Partie II - Voyage dans le temps   Chapitre XXI - Saint-Germain & Cagiostro   Saint Thomas et la Franc-maçonnerie   

En faisant une recherche sur les Rose-Croix, je pris connaissance de Théodore Turquet de Mayerne, médecin émigré en Angleterre. Sa mère était une Le Maçon. Etymologiquement le nom homophone de Masson peut provenir d'une forme hypocoristique de Thomas. Je me suis alors demandé si " freemason " pouvait avoir rapport avec Thomas. Plus tard, en lisant le livre de Robinson, " Les secrets perdus de la franc-maçonnerie ", je repartais sur la piste de Thomas, des différents saints ayant porté ce prénom, et me focalisais sur l'apôtre de l'Inde, saint patron des Maîtres-d'Œuvres, et les Actes de Thomas, que l'on peut trouver sur Google.

Les points de rapprochements

1/ Hiram-Jésus-Thomas Dans les sujets consacrés sur Prismehebdo à Hiram, celui-ci est présenté comme un double de Jésus. Ses 3 assassins représentent Hérode, Pilate et Caïphe. Dans les Actes, Thomas est le frère jumeau de Jésus avec lequel on le confond parfois. Un des sens que donne le Nouveau Dictionnaire à Hiram est d'ailleurs " Mon frère est élevé ". Au cours de ses pérégrinations en Inde, Thomas rencontre le Serpent qui lui dit : " Je suis fils de celui qui est assis sur le trône de perdition […] je suis celui qui a stimulé Hérode et enflammé Caïphe de l'ardeur du mensonge en la présence de Pilate, car cela me convenait ainsi ".

2/ Le Temple et le Palais inachevés Dans les Actes, Thomas porte aussi le nom de Judas. A l'inverse de celui qui vendit le Messie, c'est Jésus qui le vend à un marchand en quête d'un architecte pour son roi, en Inde. A l'inverse encore, Thomas ne vole pas d'argent pour lui, mais le distribue aux nécessiteux, il est vrai au lieu de construire un palais. A la demande du roi Gondaphorus, Thomas trace les fondations du palais sur le sol. " Il s'agit, par double entente du Temple de Jérusalem qui se trouve sur le territoire de Juda (la Judée). Thomas-Judas commence les fondations du Palais, mais ne termine pas son travail. " (www.lechampdumidrash.net).

Il est vrai cependant que ce n'est pas la mort qui l'arrête. Mais l'important pour Thomas étant de construire un palais pour le roi au Paradis.

3/ Le toucher

" Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non je n'y croirai pas ". C'est le premier degré de cette expérience du Christ ressuscité. " Avance ton doigt et regarde mes mains, avance ta main et enfonce-la dans mon côté. " Le toucher prouve la connaissance la plus certaine, la plus concrète, la plus primitive. Jésus a refusé cette même reconnaissance à Marie-Madeleine, la semaine précédente, sans doute parce que ce n'était pas nécessaire : " Ne me touche pas, ne me retiens pas. " Ici au contraire, il oblige presque Thomas à aller jusqu'aux limites de cette connaissance. L'horreur n'est pas crédible. Les disciples sont enfermés dans le deuil, dans ce premier temps où l'on ne peut croire à ce qui est arrivé. C'est pourquoi Thomas demande la preuve par le toucher et la vue, comme s'il lui fallait apprivoiser l'innommable. Les 5 points de compagnon, liés à l'élévation au grade de maître, constituent les attouchements main à main, pied à pied, joue à joue (ou sein droit à sein droit), genou à genou et main dans le dos. Le chiffre 5 renvoie peut-être aux cinq coups de lance qui tuèrent l'apôtre selon Saint Dimitri de Rostov (1651 - 1709), alors que les Actes ne parlent que de 4.

4/ Le roseau et l'acacia

L'apôtre Thomas est représenté au V et VIème siècles avec un roseau. Ce végétal était utilisé pour la fabrication des lances, instruments de son supplice. Orderic Vital dit que le saint fut tué dans la ville de Calamine, inconnue des géographes. Pline parle de Camalinae, îles flottantes de Lydie. " Calaminus " signifie en latin " fait de roseau ". Dans l'Apocalypse de saint Jean, on lit : " Et celui qui me parlait tenait une mesure, un roseau d'or, pour mesurer la ville, ses portes et sa muraille ". Instrument utile pour un architecte comme Thomas.

Le roseau dans l'histoire de Midas est le symbole de la divulgation d'un secret. Identiquement pour certains peuples d'Europe de l'Est et d'Asie, le roseau " poussé au-dessus du corps d'un noyé accuse l'assassin, si l'on en fait une flûte ". Les Actes poursuivent : " Il se plaça sur le front une couronne tressée de myrte et d'autres fleurs, et prit dans sa main une tige de roseau ". En figure du Christ aux outrages, sauf que la couronne n'est pas d'épines. " Une joueuse de flûte, tenant à la main son instrument allait auprès des convives ". On apprend dans l'Histoire apostolique d'Abdias que la flûte est de roseau. " Elle se pencha vers lui, et joua pendant longtemps. Cette femme était juive ". Là intervient l'épisode de Thomas souffleté par l'échanson et de l'Hymne de la Perle. C'est la musicienne, qui cassant sa flûte, devient elle-même l'instrument de la révélation que Thomas est l'envoyé de Dieu.

Le buisson ardent (seneh) du Mont Horeb semble être un acacia ou un cassia, plantes de la même famille des Fabacae. D'autres parlent de ronce (Rubus sanguineus) ou de Dictamnus albus. L'Australian Systematic Botany Society Newsletter 124 (September 2005), qui se situe comme son nom l'indique - en Australie où l'on trouve 1000 des 1500 espèces d'acacia existant dans le monde, considère que la ronce n'est pas adaptée au Sinaï et note que le Dictamnus n'a pas d'épine.

C'est aussi dans un buisson, mais de roseaux cette fois, que la semence de Shiva fut recueillie après avoir transité par Agni. Celui-ci passait son temps à se cacher, dans les eaux, dans un figuier, dans un acacia, cachettes à chaque fois divulguée par des animaux qu'il maudissait : un perroquet ayant révélé sa cachette dans l'acacia se vit retirer la faculté de parole. Agni finit par accepter de s'unir spirituellement avec Gangâ. Malgré l'aide apportée par Agni, celle-ci n'arrivait pas à supporter l'énergie de son embryon. Elle s'en débarrasse sur le Mont Meru et l'embryon resplendit comme de l'or - de là l'origine du métal - et tout autour de lui semble se transformer en or - ce qui rappelle Midas. La semence de feu navigua sur les eaux sacrées et, dans le buisson de roseaux, se transforma en un enfant, appelé Skanda qui débarrassera les dieux du démon Târaka, à l'aura luminescente dont la vision radieuse était comparable à des millions de soleils.

5/ Le Cadavre

Le mot hébreu pour Thomas est " Tom ", qui, inversé, donne " meth " : mort, cadavre qui est celui d'Hiram dans la légende après sa découverte dans la tombe marquée de la branche d'acacia.

6/ Le mot de maître

Les variantes de ce mot sont nombreuses : Mahabyn, Mahabone, Macbenach etc.

Le Nouveau Dictionnaire thématique illustré de la Franc-Maçonnerie note que le mot pourrait correspondre à la question " qu'est la pierre ? " ou transcrite en hébreu " Ma ABeN " prononcé " Ma EVeN ". Il note aussi que le mot pourrait être transcrit par MAHAVANA. Ne peut-on pas chercher dans l'Inde de Thomas le sens de la formule ?

Le Sutra Ullambana rapporte le relèvement des peines de la mère du disciple de Bouddha Moggallana. Ullambana vient du sanskrit avalambana (ava-lamb-ana) qui signifie pendu à l'envers. Or justement dans les Actes de Thomas, une femme ressuscitée par son jeune assassin en lui posant main sur main, grâce à l'entremise de l'apôtre, qui avait visité les gouffres des enfers, rapporte ce que lui dit l'homme en noir qui l'y emmena : " Ces âmes suspendues par la langue sont celles des calomniateurs, qui ont tenu des discours mensongers et honteux, ont vécu dans l'impudence, marchant çà et là tête nue dans le monde. Les âmes suspendues par les mains sont celles qui ont ravi et dérobé le bien d'autrui, n'ont jamais rien donné à des conditions équitables, et ne sont pas venues en aide aux opprimés ; mais elles agissaient ainsi pour tout accaparer, et ne prenaient nul souci de la justice et de la loi. Les âmes suspendues par les pieds sont celles qui, dans leur folie et leur emportement, se sont précipités dans les voies de la dépravation et du désordre, ne visitant pas les malades, n'accompagnant pas ceux qui sortaient de la vie ". Ce sutra a donné lieu à une cérémonie, pratiquée au Japon sous le nom de " Urabone " ou " O-Bon ", au cours de laquelle on offre à profusion des plats de fruits et de légumes pour le repos des âmes et la conservation des parents vivants. Certains sites bouddhistes notent que " Bana " (de Ullambana) signifie récipient qui reçoit la nourriture (mes recherches n'ont pas trouvé un tel mot en sanskrit). Ces plats ont pour signification le secours des âmes. On peut rattacher ce mot au verbe " bhan " : appeler, nommer, à " bhanda " : pot, récipient, ou à " vana " : récipient en bois. Le Rite Ecossais Rectifié note au sujet de la cérémonie : " C'est alors que le secours puissant du Maître vient seconder ses premiers efforts. Rappelez-vous ici ceux que le Vénérable Maître, qui figurait cette puissance protectrice, a faits pour vous tirer de cet état funeste, et avec quel tendre empressement il vous a arraché au tombeau et rendu à la vie ". " Mahavana " pourrait ainsi dire : " le grand secours ". Ajoutons à cela, ce que dit l'Evangile de Thomas. Comme Jésus demande, à ses disciples, à qui il ressemble, Thomas répond : " Ma bouche est tout à fait incapable de dire à qui tu es semblable ". Jésus le prend alors à part et lui dit " trois mots ". Les autres disciples l'interrogeant ensuite, Thomas leur dit : " Si je vous dis une seule des paroles qu'il m'a dites, vous prendrez des pierres et les lancerez contre moi ; et alors un feu sortira des pierres et vous brûlera " (Parole n°13).

7/ Le châtiment

La divulgation de " L'Ordre des Francs-Maçons trahi " de 1745 relate le châtiment du franc- maçon traitre à son ordre : " Je promets tout cela sous peine d'avoir la gorge coupée, la langue arrachée, le cœur déchiré, le tout pour être enseveli dans les profondes abîmes de la mer ; mon corps brûlé et réduit en cendres, et les cendre jetées au vent, afin qu'il n'y ait plus de mémoire de moi parmi les hommes ni les maçons ". Les Actes de Thomas relatent la terrible punition encourue par un échanson, jaloux selon l'Histoire d'Abdias, qui souffleta l'apôtre regardé avec trop d'insistance par la joueuse de flûte. Thomas dit à l'échanson : " Le Dieu que je sers te pardonnera dans l'éternité cette injustice, mais en ce monde, il fera éclater sa puissance, et je verrai cette main, qui m'a frappé, déchirée par un chien ". Une fois que Thomas a chanté l'Hymne à la Perle, l'échanson va chercher de l'eau au puits. Un lion l'attend, le met en pièces. Les chiens se disputent les membres sanglants et un chien noir se saisit de la main droite et l'apporte aux convives.

Feront débat la mention de tels châtiments pour les maçons comme pour les Actes de Thomas. En effet, on lit dans la Légende dorée de Jacques de Voragine qui emprunte une partie des Actes, que Saint Augustin blâma cette " vengeance ", dans son livre contre Fauste, la considérant comme intercalée par un faussaire.

8/ Le G et l'Etoile flamboyante

Thomas, en oignant les nouveaux convertis, dit : " Viens l'aîné des cinq membres de notre esprit, qui sont l'intelligence, la conception, le conseil, la réflexion, le raisonnement ; communique-toi à ces nouveaux serviteurs. Viens, Esprit-Saint ". Dans les Actes, les 5 membres sont ceux de l'Esprit. On retrouve la notion des 5 membres ou demeures de Dieu, cette fois, dans le manichéisme. Ces 5 membres sont l'intelligence, la connaissance, la pensée, la réflexion et la conscience.

La réunion de l'Etoile à 5 branches et du G est due, selon le Dialogue entre Simon, maçon de la ville, et Philippe, maçon voyageur, daté de 1740, à " un nouveau règlement de J.T. Desaguliers ". Les 5 branches pourraient représenter les 5 composants de l 'esprit (Ghost en anglais), ou de Dieu (God), tous les deux ayant l'initiale G. L'étude de l'esprit humain et de son fonctionnement fut le sujet de nombreux ouvrages. Ainsi "An Essay Concerning Human Understanding" (de 1689) et "Of the Conduct of the Understanding" de John Locke, publié de manière posthume en 1706 ; "Treatise of Human Nature" David Hume, en 1739. " This being premised, to find wherein personal identity consists, we must consider what person stands for;- which, I think, is a thinking intelligent being, that has reason and reflection, and can consider itself as itself " (Locke - An Essay Concerning Human Understanding - Book 2 - Chapter 27) (en français : " Après ces préliminaires à la détermination de ce qui fait l'identité personnelle, il nous faut considérer ce que représente la personne ; c'est, je pense, un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même, une même chose pensante en différents temps et lieux. "). Je reprendrais ce que dit Henri Tort-Nouguès dans l'Idée maçonnique : " Il semble bien que Locke (en un sens) préfigure le XVIIIème siècle et ce que sera le climat intellectuel dans lequel se créera la franc-maçonnerie anglaise […] Ne peut-on dire que l'essentiel de la pensée de Locke se trouve résumée justement dans l'article I des Constitutions d'Anderson ? ".

G représente aussi la Géométrie, mais pourquoi pas aussi l'Esprit de Géométrie (Ghost of Geometry) qui pour un scientifique comme Desagulier est à prendre en compte. "The geometrical spirit is not so attached to geometry that it cannot be carried over to other knowledge as well. A work of ethics, of politics, of criticism, perhaps even of eloquence will be better, all things else being equal, if it is made by the hand of a mathematician. The order, clarity, precision and exactitude which have reigned in the better works recently, can well have had their first source in this geometrical spirit which extends itself more than ever and which in some fashion communicates itself even to those who have no knowledge of geometry." in "A Translation of Part of Monsieur Fontenelle's Preface to the Memoirs of the Royal Academy at Paris, in the Year 1699, treating of the Usefulness of Mathematical Learning", in Miscellanea Curiosa, second edition, London, 1708, vol. i, Preface.

9/ Manichéisme, Franc-Maçonnerie et Thomas

Une peinture, datant du VIIIème siècle, provenant de la nécropole chinoise d'Astana, près de Turfan, représente Fuxi, l'empereur chinois légendaire inventeur du Yi King, et Nuwa, sa soeur et épouse, enlacés au milieu des constellations, entre le Soleil et la Lune. Les deux personnages aux corps de serpents sont ici figurés en géomètres de l'univers, Fuxi brandissant l'équerre et le fil à plomb tandis que Nuwa tient le compas. A Dunhuang, Fuxi et Nuwa, sont cette fois représentés cette fois sous forme humaine tiennent encore les instruments de bâtisseur. Sur cette peinture, ils se tiennent tous deux autour de Mani, la perle magique, taillée comme un diamant et placée à l'intérieur d'un vase qui se dresse vers le ciel. L'Hymne de la Perle se trouve dans les Actes de Thomas et en fait bien un écrit d'inspiration manichéen. A l'âge de 12 ans, Mani a eu sa première révélation, apportée par l'ange al-Tawm, qui lui commande de quitter la secte baptiste (mandéens), et lui dévoile les Mystères. Le nom de l'ange est clairement la réminiscence de l'apôtre Thomas dont l'Evangile et les Actes circulaient dans la région à l'époque (Prods Oktor Skjærvø, An Introduction to Manicheism).

La tradition place une équerre et une règle dans les mains de Thomas. Une légende raconte qu'une équerre, jetée sur le rivage par lamer, ne put être enlevée par plusieurs hommes, mais que l'apôtre la souleva comme une paille et l'utilisa pour la construction d'une église.

En 1700, Thomas Hydes faisait paraître Veterum Persarum et Parthorum et Medorum religionis historia, et les rédacteurs des Constituions pouvaient en avoir eu connaissance. Un manuscrit des Actes de Thomas appartenait à la Bibliothèque Bodleyenne d'Oxford où Desaguliers et Anderson firent leurs études.

Si les relations entre manichéisme pouvaient être prouvées, il ne faudrait voir dans la religion de Mani qu'un outil de syncrétisme utilisé par les rédacteurs des Constituions afin de faire cohabiter les différentes sensibilités religieuses au sein de la Freemasonry, et non un objet de foi.

10/ Thomas

Le 5 janvier 1721, naissait le quatrième fils de Desaguliers qu'il prénomme Thomas…

Saint-Thomas I fut fondée par Charles Radcliffe, comte de Darwentwater en 1725 ou 1726. Les deux cofondateurs de Saint-Thomas I sont d'authentiques partisans des Stuart. Il s'agit de Dominique O'Héguerty, comte de Magnières en Lorraine par le duc Stanislas, et du chevalier James Hector Mc Lean, qui occupera la Grande Maîtrise de la Grande Loge de France entre le duc de Wharton, mort en 1731, et Darwentwater qui lui succédera le 27 décembre 1736. Saint Thomas I affiche clairement son engagement jacobite et se place sous le patronage de saint Thomas Becket qui avait dû fuir l'Angleterre de Henri II et les persécutions pour trouver asile en France. La loge Saint-Thomas se réunissait chez le traiteur Huré, rue des Boucheries, et regroupait principalement des Irlandais et des exilés stuartistes.

La Loge de Saint Thomas II, dite encore Saint Thomas Le Breton-Le Louis d'Argent, par référence à son fondateur, le compagnon orfèvre Thomas Pierre Le Breton et à la taverne Au Louis d'argent, rue des Boucheries, faubourg Saint-Germain est officiellement constituée le 3 avril 1732 par la Grande Loge d'Angleterre, qui saisit ainsi l'occasion de contrer l'influence jacobite dans la Franc-maçonnerie parisienne (Encyclopédie Maçonnique).