Partie IX - Synthèse   Chapitre LXV - Faucher les Marguerite   Sainte Marguerite, le talisman d’Aurillac, carré SATOR, Marcolès   

Le Talisman d’Aurillac : sainte Marguerite, carré SATOR, et Marcolès

Une découverte, assez inattendue et fort curieuse, a été faite vers 1925 dans une famille de la Haute Auvergne, et aussitôt publiée dans les Annales du Midi, sous le titre « Le sachet accoucheur et ses mystères », article dû à un érudit local avisé, Alphonse Aymar. La famille en question (dont seule l'initiale R... a été révélée), habitant la ville d'Aurillac, possédait héréditairement, depuis de nombreuses générations, un sachet dont les effets merveilleux favorisaient la délivrance des femmes enceintes mais aussi (de façon plus générale) protégeaient celui qui en était porteur dans les occasions périlleuses, contre toutes sortes de dangers. Détentrice d'un « palladium » doué de telles vertus, la famille sans aucune jalousie le prêtait volontiers aux personnes de la ville et du voisinage qui en faisaient la demande : prêt toujours discret naturellement, toujours gratuit, et toujours suivi (semble-t-il) du plus heureux effet.

Un jour vint cependant où le possesseur de ce sachet, conservé par lui avec la même sollicitude que ses ayeux, n'y tint plus ; désirant intensément connaître cet objet mystérieux, il osa procéder (de façon quasi sacrilège !) à son ouverture. Et c'est ainsi que le sachet dévoila ses secrets.

Sous trois enveloppes de toile, dont la plus récente à larges raies blanches et bleues recouvrait les deux précédentes détériorées par un long usage, ce petit sac de forme rectangulaire (125 x 95 mm) contenait « le plus bizarre assemblage » qu'on puisse imaginer : cordons entremêlés ; petit reliquaire en carton renfermant une fleur à six pétales, avec bandelettes portant les noms des saints Cassian, François, Gorgon et Jovignan ; médaillon ovale en métal à figurine ; grains de chapelet au nombre de sept ; ruban de soie long d'1,79 m., portant la mention imprimée : « Longhezza di Nostro Signore Giesu Christo » (C'est sensiblement la longueur de l'empreinte du célèbre Suaire de Turin) ; autre ruban portant imprimé en espagnol : « Caridad dy Ilescas »6 ; minuscule statuette en matière noire, d'un personnage barbu en costume du xve siècle (peut-être un pèlerin de saint Jacques ?) ; scapulaire avec fragment d'os ; tout petit médaillon rond à fermoir et anneau de suspension ; débris de cire vierge (fragments de cachets ou de cierges bénits ?) ; bout de fil de fer recourbé, entouré de laine ; chaîne enroulée comme un ressort à boudin avec agrafe et plusieurs glands.

Viennent compléter toute cette « bondieuserie » (comme eût dit Huysmans) deux pièces de papier de chiffe, pliées, avec texte manuscrit ou imprimé de prières-amulettes du XVIème siècle ; et, pour finir, quatre parchemins : le premier écrit à la main, contenant une recette de médecine vétérinaire, le second imprimé à la manière xylographique, avec prières en espagnol (fin XVème-XVIème siècle). Quant aux deux autres parchemins, plus anciens (fin XIIIème- début XIVème s.), mais aussi plus intéressants pour notre propos, il convient de les présenter ici avec un peu plus de détails (ci-après sous les sigles A et B) :

A. — Feuille de vélin de 270 x 230 mm, formant par découpage trente médaillons tous de même dimension, disposés par groupes de six sur cinq rangées horizontales, et reliés entre eux par de petites bandes simples ou en forme de croix ménagées à même le vélin et ajourées pour faciliter le pliage. Dépliée, la feuille avait l'aspect délicat d'une dentelle. Plié, l'objet se réduisait à la dimension d'un seul de ses médaillons. Le texte écrit sur une seule face, en caractères de la fin du XIIIème siècle, se suit sur les médaillons dans le sens horizontal. On lit d'abord, sur les 23 premiers, la Vie de sainte Marguerite, poème de 124 vers en provençal de la Haute Auvergne (dont l'édition fut confiée à la compétence toute particulière de Clovis Brunel) ; quatre miniatures ornent chacune l'un de ces médaillons : elles représentent la crucifixion, la Vierge et l'Enfant, et deux scènes de la Légende de sainte Marguerite : sa sortie du corps du dragon et sa décollation. Les médaillons suivants portent de courts extraits, en latin, des évangiles de saint Jean, saint Luc et saint Mathieu ; mention est ensuite faite des Rois mages qui sont nommés tous les trois, avec indication de leurs présents respectifs ; puis, toujours en latin, vient l'énumération des pouvoirs bénéfiques de ce parchemin-amulette : celui qui le portera ne mourra ni par le feu, ni par l'eau, ni par le poison, ni par le tonnerre, ni de mort subite ; et, si une femme enceinte le porte, elle ne mourra pas lors de son accouchement : si millier pregnans secum habuerit non morietur de partu. On lit pour finir diverses formules d'incantation.

B. — L'autre feuille de vélin est assez différente de la précédente. Écrite des deux côtés, elle est de dimension plus grande (475 x 440 mm) et divisée non plus en médaillons circulaires, mais en trente- six carrés : six en hauteur, six en largeur. Pour faciliter le pliage, des jours ont été pratiqués au ciseau à l'angle de chaque carré ; par leur alternance régulière, les losanges ainsi formés offrent au regard l'aspect d'un motif ornemental. Le texte, écrit en latin à la fin du xme ou au début du xive siècle, s'étend sur la suite des carrés numérotés d'un côté de i à xxxiiij : deux carrés sans écriture, se trouvant après pliage à l'extérieur du vélin, lui servaient de « feuillets de garde » et sont de ce fait fort salis et usés. Sur l'autre face, les carrés sont désignés par des lettres, à l'exception de ceux placés aux quatre angles du vélin où sont dessinés les emblèmes des évangélistes, à l'exception aussi des douze carrés situés en sa partie inférieure, au centre des 4e, 5e et 6e rangées, qui présentent, à l'intérieur de légendes circulaires, des dessins ou inscriptions magiques. Ainsi par exemple, entourée de la légende : SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Sur tous ces carrés, de part et d'autre du parchemin, se succèdent prières, formules incantatoires et cercles magiques où, sans aucune distinction, sont invraisemblablement mêlés — en dépit des multiples prescriptions pontificales et conciliaires — oraisons chrétiennes et expressions supertitieuses. L'ensemble de ces textes publiés par A. Aymar constitue un spécimen remarquable de ce genre d'amulette, où les briefs sont pour ainsi dire accumulés. La tâche de l'ethnologue et du philologue une fois accomplie, et de bons fac-similés ayant été joints à leur édition, tous ces menus objets plus ou moins hétéroclites, ces papiers et ces parchemins dûments repliés (dont le plus ancien remontait à la fin du XIIIème siècle) : l'ensemble fut remis à son propriétaire. Et il est assez à croire que le sachet, soigneusement reconstitué et recousu, a repris en Haute Auvergne le service bienfaisant qui lui fut reconnu, depuis des siècles (Carolus-Barré Louis. Un nouveau parchemin amulette et la légende de sainte Marguerite patronne des femmes en couches).

Marcolès

Marcolès était selon la tradition une des plus anciennes localités d’Auvergne. C’était à la fin du IXème siècle un des « alleux » de Saint-Géraud, comte d’Aurillac, une de ses possessions exemptée de toute redevance. En 1203, cette cité close était une possession de l’abbaye d’Aurillac par suite de l’abandon de ses droits par Astorg III, seigneur de Conros à Arpajon.

Saint-Géraud est né au château de Saint-Etienne à Aurillac en 856, fondateur de la ville et de son abbaye. Il meurt en 909. Sa vie, écrite une vingtaine d'années plus tard, par Saint-Odon, d'après le témoignage de quatre disciples du saint, le présente comme attentif aux indigents qu'il invite à sa table et sert lui-même, comme habile guerrier sachant faire des vaincus ses amis, comme vivant dans le monde une véritable consécration religieuse et acceptant généreusement la cécité qui le frappe à la fin de sa vie. Astorg III de Conros, homme violent, imbu de ce qu’il croyait être son droit, supportait très mal d’être en dépendance de l’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac. Malgré les promesses de ses aïeux il ne cherchait qu’une occasion pour échapper à ses devoirs de vassal et il refusa tout net de s’incliner devant Ramnulfe. Le conflit alla en s’aggravant. Il se prolongea et s’acheva par un acte criminel : en 1203 l’abbé de Saint-Géraud fut assassiné par les hommes d’Astorg III. Il ne reste aucun document relatant les circonstances de ce crime, il y a cependant une pièce du mois de juin 1203, qui est un aveu de culpabilité du seigneur de Conros. Or dans cet acte « Astorg déclare que Dieu lui ayant fait la grâce de se repentir des dommages et injustices qu’il a causé et particulièrement de la mort de l’abbé Ramnulfe, il fait abandon au monastère d’Aurillac de la somme de quinze mille sols qui lui étaient dus par la ville de Marcolès… » Il s’engageait en outre, en expiation de son pêché, à partir pour la Terre-Sainte ou se retirer dans un cloître. Il fondait enfin une rente de cent sols, annuelle et perpétuelle, pour faire dire des messes en faveur de Ramnulfe (Chanoine E. Joubert, l’abbaye bénédictine de Saint-Géraud d’Aurillac) (http://www.falissard.com - Marcolès).