Partie X - 22 v’la l’Tarot   Chapitre II - Kabbalisation du Tarot   V - Pape . XVI - Fouldre   

V - Le Pape – Uriel – Dominations - Gebourah – 23 janvier – Raymond Penyafort – He - Seraphim - Planète Mars

XVI - La Fouldre – Asmodée – 24 juillet – Gaon/Christine - Ayin

Raymond de Penyafort

Saint Raymond de Penyafort, né à Vilafranca del Penedès, près de Barcelone, entre 1175 (ce qui le fait mourir centenaire) et 1180, et mort en 1275, est un frère prêcheur (dominicain). Il est surtout connu pour avoir rassemblé, à la demande de Grégoire IX, les multiples lois et décrets de l'Eglise en les systématisant. Cette codification canonique, la première officiellement promulguée par un pape, est connue sous le nom de Décrétales de Grégoire IX (1234). Penyafort fut canonisé par Clément VIII en 1601.

Contacté par Pierre Nolasque, il obtient le soutien du roi pour la fondation en 1218 de l’ordre de Notre-Dame de la Merci pour le rachat des chrétiens enlevés par les musulmans (fr.wikipedia.org - Raymond de Penyafort).

Initiée par Raymond de Penyafort, général des dominicains, la « dispute de Barcelone », en 1263, ne s’achève pas par de tels autodafés. Elle consacre au contraire une nouvelle stratégie à l’égard des écrits juifs : les étudier pour mieux « combattre l’ennemi sur son propre terrain ». Le débat met en présence Paul Cristiani, converti et dominicain, qui inspira à Louis IX de faire porter la rouelle aux juifs, et Moïse Ramban, figure éminente du judaïsme médiéval, autour du thème central de la figure du messie, Cristiani utilisant le Talmud comme preuve du caractère divin du Christ.

Moïse Nahmanide (Gérone, 1194 - Saint-Jean d'Acre, 1270), rabbin de Gérone, ensuite chef spirituel de la communauté juive de Catalogne, ami du roi Jacques Ier d'Aragon, fait office de médiateur à maintes reprises entre la couronne et les almajas. La quiétude dont il jouit est brisée lorsque, en 1263, il est choisi pour une disputatio en présence du roi avec Pablo Christiani, sur l'ordre de Raymond de Penafort.

La disputation fut abrégée à la demande pressante des Juifs de Barcelone craignant d'exciter le ressentiment des Dominicains, et se termina sur la victoire éclatante de Nahmanide, le roi allant jusqu'à lui faire don de 300 maravedis en signe de respect. Cependant, le clergé dominicain prétendit avoir remporté la rencontre. Nahmanide fut obligé de relater la Dispute par écrit. Pablo Christiani s'en servit et sélectionna des passages jugés blasphématoires envers la Chrétienté pour forger le Telae Ignis Satanis, où "Bonastruc da Porta, le maître de Gérone" se trouve souvent pris de court face aux arguments pleins de vérité et ne s'échappe qu'à coup desdits blasphèmes. Ce faux permettra de poursuivre tout un qui s'adonnerait à l'étude du Talmud, reconnu ouvrage hérétique et anti-chrétien, mais il entraînera surtout la mise en accusation de Nahmanide.

Le roi fit réunir une commission extraordinaire afin d'assurer l'impartialité du procès, qui se tenait en sa présence. Nahmanide admit avoir porté plusieurs atteintes à la Chrétienté, mais n'avoir rien dit d'autre que les arguments prononcés devant le roi, avec jouissance d'une liberté de parole totale.

Bien que le roi et la commission reconnussent la justesse de sa défense, les Dominicains obtinrent que les livres de Nahmanide soient brûlés et qu'il soit exilé pour deux ans, ce qui se commua rapidement en bannissement à perpétuité (fr.wikipedia.org - Nahmanide).

Vincent Ferrier, né lui-même ce 23 janvier, « instigateur d’émeutes anti-juives » sanglantes, convertit en 1391 Jérôme de Santa-Fé qui joue un rôle prépondérant dans la « dispute » de Tortose (1413/1414) : dans le contexte d’une polémique sur le thème du messie, condamnation pour hérésie est décrétée contre les juifs (Daniel Vidal : Fausto Parente, Les juifs et l’Église romaine à l’époque moderne (XVème-XVIIIème siècles)).

Le pape

Le pape régnant lors de la dispute de Barcelone était Urbain IV. Jacques Pantaléon (Troyes, vers 1195 – Pérouse, 2 octobre 1264), fils d'un savetier de Troyes, devient pape le 29 août 1261. Il est le premier pape français depuis Sylvestre II (le savant Gerbert) et Urbain II. Son chapelain est le mathématicien Campanus de Novare.

Il fut le confesseur de sainte Julienne Cornillon à Liège alors qu’il était archidiacre en 1241 dans cette ville où sous les instances de la sainte le Saint Sacrement était fêté depuis 1246.

L’origine de la Fête-Dieu est due à un miracle qui a eu lieu au XIIIème siècle à Bolsena en 1263. Ce miracle est relaté par les fresques de la Cathédrale d'Orvieto. Un prêtre de Bohème, Pierre de Prague, avait fait un pèlerinage et avait de grands doutes spirituels notamment sur la présence du Christ dans l’Eucharistie. Lors d’une messe célébrée par le prêtre, dans l’église Sainte-Christine (fêtée le 24 juillet), pendant la consécration, l’hostie pris une couleur rosée et des gouttes de sang tombèrent sur le corporal et sur le pavement. Le prêtre interrompit la messe pour porter à la sacristie les saintes espèces. Le Pape Urbain IV vint alors constater ce qui était survenu.

Thomas d’Aquin, le docteur angélique, fut chargé par le pape Urbain IV de rédiger le texte de l'office et de la messe de la nouvelle solennité promulguée en 1264 par la bulle Transiturus. On lui attribue donc la rédaction du Pange lingua (adaptée d'hymnes liturgiques catholiques déjà existantes), le Lauda Sion et tout le reste des pièces liturgiques latines prescrites par la liturgie de la fête.

Denys le Chartreux et quelques auteurs après lui avancent qu'Urbain IV avait chargé séparément saint Thomas et saint Bonaventure de travailler sur le même sujet, et qu'à la lecture du manuscrit de Thomas d'Aquin, le Docteur séraphique, tout inondé de larmes, déchira une à une les pages de son cahier.

Ce récit, dont la première trace n'apparaît qu'un siècle et demi après l'événement, n'est peut-être qu'une légende, dont, à coup sûr, la gloire de saint Thomas n'a pas besoin. Du moins cet hommage que Bonaventure aurait rendu par ses larmes au chef-d'œuvre de son ami, répond parfaitement au caractère d'un saint dont l'âme toute suave se liquéfiait au feu du divin amour (eucharistiemisericor.free.fr - Benoit XVI, fr.wikipedia.org - Fête-Dieu, fr.wikipedia.org - Urbain IV).

Sainte Christine de Bolsena subit différents supplices avant sa mort dont le percement de flèches attachée à une colonne. Mais son culte ne semble pas rattaché à la défense contre la peste dont les attaques sont souvent symbolisées par des flèches.

La foudre et la peste

Les tarots italiens portent parfois à la place de Maison-Dieu le nom de Sagitta ou Flèche.

La peste a été, en effet, attribuée aux flèches lancées par un dieu irrité qui était Apollon chez les Grecs, Iahvé chez les Juifs, le Christ pour les Chrétiens. De là, l'origine de la dévotion à saint Sébastien qui, ayant été criblé de flèches sans en mourir, semblait particulièrement qualifié pour protéger contre les flèches de la peste (Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien, Volume 2, Partie 1, 1959).

Dans le tarot de Marseille, c’est la Maison-Dieu qui était un hôpital, qui en général était distinct de la léproserie, et accueillait des pestiférés. Il convient d'ajouter qu'au Moyen-Âge on désignait aussi sous le nom de peste toute maladie épidémique contagieuse.

Des matériaux de la chapelle Saint-Thibault près du faubourg Saint-Didier de la ville de Sens, qui, dans le milieu du XVIème siècle, était souvent désolée par la peste, ainsi que de ceux de l'abbaye de Saint-Remy et de-Notre-Dame-du-Charnier, l'on construisit la maison des pestiférés que l'on nommait aussi la Maison - Dieu ou Maison de santé (Gratien-Théodore Tarbé, Recherches historiques et anecdotiques sur la ville de Sens, 1838).

Ce serait bien le diable si la « Fouldre » ne désignait pas la même calamité.

Vallériola écrit qu'à l'époque de la peste du Languedoc, en 1534, on voyait fréquemment de ces morts subites, et que bien plus, au milieu de la marche et de la conversation, des personnes tombaient tout-à-coup, comme frappées de la foudre. » Ercole Sassonia, connu comme Hercules de Saxonia, Hercules Saxonia Patavinus (Padoue, 1551 – Padoue, 1607) en dit autant (Joseph Frank, Traité de pathologie interne, Volume 1, 1837).

Peste et tambour

Le fameux Jean Ziska, gentilhomme Bohémien, ayant perdu les deux yeux dans deux différents combats, continua de marcher encore à la tête des armées, de donner ses conseils aux généraux et de contribuer à la victoire. Se voyant mourir de la peste, il ordonna qu'après sa mort, on fit un tambour de sa peau, et ce reste fut encore longtemps fatal à l’empereur Sigismond, son rival (Sallentin, L'improvisateur français, Volume 19, 1806).

Sous l’empereur Maximin, « la peste ne faisait pas moins de ravage, principalement sur ceux qui étaient à couvert de la famine. Il y eut un grand nombre de personnes constituées en dignité, de magistrats et de gouverneurs de provinces, que la violence du mal emporta en peu de temps, comme si la famine les eût exprès gardés à la peste. Tout était plein de gémissements, dans les places et dans les rues, on ne voyait que des enterrements avec les flûtes et les tambours » (Claude Fleury, Histoire ecclésiastique, publiés pour la première fois d'après un manuscrit de Fleury, 1858).

Peste et Asmodée, le démon de la luxure

La maladie produit souvent une grande disposition à la luxure ; elle est mortelle si l'on s'y abandonne. On en a vu des exemples à Marseille, à Londres et à Mantoue. Il se commit beaucoup de viols dans le lazareth nommé Mapello de cette dernière place en 1506, tellement que le gouverneur Alessio Becaguto écrivit à François de Gonzague qui en était marquis, cette lettre :

« Ho deliberato di Smaccar in ogni modo le impotenti forze d’amore, quai tanto signoreggia tutt’ora in Mapello, ho fatto ficcare un pajo di gran forche, le quali sposerà il primo che avrà il desiderio di essere lo sponso in Mapello. Chi avria creduto che amore avesse avuto regno in mezzo alla pestilenza. » (Jean Antoine François Ozanam, Histoire médicale générale et particulière des maladies épidémiques, Volume 4, 1835).

Dans certains contextes liés à la sorcellerie, la luxure est présentée comme un maillon dans les chaînes de causalité censées expliquer la diffusion de la peste. Ambroise Paré déclare encore, en 1568, que « la peste et autres maladies dangereuses sont tesmoignage de la fureur divine sur les péchez, idolâtries et superstitions qui régnent sur la terre ».

Uriel et Asmodée

Uriel est associé à la planète Mars et correspond bien aux accompagnateurs du dieu, car le Livre des Egrégores le fait préposé au tonnerre et au monde terreur. On représente Mars sous la figure d'un vieillard très fort , armé d'un casque , d'une lance et d'un bouclier , tantôt nu , tantôt vêtu d'un habit militaire et d'un manteau ; quelquefois barbu , mais le plus souvent sans barbe. Il porte sur la poitrine une égide avec la tête de Méduse. La Fureur et la Colère surmontent son casque, et la Renommée précède presque toujours ses pas. Mars est ordinairement assis sur un char attelé de deux coursiers, appelés la Fuite et la Terreur, fils de Mars et de Vénus, ou d'Erinys et de Borée, qu'il conduit ou laisse diriger par Bellone, sa sœur (Émile Lefranc, Cours complet de mythologie, 1842).

Asmodée qui lui est « opposé » est «le pire des démons», aux yeux de Tobie. Mais ses desseins meurtriers servent en définitive le plan divin. Asmodée transpose la «Fureur» iranienne, AeSma Daeva, confondue avec l'adversaire du dieu-sauveur Khons d'Egypte. A son insu, ce méchant agit de façon à servir les desseins de la Providence.

Aesma est le principe même de la fureur guerrière essentielle aux êtres de deuxième fonction, dont le Rig Veda fait avec l’adjectif ismin l’application élogieuse aux Marut et à Rudra (Georges Dumézil, Déesses latines et mythes védiques, 1978).

Asmodée, démon des Dominations ?

Les Hiérarchies angéliques de Heywood ordonnent de cette manière : « Seraphim, Cherubim, Thrones; Dominations, Virtues, Powers; and Principalities, Archangels, Angels. » (Earl Roy Miner, Paradise lost, 1668-1968: three centuries of commentary, 2004).

Selon cet auteur anglais du XVIIème siècle, Asmodeus, dans la tradition médiévale, est classé dans le quatrième ordre des anges déchus (David Loewenstein, Milton: Paradise Lost, 2006).

C’est-à-dire les Dominations.

Saint Gaon

Saint Gond (690) - en latin Godo ou Gao - qu'on appelle aussi, par une mutation de syllabe assez fréquente en Franche-Comté, saint Gand, et dans la Champagne saint Gaon, parfois aussi Godon, appartient par sa naissance à la Lorraine, par sa formation religieuse à la Suisse et à la Franche-Comté, par ses travaux à la Normandie ; une fondation monastique, le lieu de sa mort et ses reliques le rattachaient au diocèse de Troyes, mais par la suite le territoire intéressé a été rattaché au diocèse de Chalons en Champagne (Marne).

Gond appartenait à l'une des premières familles des leudes d'Austrasie. Né au territoire de Verdun (Meuse), il était neveu, du côté maternel, de saint Wandrille ou Vandrégesile, parent du bienheureux Pépin de Landen, dont la retraite dans la solitude avait contristé (causer du chagrin) Dagobert et toute sa cour. Gond, lui, ne paraît pas avoir connu le monde et ses séductions.Iil méprisa les plaisirs et les grandeurs du monde qui l'avaient séduit quelque temps, distribua ses biens aux pauvres et s'appliqua dans la solitude à la prière et aux pratiques de la pénitence. Il semble bien, en effet, s'être retiré tout jeune auprès de son saint oncle Wandrille, de retour de Bobbio, dans l'abbaye de Romainmôtier ou Romain-Moutier, au diocèse de Lausanne. Le monastère de Romainmôtier fondé par les Pères du Jura, sur le mont Joux, les saints Romain et Lupicin, jettent les fondements d'un tout premier monastère, au milieu du Ve siècle. Peut-être détruit par les Alamans au début du VIIe siècle, l'établissement sera réanimé par un dignitaire de la cour de Bourgogne avec des moines de Luxeuil pour instaurer la Règle de Saint Colomban, c’est à cette époque que Wandrille et Gond arrivent dans ce monastère sous la règle de Luxeuil. A partir de cette époque, où Gond devait être oblat à côté de son oncle Wandrille, le parcours monastique des deux saints sera identique jusqu’au départ de Gond de l’abbaye de Fontenelle. A l'école des saints moines du Jura, encore tout embrasés du zèle de leurs fondateurs, Gond faisait des progrès dans les voies de Dieu ; peut-être pas assez rapides, au gré de son oncle. Saint Wandrille — dit le vieil hagiographe — s'efforçait d'obtenir, par ses prières, que l'âme de son jeune neveu sentît la constance s'augmenter. Et bien que Gond mît tout son cœur à suivre les traces d'un homme si vertueux, toutefois il ne pouvait encore rivaliser avec Wandrille par le degré dans la vertu. Désireux de mener une vie de plus en plus sévère, Wandrille ambitionnait de se retirer dans un ermitage et de fuir ainsi toute marque d'honneur. Pour cela, il s'efforçait de trouver un lieu parfaitement adapté à ce nouveau genre de vie. Peut-être aussi se sentait-il de nouveau pressé du désir de visiter la terre d'Irlande, patrie de saint Patrick et de saint Colomban? Toujours est-il qu'accompagné de son neveu, jeune moine comptant alors une vingtaine d'années, il sortit de Romainmôtier (Près de Lausanne – Suisse), béni par son Abbé, et, traversant la chaîne du Jura, il se dirigea vers l'Ouest, c'est-à-dire vers la mer. Les deux voyageurs arrivèrent dans la Neustrie (la Normandie actuelle). Visiblement inspiré de Dieu, l'évêque de Rouen, qui était alors saint Ouen, leur interdit de quitter son diocèse. Il alla plus loin et contraignit Wandrille à recevoir les ordres sacrés ; il le fit ordonner prêtre par son ami saint Omer, évêque de Thérouanne (Pas-de-Calais), et l'installa, avec son neveu, dans un vaste domaine totalement inculte que lui donna le maire du palais Erchinoald. II s'appelait « Les Fontenelles » ; l'usage a prévalu de l'appeler Fontenelle. Il semblait à Wandrille et à Gond qu'ils allaient maintenant pouvoir renouveler, dans cette vaste forêt de Normandie, les merveilles de la vie solitaire des premiers Pères du Jura dont le récit les avait tant de fois émerveillés, au cours de leur séjour à Romainmôtier. Ainsi, d'ailleurs, commencèrent bien des grands monastères des Gaules. Les deux moines étrangers se construisirent une hutte de branchages et ils se mirent à vaquer en paix à la contemplation et aux pieux exercices. Mais, malgré leur humilité, leur réputation ne tarda pas à s'étendre ; saint Ouen n'avait pas manqué de la divulguer ; Erchinoald, qui leur avait fait ce riche don, n'était point tenu non plus à garder le secret. Bientôt, on vint en foule visiter les solitaires. Comme son oncle, Gond n'avait pu voir sans une réelle peine l’affluence des disciples troubler la paix de leur solitude. Comme lui, cependant, il se résigna humblement à être l'instrument de Dieu et à coopérer à la grande œuvre de civilisation chrétienne que la Providence confiait à son oncle, en Normandie. Il fut l'auxiliaire fidèle et dévoué de Wandrille, et l'on est en droit de le regarder comme le cofondateur de cette illustre abbaye.

Fontenelle avait déjà pris une notable extension quand Wandrille jugea bon d'enrichir son abbaye d'un trésor de reliques et de mettre une bibliothèque à la disposition de ses moines, et pour cela, son regard se tourna vers Rome. Mais l'Abbé de Fontenelle, retenu par d'impérieux devoirs, ne pouvait accomplir lui-même ce long voyage. Il résolut donc d'envoyer son neveu à sa place. Gond trouvait là une occasion de se sanctifier par ce pieux pèlerinage, et en même temps de se soustraire au moins pour un temps à cette célébrité qui lui pesait tant. Il accueillit donc avec enthousiasme l'ordre de son oncle et prit le chemin de Rome. Le pape (de Rome) Vitalien le reçut avec une extrême bonté et combla ses désirs. Gaon rapporta de précieuses reliques, des exemplaires de la Bible, des livres de Liturgie et plusieurs ouvrages des anciens Pères de l'Eglise : en sorte que de tels voyages étaient utiles non-seulement à la religion, mais encore au progrès de la science.

On compta bientôt jusqu'à 300 religieux à Fontenelle. Un jour vint où Wandrille, voyant son œuvre solidement établie en Neustrie, permit à son neveu de se retirer dans la solitude à laquelle celui-ci aspirait avec ardeur. C'était environ sept ans avant la mort de l'Abbé de Fontenelle (668). Les deux serviteurs de Dieu se dirent « au revoir, en paradis », et Gond, remontant la vallée de la Seine, marcha vers l’est à la recherche d'une contrée sauvage où sa réputation ne l'aurait pas précédé et où il pourrait enfin s'adonner à la vie purement contemplative, loin des regards des hommes. Ce lieu, il crut l'avoir trouvé sur les confins de la Champagne et de la Brie, au nord de Sézanne et presque à égale distance de Montmirail et de Vertus, dans une région de marécages et de forêts ; l'endroit se nommait Augia, d'où l'on a fait en français Oyes. Mais il avait compté sans les desseins de la Providence. A Oyes encore plusieurs disciples se présentèrent ; le nouveau venu dut les accueillir dans la « cella », quelque chose comme un commencement de monastère qu'il s'était construit avec une chapelle qui était dédiée à saint Pierre. En se plaçant sous la sauvegarde de l'apôtre, Gond avait satisfait ses pieux souvenirs de pèlerin de Rome, en même temps que sa reconnaissance envers le patron des abbayes où il s'était formé à la pratique des vertus monastiques : Romainmôtier et Fontenelle.

Là encore, mais dans une proportion moindre qu'à Fontenelle, des visiteurs vinrent chercher un centre de vie monastique ; Gond édifia plusieurs cabanes à côté de la sienne, et devint le Père d'une sorte de communauté groupant peut-être sous sa direction une vingtaine d'âmes. On ignore l'année de la mort du solitaire ; généralement on la place vers 690, le 26 mai, qui est la date de sa fête ; toutefois, à l'abbaye de Saint- Wandrille, on célébrait sa mémoire le 24 juillet.

Chaque année, le 26 mai, on fait à Langres une procession solennelle dans les rues de la ville en l'honneur de saint Gaon. C'est l'accomplissement d'un vœu qui remonte à l'année 1632. Il fut déterminé par une peste qui se joignait aux malheurs de la guerre et qui enleva le tiers de la population à Langres et aux environs. Il n'était que la rénovation d'un premier vœu fait au commencement du XVIème siècle. On portait à cette procession des reliques de l'anachorète qui étaient précieusement enchâssées. Elles étaient au trésor de l'église de Saint-Pierre. On célèbre dans tout le diocèse la fête de saint Gaon qui, du reste, ne lui appartient ni par sa naissance ni par aucune circonstance de sa vie.

Les reliques de saint Gond furent inhumées dans son petit monastère, qui fut dévasté par les Normands au IXème siècle puis relevé de ses ruines par une dame nommée Eve, qui y fonda un monastère. Ce nouvel établissement porta le titre d'abbaye, sous le nom de Saint- Pierre d'Oyes, jusqu'en 1334, époque à laquelle il fut réduit en prieuré, sous la dépendance de Moutier-la-Celle. On l'appelait le prieuré de Saint-Gaon. Cette décision fut prise d'accord avec l'évêque de Troyes, Jean d'Auxois, et elle fut confirmée par le Pape Clément VI. Le 16 septembre 1621, son corps fut solennellement reconnu au monastère de Saint-Gaon établit à l'endroit où le solitaire était mort. De ce monastère et de son fondateur il ne subsiste plus aujourd'hui qu'un humble témoin, le hameau de Saint-Gond, dans la paroisse d'Oyes, dont le nom serait inconnu s'il n'avait acquis un renouveau de célébrité à la suite des combats livrés dans les « marais de Saint-Gond », du 6 au 10 septembre 1914. La Franche-Comté n'a pas non plus complètement oublié saint Gond. Aux XVIe et XVIIe siècles, sa mémoire était encore assez en honneur pour que la ville de Dole (Jura) se vouât à lui pour être protégée de la peste et que, en action de grâces pour sa protection, elle assurât par fondation son office solennel ; cet office, le Chapitre exempt de la collégiale Notre-Dame devait le célébrer avec autant d'éclat que les plus importantes des fêtes de l'année. Le village de Saint-Gand près de Gray, au diocèse de Besançon, a gardé pour patron le saint moine de Saint-Pierre d'Oyes et l'on croit communément que c'est de son nom que le village de Bois-de-Gand, au diocèse de Saint-Claude, tire le sien.

Par une sorte de jeu de mots sur le nom qu'on lui donne assez communément ici ou là — Gaon, en effet, comme faon, Laon, paon, se prononce Gan, — les gantiers, mégissiers et parfumeurs l'ont pris comme patron de leur corporation. De là est venu l'usage de le représenter un gant à la main.

Nous connaissons peu de représentations anciennes du solitaire champenois, et celle qu'on peut voir aux verrières de la cathédrale de Troyes, à la cinquième fenêtre du côté de l'Evangile, est une des rares qu'il nous ait été donné de rencontrer (A. P. et Fr. Br.. Association Les Amis de Saint Colomban de Luxeuil, Baillet, Boll, Saints de Franche-Comté, Saints de la Haute-Marne.).

Dans le Diocèse de Troyes, on invoque aussi ce saint contre la peste.

Par un jeu de mot très approprié à notre tarot, le titre de gaon a été donné aux chefs de deux académies babyloniennes de Sura et de Pumbedita, le titre original étant Rosh Yeshivah Ge'on Ya'akov (tête de l’académie, gloire de Jacob). La terme araméen était Resh metivta.Ce titre devint populaire vers le VIème siècle. Comme les académies de Sura et de Pumbedita furent investies d’une autorité juridique, le gaon officiait comme juge suprême. Elles étendirent leur autorité sur l’Afrique du Nord, l’Espagne et à la diaspora tout entière. Cette période est marquée par la rédaction et la diffusion d’ouvrages théurgiques et magiques, spécialement en Babylonie dans la tradition des anciens papyri magiques. Ils sont rédigés par des Ba’aley Shem, Maîtres du Nom. Dans ces textes, la démonologie va de pair avec l’angélologie. Un texte comme la Habdala de R. Aqiba est un exemple de ce type de littérature. Dans la mystique de cette époque, la notion de Shekhina prend une nouvelle signification, passant de simple présence de Dieu à une hypostase comme c’est le cas des sept midot de Rabbi Nathan (Sagesse, Justice, Droit, Grâce, Miséricorde, Vérité et Paix). Un rapprochement s’esquisse aussi entre la Shekhina et la Knesset Israel. La doctrine de la migration des âmes se diffuse d’Orient en Provence, même si elle est contestée par Saadia Gaon en 930. Enfin la gematria et d’autres procédés sont utilisés pour éclaircir les mystères (sodot) numérologiques liés à une nouvelle conception de la prière. Ces innovations parviennent en Occident par le canal de l’Italie, ce dont témoigne la Megillat Ahima’az rédigée par Ahima’az d’Oria et les piétistes d’Allemagne. On peut citer comme mystiques de l’époque des Geonim (vers 600 – vers 1050) Sherira ben Hanifia et Hai Gaon (Roland Goetschel, La Kabbale, PUF).