Partie XIV - Le Serpent rouge   Le voyage de l’âme   Taureau   
SERPENT ROUGE SCEAU DE PALAJA TAUREAU

TAUREAU

« Grâce à lui, désormais à pas mesurés et d’un oeil sûr, je puis découvrir les soixante-quatre pierres dispersées du cube parfait, que les Frères de la BELLE du bois noir échappant à la poursuite des usurpateurs, avaient semées en route quant ils s’enfuirent du Fort Blanc. »

Le cube parfait : la Terre

Nous retrouvons la Terre par ce cube, figuration de l'élément terrestre selon Platon (Timée, 55d). Le Taureau est en effet un signe de Terre.

Les Ihwân (Frères de la Pureté) écrivent (I, 215) : « Dans son dernier livre, Euclide a dit que la forme de la terre est tout à fait semblable à un cube, et que la voûte céleste est un dodécaèdre ; or dans la proposition XVII du Livre XIII, Euclide énonce que le cube peut être limité par douze pentagones équilatéraux et équiangles qui constituent un dodécaèdre. Pour les Ihwân, le cube est donc au milieu du dodécaedre comme la terre au milieu du ciel (Yves Marquet, La philosophie des Ihwan al-Safa, 1999 - books.google.fr).

"Le carré de Jupiter a pour base 17. Le Tout alchimique, aux Poissons astrologiques, est ainsi illustré par les spéculations chiffrées de Geber sur les quatre éléments et les nombres qui leur correpondent. On peut en effet penser que le 17 est le nombre du Tout, et que Saturne correspond également à l'oeuf des alchimistes, fait des quatres éléments. Comme Saturne est aussi la septième sphère, le symbolisme du nombre 17, que l'on retrouve chez les Frères de basra, vient dans doute, comme le pense Stapelton, d'une tradition mésopotamienne antéreire au pythagorsime et dont la cité des Sabéens fut la gardienne avec ses cinquante et un mystiques élus, qui veillent aux portes de Harran (Paulette Duval, La pensée alchimique et le conte du graal, Champion, 1979, pp. 116-117).

Les épitres des Frères de la pureté sont au nombre de 51 (17x3) + 1.

Une liste des carrés d'ordre 3 à 9 est donnée dans l'Encyclopédie (Rasa'il) compilée vers 990 par les Frères de la pureté (nieuwebabylone.skyrock.com - Généralités sur les carrés magiques).

L'âme et les Frères de la Pureté

On sait que des mystiques (comme al-Hallâj) ont affirmé s'anéantir en Dieu ; que d'autres ont prétendu s'unir à lui ; cela, de nombreux docteurs sunnites le contestent, se fondant sur un certain nombre de versets coraniques : mais à défaut de la vision de Dieu, qu'un regard humain ne saurait supporter, tous les mystiques affirment en tout cas possible la vision du prophète.

Pour Fârâbî, l'union mystique, accessible seulement à l'échelon des prophètes et des philosophes, se fait avec l'Intellect actif. Les Ihwân, eux, affirment que l'âme des initiés peut avoir, même ici-bas, une telle vision. Il me faut revenir un instant sur ce point si important et résumer ce que j'ai dit. Le point de départ, on le sait, fut l'objet de controverse qui a d'abord opposé les mu'tazilites aux «gens du hadït», puis les as'arites aux mu'tazihtes: il s'agissait de savoir si après la mort les élus pourraient, dans l'autre monde, voir Dieu ; possibilité exclue par la conception que se faisaient les mu'tazilites de l'unité divine, les Ihwân s'opposent à ces derniers sans pour autant accepter le point de vue des as'arites (vision de Dieu «sans qu'on sache comment»). Selon eux, on s'en souvient, l'âme a d'abord la vision des réalités de la création matérielle; puis ces belles formes, sur lesquelles elle a réfléchi, restant représentées en elle sous une forme spirituelle et abstraite (III 382-3), elle a maintenant une vision scientifique des réalités, préalable à une vision plus haute ; en effet, comme ces choses sont les symboles des archétypes aux différents étages, leurs attributs permettent par analogie de remonter la filière des universeaux et cela jusqu'au «monde des esprits», celui de l'Ame et de l'Intellect universels; car l'âme se connaissant elle-même, peut avoir la vision de l'autre monde et par conséquent voir tous les êtres «spirituels» et «intellectuels» échappant aux sens, «formes non incarnées» qui sont les différents «genres» d'anges du monde céleste, «êtres sphériques»; elle connait les états de ces êtres spirituels et même «voit leur joie, leurs délices et leur béatitude» (III 281, 342-3, IV 281-2), connaissant son «Début» et son «Retour», ayant remonté la filière des universaux jusqu'au monde des esprits, elle «voit» par analogie avec elle-même notamment, l'Ame universelle dans son ensemble et l'Intellect, avec leurs attributs attributs archétypes dans toute leur pureté et leur dépouillement ; et c'est à travers ces attributs de la création qu'elle peut «voir» l'ipséité et l'unité divines, pourtant indescriptibles et inimaginables, comme elle les verra dans l'autre monde. Mais il y a peut-être en outre autre chose. De même que l'imam, la créature la plus parfaite ici-bas, est le passage obligé des âmes vers l'autre monde, la vision de l'imam et de la perfection de ses attributs favorise vraisemblablement la «vision de Dieu» à travers lui (comme la vision du prophète en rêve ou à l'état de veille aidera les mystiques à se sentir plus près de Dieu). On comprend l'importance que les chiites, là encore suivis par les autres mystiques, ont attribuée au fameux verset de la «niche» et de la «lampe» : la vision d'une lumière (Dieu, ou l'lntellect) se fait dans une lumière (peut-être la Cité spirituelle) et à travers une lumière (vraisemblablement Fimâm). On se souvient que toutes ces «choses intellectuelles» qui échappent aux sens, on les voit «à la lumière de la raison» et «avec les yeux du coeur». J'ai déjà montré comment ces deux expressions, de prime abord contradictoires, sont, selon la doctrine des Ihwân, équivalentes; il s'y ajoute parfois les formules «voir avec l'oeil de lucidité» ou «avec l'oeil de la certitude et à la lumière de la bonne direction» qui permettent «une vue claire». Se réveiller du sommeil de la négligence et de l'ignorance, c'est pour l'âme recouvrer sa pureté originelle, la pureté de sa substance, qui seule lui permet de «contempler» son vrai monde et donne à l'homme un «esprit lumineux» et un «coeur pur». C'est cette pureté, acquise à l'aide des quatre vertus, qui fait que l'homme voit «s'ouvrir en lui l'oeil de lucidité». «Puisse Dieu nous faire parvenir au comble de la pureté, éclairer nos âmes» s'écrient les Ihwân (IV 413). Cette pureté n'est pas un vide de l'âme puisque toutes les belles formes d'ici-bas qu'elle a aimées ont contribué à faire recouvrer à cette âme sa vraie forme. Il n'en reste pas moins qu'elle ressemble fort à une transparence. De même que la transparence des corps est indispensable aux yeux pour percevoir la lumière des deux mondes matériels, la pureté de l'âme est indispensable pour percevoir «la lumière de la raison», la lumière archétype (II 23, 476, III 281-2, 311, 341, IV 49, 66, 81, 281) ou plutôt les réalités qu'elle éclaire.

Les Ihwân s'opposent fortement aux orthodoxes par l'importance qu'ils attribuent à la raison, et parce qu'ils considèrent comme légitime (mieux comme un devoir), d'adopter toutes les «sciences et sagesses» issues de l'effort (soutenu d'ailleurs par l'inspiration divine) des bons philosophes, ainsi que celles qui ont été révélées durant les millénaires antérieurs ; il n'y a là aucun risque, puisque l'imâm gardien de la révélation est apte, comme aussi ses principaux initiés, à trier le bon grain de l'ivraie. Toutes les idées exposées dans leurs épîtres, «les anciens sages en ont parlé», ont «fait là dessus de longs discours» et, «l'ont consigné dans des livres qui sont entre les mains des gens» (I 20, Introduction). Mais ces écrits «ont été traduits de langue en langue»; c'est pourquoi leur signification «reste fermée à leurs lecteurs ; et la connaissance de ces réalités se trouve perdue pour les chercheurs». Les Ihwân nous offrent donc un compendium de de toutes ces «sciences». Quels sont ces «anciens sages», auxquels ils ont eu recours? J'ai eu tort de dire que l'origine de leur doctrine était à rechercher dans les contacts directs entre les premiers ismaïliens et les sabéens de Harrân, et que dans le nouveau syncrétisme ainsi opéré, ils avaient donné une place beaucoup plus grande au néo-platonisme. En fait, c'est vraisemblablement le contraire qui s'est produit. Je l'ai déjà dit; ainsi qu'en témoigne l'histoire de Ya'qûbï, les imâmites du 9e siècle étaient des musulmans néoplatoniciens (Ja'far al-Sâdiq n'a peut-être pas été étranger à cette orientation), et c'est ensuite l'hermétisme pythagoricisant des harrâniens qui a contribué à éloigner la doctrine ismaïlienne de celle des autres imâmites. Dans ce néo-platonisme, Platon (vu à travers une optique néo-platonicienne), a une place de premier plan, et il semble (j'y reviendrai) que les Ihwân le considèrent comme un imâm d'un cycle passé. Platon est mentionné dix fois (il s'agit (Yves Marquet, La philosophie des Ihwân al-Safa, 1999 - books.google.fr).

L'âme, le luth et le nombre 64

Ikhwân aç-çafâ' " (IXe-Xe siècle) ont hérité de la doctrine de l'ethos agencée par al-Kindî dans une optique ésotérique, en dépit des conceptions rationnelles défendues par al-Fârâbî et ses successeurs. Ils réclamaient à leur tour une dimension musicale spirituelle significative, correspondant aux aptitudes respectives des âmes. D'une part, pour se protéger, tout en abritant la musique en péril à leur époque, et d'autre part, pour adoucir l'impact de la musique, aux yeux de ses adeptes, plus que jamais, repliés sur eux-mêmes, après les époques de grandeur, de prestige et d'unité.

Ikhwân aç-çafâ' ont laissé une Épître sur la musique glorifiant les principes cosmiques d'al-Kindî et ses prédécesseurs grecs. Ceux-ci resteront vivants jusqu'à nos jours, reléguant ainsi tout le savoir théorique physique et acoustique de la musique à un rang inférieur. Ils établissent une correspondance entre les cordes du luth et les éléments : première corde, le feu ; deuxième corde, l'air ; troisième corde, l'eau ; quatrième corde, la terre (Mohammed Habib Samrakandi, Musiques d'Algérie, 2002 - books.google.fr).

La répartition des signes astrologiques suivant les 4 cordes du luth oriental faite par Al-Kindi ne correspond pas à a tradition astrologique (Esotérisme arabo-musulman et zodiaque musical, Le dessous des notes: voies vers l'ésosthétique : hommage au professeur Manfred Kelkel, 29 janvier 1929-18 avril 1999, 2000 - books.google.fr).

Il y a quatre cordes constituées de fils de soie. La quatrième et plus grosse (bamm), au son le plus grave, en a 64 ; la troisième (matlat), 48 ; la deuxième (matnà), 36 ; et la première (zîr) au son le plus aigu, 27 (Yves Marquet, La philosophie des alchimistes et l'alchimie des philosophes: Jâbir ibn H?yyân et les "Frères de la Pureté", 1988 - books.google.fr, iis.ac.uk - Epistles of the Brethren of Purity).

Les quatre cordes de cet instrument s'appellent : la première, zir, chanterelle (mi); la deuxième met- sni-mothlik (si); la troisième, motsellets (sol); la quatrième bem (re). Ce sont les premières cordes de notre guitare, dont on pourrait trouver l'origine dans le berbeth ou le oûd, importé en Espagne par les Arabes (Le D'Huy, Berbeth, Dictionnaire de la conversation et de la lecture: Bat - Bes, Volume 5, 1833 - books.google.fr).

On compte encore parmi les hommes célèbres inhumés à Saint-Germain-l'Auxerrois : Jacob, le meilleur joueur de luth de son temps; il obtint la charge de joueur de luth de la chambre du roi. On fait grand cas de ses Gaillardes, qui de son temps étaient fort à la mode. On prétend qu'il ne jouait jamais mieux que lorsqu'il avait bien bu, ce qui lui arrivait fréquemment.

Son jeu était si plein et si harmonieux, son toucher si fort et si beau, qu'il tirait l'âme du luth, comme parlent ceux de cette profession. Il avait la main si bonne et si vile, qu'il ne levait point les doigts en jouant, et semblait les avoir collés sur son luth : adresse fort rare, et qui n'était point connue avant lui. Bien qu'il touchât le grand luth mieux qu'aucun de son temps, c'était encore toute autre chose sur le petit. Enfin on ajoute que personne n'a jamais si bien préludé (Jules de Gaulle, Nodier, Nouvelle histoire de Paris et de ses environs, 1839 - books.google.fr).

L'âme est parfois comparée au joueur de luth :

Le joueur de luth, qui connoît parfaitement toutes les cordes de son instrument, qui les voit de ses yeux, qui les touche l'une après l'autre de ses doigts, s'y méprend : mais l'ame, qui gouverne la machine du corps humain , eu meut tous les ressorts à propos, sans les voir, sans les discerner, sans en savoir ni la figure, ni la situation, ni la force; et elle ne s'y mécompte point (L'existence de Dieu, Oeuvres de Fénelon ; précédées d'études sur sa vie, Volume 1, Lefèvre, 1835 - books.google.fr).

Au réticences du catholique Fénelon, répond une comparaison plus franche du protestant Isaac Jacquelot (1647–1708) :

Mais c'est parce que l'ame a besoin d'un corps prêt a obéïr à tous ses commandemens, pour exercer toutes ses fonctions, de même qu'un Joueur de luth doit avoir un luth dont toutes les cordes soit tendues & accordées, pour jouer les chansons & les airs avec justesse & avec harmonie (Isaac Jaquelot, Dissertations Sur L'Existence De Dieu, Volume 2, 1744 - books.google.fr).

Le luth est comparé lui à un organe comme le corps de l'être humain même chez Bossuet :

Ce corps, à le regarder comme organique, est un par la proportion et la correspondance de ses parties; de sorte qu'on peut l'appeler un même organe, de même et à plus forte raison qu'un luth ou un orgue est appelé un seul instrument : d'où il résulte que l'âme lui doit être unie en son tout, parce qu'elle lui est unie comme à un seul organe parfait dans sa totalité (Bossuet, De l'âme et du corps, Connaissance de dieu et de soi-même, Oeuvres complètes, Migne, Volume 2, 1856 - books.google.fr).

Le Luth comme corps, fait de limon ou de boue suivant la conception religieuse biblique, renvoie au lut (lutum, latin boue), le sceau hermétique, le lut de sapience de l'alchimie.

Georges Bourgueil note au sujet de L'histoire véritable ou le voyage des princes fortunés de Beroalde de Verville :

Luth : l'orthographe d'alors écrit «lut», ce qui favorise l'ambivalence entre l'instrument de musique et l'opercule, nommé aussi «sceau d'Hermès», qui permettait de boucher le vaisseau alchimique afin d'empêcher les vapeurs de (Béroalde de Verville, L'histoire véritable ou le voyage des princes fortunés, annoté par Georges Bourgueil, 2005 - books.google.fr, incoherism.owni.fr - Le voyage des Princes fortunés de Beroalde de Verville).

Les usurpateurs

Après la mort du calife 'Ali en l'an 40 H. (661 A.D.), ses partisans, les Shi'a, considérèrent Mu'awiya et, après lui, les Umayyades et les Abbassides comme des usurpateurs du pouvoir. C'était 'Ali et sa progéniture qui, aux yeux des Shi'ites, devaient être les califes — successeurs légitimes du Prophète. Il y eut, il est vrai, des désaccords entre les Shi'ites eux-mêmes, sur la personne, dans la lignée de 'Ali, qui avait droit à cette dignité.

Une telle anarchie était favorable à la naissance d'un parti qui chercherait à remédier à cet état de choses, à s'emparer du pouvoir et à imposer ses principes, sa doctrine et son enseignement, bref à réformer totalement la société. C'est la tâche que va s'assigner une confrérie secrète connue sous le nom de Ikhwan ai-safa wa Khillan al-wafa (les Frères de la pureté et Amis de la sincérité).

Les vrais détenteurs de cette vérité et ses gardiens les plus fidèles sont les imams qui, d'après les Isma'iliyya, sont leurs vrais et propres chefs religieux. Il faut donc leur préparer la voie: ils sont les légitimes représentants du Vrai sur terre; en dehors d'eux, il n'y a que des usurpateurs du pouvoir. Et ces Frères de la pureté, prêchant la réforme des mœurs et voulant éclaircir la foi par la science, visaient surtout à prendre le pouvoir, car, pensaient-ils, seul leur enseignement est vrai, et seul il est capable de sauver le monde. Si leur tentative n'a pas réussi, du moins sur le terrain politique, il n'empêche que leur héritage spirituel et scientifique a trouvé refuge, après la dispersion de la confrérie, chez les Isma'iliyya qui en sont fiers et qu'ils gardent jalousement. Les Druzes, de leur côté, ont retenu une large part de cet héritage (Albert Nader, Courants d'idées en Islam: du sixième au vingtième siècle, 2003 - books.google.fr, users.skynet.be - L’Epître des Frères de la Pureté sur les Nombres).

Postérité des Frères de la pureté

Il existe des rapports frappants entre la doctrine philosophique des Frères de la Pureté et la doctrine des Ismaïliens :

On sait combien sont rares les documents originaux relatifs aux Ismaïliens et à la branche la plus célèbre de cette secte : les Assassins. Le manuscrit de la Bibliothèque nationale, qui porte dans le catalogue de Slane le n° 2,309, a été rédigé par un partisan de la secte des Assassins, comme je vais le démontrer.

Il devait faire partie d'un manuscrit plus considérable, car il n'est précédé d'aucun titre, d'aucune indication et commence au folio 6 par ces mots : "fragment [tiré] des Epîtres des Frères de la Pureté."

M. Guyard a déjà signalé des rapports frappants entre la doctrine philosophique des Frères de la Pureté et la doctrine des Ismaïliens. Le Fetwa de Taki ad-dîn ibn Taïmiyyah , que le même savant a publié et traduit d'après un manuccrit appartenant à notre Société, affirme cette parenté à deux reprises : ils fondent leurs discours sur les doctrines des philosophes, comme l'ont fait les auteurs des Epitres des Frères de la Pureté.

Une preuve assez caractéristique, qui a échappé à Guyard, est que la formule sacramentelle des Frères de la Pureté qu'on lit à chaque page, à chaque paragraphe : "Sache, ô mon frère, Dieu t'inspire ainsi que nous d'un souffle de lui" se retrouve dans un des fragments qu'a publiés ce savant, d'après le manuscrit 37 de notre Société que je viens de citer, et qui est un composé de divers fasl comme le manuscrit 2,309 de la Bibliothèque nationale.

Jusqu'au folio 122 inclus, ce dernier contient des fragments empruntés aux Epitres; il donne, en outre, une épitre qu'on ne retrouve dans aucun manuscrit, qu'il appelle la djâmi'at et dont je parlerai tout à l'heure.

Aux folios 123 et suivant, sont écrites quelques notes chronologiques très sommaires, intitulées pompeusement : "histoire des rois de l'Islam".

Au folio 125, l'auteur s'étend complaisamment sur de menus faits qui se passent à Masiaf : arrivée d'un émir le mercredi 9 djoumadâ 1er 711; départ d'un autre le jeudi 16 djoumadâ, etc. Ceci indique que l'auteur était habitant de Masiâf et contemporain : du moins qu'il s'intéressait particulièrement à cette ville. Or Masiâf était la capitale des Assassins. Voici qui est plus décisif : au folio 125 v°est donnée la date de la prise des forteresses occupées par les Assassins en Syrie sous ce titre : "dates de la conquête des forteresses au début de la Mission dirigeante".

Cette dénomination de la « Mission dirigeante » est celle que se donnaient les Assassins ; et il est clair qu'en dehors de leurs partisans nul ne s'avisait de les désigner ainsi.

L'ouvrage se termine (fol. 127 r°) par la lettre de Salâh-ad-din à Râchid ad-din Sinân, grand-maitre des Assassins de Syrie , et la réponse de celui-ci. Le grand-maitre est désigné par les mots "le sâhib Râchid ad-din". Le titre de sâhib est bien le titre officiel des grands-maitres des Assassins de Syrie ; l'auteur ajoute au nom de Râchid-ad-din une fois "que Dieu sanctifie son mystère !", une autre fois "que Dieu sanctifie son âme !". De telles formules de vénération ne sont admissibles que chez un partisan de Sinân. La lettre de Sinân est qualifiée de : "réponse de la parole de Rachid ad-din".

Le terme de est caractéristique, chez les Assassins, des écrits de Sinan : il avait sans doute quelque valeur mystique.

Je me propose de donner dans les Notices et extraits des manuscrits une notice étendue de ce manuscrit, qui contient deux pièces inédites : la première est la djâmi'at des Epitres des Frères de la Pureté ; la seconde est la lettre de Salàh ad-din à Sînân (on ne connaissait jusqu ici que ]a réponse de ce dernier). Je voudrais seulement donner ici un rapide aperçu de l'une et de l'autre. Le nom de djàmi'at, d'après Abou'l Faradj et Ibn al-Koufti, était donné à la 51e et dernière épitre parce qu'elle rassemblait et contenait en résumé toutes les autres. C'est une erreur: la 51e épitre traite des matières très spéciales de la magie théorique et pratique; elle n'est en rien le résumé des autres, qui traitent d'autres sciences non moins spéciales, comme les mathématiques, la géographie, la musique, etc. Notre manuscrit donne la 51e en entier et y ajoute la djâmi'at, comme une œuvre très distincte. Le ms. 2,304 de la Bibliothèque nationale, qui est, à ma connaissance, le plus ancien manuscrit contenant toutes les épitres, ne donne pas la djâmi'at mais la mentionne en lui assignant une place et une videur toutes spéciales.

Fin de la table, Puis il y a l'épître qui rassemble [djami'at] ce qu'il y a dans toutes ces épitres, comprenant l'entemble de leurs vérités. Elle a pour objet l'exposé des vérités de ce dont nous avons parlé et sur quoi nous avons appelé l'attention en ces épîtres, exposé plus lumineux et plus précis... toutes ces épîtres ne sont à elle qu'une préface, une introduction... L'épître la djàmî'at, c'est la couronne des épîtres, l'objet final de nos recherches, l'obtention du but, la réalisation de l'idéal.

Dans notre manuscrit, elle est annoncée sous une forme plus mystérieuse encore : "Discours sur le mystère réservé et la science gardée, [tiré] du secret de l'épitre de la djâmi'at, une des Épitres des Frères de la Pureté".

La djâmi'at, telle que nous la donne le manuscrit objet de cette notice, expose une sorte de panthéisme mécaniste, où toutes choses sont réglées d après les lois numériques , où les chiffres sept et douze jouent le principal rôle. Ainsi il y a sept astres mobiles et douze signes du zodiaque. De même (ce qui confirme le caractère Ismaïlien des Epitres), il y a sept Personnes, c'est-à-dire sept imams , et chacun d eux a douze apôtres. L'homme a sept facultés : la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat, le toucher, l'intelligence et la parole. La parole est le reflet de l'intelligence, comme la lune est le reflet du soleil. Les autres facultés répondent aux cinq planètes, etc. Nous n'avons que des comparaisons semblables sont développées tout au long dans les autres écrits des Ismaïliens. Je me contente de signaler la grande ressemblance du début de la djâmi'at avec le fragment XV, publié par Guyard.

Le caractère ismaïlien de la djàmi'at étant bien établi, il n'est pas sans intérêt de rappeler que les Alides possédaient deux livres sacrés : le djafr et la djàmi'at. Ainsi l'imâm Ali ibn Mousa ar-Rida, désigné par le khalife abbâsside al-Mamoûn comme héritier présomptif, accepta en disant : "Cependant le djafr et la djâmi'at m'indiquent le contraire". [...] M. Goldziher nous a donné un curieux passage de l'auteur arabe Nour Allali : c'était un livre de 70 coudées de long, que le Prophète avait dicté à Ali. "Par Dieu ! On y trouve tout ce dont les hommes ont besoin jusqu'au lever de l'heure", c'est-à-dire jusqu'à l'apparition du Mahdi. Le djafr est fort connu, et toutes les bibliothèques en possèdent des exemplaires plus ou moins authentiques : il roule sur des combinaisons cabalistiques de lettres et de chiffres qui permettent de prédire tous événements. De la djâmi'at il n'existe, à ma connaissance, aucune copie.

Il y a là un rapprochement très instructif, je crois, étant donné le caractère mystérieux et profond de la djâmi'at d'après les deux manuscrits que j'ai cités. Affirmer que la djâmi'at des Imams alides, qui lui demandaient conseil aux heures critiques, est la même que celle des Frères de la Pureté serait peut-être, en l'état actuel de nos connaissances, un peu téméraire. Mais il y a certainement là plus qu'une simple coïncidence, et c'est, à mes yeux, une preuve de plus de l'identité absolue des doctrines philosophiques chez les Ismaîliens et chez les Frères de la Pureté. On n'est pas d'accord sur les auteurs des Epitres. D aucuns disent qu'elles sont dues à un imân alide ; et cette opinion me parait la vraie. Ce qui est certain, c'est qu'elles furent composées à Bassorah, dans la région où s'étaient autrefois élaborées les mystérieuses doctrines des Chaldéens, où naquirent les principales sectes chiites comme les Kadrites, les Carmathes, les partisans d'Ali, chef des Zendj, etc. Mais ce sont là des questions d'une haute portée que je ne puis que signaler en passant.

Je m'arrêterai moins sur le second morceau inédit que contient notre manuscrit, car il nous apprend peu de chose. On sait que Salah ad-din qui, à deux reprises, faillit être tué par les fidawis de Sinân, résolut de détruire les forteresses que celui-ci occupait en Syrie. Il envoya une sommation à Sinân. Cest cette sommation dont nous avons le texte. Nous y voyons donnés à Salàh ad-din des titres pompeux tels qu'en prenaient les grands souverains : "Le sultan suprême, le roi éminent, maître des tous des peuples, seigneur des rois des Arabes et des Persans". Jamais Salah ad-din, dans les textes officiels que nous avons de lui (correspondance, inscriptions, monnaies), n'a pris de tels titres. Si la lettre est vraiment authentique, c'est un fait bien curieux, car il démontrerait qu'à cette époque Salah ad-din, enivré de sa conquête récente de Damas, presque assuré d'y ajouter bientôt celle d'Alep, avait des prétentions à devenir le sultan suprême, tel que l'avaient été autrefois les sultans seldjoukides, qui seuls ont de tels titres sur leurs monnaies et dans leurs inscriptions. Salah ad-dlii dut bientôt en rabattre , et peut-être l'humiliant échec qu'il subit de la part de Sinan fut-il le point de départ de sen retour à de plus modestes prétentions.

Après mille comliments au Sahib, il lui enjoint de venir le trouver à sa cour, sinon il détruira ses forteresses et ruinera ses Etats, car il sait pertinemment que Sinan "est un faux devin, un charlatan fieffé". I1 dëveloppe le thème en prose rimée, suivant la mode adoptée par le Kadt al-Fadil, qui pourrait bien avoir été le rédacteur de cette lettre.

La réponse railleuse de Sinan nous a été conservée par Ibn Khalilkan, qui dit en avoir vu la copie de la main mtoie du Kadi al-Fâdil. Elle a été publiée et traduite pour la première fois par Humbert. On la trouve à l'article Nour ed din, parce que, nous dit Ibn Khallikan, on croît que cette réponse était adressée à Nour ad-din; mais il ajoute que c'est à Salah ad-din qu'elle fut adressée. Cette rectification a échappé à Guyard, qui s'est trop hâté de dire que Nour ed din était en correspondance suivie avec le chef spirituel. Notre manuscrit la confirme péremptoirement.

Tels sont les points les plus curieux et les plus intéressants qui m'ont paru devoir être mis en lumière, Surtout je crois être dans le vrai en affirmant que les doctrines philosophiques des Ismaïliens sont contenues tout entières dans les Epîtres des Frères de la Pureté, Et c'est ce qui explique "la séduction extraordinaire que la doctrine exerçait sur des hommes sérieux". En y ajoutant la croyance en l'imam caché qui doit apparaître un jour pour établir le bonheur universel, elle réalisait la fusion de toutes les doctrines idéalistes, du messianisme et du platonisme. Tant que l'imam restait caché, il s'y mêlait encore une saveur de mystère qui attachait les esprits les plus élevés. On peut comparer cette influence à celle qu'exercèrent les mystères d'Eleusis et de Mithra, dans les temps anciens, et de nos jours ceux de la franc-maçonnerie, dont les doctrines mystiques et parfois les procédés politiques offrent d'étonnantes analogies avec ce que nous savons des doctrines et des procédés des Ismaïliens. En tous cas, on peut affirmer que les Carmathes et les Assassins ont été profondément calomniés quand ils ont été accusés par leurs adversaires d'athéisme et de débauche, La fetwa d'Ibn Taïmiyyah, que j °ai cité plus haut, prétend que leur dernier degré dans l'initiation est la négation même du Créateur. Mais la djâmi'at que nous avons découverte est, comme tout l'indique, le dernier degré de la science des Frères de la Pureté et des Ismaïliens ; il n'y a rien de fondé dans une telle accusation. La doctrine apparaît très pure, très élevée, très simple même : je répète que c'est une sorte de panthéisme mécaniste et esthétique qui est absolument opposé au scepticisme et au matérialisme, car il repose sur l'harmonie générale de toutes les parties du monde, harmonie voulue par le Créateur parce qu'elle est la beauté même.

Ma conclusion sera que nous avons là un exemple de plus dans l'histoire d'une doctrine très pure et très élevée en théorie, devenue, entre les mains des fanatiques et des ambitieux, une source d'actes monstrueux et méritant l'infamie qui est attachée à ce nom historique d'Assassins (P. Casanova, Notice sur un manuscrit de la secte des Assassins, Journal asiatique, 1898 - archive.org).

Sinân était originaire de Bassora, lieu d'origine des Frères de la pureté (Piers Paul Read, The Templars, 2001 - books.google.fr).

Le "Fort blanc" ou le Chastel blanc des croisés

Le Chastel Blanc est situé près de Tortose. On peut s'étonner qu'on ait jugé nécessaire de construire si près du Crac une autre forteresse, mais celle-ci était sans doute destinée à protéger le comté contre ses redoutables voisins du Nord, enfermés dans le massif du Djebel Ansarieh, les Assassins, dont l'un des châteaux Khawabi n'était distant que d'une vingtaine de kilomètres (www.templiers.net - Chastel Blanc).

In 1213 Bohemond's eldest son, Raymond, who was aged eighteen, was murdered by a band of Assassins in the cathedral of Tortosa. It seems that the murderers were instigated by the Hospitallers, to whom the Assassins now paid tribute. The Patri­arch Albert of Jerusalem, another enemy of the Hospitallers, was murdered by Assassins the following year. Bohemond sought vengeance, and with a Templar reinforcement attacked the Assassin castle of Khawabi. The Assassins appealed to az-Zahir, who in his turn appealed to al-Adil. The siege of Khawabi was lifted, and Bohemond apologized to az-Zahir. But az-Zahir was less ready now to support him. Moreover, rumours of a new Crusade brought the Moslem world together. Az-Zahir began to woo the friendship of his uncle al-Adil (Steven Runciman, A History of the Crusades, Book II Misguided crusades, II The Fifth Crusade, 1987 - dc148.4shared.com).

Il dut y avoir des prisonniers assassins chez les Templiers. Ce sont ils échappés ?

Le paiement d'un tribut par les Assassins est bien assuré. Guillaume de Tyr a raconté comment Sinân envoya au roi Amaury, en 1173, des ambassadeurs dont le principal était Abû Abdallah, pour solliciter la suppression ou au moins la diminution du tribut de 2.000 besants qu'il devait envoyer aux Templiers. Sinân offrait même de se faire baptiser, offre qui pouvait ne pas paraître invraisemblable en ce moment où le grand maître d'Alamut avait aboli la shari'a et les pratiques coraniques. Amaury se montra très attentif et proposa même de prendre sur son propre trésor une rente de 2.000 besants pour dédommager le Temple. Mais le meurtre des envoyés par le templier Gautier du Mesnil mit fin à cette négociation Sans doute ce tribut répondait-il à ce que les Assassins payaient au titre de leurs châteaux voisins des deux grandes forteresses du Temple, Chastel Blanc (Safitha) et Tortose (Jean Richard, Francs Et Orientaux Dans Le Monde Des Croisades, 2003 - books.google.fr).

Cette violation des lois de l'hospitalité provoqua la colère du roi qui envoya deux messagers au Chastel Blanc, au Grand-Maître de lui livrer le coupable. Odon de Saint Amand refusa : il répondit que c'était à lui seul de le punir, sauf appel au Pape, mais qu'en attendant, il défendait à quiconque de le toucher sans la permission du Saint Père. Le roi ne tint pas compte de cette prohibition et, profitant d'une absence du Grand- Maître, fit enlever de force Du Mesnil et le jeta en prison à Tyr. Cet événement aurait pu avoir des conséquences fâcheuses pour la Chrétienté si Amaury n'était mort quelques mois plus tard. Guillaume de Tyr, qui était alors précepteur des enfants du roi Amaury, avait pris fait et cause contre Odon : voilà pourquoi, dans son histoire des croisades, il appelle Odon homo nequam, superbus. arrogans. Nous savons, par ailleurs, que n'aimait pas plus l'Ordre du Temple que celui de l'Hôpital. (Mémoires et bulletins, Volume 14, Institut historique de Provence, 1937 - books.google.fr).

Les Assassins et la Grande Résurrection

C'est à partir de 1090 que le philosophe Hassan ben Sabah - c'est-à-dire le "vieux de la montagne" - rassemble ses adeptes dans sa forteresse d'Alamût, dans le nord de l'Iran actuel. Chiite ismaélien, il a fondé une secte qui s'oppose au pouvoir des Turcs seldjoukides. Ces derniers, de confession sunnite, règnent alors sur un immense empire qui s'étend de l'Espagne à l'Inde. Pour s'attaquer à eux, le chef de la secte dispose de cinq mille guerriers, regroupés dans un chapelet de places fortes. Mais ils ne sont pas en mesure d'affronter les immenses armées que leurs adversaires peuvent mobiliser tous azimuts. C'est ainsi que naît l'idée d'actes terroristes perpétrés par des individus isolés, indifférents aux conséquences terrestres de leur acte. Le meurtrier qui se sacrifie est un fedayin, un martyr, auquel un merveilleux paradis est promis aussitôt après la mort. Ces hachichiyin (l'origine du mot, qui désignerait des fumeurs de haschich, reste contestée) passeront au fil de l'épée monarques, princes, vizirs, imams et autres puissants du monde arabe. Ils prendront aussi pour cible les chrétiens lors de l'arrivée des premiers croisés, en 1097. La société très secrète des assassins agira deux siècles durant, jusqu'à la prise d'Alamût par les Mongols en 1256. (histoirelegendaire.blogspot.fr - La secte des Assassins).

Les Assassins essaimèrent en Syrie où ils se consituèrent une principauté soumise à tribut par les Hospitaliers et les Templiers.

Poussant à l'extrême une logique messianique inhérente au chiisme ismaélien, les Druzes et les Nizarites en étaient venus à proclamer (resp. au début du XIe siècle et en 1164, date de la «Grande Résurrection» d'Alamut) l'abrogation de la sharia islamique et la fermeture du «cycle de Muhammad», c'est-à-dire la fin de l'islam. Le fait était bien connu de leurs adversaires – sunnites et chiite s– qui y voyaient un acte d'apostasie, crime suprême en islam envers lequel aucun compromis n'est possible, car selon la loi musulmane les apostats doivent tout simplement être exterminés. (Mohamed Nachi, Actualité du compromis: La construction politique de la différence, 2011 - books.google.fr).

Le conventicule des Assassins connaîtra son apothéose le 8 août 1164, quand il proclama, à Alamut, la fin de la charia et l'avènement de la vérité gnostique dite « la grande résurrection» (alqiyâma alkobra), avec une mise en scène extraordinaire.

On remarquera 8 août : 8/8 : 8x8 = 64 et 1164.

Rashid ed-Din Sinân, le chef des Nizârites de Syrie, vint rechercher l'alliance du roi de Jérusalem en 1173. Saladin avait mis fin à la dynastie fatimide en 1171, sept ans après la proclamation de la Résurrection à Alamût (1164). Peut-être faut-il Voir dans cet épisode la légende d'après laquelle le Vieux de la Montagne voulut devenir chrétien. Les chroniqueurs des Croisades se font écho de la Résurrection proclamée à Alamût comme une volonté de se rapprocher du christianisme, voire de se convertir au christianisme. Joinville (m. 1317) écrit qu'un chef des Assassins proclama que le temps de Mahomet était révolu, que ses disciples pouvaient manger du porc et boire du vin, préalables avant de devenir chrétien (Boivin 1984 : 18). La légende est détaillée par Jacques de Vitry, un chroniqueur du 13eme siècle. D'après Jacques de Vitry, le chef des Assassins aurait envoyé un messager au roi de Jérusalem pour lui faire part de ses intentions de devenir chrétien. Mais son messager aurait été tué au retour de sa mission par un chrétien (peutêtre oriental). Les Assassins, se sentant trahis, décidèrent alors de se retourner contre les Croisés (Michel Boivin, Les Ismaéliens d'Asie du sud: Gestion des héritages et productions identitaires, 2008 - books.google.fr).

Le corps, à la mort, tombe, disent-ils (II 49-50), «jusqu'à ce que l'âme lui soit rendue». Les corps seront étalés (nusirat) et les âmes seront ramenées aux corps «qui leur avaient été attachés jadis», et ceux-ci se ranimeront (III 290, 301, IV 243)- même les âmes promises au salut «seront rendues à ces corps consumés dans la terre» (III 301). La qiyama (le «lever») c'est le fait que «l'âme déchue surgit de son malheur» (III 292) ; qu'elle «se lève de sa tombe qui est le corps où elle était, dont «elle ne voulait plus et dont elle a été éloignée» par la mort (III 398) (faut-il en conclure que seule l'âme sort du tombeau après être revenue au corps?). Elle s'élève hors «des ténèbres des corps» (TV 42). Dieu dit à Adam et Eve, parlant d'eux-mêmes et de leur descendance: «Vous surgirez (de la terre) quand vous vous réveillerez du sommeil de la négligence et de l'ignorance, lors de la sonnerie de la trompe, et que s'ouvriront les tombeaux d'où vous surgirez rapides «comme s'ils se précipitaient vers les balises». Le mot ba't, lui, a ici deux sens : c'est «la résurrection du corps et la sortie du tombeau», mais c'est aussi «le réveil de l'âme du sommeil de la négligence et de l'ignorance» (III 292, 300, 398): durant son «sommeil» l'âme se souciait exclusivement du corps, dont pourtant elle s'occupait bien mal. Les deux sens vont probablement de pair : si l'âme est ramenée au corps, c'est peut-être pour qu'elle puisse mieux faire un retour sur elle-même et procéder à un examen de conscience. Ce «réveil des âmes», c'est en effet la pleine conscience que l'Intellect donne aux âmes particulières (comme à l'Ame universelle) du comportement qu'elles ont eu étant incarnées ; il est dit qu'au signal de la résurrection «tous les secrets seront alors dévoilés» (III 45): les «secrets» désigne certainement les fautes que chacun cachait à autrui, mais aussi, sans doute, ce que chacun avait oublié, et d'une façon générale les mystères cachés sous le voile de l'ésotérisme (Yves Marquet, La philosophie des Ihwân al-Safa, 1999 - books.google.fr).

Nerval, les Druzes et le jeu de Thâny

Le passage du horse à la filiation Druses-Templiers-Francs-Maçons suggère ce changement important qui se produit dans le voyageur. Le horse et le bahomet : Le destinateur évoque les chevaliers des croisades, Fakardin, les lettres-patentes d'Henri IV et de Louis XIV, l'occupation du Liban par les Templiers, les loges maçonniques, avant de déclarer qu'il est lui-même «l'un des enfants de la veuve, un louveteau (fils de maître)». On ne peut pas expliciter si Nerval en personne l'était en réalité, mais, dans la lettre de voyage adressée à Timothée O'Neil, celui qui dit «je » prétend être apprenti dans les grades de la maçonnerie : Bref, je ne suis plus pour les Druses un infidèle, je suis un mutadaressin, un étudiant. Dans la maçonnerie, cela correspondrait au grade d'apprenti ; il faut ensuite devenir compagnon (réfik), puis maître (day) (Hisashi Mizuno, Nerval, l'écriture du voyage: l'expression de la réalité dans les premières publications du voyage en orient et de Lorely, souvenirs d'Allemagne, 2003 - books.google.fr, arcadia.revue.free.fr - Nerval).

Je demandai le soir même au kaïmakan, comme par une simple curiosité d'étranger, ce que c'était que le horse; il ne fit pas difficulté de me dire que c'était une pierre taillée en forme d'animal que tous les Druses portent sur eux comme signe de reconnaissance, et qui, trouvée sur quelques morts, avait donné l'opinion qu'ils adoraient un veau, chose aussi absurde que de croire les chrétiens adorateurs de l'agneau ou du pigeon symbolique. Ces pierres, qu'à l'époque de la propagande primitive on distribuait à tous les fidèles, se transmettaient de père en fils (Nerval, Voyage en Orient)

Le horse est une pierre noire. "Cette pierre doit être le bahomet (petite idole), dontil est question dans le procès des templiers." A la mode Boudet, "horse" en anglais désigne le cheval.

Pendant les deux siècles qu'a duré l'occupation du Liban par les chevaliers du Temple, ces derniers y avaient jeté les bases d'une institution profonde. Dans leur besoin de dominer des nations de races et de religions différentes, il est évident que ce sont eux qui ont établi ce système d'affiliations maçonniques, tout empreint, au reste, des coutumes locales. Les idées orientales qui, par suite, pénétrèrent dans leur ordre ont été cause en partie des accusations d'hérésie qu'ils subirent en Europe. La franc-maçonnerie a, comme tu sais, hérité de la doctrine des templiers; voilà le rapport établi, voilà pourquoi les Druses parlent de leurs coreligionnaires d'Europe, dispersés dans divers pays, et principalement dans les montagnes de l'Ecosse (djebel-el-Scouzia). Ils entendent par là les compagnons et maîtres écossais, ainsi que les rose-croix, dont le grade correspond à celui d'ancien templier (Gérard de Nerval, Voyage en Orient, 1862 - books.google.fr).

Voyage en Orient est un ouvrage de Gérard de Nerval, paru en 1851, et dans la Revue des deux Mondes, en 1847. Le "Voyage" est certes basé sur des expériences physiques personnelles de "Gérard", c'est-à-dire sur son déplacement jusqu'à Vienne en 1839-1840 et sur sa visite de l'Egypte, du Liban, de Rhodes, de la Syrie et de la Turquie en 1843 (fr.wikipedia.org - Voyage en Orient de Nerval).

L'origine de la franc-maçonnerie trouvée chez les Druzes est proposée déjà un peu avant Nerval par Eusèbe François de la Salle :

Les Ismaéliens et les Nozairiens actuels paraissent être des débris des anciens Hachichins. Ils font les Musulmans en présence des Turcs et Arabes. [...] Il me semble impossible de ne pas être frappé de la ressemblance prodigieuse des Druzes et des Nozairiens, et comme tous deux sont nés vers le même temps, il me semble fort probable qu'ils seront sortis d'une source commune. Les doctrines abstraites de Hamza et de Hassan auront été peu-à-peu modifiées au profit des passions en s'imprégnant toujours davantage d'un mysticisme, élément, ce semble, indispensable dans l'Orient, pour exalter la saveur du bien comme l'ivresse du mal. N'est-ce pas là aussi l'origine de la franc-maçonnerie européenne, avec ses initiations à des degrés divers, et son déisme qui l'a fait condamner comme juive en Espagne et en Portugal ? On ne niera pas que la vehmé germanique n'ait rappelé plus d'une page des Nozairiens. Les Templiers auront été les importateurs de cette institution née au mont Liban, mais un peu plus tard que Salomon (Eusèbe François de Salle, Peregrinations en Orient ou voyage pittoresque, historique et politique, en Egypte, Nubie, Surie, Turquie, Grece: pendant les années 1837, 38, 39, Volume 1, 1840 - books.google.fr).

Un des Vieux de la Montagne de la secte des Assassins offrit un échiquier à saint Louis en 1250 et conservé à l'Hôtel de Cluny.

Le jeu de Thâny dans le Djebel Druze (Mont de Basan), forme du jeu d'échec à 64 cases, au sol des chambres d'hôtes, où les pièces sont des pierres (G. Robinson Lees (1860-1944), Life and adventure beyond Jordan, 1909 - babel.hathitrust.org).

Le Djebel Druze est un mont volcanique à l'est du Basan, au nord-est du lac de Galilée (www.biblegateway.com).

Le plateau du Golan, parfois appelé Gaulanitide, est une région du sud-ouest de la Syrie occupée par Israël. Judas le Galiléen, ou Judas le Gaulanite, ou Judas de Gamala ou Judas ben Hizkiya (fils d'Ézéchias) est un chef révolutionnaire qui dirige une révolte en Galilée au moment de la succession d'Hérode le Grand (mort en 4 av. J.C.), puis en Judée au moment ou celle-ci devient une province romaine, après la destitution d'Archélaos en 6 ap. J.-C.. Selon l'auteur ésotérique Robert Ambelain, dans son livre Jésus ou le mortel secret des Templiers paru en 1970, Judas de Gamala serait le vrai père biologique de Jésus et ce dernier serait originaire du village du même nom et non de Nazareth. Les fils de Judas de Gamala, Jacques et Simon seraient donc les frères de Jésus qui portent les mêmes noms dans les textes chrétiens (fr.wikipedia.org - Judas le Galiléen).

G. Robinson Lees (1860-1944), Life and adventure beyond Jordan, 1909

Le lieu : Moussoulens

Assassinat aux Caunettes

Le seul rapport trouvé pour le moment entre les Druzes ou les Assassins et le secteur du Taureau est une procédure, de 1679, mise en route concernant l'assassinat du fils de François de Saint Jean. L'assasin présumé est Pierre de Maurel : Maurel/Maure/Sarrazin (!).

Procédures sur causes criminelles ressortissant à la juridiction du Présidial, poursuivies à la requête : - de noble Henri de Saint-Jean, baron de Moussoulens, contre noble Pierre de Maurel, seigneur de Raissac, pour raison du meurtre commis en la personne de noble Jacques de Saint-Cassian, fils de feu noble François de Saint-Jean de Voisins, seigneur de Moussoulens et Caudebronde, et de dame Gabrielle de Bourcier, de Saint-Aunes ; « ledit sieur de Saint-Cassian, tué et assassiné en grand chemin à la garrigue de Caunettes », le 31 juillet 1679 (Archives départementales de l’Aude, Série B, Cours et Juridictions, Inventaire sommaire établi par G. Mouynès - audealaculture.fr).

Pierre de Maurel, aussi vicomte d'Aragon, neveu de M. d'Alzeau, fut reçu page du roi au mois de janvier 1672. En sortant des pages, il entra au service et fut aide-de-camp de M. de Schomberg. Il se maria en 1690 avec Diane de Beauxhôtels (Jean B. Courcelles, Histoire généalogique et héraldique, Volume 6, 1826 - books.google.fr, (gw.geneanet.org - pierfit, Pierre de Maurel).