qui révèrent le prophète comme Al- Khadr. Ailleurs, comme à Al-Lidd, c’est saint Georges, figure qui à la différence d’Élie n’est pas révérée en islam, qui est identifié par les musulmans de la ville comme Al-Khadr. L’assimilation ne constitue pas une identification systématique aux deux figures à la fois, ni une fusion entre Élie et saint Georges, même si cette dernière arrive (Philippe Bourmaud, Une sociabilité interconfessionnelle, Lieux saints et fêtes religieuses en Palestine (XIXe siècle-1948)).

Taybeh apparaît pour la première fois dans l’histoire, sous le nom d’ « Ophra », dans le livre de Josué (18, 21-24), une des « douze villes avec leurs villages » attribuées a la tribu de Benjamin – entre celle d’Éphraïm au Nord et celle de Juda au Sud. Ophra était donc un petit bourg dont dépendaient des villages ou hameaux – ses « filles ». La grande gloire de Taybeh vient plus tard : c’est d’avoir été le dernier refuge du Christ avant de monter à Jérusalem pour l’ultime Pâque… En effet, après la résurrection de Lazare à Béthanie, le Sanhedrin a décidé la mort de Jésus : « Aussi, Jésus cessa de circuler en public parmi les Juifs ; il se retira dans la région voisine du désert, dans une ville appelée Ephraïm, et y séjourna avec ses disciples. » (Jean 11, 54) Mais le témoignage le plus net reste les ruines byzantines d’El-Khader, l’église antique dont les plus anciennes parties, dont le baptistère monolithe, remontent au 4e siècle. Cette église, dédiée à la fois à saint Elie et saint Georges, a été ensuite remaniée par les croisés qui occupèrent Ephraïm. Le changement de nom d’Ephrem en Taybeh date de la prise de Jérusalem par Saladin, passant d’Ofra ou Afra se rapprochant en arabe d’ « afrit », « démoniaque », à Taybet- el-Essem, « de bon nom », correspondant au grec « euonomos », « bon nom » (pastoralesaintpaul16.over-blog.net - Taybeh).

Le rapprochement des représentations populaires de saint Georges et de saint Elie est un phénomène qui se rencontre aussi en Russie, en Bulgarie. Dans certaines paroles magiques russes destinées à protéger du serpent volant, les deux saints viennent ensemble à bout du féroce serpent de feu. Dans une chanson entonnée lors de la procession autour du village, à Pâques, les fêtes de saint Georges et de saint Élie sont mentionnées juste après celle Pâques : « Va dans la grange, là tu verras trois fêtes, la première celle du Christ, la seconde celle de saint Georges et la troisième celle de saint Elie moissonneur » (Nadezhda Stangé-Zhirovova, Une autre Russie: fêtes et rites traditionnels du peuple russe, Volume 10 de Europe de tradition orale, 1998).

Boîteux

L’une des étymologie curieuse du nom de Sandalphon issu du grec est « son de la sandale ». Sandalphon est « l'ange de la sandale » (Marc-Alain Ouaknin, Mystères de la kabbale, 2000).

Jason perd une sandale, devient boîteux, mais il l’avait « perdu » avant de transporter Héra déguisée, car il n’était pas reconnu comme héritier légitime du trône d’Iolcos, la paire de sandales étant les deux parties du symbole, dont une fonction est la reconnaissance parmi un groupe.

La boîterie se trouve dans le premier Livre des Rois, où Elie, au Mont Carmel, pratique une étude comparative entre YHWH et Baal.

Elie s'approcha de tout le peuple et dit : «jusqu'à quand boiterez-vous sur les deux « jarrets » ? Si Yhwh est le dieu, allez derrière lui, si c'est Baal, allez derrière lui ! ». Et le peuple ne lui répondit aucune parole. « Vous appellerez au nom de votre dieu et moi j'appellerai au nom de Yhwh, mon dieu. Et sera le dieu, celui qui répond par le feu, lui sera dieu".

Elie n'accuse pas le peuple de s'être détourné de Yhwh ou de suivre Baal. Elie constate la claudication religieuse d'Israël dont la royauté est responsable. L'inclusion formée par le silence du peuple, « et le peuple ne lui répondit pas» et sa réponse, «tout le peuple répondit et lui dit : « cette parole est bonne » est éloquente à cet égard. Le peuple demeure dans l'errance religieuse. Il ne proteste pas, il ne prend pas parti et ne s'oppose pas non plus à l'alternative proposée par Elie. Le peuple boiteux est devenu narrativement un peuple sans dieu. Un des enjeux du récit est de déterminer l'appartenance religieuse du peuple, « Si Yhwh est le dieu, allez derrière lui, si c'est Baal, allez derrière lui ! » Dans l'enjeu de l'ordalie du Carmel, le peuple est au centre de la compétition entre les dieux. La question d'Elie peut être traduite ainsi : de quel dieu êtes vous le peuple ? De Yhwh ou de Baal ? Les holocaustes préparés sur les autels dressés sont une invitation à laquelle Baal et Yhwh ont à répondre. Cette réponse attendue devient le signe qui détermine l'identité de la divinité en Israël et, pour le peuple, elle sert à nouer une relation d'appartenance et de communion avec le dieu vainqueur (Dany Nocquet, Le "livret noir de Baal").

Si l'on pousse jusqu'à son terme ultime, sa pointe extrême, le type de déhanchement que met en œuvre la progression du boiteux, ce mouvement de bascule rejoint à la limite une autre forme de locomotion, supérieure cette fois et plus qu'humaine, à savoir cette démarche tout entière basculée, complètement circulaire qui caractérise, aux yeux des Grecs, diverses catégories d'êtres exceptionnel» : au lieu de pousser droit devant eux, en écartant les jambes, chaque pied à la suite de l'autre, ces êtres ont en commun de progresser en rond, comme on fait la roue, toutes les directions de l'espace confondues dans un tournoiement où s'abolit cette opposition de l'avant et de l'arrière qui, en donnant un sens à la marche de l'homme normal, lui impose du même coup de rigoureuses limites. Circulaire apparaît ainsi la démarche d'Héphaïstos, le divin boiteux, quand il « roule », en son atelier, autour de ses soufflets ; circulaire aussi celle des hommes primordiaux, ces êtres « complets » comparés aux humains d'aujourd'hui coupés en deux (suivant l'axe qui détermine le clivage avant- arrière), tels que les campe le récit d'Aristophane, dans le Banquet : grâce au décalage de chacune de leurs quatre jambes par rapport aux trois autres (sans quatre bras qui se conjuguent aux membres inférieurs), ces boiteux extrêmes — ces boiteux tous azimuts pourrait-on dire — avancent et reculent indifféremment en faisant la roue, semblables par leur mode circulaire de locomotion aux trépieds montés sur roulettes que fabrique (à la semblance du dieu) la magie d'Héphaïstos pour que ces automates animés se déplacent aussi aisément vers l'avant qu'en sens inverse - semblables encore à ces animaux de l'île du Soleil dont la démarche rotatoire, attestée par lamboulos, témoigne, entre autres merveilles, de la supériorité des insulaires sur le commun des mortels (Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Oedipe et ses mythes, 2006).

Pour Primase évêque d'Adrumète, une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement. Ceux-là sont tombés dans l'aveuglement qui n'ont pas cru en Jésus-Christ, et c'est ce que figura Jacob devenu boiteux , afin que la plénitude des nations entrât. Lorsque la plénitude des Nations aura reçu la Foi, on croit que les Juifs qui se trouveront à la fin des siècles, deviendront aussi eux-mêmes fidèles. Selon qu'il est écrit dans le Prophète Isaïe, « Il sortira de Sion un Libérateur, qui bannira l’impiété de Jacob : ce que personne ne pouvait faire auparavant. Et c'est l’alliance que je ferai avec eux. Ce sera la nouvelle alliance que Jérémie promet. Lorsque s’effacera leurs péchés, c'est-à-dire lorsqu'étant purifiés par le Baptême ils entreront dans cette nouvelle alliance (Tradition des Saints Pères sur la conversion future des juifs, 1724).

Le Prophète Isaïe dans le 35. chapitre v. 4. prévoit les grands miracles que le Sauveur doit faire. Voici votre Dieu qui vient pour vous sauverai ouvrira les yeux des aveugles pour voir le jour, et il ouvrira les oreilles des sourds pour entendre. Le boiteux bondira comme le cerf, et la langue des muets fera déliée.

Saint Matthieu montre que cela s'est accompli en la présence du Messie. Nous voyons dans le 10. ch. l'instruction que le Sauveur donne à ses Apôtres touchant la doctrine de l'Evangile, et la puissance qu'il leur donne d'un autre côté pour chasser les esprits immondes, et guérir toute forte de maladies et de langueur : les aveugles recouvraient la vue, que les boiteux marchaient droit, les lépreux étaient nettoyez , les sourds recouvraient l'ouïe, les morts ressuscitaient, et que l'Evangile était annoncé aux pauvres (Honoré Simon, Le grand dictionnaire de la BibleAuteur, 1768).

Les Carmes

La tradition donne au fondateur historique de la congrégation des ermites du mont Carmel le nom de Berthold de Solignac (? † 1198), qui aurait été parent d'Aymeric de Malifaye, patriarche d'Antioche (1141 † 1193).

Son successeur, Broccard, demande et obtient vers 1205 du patriarche de Jérusalem, Albert Avogadro, évêque de Vercelli en Italie, une Norme de Vie très courte (dont une partie est une reprise littérale de la Règle de saint Augustin), qui repose sur la devise Ora et labora (prie et travaille), mieux adaptée à leur vie érémitique et contemplative que la Règle de Saint Augustin apparemment suivie jusqu'alors. Le 14 septembre 1214, durant une procession à Saint-Jean-d'Acre, Albert Avogadro est assassiné à coups de couteau par un prélat qu'il avait déposé pour inconduite. Il sera canonisé sous le nom de saint Albert.

Une des conséquences de ce drame sera l'absence d'approbation officielle de la Norme de Vie avant le 4ème concile de Latran (1215), qui interdit d'établir de nouveaux ordres religieux dans l'Eglise, et les ermites du Carmel furent ainsi contraint de lutter pour survivre face aux prélats qui contestaient leur existence en tant que congrégation. Il faudra attendre le 30 janvier 1226 pour que cette Règle primitive soit approuvée par le pape Honorius III, qui, selon la légende, aurait été sévèrement admonesté lors d'une apparition de la Vierge Marie, sous la protection de laquelle s'étaient placés les ermites du Carmel. Cette même Règle primitive fut de nouveau confirmée le 6 avril 1229 par le pape Grégoire IX, qui interdit cependant aux Carmes de recevoir des biens immobiliers et des rentes, infléchissant ainsi l'évolution de l'Ordre initialement érémitique en ordre mendiant. Les Carmes qui se trouvent encore dans un état intermédiaire entre la vie des laïcs et celle des religieux, ne se répandirent que très lentement en Terre Sainte. Dès 1238, à la suite des revers militaires éprouvés par les croisés, ils commencèrent d'essaimer en Occident. Bien qu'épargnés dans un premier temps par les musulmans, sans doute à cause de leur vénération pour le prophète Elie, les Carmes perdirent les uns après les autres tous leurs établissements de Palestine et de Syrie jusqu'à la prise de Saint-Jean-d'Acre par le sultan égyptien, accompagnée de la destruction finale du couvent du Carmel, et du massacre de tous ses frères en 1291.

Le premier mouvement de réforme en règle fut celui de Selve (près de Florence), de Gerona et de Mantoue (près de Florence). De ces couvents qui prospèrent à cause de leur tendance séparatiste, Mantoue obtint en 1442 du pape Eugène IV la bulle Fama laudabilis, d'être une congrégation séparée, gouvernée par un vicaire général et soumise au seul prieur général. Ces couvents adoptèrent certains principes, parmi lesquels la limitation du mandat à deux ans, avec l'impossibilité d'être réélu pendant une période de quatre ans entre chaque mandat, l'abolition de tous les biens privés, et la démission de tous les postes nécessitant de résider en dehors du couvent.

Au cœur de ce siècle, parallèlement aux réformes à tendance séparatiste, Jean Soreth (1394, † 1471), élu prieur général au chapitre de 1451, entreprend un vaste mouvement de réforme en valorisant les germes et les mouvements déjà existants. Sa devise : "retour à la Règle de saint Albert". Ses premiers décrets s'élevèrent contre les privilèges et exemptions, cause majeur de la décadence de l'Ordre. Son nom reste lié à la naissance des Carmélites qu'il fonde avec Françoise d'Amboise (1427 † 1485), duchesse de Bretagne, qui fit construire en 1463 à Vannes une maison pour accueillir neuf religieuses arrivées de Liège (Flandres), le 2 novembre 1463 (toujours occupé en 2008). La rénovation va venir d'individus étrangers à l'Ordre. Louis d'Amboise l'Ancien demande à un Dominicain, Durand de Fraccinis, de voir si la congrégation de Mantoue, forte de 80 maisons, ne pourrait pas prêter quelques Carmes italiens experts pour réformer leurs coreligionnaires français. L'émissaire de l'évêque rencontre Batiste le Mantouan qui se montre fort réservé et n'envoie en France que deux Carmes, tous deux d'origine flamande. Louis d'Amboise est déçu : il attendait un bataillon, on lui dépêche deux hommes, dont un seul parviendra à bon port, Elois Denis.

Ne pouvant compter sur l'aide étrangère, Louis d'Amboise se tourne alors vers Jean Standonck (? † 1503), singulier personnage qui, se souvenant des privations de sa laborieuse enfance, sembla vouloir les faire expier par ses élèves du collège de Montaigu, à Paris, qui lui procure 26 étudiants. Envoyés à Albi, ils sont formés aux usages carmélites par Eloi Denis avec une efficacité confondante. Un mois plus tard 23 font profession avec l'accord du provincial d'Aquitaine. C'est l'embryon d'une milice réformée qui déploie bientôt son énergie à Melun, Paris et Rouen. Ces maisons plus celle d'Albi constituent alors la congrégation d'Albi en 1502. Cette adaptation de la Norme de Vie établie par saint Albert, notamment de l'abandon du principe de pauvreté collective, validé par le concile de Trente est à l'origine en 1517 d'une scission entre les "Observantins" qui observent la Règle originelle de saint Albert et les "Conventuels ou Mitigés" qui observent les préceptes de la Règle mitigée par les papes.

La branche des Carmélites après avoir été réformées à l'idéal primitif de l'Ordre par sainte Thérèse d'Avila (1515 † 1582), fut approuvée par le pape Pie IV en 1562 (fondation du premier monastère des Carmélites déchaussées - cf. : les déchaussées, les déchaussés ou les déchaux observent strictement la Règle originelle de saint Albert En 1592, le Carme déchaussé espagnol Thomas de Jésus (1568 † 1624), créé le premier "désert" : il y en aura jusqu'à vingt-deux ; il s'agit de maisons de retraite, où les religieux doivent venir se retremper au moins un mois par an dans la vie contemplative (www.prieuresainthilaire.com - Carmes).

Thérèse d'Avila, considérée comme l'une des plus orthodoxes parmi les mystiques chrétiens, a intégré, en fait, dans ses écrits, des éléments empruntés aux traditions juives des Hekhalot et de la Kabbale. Les bases à partir desquelles elle élabore cette thèse sont les origines familiales juives de Ste Thérèse et la structure de son Château Intérieur (les sept palais ou les sept chambres de la tradition mystique juive) (cat.inist.fr - Thérèse d'Avila).

Elle mourut le 4 octobre 1582, quand l'Espagne et le monde catholique basculèrent du calendrier julien au calendrier grégorien (c'était donc la nuit du jeudi 4 au vendredi 15 octobre 1582). Thérèse fut béatifiée en 1614 par Paul V, et canonisée par Grégoire XV le 12 mars 1622 puis fut désignée (1627) comme patronne d'Espagne par Urbain VIII (fr.wikipedia.org - Thérèse d'Avila).

Thérèse d’Avila est la dernière grande visionnaire de l’enfer. Cette femme ultra-sensible et passionnée, dont la personnalité reste aujourd’hui pour les historiens troublante, fait vers 1560 l’expérience intérieure de l’enfer, Dieu lui ayant montré, dit- elle, le sort que lui aurait mérité ses péchés s’il ne l’avait sauvée. Sa célèbre vision est un des sommets de la littérature infernale, suggérant dans sa sobriété l’horreur absolue. L’enfer n’est pas ici un spectacle, c’est une réalité psychique vécue, intérieure à l’âme, et dont le langage humain est incapable de traduire l’atroce intensité. Le moi suffoque dans un instant éternel, dans l’attente d’un étouffement complet qui ne vient jamais (Georges Minois, Histoire de l’Enfer, PUF, p. 90).

Joachim de Sienne, servite de Marie

Ce bienheureux Servite étant vers la fin de sa vie, Marie lui montra deux couronnes, l'une de rubis et l'autre de perles. « Voilà, lui dit-elle avec bonté, deux couronnes : la première est pour récompense de la compassion que vous avez toujours eu pour mes douleurs ; la seconde est le prix de la pureté que vous m'avez consacré. » Le bienheureux Joachim Piccolomini se sentant le cœur embrasé par une vision si consolante, demanda a Marie la grâce de mourir le même jour que Jésus-Christ mourut. « Cette grâce ; vous est accordée, lui répondit la Sainte Vierge, ayez soin de bien vous préparer, parce que de main vendredi vous mourrez subitement comme vous le désirez, et, dès demain, vous serez avec moi dans le paradis. » Il mourut donc un vendredi saint, comme elle avait été prédite. Pendant qu'on chantait à l'église la passion selon saint Jean ; à ces mots : Stabat juxta crucem mater, Joachim Piccolomini s'évanouit, et à cet autre passage : Inclinato capite tradidit spiritum, ce serviteur de Marie expira et l'église fut remplie d'une grande splendeur et d'une odeur céleste (J.F. Renard, Ars et la Sainte Vierge ou bouquets à Marie conçue sans péché pour le mois de mai, 1857).

Juste avant cette dernière phrase, se situe le « Tout est accompli » qui remplace chez saint Jean le « Eli, Eli lamma sabakhthani » de saint Mathieu (La Force – Le Mat).

Quelques années après sa mort, des miracles commencèrent à se produire sur sa tombe et sa dépouille fut transférée dans la basilique Santa Maria dei Servi.

Joachim Piccolomini a été béatifié le 21 mars 1609 par le Pape Paul V.

Le 7 juin, à la Pentecôte 1310, Nicolas de Sienne prononce un sermon près de la tombe de Joachim de Sienne qui permet à une démoniaque appelée Christinella d’être délivrée du démon (Michael Goodich, Other Middle Ages: witnesses at the margins of medieval society, 1998).

Joachim est un prénom masculin qui provient de l'hébreu et qui signifie « YHWH a établi ».

Les Servites de Marie

La « Legenda de Origine » des Frères Serviteurs de sainte Marie, dès les premiers mots, s’inscrit dans un contexte sapientiel. Comme l’auteur du Siracide, l’auteur de la Legenda se sait dépositaire d’une sagesse qui se transmet de génération en génération par l’entremise d’hommes d’exception, dont il vaut la peine de rappeler la mémoire, pour vivre de leur exemple. Dès le prologue (§1), il affirme que « nos Pères nous ont légué la connaissance, l’enseignement et le savoir », et « qu’ils nous ont montré la voie sûre capable de nous conduire à la Béatitude éternelle ».

« Nos Sept bienheureux Pères ». C’est leur nom traditionnel, celui que leur donne la Legenda de Origine, qui les considère toujours comme nos parents, nos « géniteurs » dans l’ordre de la foi et de la grâce. Nous sommes leurs fils (et leurs filles) si nous marchons sur leurs traces. L’auteur insiste à plusieurs reprises sur le fait qu’ils ne sont pas « fondateurs ». Ils n’ont rien fondé par eux-mêmes, à la différence de deux saints que l’auteur cite nommément : saint Dominique de Bologne et saint François d’Assise. La véritable « fondatrice » de l’Ordre, c’est la Vierge Marie, de même que le Christ est le véritable fondateur de l’Eglise, la pierre angulaire sur laquelle repose l’édifice. (cf. Col 2, 6 ; Ep 2, 20).

L’auteur voit nos Sept premiers Frères unis comme les « sept étoiles Pléiades au cycle d’Arthur » (ou « d’Orion »), une image qu’il emprunte au prophète Amos (5, 8) et au livre de Job (9, 9 ; 38, 31).

Le nombre Sept évoque « le septième âge du monde » vers lequel nous tendons, un thème familier aux auteurs spirituels du Moyen-Age.

Les chapitres 9 (§§ 40-41), 10 (§§ 42-43) et 11 (§§ 44-45) sont consacrés au séjour des nos Pères sur le Mont Senario. Ces chapitres forment un ensemble. La montagne elle-même devient comme un protagoniste du récit, un lieu « parlant », un lieu symbolique qui se trouve en « consonance » particulière avec la Bible.

Nos Pères trouvent un modèle plus ancien encore dans la personne d’Abraham (cf. Gn 12, 1) : comme lui, « ils quittent leur terre, leur parenté », « ils coupent leurs attaches familiales ». Comme Abraham, nos Pères partent « vers le lieu que Dieu leur montrerait » (cf. Gn 22, 2). Ils entreprennent ce pèlerinage « dans le but de parvenir à la terre des vivants » (cf. Ps 114 (116), 9 ). Ils mettent ainsi leur pas dans les pas des grands ancêtres qui ont vu Dieu sur la montagne : Moïse au Sinaï (cf. Exode 34) et Elie à l’Horeb (cf. 1 R 19). Ils retrouvent aussi l’intuition prophétique qui faisait dire aux exilés de Babylone : « Venez, sortons de la ville » (cf. Is 52, 11).

Sur la montagne, nos Pères établirent une triple habitation (« matérielle, morale et mystique ») qui n’est pas sans évoquer « les trois tentes » que saint Pierre voulut installer sur le Thabor lors de la Transfiguration du Christ. Comme Moïse et Elie, nos Pères vivent sur la montagne dans la présence de Dieu « qui réside dans leur âme ». Leur habitation sur la montagne devient pour leurs contemporains « un modèle donné par Dieu lui-même » (allusion à Ex 25, 40). Même s’ils sont désormais loin du monde, nos Pères sur la montagne font retentir un son qui porte au loin et dégagent une odeur suave qui attire le monde vers eux.

L’auteur joue sur le nom de la montagne (« Sonaio ») pour développer le thème du son, de la résonance, de l’écho de l’évangile que fait retentir la vie sainte de nos Pères (Frère Joseph M. Lèbre, osm, La Legenda de Origine).

Un des lieux majeurs de manifestation divine dans la Bible est la « montagne ». Le cycle d’Élie vérifie cette affirmation puisque le Carmel d’une part (1 R 18) et l’Horeb d’autre part (1 R 19,8-18) sont les lieux de théophanies qui ne sont toutefois pas identiques. Sur l’Horeb, Élie est seul et Yahvé n’est pas dans le feu (1 R 19,12). Tandis qu’au Carmel, le peuple en son entier constate que le feu dévore l’holocauste et peut s’exclamer : « c’est Yahvé qui est Dieu ! » (1 R 18,39) (www.theolarge.fr).

Paolo Sarpi

Fra-Paolo, ou plutôt Pierre-Paul Sarpi, naquit à Venise le 14 d'août 1552, de François Sarpi et d'Isabelle Morelli, tous deux de Venise. Le jeune Pierre-Paul Sarpi fut élevé par son oncle Ambroise prêtre de l'église collégiale de S. Hermagore. Le père Jean-Marie de Cupes, qui demeurait dans le couvent des servites de Venise, prit soin de ses études. Il prit l'habit des servites le 24 de novembre 1566. Un an après il fit profession tacite, selon l'usage ou plutôt l'abus de ce temps-là , et la renouvela solennellement en exécution des décrets du concile de Trente le 10 de mai 1572, dans le temps du chapitre général des servites, qui se tenait à Mantoue, où il soutint avec l'admiration des assistants, une thèse contenant trois cens dix-huit propositions de philosophie et de théologie. Le Duc de Mantoue charme de son savoir, engagea ses supérieurs de le laisser dans le monastère de saint Barnabé de Mantoue, le fit son théologien, et lui fit donner par l'Evêque de Mantoue la qualité de lecteur en théologie positive, et pout les cas de conscience dans sa cathédrale. Il fit alors connaissance avec Camillo Lino, qui avait été autrefois secrétaire du Cardinal de Mantoue, légat au concile de Trente, qui put lui donner des mémoires dont Fra- Paolo a pu se servir dans son histoire du concile de Trente. Il fut ordonné prêtre à l'âge de vingt-deux ans, et travailla dans le diocèse de Milan sous S. Charles Borromée. Il fut dénoncé au tribunal de l'inquisition par Claude Plaisantin, pour avoir soutenu que, suivant l'analogie de la langue hébraïque, on ne pouvait tirer aucune preuve de la Trinité du premier chapitre de la genèse. L'Inquisiteur, quoiqu'il ne sût pas l'hébreu, ne laissa pas d'instruire le procès ; mais FraPaolo en appela à Rome où il fut renvoyé absous, et l’inquisiteur convaincu d'ignorance (Augustinus Calmet, Histoire universelle, sacrée et profane, depuis le commencement du monde jusqu'à nos jours, Volume 17, 1771).

L'envie pharisaïque le surveilla davantage et l'entoura d'un espionnage assidu. Mais elle ne put trouver à mordre à ses mœurs, puisqu'elle ne trouva à reprendre que des niaiseries Elle l'accusa d'hérésie, parce qu'à la messe il ne récitait pas le Salve regina. C'était vrai. Dès 1579, Grégoire XIII avait aboli ce rite; mais un chapitre d'une trentaine de frères, à la barbe du pape, l'avait rétabli. Sarpi était donc hérétique d'obéir au pape plutôt qu'au chapitre. La façon de sa barette fut aussi un objet d'accusation. Elle était, disaient-ils, rebelle à une bulle de Grégoire XIV. Finalement, dans un chapitre tenu à Vicence, le 11 mai 1605, il fut accusé par le père Archange Piccioni, maître en théologie et ex-provincial, de porter des sandales non canoniques. Ses sandales mises en jugement furent examinées dans toutes les formes par le vicaire général, et les reconnaissant orthodoxes, au milieu des rires de la moinerie, il prononça la sentence en latin : exemptionem nullius esse momenti, et planellam decere religiosos. Ce qui fit passer en proverbe chez les servites que les sandales de Fra Paolo avaient été canonisées (Aurelio Angelo Bianchi-Giovini, Biographie de fra Paolo Sarpi, 1863).

Ces Ermites Servites sont habillés comme les Ermites Camaldules; leur habillement n'en diffère que par la couleur, celui des Camaldules étant blanc, et celui des Servites Ermites, noir. Ceux-ci ont encore ajouté la nudité des pieds : ils portent des sandales de cuir et la barbe longue.

C'est sur la base d'une commune opposition à Rome que Jacques Ier et Sarpi se rencontrent intellectuellement pour estimer que le concile de Trente a été, d'une part, une occasion ratée pour une réforme en profondeur de l'Eglise et, d'autre part, le point de départ d'un renforcement regrettable des prétentions pontificales. En mai 1619, sort des presses du typographe royal, John Bill, l'œuvre de Sarpi dont l'indélicat Marc' Antonio de Dominis, archevêque de Spalato, impudemment modifié le nom de l'auteur (sous l'anagramme de Pietro Soave Polano) et le titre, dans le souci de plaire au roi anglican auquel il adresse sa dédicace. Le 22 novembre 1619, l'Historia est inscrite à l’index. Dans la nuit du 14 au 15 janvier 1623, fra Paolo Sarpi meurt au couvent des servites de Venise (Marie F. Viallon, La traduction à la Renaissance et à l'âge classique, 2001).

Pâques, saint Georges, Elie et le dragon

Les traditions et légendes locales relient le prophète Elie (IXe siècle avant JC.), avec quatre sites de la chaîne montagneuse du mont Carmel, qui s'étire sur 25 km de long et 6 km de large au Sud des villes d'Haïfa et de Akka, ex Saint-Jean-d'Acre, dont la caverne basse, surnommée "l'école des prophètes", renferme plusieurs centaines de graffitis grecs païens datant probablement du IIe siècle av. JC, témoigne qu'à l'époque hellénique elle a pu être le centre d'un culte dédié à Adonis ou Tammouz. Au VIème siècle, les Byzantins édifièrent sur ce site le monastère de Saint Elie, en même temps que celui de Sainte Marguerite sur l'esplanade du promontoire. Puis durant les croisades des cénobites grecs orthodoxes reconstruisent un petit monastère sur les ruines de l'ancien. La caverne haute fut selon l'historien romain Tacite un haut lieu religieux depuis la plus haute antiquité, probablement lié au culte du baal hadad du Carmel. Elle est mentionnée pour la première fois par des auteurs byzantins en rapport avec le monastère de Sainte Marguerite construit durant le Ve siècle ou VIe siècle, et détruit par les Perses de Khosro II Parviz en 614. L’association d’Elie avec Marguerite, sainte saurochtone, illustre le rapprochement du prophète avec le dragon.

Dans l’île de Milo (Cyclades) les paysans font l’ascension du Mont Elie pour s’attirer la pluie. Quand il tonne, ils disent que le char du prophète Elie est à la poursuite des dragons.

L'invention des litanies majeures, célébrées le 25 avril, à proximité de la date « clé » antérieure des Rogations le 28 avril, est attribuée à la colère divine les Romains, après avoir passé le carême dans la continence, et avoir reçu à Pâques le corps du Seigneur, s'adonnaient sans frein à la débauche dans les repas, aux jeux et à la luxure. Suite à un débordement du Tibre, un grand nombre de serpents et un dragon aussi grand qu'un tronc d'arbre, furent emportés jusqu'à la mer où ils se noyèrent et restèrent à pourrir sur le rivage. L'air corrompu par leur décomposition fut à l'origine d'une terrible peste inguinale, autrement apostume ou enfle de l'aine, qui frappa d'abord le pape et ensuite le peuple de Rome, qui ne tarda pas à élire un nouveau pape, saint Grégoire (le Grand, commémoré le 3 septembre). Ce dernier ordonna une procession où il fit chanter les litanies et incita le peuple à prier avec la plus grande ferveur. Mais la peste continua et saint Grégoire instaura alors la coutume de faire une procession autour de la ville à Pâques, en chantant des litanies et en portant l'image de la bienheureuse Vierge Marie, "et voilà que l'air corrompu et infecté s'écartait pour faire place à l'image, comme s'il n'en pouvait supporter la présence". Saint Grégoire établit la coutume de partager en sept rangs les participants de cette procession, mais plus tard on se contenta de répéter sept fois les litanies avant de poser les insignes. Malgré la distinction faite entre les litanies majeures et mineures, ces deux cérémonies religieuses sont liées à l'arrivée de l'été, aux risques qu'il comporte pour la « santé » et la survie des récoltes et des êtres humains.

Le dragon représente le feu et la chaleur étouffante et pestiférée, mais sa valeur symbolique en fait également l'habitant des profondeurs de la terre. La légende de saint Georges, commémoré le 23 avril, à proximité des Rogations, comporte le récit de la célèbre victoire du saint sur un dragon pernicieux qui se cachait dans un étang près de la ville de Silcha (province de Libye). Comme il menaçait d'exterminer tous les habitants de la ville avec son souffle, on lui apportait des brebis pour calmer sa fureur et lorsque les brebis vinrent à manquer, elles furent remplacées par un être humain. Désignés par le sort, les garçons et les filles de la ville furent donnés au dragon les uns après les autres, jusqu'au jour où le sort tomba sur la fille du roi. Affligé de perdre son seul enfant, le roi offrit à son peuple de l'or, de l'argent et la moitié de son royaume, mais les habitants refusèrent, indignés de constater que le roi était prêt à les voir mourir pour sauver sa fille. Sur le chemin du lac où se tenait le dragon, la fille du roi rencontra saint Georges. Il soumit le dragon et demanda à la jeune fille de passer sa ceinture autour du cou de la bête qui se laissa alors mener comme une chienne. Revenus à la ville, saint Georges refusa de tuer le monstre à moins que chacun des habitants n'acceptât de se convertir au christianisme. Le roi et tout le peuple reçurent le baptême et le saint tua alors le dragon qui fut traîné hors de la cité par quatre paires de bœufs.

Le dragon archétypal, maître des eaux et du feu, constitue une menace incessante pour la fécondité.

L'influence néfaste du dragon sur la fécondité est particulièrement mise en évidence dans la légende. En tant qu'héritière du royaume, la fille unique du roi représente ici l'enjeu de la fécondité et les noces, que le père regrette déjà de ne pouvoir célébrer, évoquent l'abondance de la fête, la richesse du palais et un bonheur couronné par les fruits attendus de l’union matrimoniale.

La chaleur et la sécheresse de la canicule, détruisant les récoltes et porteuses de maladies, peuvent être rapprochées du souffle meurtrier et pestiféré du dragon que les processions des Rogations sont destinées à affaiblir. Si les Robigalia furent remplacées par les Litanies majeures, qui coïncident avec la commémoration de saint Marc l'évangéliste, invoqué contre la gelée, on notera que lorsque la stérilité terre d'Apulie, en proie à la sécheresse, ce fut parce que les habitants n'avaient pas célébré la fête de saint Marc. Ayant obtenu la promesse de voir de voir son jour de fête solennellement commémoré, le saint envoya de l'air pur et de la pluie et fit renaître l'abondance.

L'association établie entre le sacrifice canin des Robigalia et la constellation du Chien a été faite en raison du coucher vesperal de celle-ci au 25 avril. Situé à côté d'Orion, le Chien est parfois considéré comme le chien du célèbre chasseur. D'après une autre légende, il s'agirait de Maera, le chien ou la chienne d'Icarios à qui Dionysos aurait confié la mission de montrer aux hommes comment planter la vigne et produire du vin. Lorsqu'Icarios eut partagé cette boisson avec les bergers, certains d'entre eux s'endormirent enivrés tandis que les autres pensèrent qu'il avait empoisonné leurs compagnons afin d'enlever leurs troupeaux. Ils tuèrent Icarios et jetèrent son cadavre dans un puits, mais lorsque les bergers se réveillèrent, les meurtriers prirent la fuite et se réfugièrent sur l'île de Céos. Le chien retourna en hurlant auprès d'Érigoné, angoissée par l'absence de son père Icarios, et la conduisit jusqu'au cadavre. Accablée de chagrin, la fille se pendit à l'arbre qui marquait la sépulture de son père, tandis que l'animal se serait jeté dans un puits, apaisant par sa mort les mânes de la défunte (Ásdís R. Magnúsdóttir, La voix du cor : la relique de Roncevaux et l'origine d'un motif dans la littérature du Moyen Age (X11-X1V siécles), 1998).

Le caractère psychopompe du chien saute aux yeux, c’est lui qui conduit Erigoné à son père et il l’accompagne au ciel où ils sont transformés en signes astrologiques. De là, on peut identifier Erigoné à l’âme d’icarios. Elle se balance, ou balance entre le ciel et la terre. «Or, après que Dieu eut formé Adam, sur le modèle de ces corps; après qu'il l'eut fait adorer par les anges, et qu'Eblis eut désobéi, en disant qu'il était d'une nature supérieure à ces corps, puisqu'il entrait en eux sans qu'ils pussent entrer en lui, Dieu ordonna aux nuages de pleuvoir pour punir Éblis ; chaque goutte qui tombait sur l'un de ces corps l'animait, puisque ces gouttes n'étaient que des âmes, cette pluie n'étant autre chose que l'essence qui habite les êtres. Pour mieux punir Kblis, Dieu changea la désobéissance de ce rebelle en feu qui devait le dévorer avec les siens. Éblis, se voyant sur le point de périr, demanda pour toute grâce à Dieu que sa punition fût ajournée jusqu'au jour de la résurrection; mais Dieu lui accorda un terme moins considérable, et elle ne fut ajournée que jusqu'au jour de l'arrivée du Mehdi qui doit punir les infidèles et fondre toutes les religions en une seule. « C'est pour cette raison que ce jour a été appelé par Dieu nour (lumière). Les Perses l'ont appelé nourouz, mot qui dérive de nour et de zi, qui signifie balançoire, faisant ainsi allusion aux transmigrations des âmes (Journal asiatique, 1848).

L'érotisme du jeu de la balançoire est passé dans le domaine de la mystique, où il symbolise, entre autres, la transmigration des âmes ou samsara. Quelques-unes des plus belles stances du poète Kabir (XVème-XVIème) traduites par Rabindranâth Tagore, font une place importante à la balançoire : XVI : « Entre les pôles du conscient et de l'inconscient, l'esprit se balance : A cette balançoire sont suspendus tous les êtres et tous les mondes ; et cette balançoire ne cesse jamais de se balancer. Des millions d'êtres y sont accrochés : le soleil et la lune, dans leur course, s'y balancent. Des millions d'âges passent et toujours la balançoire se balance. Tout est balancé : le ciel et la terre et l'air et l'eau, et le Seigneur Lui-même qui se personnifie : Et la vue de tout ceci a fait de Kabir le serviteur de son Dieu (France-Asie/Asia, Volume 9, Numéros 81 à 90, Maison franco-japonaise (Tokyo, Japan), 1953).

Le Iod et Malkuth

Le Yod, symbolise, d'une part le Père (Hochmah) qui « illumine », c'est-à-dire qui s'unit à la Mère (Binah), et, d'autre part, il symbolise l'union de l'Époux (Tiphereth) avec la Reine (Malcuth) (Marie-Odile Goulet-Cazé, Tiziano Dorandi, Le commentaire entre tradition et innovation, 2000).

Lilith et la lettre Shin

Lilith est un personnage qui remonte loin dans la passé. On le mentionne pour la première fois dans une liste royale sumérienne qui date d'environ 2400 avant J.-C., ki-sikil lil.là dont le nom fut repris et simplifié ensuite par les sémites babyloniens et hébreux fut transformé alors en Lilith démon femelle, puis babylonien, Lilitû ou Ardat Lili. À l'origine à Sumer, dans la traduction de la tablette XII de Gilgamesh Enkidu et le Kur, elle vivait dans un arbre, que la déesse Inanna sauva des eaux.

Lilith la maudite remplira dans le monde des ténèbres une fonction homologue mais négative de celle que remplira la Shekhina, la Divine Présence, dans le monde de la Sainteté.

Le texte de Raya Mehimna «Berger fidèle» (Zohar II, 118b), accuse la femelle Lilith d'être «cette citerne (bor) néfaste, la prison où sont enfermés la matronita (Shekhinah) et ses enfants, pour une longue période d'exil, leurs mains liées à leurs dos par des chaînes...»

Si la Shekhinah est la mere d’Israël, Lilith est la mere de l’apostasie d’Israël. Le Zohar fait de Lilith la partenaire de Samaël ou d’Asmodée.

C’est dans l’alphabet de Ben Sira, dans un recueil écrit entre les VIIIe et Xe siècles après J.-C., commentaire de l’Ecclésiaste, que se trouve expliqué le destin de Lilith : elle est tirée de la même terre qu’Adam (que l’Alphabet de Ben Sira appelle Adam-Kadmon) et donc se considère comme son égale. Elle refuse de se tenir au-dessous de lui quand ils font l’amour, ce qui provoque une dispute. Elle invoque alors le nom de l’Éternel, des ailes lui poussent, et elle abandonne Adam et l’Éden. Devant les plaintes d’Adam, Dieu envoie trois anges convaincre Lilith, qui refuse. Elle est donc celle qui dit non à la fois à la position que lui propose l’homme dans leur couple et à la fois à la tentative de réconciliation de Dieu lui ordonnant de se plier au désir de l’homme. Elle se voit en conséquence punie par Dieu, premièrement de voir tous ses enfants mourir à la naissance. Mais, désespérée par cette mort qui ne peut plus que naître d’elle, elle décide de se suicider. Les anges lui donnent le pouvoir de tuer les enfants des hommes (jusqu’à la circoncision, au huitième jour, pour les garçons, et jusqu’au vingtième jour pour les filles). Elle rencontre ensuite le démon Samaël, l’épouse et s’installe avec lui dans la vallée de Jehanum, où il prend le nom d’Adam-Bélial. En tant que femme supplantée ou abandonnée, au bénéfice d’une autre femme, Lilith représente les haines familiales, la dissension des couples et l’inimitié des enfants (fr.wikipedia.org - Lilith).

Il était de pratique courante de protéger les femmes en couche et les nouveaux-nés par des amulettes qui fixées aux murs des chambres et au dessus des lits étaient sensées l’éloigner. Il était aussi d’usage jusqu’au XVIème siècle, en Europe centrale, d’éveiller les enfants qui souriaient dans leur sommeil : on craignait qu’ « ils ne jouent avec Lilith », celle-ci avait la réputation de les emporter avec elle dès qu’elle les avait séduit (www.heresie.com - Lilith).

Les amulettes( mezuzot) contiennent un paragraphe du Shema (Deuteronomy 6: 4 et ss), fixées aux montant de la porte de la maison, la letter shin bien visible pour le nom divin Shaddai qui est associé aux trois anges Sanvi, Sansanvi et Semangelaf anti-Lilith dans certaines formules destinées à protéger les enfants en bas âges. Parfois les mezuzot adoptent la forme même de la letter shin (Richard Cavendish, Man, myth & magic: an illustrated encyclopedia of the supernatural, Volume 4, 1971, Ivan G. Marcus, The Jewish life cycle: rites of passage from biblical to modern times).

La tradition chrétienne en ses débuts est exempte de Lilith. Les Évangiles et le Nouveau Testament n’en parlent pas. C’est tardivement qu’elle apparaît sans doute sous l’influence des traductions de la Bible et des contacts avec les Juifs de la diaspora. Gerbert d’Aurillac l’aurait rencontrée une nuit en Auvergne. Elle lui aurait donné son corps et ses connaissances magiques. Grâce à elles, il est devenu Archevêque de Reims, puis de Ravenne, puis pape sous le nom de Sylvestre II (999-1003). Ayant vécu les terreurs de l’an Mil, il se serait confessé avant sa mort et aurait pu aller au ciel (Marc-Alain Descamps, Lilith ou la permanence d’un mythe).

Gershom Sholem déduit de la lecture du Zohar que Lilith est identifiée à la Reine de Saba. Lilith est décrite dans le Targum de Job comme la Reine de Smargad (Smaragd), c’est-à-dire de l’Emeraude (Christopher R. A. Morray-Jones, A transparent illusion: the dangerous vision of water in Hekhalot mysticism, Volume 59, 2002).

Or, l'église de Saint-Laurent est la plus vaste de Gènes et l'une des plus belles cathédrales de l'Italie ; on y voit le fameux Sacro Catino, large cuvette hexagone en verre de couleur, - qui fut regardée comme ayant été taillée dans une énorme émeraude, comme ayant été donnée à Salomon par la reine de Saba, et comme ayant servi aux noces de Cana. Conservé pendant longtemps à la bibliothèque royale de Paris, ce vase n'avait été apprécié que d'après sa valeur vénale; c'est un vénérable trophée de la conquête de Césarée par les Génois en 1101 (Conrad Malte-Brun, Géographie universelle: ou description de toutes les parties du monde, Volume 4, 1853).