Partie XVIII - La Chouette d’Or   Hypothèse espagnole   Sur un quatrain des Centuries de Nostradamus   
LA CHOUETTE D'OR AUTRES HYPOTHESES SUR UN QUATRAIN DE NOSTRADAMUS

Sur un quatrain des Centuries de Nostradamus

Les quatrains des Centuries sont gérénralement en décasyllabes. Après avoir épeluché les 942 strophes de quatre vers, aucune ne semble appliquer le taratantara. Le quatrain X, 96 admet des césures après cinq syllabes qui ne sont pas à l'intérieur de mots. Un des ses termes pourrait renvoyer à des concepts philosophiques.

"Adaluncatif" pourrait être décomposé en "adal" (esturgeon) et "uncatif" (à voir avec "uncativum" caractéristique de l'ours dans un commentaire de Pierre Barbay (1684) de l'Isagoge du Philosophe Porphyre de Tyr qui aurait taxé les genres et les espèces de monstres). uncativum du latin "unco", grogner, ou de "uncatus", crochu. Ours et esturgeon interviennent dans une fête provençale à Tarascon lors de la célébration du miracle de sainte Marthe, rattachée à la navigation de Marie-Madeleine, sur la Tarasque, monstre hybride avec des griffes d'ours. Le premier partage de l'esturgeon dans lequel intervient la famille provençale des Porcellet date de 1370. Cette famille a des liens avec les franciscains spirituels adeptes de la pauvreté, et des béguins. Guillaume d'Ockham, franciscain, est un adepte du nominalisme (nostradamus-centuries.com - X, 96 - L’esturgeon - 2247-2248).

Sainte Eulalie, chez Prudence dont s'inspire la cantilène, est martyrisée avec des griffes de fer.

Les emblèmes de Sainte-Eulalie sont une croix, un crochet et une colombe (Augustus Welby Northmore Pugin, Les vrais principes de l'architecture ogivale ou chrétienne, avec des remarques sur leur renaissance au temps actuel, traduit par Thomas H. King, 1850 - www.google.fr/books/edition).

On trouve dans l'Eloge des chauves d'Hucbald la mention de César, comme titre d'empereur, mais Jules César était chauve et le Sénat l'autorisa à porter une couronne de laurier en permanence. Elle fait aussi allusion au prophète Elisée maudissant des enfants qui sont déchirés par un ours (Hucbald, De laude calvorum carmen mirable, 1853 - www.google.fr/books/edition, Johann Jacob Scheuchzer, Physique sacrée ou Histoire-naturelle de la Bible, Tome 5, 1734 - www.google.fr/books/edition).

Dans les Pyrénées on racontait :

Depuis la Chandeleur,
Il y a encore quarante jours d'hiver,
L'ours alors est dans la caverne;
S'il fait soleil, ce jour, il pleure
Et dit que l'hiver est après;
S'il fait mauvais temps,
Il dit que l'hiver est passé.

«Le 2 février, jour de la Purification Notre-Dame, qu'on nomme Chandeleur, on disoit en Bourguignon : «Si fait beau et luit Chandelours, Six semaines se cache l'ours» (Météorologie locale, Publications, Volume 2, Societé pour l'étude des langues romanes, 1876 - www.google.fr/books/edition).

Le 12 février on fête Eulalie de Barcelone.

Dans certains cas, la création d'une nouvelle date de célébration, en rapport avec un transfert, donne l'illusion d'un dédoublement du saint. Ainsi, il est prouvé que sainte Eulalie de Barcelone (12 février) est le même personnage que sainte Eulalie de Mérida (10 décembre). La différence de dates est due à une translation à Barcelone en 878 (Jacques Baudoin, Grand livre des saints: culte et iconographie en Occident, 2006 - www.google.fr/books/edition).

Chauves nominalistes

Les Mégariques, auxquels s'apparente en ceci Antisthène le Cynique, aboutirent à un nominalisme très prononcé ; les idées générales leur paraissent de pures étiquettes collectives ; les jugements valables se réduisent, à leurs yeux, aux jugements tautologiques d'identité ; et même, les concepts abstraits d'origine expérimentale se dissolvent dans la contradiction ou l'incohérence, comme cherche à le montrer Eubulide, par ses sophismes fameux du «chauve», et du «monceau de blé» (Joseph Maréchal, Le point de départ de la métaphysique: leçons sur le développement historique et théorique du problème de la connaissance, Numéro 1, 1927 - www.google.fr/books/edition).

Le Chauve : « Si l'on arrache un cheveu à un homme, il ne sera pas chauve ; si un second, etc. » (fr.wikipedia.org - Eubulide).

Eubulide offrit l'argument, répertorié comme sorite, sur le grain et le tas. A partir de combien de grains y a-t-il un tas ? La série additionne sans forger d'unité, d'où l'impossibilité du tas (François Noudelmann, Pour en finir avec le rien, Lire Beckett: En attendant Godot, Fin de partie, 1998 - www.google.fr/books/edition).

La très fameuse théorie des descriptions de Bertrand Russell (1872 - 1970), modèle incontesté de philosophie analytique pendant presque cinquante ans répond à une préoccupation nominaliste : il s'agit d'éviter la multiplication des objets au statut incertain des entités inutiles sans lien direct avec l'expérience sensible. Ce nominalisme repose sur une analyse de la langue ordinaire qui est considérée comme un instrument commode dans son domaine, mais peu exact. Une confiance excessive dans la forme grammaticale apparente peut même empêcher de percevoir la forme logique authentique de la phrase. La simplicité, bien souvent, n'est qu'une apparence trompeuse lorsqu'elle n'est pas le produit de l'analyse. Ainsi la phrase Le roi de France est chauve. peut-t-elle sembler construite sur le même modèle que, par exemple, «Absalon est chauve», soit un sujet («Absalon») et un prédicat («être chauve»). Ces deux phrases sont fausses. Mais si la contradictoire de la seconde peut être considérée comme vraie («Absalon n'est pas chauve») puisqu'il meurt pendu par les cheveux selon la Bible..., la contradictoire de la première («Le roi de France n'est pas chauve») n'est pas vraie, puisque, comme chacun sait, il n'y a pas, actuellement, de roi de France. La solution de Russell revient à éliminer les descriptions définies qui ne sont que des paraphrases commodes, mais trompeuses, et à traduire les phrases où elles apparaissent en mettant en évidence les variables et les prédicats. Ainsi, la phrase Le roi de France est chauve.» doit se développer en trois phrases ou propositions :

1. il y a au moins une personne qui est roi de France,
2. il y a une seule personne qui est roi de France,
3. la personne qui est roi de France est chauve.

De cette façon, la description définie disparaît pour laisser place à deux prédicats («être roi de France» et «être chauve») qui entrent dans trois propositions distinctes, lesquelles précisent en fait les conditions auxquelles la phrase initiale pourrait être vraie (Jean Lacoste, La Philosophie au XXe siècle: Introduction à la pensée philosophique contemporaine, 1988 - www.google.fr/books/edition, fr.wikipedia.org - Bertrand Russell).

Hucbald et le nominalisme

L’ingéniosité déployée par M. Cappuyns (1933) pour déchiffrer le nom d’Hucbald dans les mystérieuses initiales ICPA qui coiffent les gloses marginales de l'Isagogè du Pseudo-Porphyre dans un manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Paris aura du moins servi à attirer l’attention des médiévistes sur cet exposé philosophique et à favoriser la solution de cette énigme : selon W. Berschin (1980), en effet, ICPA est l’abréviation tronquée d'ISRA (EL) en lettres grecques, Israël le Grammairien, un écolâtre irlandais élève de Remi d’Auxerre et maître de Brunn, frère d’Otton 1er et archevêque de Cologne, mort en 965 (Yves Chartier, L'œuvre musicale d'Hucbald de Saint Amand, 1995, p. 17).

Dès la fin du IXe siècle, des gloses de Jepa sur l'Isagoge de Porphyre et d'Héric d'Auxerre sur les Catégories du Pseudo-Augustin proclament que l'universel n'existe pas comme tel, car il se rapporte toujours à un sujet individuel et n'est qu'une façon pour l'esprit de grouper les individus sous une même dénomination. Mais c'est au XIe siècle que la thèse nominaliste, du moins sous sa première forme, la sententia vacum, est formulée avec netteté par Roscelin de Compiègne (1050 -1120), qui doit en être considéré, selon le témoignage d'Othon de Freising, comme le véritable initiateur. Sa pensée nous est assez mal connue. Mais, autant qu'on en peut juger d'après sa lettre à Abélard et par ce que nous apprennent de lui ses contradicteurs, saint Anselme, Abélard et Jean de Salisbury, il apparaît comme un adversaire décidé du réalisme : selon lui , rien n'existe que les individus, et les espèces comme les genres ne sont pas des choses (res), mais des mots (voces), ou des émissions vocales (flatus vocis) ; c'est à cela que se réduisent les universaux (Jacques Chevalier, De saint Augustin à saint Thomas d'Aquin: Histoire de la pensée, 1992 - www.google.fr/books/edition).

On ne trouve au fond des sentences mises au compte de Roscelin par saint Anselme et Abélard rien de plus que le nominalisme de Raban et de Heiric d'Auxerre; Abélard lui-même n'a à sa disposition que les ouvrages dont se sont servis Gerbert, Heiric et Raban. [...] Heiric d'Auxerre, entend Haimon et Servat Loup, commente Alcuin, copie Jean Scot et a pour disciples Hucbald qui dirige ensuite l'école de Saint-Amand, Remi d'Auxerre qui, cité plusieurs fois par Abélard, enseigne à Reims (F. Picavet, De l'origine de la philosophie scolastique, Études de critique et d'histoire, 1889 - www.google.fr/books/edition).

Élève d'Haimon et de Loup-Servat, Heiric revint d'Allemagne diriger dans sa patrie l'école de l'abbaye de Saint Germain, et il y brilla tellement par son enseignement qu'il compta au nombre de ses disciples le prince Lothaire, fils de Charles le Chauve; le savant Hucbald et le célèbre Remi, tous deux moines d'Auxerre et ses héritiers dans la philosophie (Heiricus, Remigium et Hubaldum calvum, monachos, hæredes philosophiæ reliquisse traditur. Mabillon, Acta sanct. ordin. s. Ben. t. V, p. 325.) (Guillaume Anne Patru, De la philosophie du moyen âge depuis le viiie siècle jusqu'à l'appartiion en Occident de la physique et de la métaphysique d'Aristote, 1848 - www.google.fr/books/edition).

Influence du nominalisme

La philosophie nominaliste a des adeptes dans l'antiquité. Mais, c'est à partir du XIVe siècle qu'elle fait florès. Au nombre des auteurs qui ont principalement contribué à l'épanouissement de cette philosophie, on note le franciscain Guillaume d'Occam, considéré comme étant l'expression la plus éloquente du nominalisme au XIVe siècle. L'originalité de sa pensée se trouve dans l'exaltation de la volonté humaine considérée comme une source de la loi. Il conçoit l'élaboration du droit à partir de l'individu. Rompant avec la conception chrétienne d'un droit naturel pouvant être découverte par la raison, mais extérieur à la volonté humaine et qui lui est même supérieur, il fonde une nouvelle méthode de penser appelée «la nouvelle voie» et trouve dans la volonté humaine une source de création du droit. Il est, pour cette raison, celui qui a ébauché la théorie du droit subjectif perçu comme un «pouvoir naturel de l'individu sanctionné par le droit objectif» (Billier, Maryoli, Histoire de la philosophie du droit) (Baudouin Pouokayel Poda, Le subjectivisme du droit de propriété, 2022 - www.google.fr/books/edition).

Si par nominalisme on entend la réduction de la connaissance à ce qui est empiriquement vérifiable, abstraitement concevable et exprimable en langage mathématique, on mesure la portée de cette définition sur l'histoire des sciences : «La science a fait triompher le nominalisme sans le savoir, du moins dans la plupart des cas. Au cours des temps, la science trouve donc de plus en plus son assise fondamentale dans la langue mathématique, fidèle en cela à ce mot de Galilée pour qui la nature est écrite elle-même en langue mathématique» (Jean-Claude Piguet, La connaissance de l'individuel et la logique du réalisme, 1975) (Raymond Tschumi, La Crise Culturelle, 1983 - www.google.fr/books/edition).

Nominalisme et monstre

Le médecin Henri de Mondeville, mort en 1320, écrit : "Porphyre a dit : heureuses les espèces, heureux les genres, parce que ce sont des monstres n'ayant pas d'existence en dehors de notre esprit".

Mondeville, engagé dans un corps-à-corps quotidien avec la matière, se réclamant des modernes, participait manifestement au courant nominaliste qui, en plein essor à la fin du XIIIe siècle, devait trouver avec Guillaume d'Ockham (Marie-Christine Pouchelle, Corps et chirurgie à l'apogée du Moyen Âge: Savoir et imaginaire du corps chez Henri de Mondeville, chirurgien de Philippe le Bel, 1983 - www.google.fr/books/edition).

L'auteur écrit qu'elle n'a pas retrouvé cette citation dans l'oeuvre de Porphyre.

Bien parler

Ancré sur les mots, le savoir encyclopédique médiéval est profondément livresque; il s’enracine dans une longue tradition qui cumule depuis l’Antiquité les connaissances acquises dans le monde latin ainsi qu’en Orient. Parmi celles-ci, l’enquête sur la natura rerum est primordiale, au point d’être l’éponyme de nombre d’œuvres naturalistes et/ou encyclopédiques, depuis Sénèque jusqu’aux naturalistes du XVe siècle, en passant par l’œuvre d’Isidore de Séville (622), de Raban Maur (c. 840), d’Adélard de Bath (avant 1133), d’Alexandre Nequam (c. 1200), de Daniel de Morley (c. 1200), de Thomas de Cantimpré (c. 1230-40), du Pseudo-John Folsham (c. 1250?), pour ne parler que des auteurs latins. Mais au-delà de leur intérêt pour la nature des choses, ces ouvrages accordent une importance primordiale à l’auctoritas livrée par la tradition,liée à une attention presque obsessionnelle aux mots et aux noms. Un relatif nominalisme domine donc leur appréhension du réel; à sa base réside, implicitement ou explicitement, le modèle de la démarche étymologique initiée par Isidore de Séville dans ses Etymologiae sive Differentiae, selon laquelle «L’étymologie est l’origine des vocables» (Etym. I, 29) (Isabelle Draelant, Encyclopédies et lapidaires médiévaux, La durable autorité d’Isidore de Séville et de ses Étymologies, La réception d’Isidore de Séville durant le Moyen Âge tardif (XIIe-XVe s.), CRM n° 16, 2008).

Il est possible de décomposer, à l'aide du tiroir linguistique grec, le nom de la sainte : Eu- : «adapté, convenable, approprié aux cérémonies sacrées» ; -lalie : de Mein, «parler, bavarder, chanter en parlant des oiseaux», d'où le latin lallare, «chanter».

Ainsi «Eulalie» crypte en son nom une «bonne parole» : non seulement parce qu'elle refuse les séductions du discours polythéiste (conflit qui n'a plus de pertinence au IXe siècle, massivement chrétien), mais aussi et surtout parce qu'elle est l'éponyme secret et virginal de la mise en écriture du «bon parler» roman. De cette naissance et de ce recommencement, la colombe de son esprit qui s'envole d'elle à sa mort est l'emblème :

Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist. In figure de colomb volât a ciel.

La poétique romane rassemble son émergence dans le nom de la martyre, selon une tradition solidement établie au Moyen Âge par Isidore de Seville (VIe siècle), qui cherche et trouve dans l'étymologie du nom le secret de l'être. Il n'est pas indifférent que la séquence concentre l'essence de son opération dans l'éponyme d'un prénom : ainsi se trouve évoquée la particularité, l'individualité d'un geste qui va profondément influer sur la constitution de notre langue.

L'opération de la séquence d'Eulalie porte évidemment beaucoup plus loin que le domaine de l'oration juridique ; il n'en reste pas moins qu'elle est le fruit d'un art caché, qui, à suivre Quintilien, est la marque d'une suprême habileté (arte callidissima et occulta, dit-il). Eulalie feint de faire la sténographie d'une langue vivante. En réalité, elle crée l'écriture poétique, rhétorique et linguistique du roman, à entendre à la fois comme langue et comme fiction (comme littérature).

Eu égard au changement de la situation des langues entre le IVe et le IXe siècle, elle symbolise implicitement l'écart, la coupure, l'indépendance et la différence sexuelle qui président à la création de la nouvelle écriture romane. Elle est à la fois virginale- ment similaire à ses énonciateurs et maîtres mâles, mais entièrement différente (aussi sexuellement) du latin liturgique ou du germain du pouvoir carolingien (deux langues métaphoriquement masculines), qui l'entourent, mais sans la cadrer et sans détenir la clé de son essence autre : de sa vierge féminité. «Eulalie» est le nom neuf d'une altérité irréductible qui, dans son apparent et féminin impouvoir, refuse toute compromission avec les langues de la maîtrise. Par elle, les chastes clercs latins entrent en négociation, subitement et à nouveau, avec l'Autre de la mère (le vernaculaire), après l'avoir refoulé tout au cours de leur apprentissage ecclésiastique.

Enfin, la virginité d'Eulalie est métaphore d'une page blanche, support vide où il n'y a jamais eu d'inscription (hormis celle des Serments de Strasbourg, dans un tout autre domaine). Seul un parchemin vierge est digne de recevoir la trace de ce recommencement absolu qu'est le passage de Foralité du vernaculaire à l'écriture, l'opération spécifique du fabricateur.

Toute référence au puissant topos de l'écriture de sang et aux instruments de torture comme plume a disparu. Le copiste d'Eulalie crypte par ce silence le secret de son opération ; l'encre et la plume sont désormais siennes, dissimulées métaphoriquement dans la fiction, mais manifestées concrètement sur le parchemin du manuscrit ; elles se substituent silencieusement à l'écriture d'Eulalie. On comprend sur ce point la discrétion du fabricateur : elle contourne l'interdit du rapport à la virginité, que transgresse son écriture en marquant le parchemin (Alexandre Leupin, «Arte callidissima et occulta» : la Séquence de sainte Eulalie en ancien français. In: Romania, tome 109 n°436, 1988 - www.persee.fr).

Dans le même manuscrit 150 de la bibliothèque municipale de Valenciennes qui a appartenu à l'abbaye de Saint-Amand-les-Eaux avant le XIIe siècle, dont fit usage le mauriste Mabillon au XVIIe siècle, se trouvent la cantilène de Sainte Eulalie attribué à Hucbald et le Ludwigslied.

Le verso du f 141 porte, de la même main C (qui a copié la séquence romane) le début du Ludwigslied, chanté à l'occasion de la victoire du roi Louis sur les Vikings à la Bataille de Saucourt-en-Vimeu (août 881) (fr.wikipedia.org - Séquence de sainte Eulalie, August Heinrich Hoffmann von Fallersleben, Elnonensia, Monuments des langues romane et tudesque dans le IXe siècle, traduit par Jan Frans Willems, 1837 - www.google.fr/books/edition).

Les Stoïciens définissaient la dialectique : la science ou l'art de bien parler (Alex. Aphr., Top., 3); mais bien parler, pour eux, c'était dire des choses vraies et convenables. Comme la pensée et l'expression sont en intime rapport, la dialectique a deux parties: elle étudie ce qui exprime, tò quaivov, et ce qui est exprimé, verba et significationes, le mot et la pensée. La première partie comprenait les questions les plus diverses : une physiologie et une théorie du langage, la grammaire, la poétique et jusqu'à un traité de la composition musicale. La deuxième partie répondait plus particulièrement à notre logique. Nous voyons que les Stoïciens faisaient de la logique un vaste ensemble de connaissances très variées, une sorte de technique universelle. Leur théorie du concept est un retour au nominalisme d'Antisthène (Paul Janet, Histoire de la philosophie: les problèmes et les écoles, 1894 - www.google.fr/books/edition).

Dès lors que l'on refuse toute réalité idéelle (le nominalisme d'Antisthène est sans doute le plus extrême qui fût jamais), le réel n'est plus soumis qu'au jugement singulier de chacun. «Je vois bien un cheval, objectait Antisthène à Platon, mais je ne vois pas la “caballéité” ; je vois un homme , mais je ne vois pas l'humanité.» (André Comte-Sponville, Valeur et vérité. Études cyniques,Perspectives critiques, 2015 - www.google.fr/books/edition).

La doctrine nominaliste, soutenant la nécessité du langage pour la pensée, se caractérise par trois thèses : seuls les individus composent le monde ; les idées générales n'existent pas ; la généralité est une nomination collective. Condillac (1714 - 1780) souscrit à la première de ces trois thèses, mais réserve son jugement quant aux deux autres. Comme contenu, la pensée est irréductible au langage, que les idées précèdent toujours de quelque façon. Toutefois, sans le langage il est quasiment impossible de se les représenter ; c'est le langage qui permet, pour ainsi dire, la sensation générale. Telles sont les raisons pour lesquelles les spécialistes de Condillac préfèrent qualifier sa doctrine de 'conceptualisme linguistique' plutôt que de nominalisme. Le conceptualisme linguistique concilie mentalisme et nominalisme puisqu'il comprend une théorie des rapports entre 'pensée' et 'langage'. Que le langage soit intimement lié à la pensée et que la pensée se développe à partir du langage, telle est la double affirmation de Condillac, et c'est ce en quoi consiste l'originalité de sa pensée sur le fondement et le fonctionnement de la connaissance. Rappelons que l'école de Port-Royal considérait la grammaire et la logique comme deux arts distincts, respectivement l'art de parler et l'art de penser. Chez Condillac il n'y a pas de différence nette entre la grammaire et la logique ; elles sont liées l'une à l'autre, comme il le dit lui-même : Je regarde la grammaire comme la première partie de l'art de penser. Bien que la pensée ne soit pas réductible au langage, toute langue est une méthode pour analyser la pensée. La langue analyse la pensée en la rendant successive :

Si une pensée est sans succession dans l'esprit, elle a une succession dans le discours, où elle se décompose en autant de parties qu'elle renferme d'idées. Alors nous pouvons observer ce que nous faisons en pensant, nous pouvons nous en rendre compte ; nous pouvons par conséquent apprendre à conduire notre réflexion.

Penser devient donc un art, et cet art est l'art de parler. Pour pouvoir bien penser, il importe avant tout de pouvoir bien parler, et il faut 'que la langue soit bien faite'. La bonne formation d'une langue dépend, selon Condillac, de trois critères : exactitude, simplicité et analogie. Autant les deux premiers principes sont banals, autant celui de l'analogie est fondamental (Anne Beate Maurseth, L'analogie et le probable: pensée et écriture chez Denis Diderot, 2007 - www.google.fr/books/edition).

La formulation de la prise de parti nominaliste de Condillac culminera dans sa Logique de 1780 :

L'analyse ne nous apprendra donc à raisonner qu'autant qu'en nous apprenant à déterminer les idées abstraites et générales, elle nous apprendra à bien faire notre langue ; et tout l'art de raisonner se réduit à l'art de bien parler (Condillac 1799d, p. 134) (Paul Laurendeau, Condillac contre Spinoza : une critique nominaliste des glottognoses. In: Histoire Épistémologie Langage, tome 22, fascicule 2, 2000 - www.persee.fr), fr.wikipedia.org - Etienne Bonnot de Condillac).

Manteau et pauvreté

L'interprétation du quatrain X, 96 traite de l'opposition, au XIVe siècle, des franciscains spirituels à l'institution, à laquelle prend part Guillaume d'Ockham, avec la mise en avant de la pauvreté (nostradamus-centuries.com - X, 96 - L’esturgeon - 2247-2248).

Dans le texte de la Passion, Eulalie, dans la cantilène, se détourne de l'or, de l'argent et des riches vêtements que l'on pourrait lui donner en échange de son renoncement à sa foi.

PAREMENT, s. m., parure, vêtement, et, en particulier, habit, long et riche manteau en forme de dalmatique que l'on posait sur l'armure dans les grandes solennités ou dans les combats :

Ne por or ned argent ne paramenz. (Eulalie, 7, Koschwitz.) (Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française, et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Tome 5, 1888 - www.google.fr/books/edition).

Comme saint François dans sainte Claire, saint Antoine de Padoue trouva dans la bienheureuse Hélène Ensimelli une amie et une sœur; mais, par un merveilleux effet de la grâce divine, c'est surtout parmi les filles de rois que se recrute de saintes l'ordre de ce mendiant qui avait recherché tous les excès de la pauvreté; soit qu'elles entrent dans la stricte observance des pauvres Claires, soit que, retenues dans les liens du mariage, elles ne puissent adopter que la règle du tiers ordre. La première en date et en renommée est cette Élisabeth de Hongrie, dont nous avons écrit la vie; ce ne fut pas en vain, comme nous le verrons, que le pape Grégoire IX obligea saint François à lui envoyer son pauvre manteau: comme autrefois Élisée en recevant celui d'Élie, elle devait y trouver la force de devenir son héritière (Charles Forbos René de Tryon de Montalambert, Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie: duchesse de Thuringe, Tome 1, 1862 - www.google.fr/books/edition).

Elie montant au Ciel, dit saint Chrysostôme, ne laissa autre chose que son manteau à son disciple Elisée, comme s'il eût dit : J'ai combattu contre le diable étant couvert de ce manteau, vous combattrez aussi contre lui, étant revêtu de ces mêmes armes. Elisée reçut ce manteau si vil et si pauvre comme une riche succession, parce que la pauvreté chrétienne est une forteresse imprenable et une tour inaccessible, et que les vrais disciples de Jésus-Christ considèrent la pauvreté intérieure et spirituelle comme la source de tous les biens, ainsi que les amateurs du monde mettent toute leur confiance dans leurs trésors (2 Rois, 2) (Isaac-Louis Le Maistre de Sacy, L'histoire du Vieux et du Nouveau Testament: avec des explications édifiantes, tirées des saints Pères, 1812 - www.google.fr/books/edition).

Cet épisode précède celui des 42 enfants dévorés par deux ours pour s'être moqué de la calvitie et de la dévotion d'Elisée envers son maître.

addèrèt  : on peut, sans grand risque d'erreur, considérer ce vêtement comme un manteau-toison, un manteau-pelisse, autrement dit comme une pelisse du type manteau et non du type tunique. Nous allons voir que les textes s'accordent bien avec cette manière de concevoir l'addèrèt d'Elie. Dans 2 Rois 2, 13 il est raconté qu'Elisée «ramassa l'addèrèt d'Elie, laquelle était tombée de dessus lui». Un fort coup de vent (cf. v . 11) peut faire tomber un manteau des épaules (ou de l'épaule), mais ne ferait pas tomber une tunique même sans manches dans laquelle le buste est passé. D'après 2 Rois 2, 8 «Elie roula son addèrèt et en frappa les eaux, qui se séparèrent en deux». Pour faire du vêtement une sorte de rouleau rigide, capable de frapper les eaux, comme on ferait avec un bâton, il fallait une matière assez épaisse et résistante ; avec un vêtement ordinaire de lin ou de laine tissée l'opération eût été difficile. D'autres textes, sans être décisifs, se comprennent mieux d'un manteau que d'une tunique : 1 Rois 19, 13 «Elie recouvrit son visage avec son addèrèt» ; v. 19 «Elie jeta son addèrèt sur Elisée». Dans la Bible, Elie n'est pas le seul à porter l'addèrèt. Zacharie (13, 4) nous apprend que les faux prophètes de son temps, peut-être pour imiter Elie, revêtaient un manteau de poil (P. Joüon, Notes de lexicographie hébraïque, Biblica, Volume 16, 1920 - www.google.fr/books/edition).

En Francie occidentale, l'affirmation d'une langue romane n'entraîne pas non plus immédiatement l'accès de celle-ci à l'écrit. Pour les clercs, tenus au bilinguisme, il est en effet plus aisé d'écrire dans la langue latine qu'ils sont habitués à lire. C'est sûrement pourquoi, les documents écrits en langue romane sont sporadiques jusqu'en plein XIe siècle. Les rares témoignages qui nous sont parvenus ont (comme il se doit) une destination liturgique et édifiante. Le plus ancien est la Séquence de sainte Eulalie (peu après 881), composée à l'abbaye de Saint-Amand dans l'orbite d'Hucbald, maître de musique réputé de la fin du IXe siècle, afin de faire chanter aux fidèles les mérites de la martyre espagnole, durant l'office de celle-ci. On ne connaît pour le Xe siècle qu'un seul exemple de sermon bilingue : le sermon sur Jonas, prononcé dans le même monastère vers 950 à l'occasion d'un jeûne de trois jours pour implorer la protection divine contre les Normands. Il s'agit d'un brouillon (conservé par hasard dans la reliure d'un manuscrit). Les passages provenant de la Bible ou de l'œuvre de saint Jérôme sur lesquels s'appuie le prédicateur sont cités en latin, le roman est employé pour les développements personnels de l'auteur et il s'agit rarement de phrases complètes. Ce document isolé constitue la première occurence connue du «latin macaronique», systématiquement usité par les prédicateurs du Moyen Age central (Hervé Martin, Bernard Merdrignac, Culture et société dans l'Occident médiéval, 1999 - www.google.fr/books/edition).

Il n'y avoit que la matiére de ceux des Prophétes qui les rendît différens des autres. Le terme Adéreth, que l'on employe ici, se lit dans Jonas, pour marquer le manteau du Roi de Ninive dans le Livre de Jonas III,6 ;& dans Josué (VII,21), pour le beau manteau qu'Achan vola au pillage de Jéricho (Augustin Calmet, Commentaire litteral sur tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, Tome 17, 1715 - www.google.fr/books/edition).

La légende cristallisée sur l'essentiel théorique de la virginité proclame le pouvoir absolu de l'âme sur le corps, donc la primauté du pouvoir de l'âme sur le monde, celle du pape sur le roi, qui implique naturellement l'idée de l'obéissance et de la pauvreté, c'est-à-dire tout ce qui deviendra bientôt l'exigence fondamentale du dépositaire du renouveau, du mouvement de Cluny, qui porte déjà les bourgeons du buisson épineux des problèmes médiévaux, d'où naîtront tant de guerres, tant de morts, tant d'horreurs, et où fleuriront tant d'arts, tant de beauté, tant de désir de vivre. Ce contenu double, céleste et terrestre de la cantilène d'Eulalie est fidèlement servi par la structure de l'œuvre qui, au-delà de la coutume de l'époque, se compose de quatorze strophes de deux vers dont le caractère nettement marqué tient probablement à ce que le deux exprimant la séparation des sphères céleste et terrestre d'après le deuxième jour de la Genèse, le quatorze évoque l'agneau qui, selon Ezéchiel, devait être sacrifié le quatorzième jour du premier mois à l'intention de l'Éternel victorieux des ennemis des élus. Et les martyrs étaient sacrifiés de la même manière que les agneaux ! Et Jésus, lagneau mystique, était monté au Calvaire par quatorze stations ! Outre cette couche sémantique symbolique, la cantilène recèle un sens numérique plus profond, que l'on obtient par l'addition arithmosophique du nombre quatorze, c'est-à-dire 1 + 4, qui donne ici le nombre mystique par excellence de l'amour, du sacrifice, de la vie au-delà de l'existence physique, des fiançailles célestes, en un mot, du bonheur de l'au-delà : le cinq. C'est cette conscience de la mystique des nombres que l'on retrouve également dans la Vie de saint Léger (O. Süpek, La motivation historique de la poésie de l'amor Dei, Acta Litteraria Academiae Scientiarum Hungaricae, Volume 19, 1977 - www.google.fr/books/edition).

A l’origine du culte de Martin se trouve son premier biographe, Sulpice Sévère, qui joue un rôle essentiel, en publiant au printemps 397 la Vita Martini, achevée peu avant la mort du saint. Issu d’une riche famille aquitaine, Sulpice est entouré de lettrés comme Paulin de Nole, dont la conversion a déterminé la sienne, et a lui-même rencontré Martin. Le premier, il procède à des choix littéraires pour écrire, dans une intention apologétique, la Vie d’un personnage d’une grande complexité, soldat et moine, évêque et ascète. Il compose aussi trois Lettres, peu après la mort de Martin, et des Dialogues, vers 404. Son œuvre devient la source plus ou moins lointaine de nombreuses Vies, écrites du Ve au XVe siècle. La plupart des auteurs mêlent aux souvenirs de Sulpice des épisodes légendaires. C’est le cas d’Alcuin au VIIIe siècle, d’Elfride, l’archevêque d’York, au XIe siècle, de Richer ou de Guibert de Gembloux au XIIe siècle. Mais il faut distinguer de cette tradition les Vies plus anciennes, celle écrite par Paulin de Périgueux au Ve siècle et celle de Venance Fortunat au VIe siècle, parce que les deux auteurs forment le projet de transposer en hexamètres dactyliques la Vita et les Dialogues de Sulpice Sévère.

Dans le texte de Venance Fortunat, la porte d’Amiens se dresse sur un fond de paysage hivernal. Le temps historique n’existe pas, mais l’épisode se déroule dans un “temps de Martin”. L’auteur souligne la faiblesse du saint, en opposant la tendresse de son âge à la rigueur de l’hiver : puer in teneris uix pubescentibus annis. Cette expression a une ascendance épique. On la trouve dans le poème sur la guerre civile, que Pétrone prête à Eumolpe, chez Stace au sujet de Domitien et chez Silius Italicus. Elle acquiert un sens nouveau dans un contexte hagiographique et rappelle un vers de Paulin de Périgueux : uix etenim decimo, senior iam moribus, anno (I, v. 16). Le thème du puer senilis est le reflet d’une civilisation qui loue la jeunesse en même temps qu’elle vénère la vieillesse. D’après Ovide, les empereurs et les demi-dieux reçoivent comme un don des cieux la jeunesse alliée à la maturité. L’étonnante maturité des êtres voués à Dieu est fréquemment soulignée par les chrétiens. Ainsi Tobie ne s’est-il jamais comporté comme un enfant, en dépit de son jeune âge. De même sainte Eulalie, “quand son caractère était encore jeune, montrait l’austérité des vieillards à cheveux blancs” (PRUDENCE, Peristephanon, III, v. 24-25 : “Moribus et nimium teneris / Canitiem meditata senum” (Eulalie)) et Grégoire le Grand écrit au sujet de saint Benoît que “dès l’enfance, son cœur était celui d’un vieillard” (Sylvie Labarre, Le manteau partagé : deux métamorphoses poétiques de la Vie de saint Martin chez Paulin de Périgueux (Ve siècle) et Venance Fortunat (VIe siècle), 2020 - normandie-univ.hal.science).