Partie XVI - Darmstadt   Les trois portes   Rennes le Château - Gisors   
DARMSTADT RENNES LE CHATEAU GISORS CHATEAUBRIAND BECCLES

Rennes le Château - Gisors

En systématisant le lien Darmstadt - Rennes le Château par Montrevel et les deux églises Sainte Marie Madeleine, Rennes-le-Château par Gisors atteint le Suffolk (Grande Bretagne) à Beccles (Suffols - UK).

Beccles

Une léproserie avait été établie à Beccles, dans le Suffolk, avant 1327. Sa chapelle était dédiée à sainte Marie Madeleine (Victor Saxer, Le Culte de Marie Madeleine en Occident: Des Origines À la Fin Du Moyen Âge, Volume 2, 1959 - books.google.fr).

Chateaubriand dut quitter Londres par une journée de décembre 1793 ou même de la première quinzaine de janvier 1794. Cent huit mille anglais séparaient Beccles, sa nouvelle résidence, de la capitale. Le voyage durait environ quatorze heures. La tradition locale veut que l'écrivain soit descendu à l'auberge de La Tête du Roi, le King's Head Hotel, auberge basse et trapue à la large porte cintrée, à la salle salle à manger meublée en vieil acajou et à la grande cheminée devant laquelle s'asseyent les hôtes de passage. Quel changement de décor ! Il a rendu visite, dès son arrivée, au révérend Bence Sparrow, auquel il s'est présenté sous le nom de comte de Combourg. Celui-ci, homme distingué, a apprécié du premier coup d'œil ce jeune émigré à la figure avenante qui paraît fort cultivé. Il sera chargé d'enseigner le français à la Grammar School, école secondaire, dirions-nous, distribuant la culture classique. Dès le lendemain, il sera à sa tâche. Encore une fois réconforté, bien nourri, bien logé, il s'est remis avec ardeur à son Essai, y travaillant d'arrache-pied entre ses heures de classe avec les livres que lui donne l'obligeant recteur. Il fait aussi des promenades, soit à pied, soit sur un cheval qu'on lui a prêté de plus en plus séduit par le pays. Son charme n'a pas manqué d'opérer et tout le monde, autour de lui, se loue de ce jeune Français, si intelligent, on l'invite à toutes les parties, il a séduit chacun. Un incident va encore accroître cette sympathie. Un soir, au cours d'une réunion on a lu à haute voix un journal qui relatait la montée à l'échafaud, le même jour, le 2 mai, de M. de Malesherbes, de sa fille, la présidente de Rosanbo, de sa petite-fille et de son petit-gendre, le comte et la comtesse de Chateaubriand. En entendant ces paroles terribles, René a pâli, est sorti brusquement et a éclaté en sanglots. Son identité est dévoilée, mais ce sera maintenant autour de lui un redoublement d'intérêt et de pitié. Les jours suivants lui apportent encore d'affreuses nouvelles. A la suite de la découverte du complot de La Rouerie, la jolie Thérèse de Moëlien, la créature féminine qu'il avait distinguée dans sa jeunesse, a été guillotinée. Mme de Chateaubriand a été arrêtée et conduite à Paris, Julie et Céleste ont été internées à Rennes comme parentes d'émigré et Lucile a demandé à les suivre. Non seulement il s'est voué à l'exil, mais, en émigrant, il a fait le malheur des siens.... De longs mois s'écoulent. Chateaubriand a continué de donner ses leçons à la Grammar School et sa réputation de professeur a sans doute grandi, car, à la fin de l'année, le révérend John Ives qui dirige une école à Bungay, à quatre lieues de Beccles, lui a demandé de venir enseigner un groupe d'élèves. Occasion inespérée d'augmenter ses maigres ressources, aussi a-t-il accepté avec joie (Pierre Christophorov, Sur les pas de Chateaubriand en exil, 1961 - books.google.fr, Jules Bertaut, La vie privée de Chateaubriand, 1952 - books.google.fr).

A l'occasion de son départ à Beccles, Chateaubriand prétend avoir été engagé pour « déchiffrer des manuscrits français du douzième siècle » de cette collection (qui deviennent les «authentiques de Camden» au livre XI, chap. 5). [...] Reste la question des «authentiques» de Camden, qui, d'après les Mémoires d'outre-tombe, livre XI, chap. 5, lui «avaient rendu familières les mœurs et les institutions du moyen âge ». Mais, à part l'invraisemblance du travail de paléographe qui aurait poussé l'inexpert Chateaubriand à se transférer à Beccles (voir ci-dessus), la référence donnée au chap. I, 61 ne suffit pas à prouver la consultation des Annales rerum anglicarum et hibernicarum régnante Elisabetha, même si l'ouvrage aurait pu facilement se trouver dans les étagères de la province anglaise, ni celle de la Britanniœ Descriptio (1586, rééditée en 1789) (François-René de Chateaubriand, Oeuvres complètes, Volumes 1 à 2, présenté par Béatrice Didier, Aurelio Principato, 2009 - books.google.fr).

La charge de recueillir des manuscrits de Camden avait été confiée à Joseph Planta, conservateur au British Muséum, et Chateaubriand a pu en entendre parler.

Blessé après une chute de cheval qu'il soigna chez les Ives, il succomba aux charmes de Charlotte Ives, la fille du pasteur de Bungay (Voir les Mémoires d'outre-tombe, Livre 10, chapitre 9 - « Charlotte ») (fr.wikipedia.org - Beccles).

Le manoir de Worlingham, résidence de Robert Sparrow, était situé à trois kilomètres au nord-est de Beccles. Robert Sparrow, on le sait, était le frère du reverend Bence Sparrow, le recteur de Beccles et le protecteur de Chateaubriand. Dans la direction opposée, à environ dix kilomètres à l'ouest de Beccles se trouvait la ville de Bungay, important centre de placement pour les leçons particulières, et à cinq kilomètres au nord de cette ville était sis le manoir de Ditchingham où résidaient les Bedingfield qui faisaient bon accueil à l'exilé (Pierre Christophorov, Sur les pas de Chateaubriand en exil, 1961 - books.google.fr).

Eric Johnstone, 7 juin 2015, Ditchingham - www.flickr.com

Bedingfield, Francis Philip, Esquire, Ditchingham, nr. Bungay. by Robert Partridge 3rd Augt. 1785. Elected and E.A. 23rd Augt. 1785. M.M. (and probably EC.) 4th Octr. 1785. Age on Initiation 30.

Bro. Daynes (A.Q.C., XXXIX.) mentions Francis Philip Bedingfield, of Ditchingham, introduced into Masonry by Bro. Robert Partridge, who himself had been made a Mason at a Grand Lodge of Masons of St. Charles of Concord at Brunswick (Ars Quatuor Coronatorum: Being the Transactions of the Quatuor Coronati Lodge No. 2076, London, Volume 48, 1939 - books.google.fr, W.J. Songhurst, Ars Quatuor Coronatorum, 1939 - books.google.fr).

Il est possible que ce soit lui qui ait accueilli Chateaubriand à Ditchingham.

La Gr. Loge provinciale de Hambourg fit constituer à Brunswick le 12 février 1744 par le chambellan de Kissleben, nommé Gr. Maître provincial à vie, une loge sous le titre de "Jonathan", à l'installation de laquelle figura le prince Albrecht de Brunswick. Lors de l’introduction du système Templier dans les loges de l'Allemagne, une partie des membres de cette loge refusèrent de l’admettre, et elle se scinda en 1765 en deux fractions, dont chacune continua ses travaux; mais elles se firent mutuellement la guerre. Une troisième loge, « Saint-Charles de la Concorde,» fondée en 1764 par des Français, qui travaillaient dans leur langue et professaient les hauts grades apportés de France, ayant, malgré la protection du duc, été anathématisés, par les deux autres loges dissidentes, le duc régnant (Charles), pour mettre fin aux désordres, fit fermer les trois loges a la fois et ordonna peu de temps après qu’il en fût établi deux nouvelles avec des éléments nouveaux, l’une travaillant en français et l’autre en allemand. Le 10 et le 11 octobre 1770, le duc Ferdinand de Brunswick, nommé alors par la Gr. Loge de Londres Gr. Maître provincial pour les loges du duché de Brunswick, installa ces deux loges, en présence du duc Charles de Sudermanie, frère du roi de Suède, Gustave III, et du prince Frédéric-Auguste de Brunswick-Lunebourg, ainsi que du général de Getz, député Gr. Maître. La même année les émissaires des Jésuites parvinrent à gagner le duc Ferdinand au système Templier, auquel il manquait en Allemagne un chef influent qui pût en faciliter la propagation et seconder les plans secrets de ses fondateurs. Après avoir été initié et nommé au convent de Kohlo en 1772 par les loges réunies à cette fin Gr. Maître de toutes les loges du système Templier dans toute l’Allemagne, le duc Ferdinand établit, le 18 janvier 1773, le directoire suprême de la Stricte Observance à Brunswick, dans le local appartenant à l’une des deux loges qu’il avait installées en 1770, et qu’il avait fermées, attendu que ni l’une ni l’autre ne vouhuent adopter le système dont il avait été nommé le chef. Après bien des tribulations, trompé, comme l’avait été Gustave III de Suède et son frère le duc de Sudermanie, sur l’origine de ce système Templier, par les chefs émissaires, qui prétendaient rétablir l'ordre du Temple et s’en faire restituer les biens, le duc Ferdinand assembla un convent en 1775 à Brunswick, puis un autre en 1778 à Wolfenbuttel pour rechercher la vérité à ce sujet. Plusieurs des chefs apparents furent démasqués et emprisonnés; mais on n’en fut pas plus avancé qu’auparavant. Enfin le duc Ferdinand convoqua pour 1782 en congrès à Wilhelmsbad tous les maçons de l'Europe, afin de s’assurer si le système Templier était en effet dirigé par des supérieurs généraux inconnus, de discuter ce système et de le réformer au besoin, dans le but de faire sortir la franc-maçonnerie du labyrinthe inextricable dans lequel ce système l’avait plongée, non-seulement dans tous les pays allemands, mais même en Suède, en Italie, en Pologne et en Russie. Les discussions qui eurent lieu dans les 30 séances de ce congrès n’aboutirent à aucun résultat positif, si ce n’est qu’il fut reconnu que le système Templier était une œuvre anti-maçonnique, qu’il fallait abandonner, pour retourner à la simplicité de la maçonnerie anglaise. A la suite de ce congrès tous les systèmes à hauts grades furent réformés; mais il en subsiste presque partout quelques lambeaux. Le rite de la Stricte Observance fut changé et baptisé de rite écossais rectifié. La loge directoriale de Brunswick reprit elle-même, après la mort du duc Ferdinand, décédé le 3 juillet 1792, la pratique des trois grades symboliques et son ancien titre de "Saint-Charles de la Concorde". Elle est demeurée isolée et indépendante. Pendant la période qui avait créé un royaume de Westphalie, elle fut en danger de perdre cette indépendance; sommée par la nouvelle Gr. Loge de Westphalie, fondée en 1808 à Cassel, de se ranger sous son obédience; elle en fut dispensée par le roi lui-même; c'est alors seulement qu’elle retourna, pour avoir un point d'appui, sous l’obédience de son ancienne mère loge de Hambourg. Le 11 et le 12 février 1844 elle célébra la fête séculaire de la fondation de la première loge à Brunswick (Histoire des trois grandes loges des Francs-Maçons en France, le Grand Orient, le Sup. Conseil, la Grande Loge Nationale: suivie d'un grand nombre de tableaux historique, Collignon, 1864 - books.google.fr).

Nicolas Bonneville donnait aux Jésuites la paternité du système Templier, en 1682 date proche du 1681 qui se renverse en 1891.

En 1682 les Jésuites formèrent du système Rose-Croix de Free-masons un système nouveau de Free-masonry : ils firent de la Maison Salomonienne de Bacon un Temple de Salomon : ils plièrent tous les symboles à leurs desseins; et à force d'en donner des explications bizarres dont le sens Jésuitique était réservé â leurs conjurés, ils infectèrent la source la plus pure. Ce n'est bientôt plus qu'une eau croupie d'où la peste volerait de toutes parts.

Le Duc d'York, accorda aux Jésuites d'insignes faveurs. Ce Frère de Charles II, qui lui succéda dans la suite sous le nom de Jacques II, fonda publiquement à Londres un collège de Jésuites; et ce collège s'appelle naturellement dans l'histoire des Francs-Maçons Jésuitisés, la grande Loge d'York, parce que Jacques II établit son collège de Jésuites lorsqu'il n'était encore que duc d'York.

N'est-ce pas précisément des Jésuites qu'il est écrit aux Livres saints : Vous serez comme des Dieux ? Je ne raille point: ouvrez Pascal à toutes les pages.

Les chiffres qui marquent l'année de rétablissement Maçonnique en 287, donnant pour total le nombre 17, il y a quelqu'apparence d'allusion à la véritable époque de cet établissement, arrivé sous Charles Ier en 1646, dont les chiffres ensemble calculés donnent aussi un nombre 17, comme 1682. [...]

Quelqu'ennuyeux que soient tous ces calculs, il faut y prêter une attention analytique: ils donnent à cette partie toute Jésuitique un air de Grimoire qui ne convient pas mal à leur charlatanisme (Antoine-Augustin Bruzen de La Martinière, Cérémonies et coutumes religieuses des peuples idôlatres, Tome X, 1809 - books.google.fr).

En 1681 était exécuté à Tyburn le dernier accusé du "Papist Plot" dénoncé par Titus Oates, l'évêque irlandais d'Armagh (comme le Malachie de la Prophétie) et primat d'Irlande Oliver Plunket, né en 1629 au château de Baltimore, dans le comté de Méath, vénéré comme un héros national par tous les Irlandais et fêté localement le 12 juillet, béatifié le 23 mai 1920 par Benoît XV et canonisé le 12 octobre 1975 par Paul VI (fr.wikipedia.org - Olivier Plunket).

Trois ans plus tôt, le Père Thomas Downes, celui que les Jésuites appellent le père Mumford, mourut en prison, le 21 décembre 1678. Sous le nom de Bedingfield, avait jadis servi d'aumônier au duc d'York (Barbara Frances Mary Neave Comtesse de Courson, R. de Courson, La persécution des catholiques en Angleterre: un complot sous Charles II, 1898 - books.google.fr, Georges Guitton, Saint Claude la Colombière, 1981 - books.google.fr).

Issu d'une vieille famille catholique et stuartiste, originaire du comté de Suffolk, Edmond Bedingfield se rattachait à la branche d'Oxburgh. Il avait été baptisé au mois de mai 1613, et il devait le jour à Sir Henry Bedingfield, dit le Cavalier, et à la seconde femme de ce gentilhomme, dame Elisabeth Houghton, fille de Pierre Houghton de Houghton Tower, écuyer. Son père, mort en 1657, avait expié par la perte de presque tous ses biens et par un long emprisonnement à la Tour de Londres son loyalisme envers le roi. Deux de ses nièces, Anne et Marguerite, se consacrèrent à Dieu dans le couvent de Lierre. Deux autres proches parentes, filles de François Bedingfield de Redlingfield, et de Catherine Fortescue, avaient fait profession au Carmel d'Anvers : la Mère Lucie de Saint-Ignace, qui bientôt allait y mourir prieure, l'an 1650, à l'âge de de trente-six ans, et la Mère Magdeleine de Saint-Joseph, décédée en Allemagne, en 1683 ou 1684, au monastère de Neubourg, qu'elle avait fondé (Louis Fournier, Soeurs d'Irlande et de Grande-Bretagne, 1914 - books.google.fr, en.wikipedia.org - Philip Bedingfield).

La branche des Bedingfield de Ditchingham était, elle, protestante (Publications of the Catholic Record Society, Volume 7, 1909 - books.google.fr).

La prophétie de Saint Malachie est mentionnée pour la premiere fois dans une lettre de Mabillon au bienheureux Olivier Plunkett, archevêque d'Armagh, martyrisé aux Tyburn Gallows de Londres le 1er juillet 1681. Mais la prétendue lettre de Mabillon est un faux, qui n'est pas antérieur au milieu du XIXe siecle ; et la prétendue prophétie de saint Malachie est à ranger parmi les inventions toutes modernes, tam nugatoria quam quae maxime (Act. Sanct.Nov. t. IV, p. 488). (Études celtiques, Volume 2, 1979 - books.google.fr, Autour de Rennes le Château : La Prophétie de saint Malachie et l’eucharistie).

La lettre en question est une réponse adressée — en anglais, langue ignorée de Mabillon — à Olivier Plunkett, archevêque d'Armagh et plus tard martyr, qui aurait consulté le religieux sur le crédit à accorder à une prophétie de saint Malachie O'Morgair concernant l'Irlande. La lettre du bienheureux Plunkett passe pour perdue, la réponse de son correspondant n'est pas datée et on y Ut ces mots : I have indeed found in a very ancient archive of the Abbey of Einseildelin the document containing the prophecy of St Malachy. Nous avons vu que Mabillon se trouvait à Einsiedeln du 26 au 30 juillet 1683 ; or Plunkett était mort le 11 juillet 1681. Outre l'usage de l'anglais, le manque de date et le retard de plus de deux ans à répondre à un correspondant dont la mort pour la foi n'avait pu passer inaperçue, la prétendue lettre contient des affirmations que l'éditeur de saint Bernard, moins que personne, se fût hasardé à émettre; celle-ci notamment qu'on gardait à Clairvaux « le souvenir de beaucoup de prophéties de saint Malachie, de celle-ci en particulier ». Enfin, on fera observer que le document apocryphe, pas plus que la fausse lettre, n'a pu être retrouvé à Einsiedeln ou nulle part ailleurs et que, si Mabillon avait mis la main sur une pièce de cette importance, il n'eût pas manqué d'en enrichir l'appendice de l'Iter Germanicum (Henri Leclercq, Mabillon, Volume 1, 1953 - books.google.fr).

C'est sans doute le reverend Bence Sparrow, ancien élève de Cambridge, qui devrait occuper la place de choix parmi ceux que Chateaubriand a fréquentés à Beccles. Tout semble indiquer qu'il avait une certaine envergure intellectuelle, qu'il exerçait dans son fief une influence sociale notable et que par ses fonctions il était appelé à manifester une curiosité agissante sur les affaires de ses concitoyens. Bence Sparrow était au courant des recherches que poursuivait Chateaubriand. Il dut fournir à ce dernier plus d'un conseil et aussi plus d'un ouvrage à consulter car sa bibliothèque personnelle et surtout celle de l'église de Beccles étaient riches en ouvrages anciens. Chateaubriand, on le sait, reconnaît sa dette à l'égard de Bence Sparrow dans deux notes de l'Essai. Mais rien ne semble indiquer que le ministre de Beccles eût exercé une influence décisive sur Chateaubriand : ni l'esprit dans lequel est écrit l'Essai sur les révolutions, ni l'orientation générale de cet ouvrage empreint de scepticisme. Quant au passage bien connu de l'Essai, nourri d'observations toutes fraîches sur le clergé anglais, il ne révèle pas une sympathie particulière. Néanmoins, Chateaubriand dut avoir pour Bence Sparrow une reconnaissance qu'il n'est pas difficile de comprendre. Il convient de nommer également le frère de Bence Sparrow, Robert. C'était un personnage considérable. Comme l'indique le « Bottin mondain » anglais de l'époque, il avait deux résidences, l'une à Londres, et l'autre, nous venons de le voir, à Worlingham. Lors de l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne, il fut élu par les gentilshommes de cette région, et nommé par le roi, pour lever une compagnie de cavalerie d'une centaine d'hommes afin de renforcer les défenses côtières de cette partie de l'Angleterre. Il possédait, semble-t-il, une bibliothèque importante. Partagé entre sa résidence londonienne et son manoir, occupé comme il l'était de ses affaires; il ne dut rencontrer que rarement le jeune professeur émigré (Pierre Christophorov, Sur les pas de Chateaubriand en exil, 1961 - books.google.fr).

Chateaubriand et les francs-maçons de Beccles

Chateaubriand vécut d'abord au 3 Saltgate Street dans une maison qui appartenait aux Crowfoot et qui était attenante à celle qu'habitait cette famille. Avant la seconde guerre mondiale cette maison servait d'hôtel et recevait "une clientèle peu fortunée". La seconde demeure de Chateaubriand à Becclès était situé dans une ruelle tranquille, La Hungate Lane. Il habita dans "un appartement" chez M. Butcher comme atteste une lettre adressée par l'écrivain à son médecin le Dr. Davey, le 16 Juin 1797. Chateaubriand enseignait aussi à Bungay et "ayant fait une chute de cheval, je restai, (écrit Chateaubriand), quelque temps chez M. Ives". ( Mémoires d'Outre Tombe, 1ère partie: 456 ) Les Ives habitaient une ravissante maison qui est connue aujourd'hui sous le nom de Bridge Street House et qui appartient au Major W.H. Worthley. Chateaubriand retourna à Londres, probablement au mois de juin, voir lettre datée du 1er juillet 1796 adressée au Marquis de Montaigu (Gemma Alvarez Ordonez, Les demeures de Chateaubriand, VII Coloquio APFFUE (Asociación de Profesores de Filología Francesa de la Universidad Española): Cádiz, 11-13 de febrero de 1998, 1999 - books.google.fr).

On cite la constitution, le 22 juillet (sic : fête de Marie Madeleine, la tradition ne s'était pas perdue) 1794, de la loge Apollo (Apollo Lodge) à Beccles, sise au (White Lion) Lion blanc (W.J. Songhurst, L. Vibert, Ars Quatuor Coronatorum, Volume XLII, Part 1, 1929 - books.google.fr).

Chateaubriand était donc alors sur place à Beccles.

On cite déjà une loge régulière au 14 juillet 1755 au Lion à Beccles (Samuel Prichard, Masonry Dissected, Volume 4, 1770 - books.google.fr).

Hingant de la Tiembliais écrivait à Chateaubriand en septembre 1795 : "Ma maladie n'a été, au vrai, qu'une de ces fièvres de nerfs qui font beaucoup souffrir, et dont le temps et la patience sont les meilleurs remèdes Je lisais pendant cette fièvre des extraits du Phédon et du Timée. Ces livres-là donnent appétit de mourir, et je disais comme Caton: It must be so, Plato; thou reason'st well! Je me faisais une idée de mon voyage, comme on se ferait une idée d'un voyage aux grandes Indes. Je me représentais que je verrais beaucoup d'objets nouveaux dans le monde des esprits (comme l'appelle Swedenborg) et surtout que je serais exempt des fatigues et des dangers du voyage. » (François René Chateaubriand, Les chefs-d'oeuvre, Mémoires d’outre-tombe, 1850 - books.google.fr).

Cet extrait de lettre arrive tout juste avant le chapitre "Charlotte", ou son idylle de Beccles.

Ce texte prouve l'intérêt manifeste de Hingant de la Tiemblais pour la franc-maçonnerie mystique : il put d'ailleurs trouver à Londres la Société des Illuminés Théosophes, créée en 1757 par un franc-maçon français, Bénédict Chatanier, qui s'inspirait du rite de la Nouvelle Jérusalem de Swedenborg. Cette secte comportait six grades : ceux d'apprenti théosophe, de compagnon théosophe, de maître théosophe, grades communs à toutes les francs-maçonneries, suivis de trois grades supérieurs : Ecossais sublime ou théosophe illuminé de la Jérusalem céleste, frère bleu et frère rouge. On a pu penser que les préoccupations religieuses de Hingant de la Tiemblais eurent une influence sur la genèse de l'Essai sur les Révolutions, de Chateaubriand (1797), autant que Joubert et Fontanes, tous deux francs-maçons. On peut estimer en outre que Chateaubriand eut des rapports étroits avec la franc-maçonnerie en se fondant sur un passage des Mémoires d'outre-tombe :

« Le peintre Neveu, afin de lier deux Frères, nous donna à dîner dans une chambre haute qu'il habitait dans les combles du Palais Bourbon. » Chateaubriand fut-il initié ? La question reste posée... L'admission de Hingant de la Tiemblais à la Tendre Fraternité correspond à un renouveau de la loge dinannaise.

En 1779, la Tendre Fraternité initia cependant François-Marie-Anne-Joseph Hingant de la Tiemblais, fils de Hyacinthe. Les archives départementales des Côtes-du-Nord possèdent une généalogie manuscrite complète des Hingant de la Tiemblais dressée par le vicomte Frotier de la Messelière. On y peut lire que « le seigneur de la Tiemblaye, né en Saint-Malo de Dinan le 9 avril 1761, (fut) conseiller originaire au Parlement de Bretagne du 3 octobre 1782 à 1789, émigré à Jersey, du 3 août 1793, puis à Londres, où il se lia très intimement avec le vicomte René de Chateaubriand, rentré en France, auteur de mémoires sur l'ordre social et la législation rurale, secrétaire de la Société d'Agriculture, de Commerce et d'Industrie de Dinan, agronome et homme de lettres, mort subitement à Plouer, sans alliance, le 16 août 1827 ». Chateaubriand fit sa connaissance sur le paquebot qui le conduisit en Angleterre en 1793 : « Le paquebot sur lequel je m'embarquai était encombré de familles émigrées, écrit-il dans les Mémoires d'outre-tombe (première partie, livre x, 3). J'y fis connaissance avec M. Hingant, ancien collègue de mon frère au Parlement de Bretagne, homme d'esprit et de goût dont j'aurai trop à parler. » (Jacques Brengues, La franc-maçonnerie dinannaise de 1760 à 1789, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 81, numéro 1, 1974 - www.persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1974_num_81_1_2718).

Avec ses 250 tonneaux de jauge, ses deux gaillards, ses huit canons, sept officiers et trente-cinq hommes d'équipage, l'Apollon, que commandait un ancêtre de François-René, René-Auguste, au début du XVIIIème siècle, offrait le type normal du négrier, propriété de Jean Mosneron (Georges Collas, René-Auguste de Chateaubriand, comte de Combourg, 1718-1786: un cadet de Bretagne au XVIIIe siècle, 1949 - books.google.fr).

Le dieu Apollon visite Les Martyrs : « Puissant Apollon , s'écrie l'Aruspice, dieu de « Sminthe et de Délos, vous que le Destin a choisi « pour dévoiler l'avenir aux mortels, daignez « m'apprendre quel sera le sort des Chrétiens! « Le pieux Empereur doit-il faire disparoître de « la terre les sacriléges ennemis des dieux ? » (François-René de Chateaubriand, Les martyrs: ou le triomphe de la religion chrétienne, Volume 3, 1837 - books.google.fr).

La seule analogie permise est évidemment celle que l'on pourrait faire entre la naissance de l'homme des Mémoires à Saint-Malo et celle d'Apollon, dieu de la poésie et de la musique, sur l'île de Délos : ma Délos signifierait donc une analogie dans laquelle Saint-Malo serait à l'homme des Mémoires ce que l'île de Delos est à Apollon, c'est-à-dire son île natale. Léto se réfugia sur ce rocher flottant et stérile pour y accoucher Artémis, puis Apollon. Or, dans les Mémoires, une profonde identification lie le personnage de Lucile à cette Lune qui est une des représentations traditionnelles de Diane-Artémis. Des trois poèmes de Lucile cités dans les Mémoires : « L'Aurore », « A la Lune », « L'innocence », si tous portent comme des traits épars du caractère de la jeune fille, «A la Lune» est le seul dans lequel elle se compare explicitement à l'objet de son poème ; tandis que dans les dernières lettres écrites par la sœur à son frère, et citées par lui dans le récit de sa disparition, est rappelée cette identification entre la triste jeune fille et la déesse des nuits : « Je pourrais prendre pour emblème de ma vie la lune dans un nuage, avec cette devise : Souvent obscurcie, jamais ternie. » Le couple fraternel formé par l'homme des Mémoires et sa sœur Lucile renouvellerait donc, d'une certaine manière, le couple de ces deux jumeaux mythiques que sont le Soleil et la Lune : Phoebus-Apollon et Phoébé-Artémis, c'est-à-dire, selon l'étymologie, Apollon et Artémis «les Brillants ». Mais François et Lucile ne sont-ils pas, après tout, les frère et sœur (Château)- «Briand», et la sœur n'a-t-elle pas pour prénom Lucile, c'est-à-dire : la umineuse, déesse vierge jamais ternie. Les scoliastes de l'Antiquité aimaient assez s'adonner aux fausses vérités, plutôt « morales » que véridiques, de ces étymologies fantaisistes (Jean Christophe Cavallin, Chateaubriand et "l'homme aux songes": l'initiation à la poésie dans les Mémoires d'outre-tombe, 1999 - books.google.fr).

Chateaubriand et Louis-Claude de Saint Martin

Sous le Consulat, Louis-Claude de Saint-Martin se retire à Aulnay, près de Chatenay, dans le site de la «Vallée aux Loups», célèbre par son association avec Chateaubriand où il trouve en 1807 une demeure à l'écart de la scène politique qu'il quitte pour un temps après avoir publié dans le Mercure de France un article fustigeant le despotisme de Napoléon qui lui vaut la sanction de s’éloigner de la capitale. Il est d’ailleurs amusant de signaler que l’un des chapitres des Mémoires d’outre-tombe raconte la rencontre de Chateaubriand et du «philosophe inconnu». On y constate visiblement, que Chateaubriand considérait Saint-Martin comme un doux rêveur et un original. C’est à Aulnay, le 13 octobre 1803, que mourra Louis-Claude de Saint-Martin, chez le sénateur Lenoir-Laroche (Serge Hutin, Martinisme et Martinézisme - www.martinismeoperatifquebec.org, maison-de-chateaubriand.hauts-de-seine.fr).

Car Louis-Claude de Saint-Martin doit, en tout état de cause, prendre, parmi les plus grands écrivains français, la place qui lui est due et qui lui a été refusée jusqu'ici, entr'autres raisons, parce qu'un noyau d'admirateurs accaparait la propriété jalouse et trop exclusive de son œuvre. Le Ministère de l'homme-esprit aurait peut-être suffi à lui assurer cette place si sa publication n'avait coïncidé avec celle d'un autre livre visant au même but, mais infiniment plus extérieur et plus abordable, pour le commun des lecteurs, Le Génie du christianisme. L'orgueil de Chateaubriand commenta ironiquement l'entrevue qu'il eut avec son concurrent, mais l'auteur des Mémoires d'Outre Tombe a affiché son repentir : « Monsieur de Saint-Martin, écrit-il, était, en dernier résultat, un homme d'un grand mérite, d'un caractère noble et indépendant. Quand ses idées étaient explicables, elles étaient élevées et d'une nature supérieure. Je ne balancerais pas à effacer les deux pages précédentes si ce que je dis pouvait nuire le moins du monde à la renommée grave de Monsieur de Saint-Martin et à l'estime qui s'attachera toujours à sa mémoire. » (Discours d'Octave Béliard du 25 août 1946 - www.philosophe-inconnu.com, François-René Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, Volume 1, 1852 - books.google.fr).

Chateaubriand dans La Vraie Langue Celtique et le psaume 3

Chateaubriand est cité dans La Vraie Langue Celtique :

« Plusieurs voyageurs, entre autres Troïlo et d'Arvieux, disent avoir remarqué des débris de murailles et de palais dans les eaux de la mer Morte. Ce rapport semble confirmé par Maundrell et le père Nau. Les anciens sont plus positifs à ce sujet ; Josèphe, qui se sert d'une expression poétique, dit qu'on aperçoit au bord du lac les ombres des cités détruites. Strabon donne soixante stades de tour aux ruines de Sodome. Tacite parle de ces débris : comme le lac s'élève ou se retire selon les saisons, il peut cacher ou découvrir tour à tour les squelettes des villes réprouvées.» (Itinéraire de Paris à Jérusalem par le vicomte de Châteaubriand) (VLC, pp. 61-62)

A l'ouest des Vénètes, dans la partie de l'ancien comté de Cornouailles se terminant, au cap ou bec du Raz, vivaient les Corisopites. Pour bien juger et apprécier cette contrée, il suffit d'en citer la description faite par Châteaubriand qui connaissait sa chère Bretagne : « Région triste et solitaire, enveloppée de brouillards, retentissant du bruit des vents, et dont les côtes hérissées de rochers étaient battues d'un océan sauvage. » Ces paroles sont la traduction fidèle et complète de Corisopites, – cor, coeur, – hiss, sifflement, – sob, soupir, sanglot, – to hit, frapper, toucher –. Les sifflements aigus, les gémissements incessants produits dans les rochers par la furie des ouragans, n'étaient-ils pas de nature à frapper, à attrister le coeur des Corisopites ? (VLC, pp. 158-159)

La citation d'Eudore dans le Livre IX des Martyrs exacte est : "J'arrivai enfin chez les Rhédons. L'Armorique ne m'offrit que des bruyères, des bois, des vallées étroites et profondes traversées de petites rivières que ne remonte point le navigateur, et qui portent à la mer des eaux inconnues : région solitaire, triste, orageuse, enveloppée de brouillards, retentissante du bruit des vents, et dont les côtes hérissées de rochers sont battues d'un océan sauvage." (François-René de Chateaubriand, Oeuvres complètes de Chateaubriand précédée d'une étude littéraire sur Chateaubriand par M. Sainte-Beuve : Les martyrs, Volume 4, 1859 - books.google.fr).

Les pages 158-159 correspondant aux psaumes 3 et 4 (158 - 155 etc.).

La traduction en latin du psaume III faite par saint Jérôme sous l'inspiration divine, ne ressemble que d'assez loin au texte hébreu en usage aujourd'hui. Elle faisait partie des prières des agonisants que l'abbé Edgeworth fit lire à Louis XVI sur le chemin de la guillotine (Pierrette Girault de Coursac, Louis XVI, roi martyr ?, 1976 - books.google.fr).

Pour un royaliste comme Boudet cela s'entend.

Ce psaume se chante avec les deux précédents aux matines de Pâques; son antienne est formée du v. 5 qui renferme le mystère de la Passion et celui de la Résurrection. On le retrouve à la fête de l'oraison de Notre-Seigneur (3e Noct.); à la commémoration de la Passion (1er Noct.) où l'antienne est formée du v. 1; à la fête du Précieux-Sang (1er Noct.) où il a l'antienne Factus in agonia; à la fête du S. Rédempteur où l'antienne est prise du v. 4; enfin nous le lisons aux fêtes de la Sainte-Croix et des douleurs de Notre-Dame. Si les saints ont été associés au règne du Sauveur et à sa royauté, ce n'a été qu'à la condition de lui être associés d'abord dans ses humiliations et dans ses souffrances (Rom., VIII, 17). Aussi la prière du chef a du être la prière des membres, et c'est pourquoi l'Eglise lit notre psaume aux fêtes des saints Martyrs et des saints Confesseurs (1er Noct.) (Nouvel essai sur les Psaumes étudiés au triple point de vue de la lettre de l'esprit et des applications liturgiques, Pères Bénédictins, 1869 - books.google.fr).

On utilise le ps. III aux matines de Pâques, avec le v. 6 comme antienne Ego dormnivi et somnum cepi et exsurrexi... Ce psaume se récite naturellement dans tous les offices où est rappelé le souvenir de la passion et aussi aux fêtes des martyrs et des confesseurs (La Sainte Bible, Volume 5, traduit par Louis Pirot, Albert Clamer, 1950 - books.google.fr).

Le martyrologe de l'arrageois protestant Jean Crespin (vers 1520 - 1572) comprend des martyrs célèbres dans l'histoire des Pays-Bas. On peut citer Henry Voes et Jean Van Essche, les deux Augustins exécutés à Anvers en 1525 (Livre 1). [...] Crespin fait suivre son récit par une Complainte chrétienne, fondée sur le Psaume III et le récit de la Passion (Matth. X,18 ; XVI,26 ; XXVII,4) (Aline Goosens, Les martyrologes de Crespin et de Van Haemstede, Le recours à l'écriture: Polémique et conciliation du XVe siècle au XVIIe siècle. Travaux de l'UMR CNRS 5037, 2000 - books.google.fr).

« Rien n’est venu du Nord, hors le fer et la dévastation » (Itinéraire de Paris à Jérusalem). Dernier combat livré pour la défense des Martyrs, dont il se donne comme « la suite et le commentaire », l'Itinéraire de Paris à Jérusalem est la chronique d’une croisade. Une croisade conservatrice dont l'objet est de bouter le Nord de Mme de Staël hors de la littérature moderne afin d'y rétablir l'influence antique du Midi. Entre Staël et Chateaubriand, le début des hostilités remonte à l'année 1800 et à la publication du De la littérature. Staël y explique l’évolution générale des Lettres européennes par la seule opposition entre littérature du Midi et littérature du Nord. Il ne fait aucun doute pour elle que la littérature du Midi, vouée au culte des belles formes et à la perfection des images, est la poétique du passé, tandis que la littérature du Nord, vouée aux longues méditations et aux pensées mélancoliques, est l'esthétique du futur. La littérature moderne sera donc nordique ou ne sera pas. Chateaubriand réfute une première fois cette thèse dans la lettre Sur la perfectibilité parue dans le Mercure de France du 22 décembre 1800. Il retient l'idée staëlienne selon laquelle la religion chrétienne a porté la littérature à un degré de perfection supérieure dans l'expression des sentiments, mais refuse d'aller au-delà et réfute le rôle joué par l'influence du Nord sur le sentiment de mélancolie qu'il s'accorde avec Mme de Staël pour définir comme le génie même de la littérature moderne : Lorsqu'elle attribue au christianisme la mélancolie des peuples modernes, je suis absolument de son avis ; mais quand elle joint à cette cause je ne sais quelle maligne influence du Nord, je ne reconnais plus l'auteur qui me paraissait si judicieux auparavant. […] Il me paraît inutile d'avoir recours aux Barbares du Nord pour expliquer ce caractère de tristesse que Mme de Staël trouve particulièrement dans la littérature anglaise et germanique, et qui pourtant n'est pas moins remarquable chez les maîtres de l'école française. Entendant « rétabli[r] victorieusement la mélancolie des idées religieuses », Chateaubriand refuse toute validité à la distinction entre littérature du Nord et littérature du Midi. À ses yeux, la seule ligne de démarcation littéraire est historique et non géographique : elle correspond au triomphe de la religion chrétienne et, donc, à la différence essentielle entre une littérature antique inspirée par le paganisme mythologique et une littérature moderne inspirée par le christianisme. Aussi bien la critique littéraire du Génie ne tient-elle compte que de cette distinction : Homère s’y voit opposé aussi bien à Milton, poète chrétien du Nord, qu'au Tasse, poète chrétien du Midi (Jean-Christophe Cavallin, Eudore ou la Judée, La défense du Midi dans l'Itinéraire de Paris à Jérusalem - books.google.fr).

Rien entre Chateaubriand et Darmstadt en l'état, il faut se rabattre sur Worms dont parle l'auteur breton dans ses Études historiques (François-René de Chateaubriand, Oeuvres complètes de Chateaubriand précédée d'une étude littéraire sur Chateaubriand par M. Sainte-Beuve: Études historiques, Volume 9, 1859 - books.google.fr).

Le père Séguin de Carpentras

Apprenez d'abord l'histoire du livre La Vie de Rancé. Le Père Séguin, de Carcassonne, à la mémoire de qui il est dédié par « son très humble et très obéissant serviteur Chateaubriand, » dont il dirigeait la conscience, le Père Séguiu, mort l'an dernier à quatre-vingt-quinze ans, a demandé, a imposé ce travail à son illustre pénitent. Par pure obéissance, non par goût, le grand écrivain a repris sa plume, et tracé la vie du dernier des moines célèbres : le tour du Père Lacordaire n'est pas encore venu (Alexandre Rodolphe Vinet, Chateaubriand (1849), 1990 - books.google.fr).

Le père Séguin est en fait carpentrassien.

Le père Jean-Marie Séguin, prêtre de Saint-Sulpice, est né à Carpentras, le 8 août 1748, et mort à Paris, à 95 ans, le 19 avril 1843 Il avait fait ses études de théologie au séminaire de Saint—Charles, à Avignon. Son frère aîné, alors secrétaire de M. de Beaumont l'appela à Paris, et, quand vint la Révolution, il était aumônier des Incurables. Son troisième frère, l'abbé Antoine Séguin, vicaire à Saint—André—des—Arts, fut massacré aux Carmes le 2 septembre; pour lui, échappé aux bourreaux, caché chez M. de Jussieu, frère du célèbre botaniste, il ne cessa, pendant la Terreur, d'exercer secrètement les fonctions du saint ministère. Après la Révolution, l'abbé Jean-Marie Seguin fut attaché, dès l'ouverture, des églises, à la paroisse Saint—Sulpice, comme prêtre administrateur; et c'est là qu'il est resté pendant près d'un demi—siècle, c'est là qu'il est resté jusqu'à sa mort, qui a eu lieu dans le mois d'août 1843. Il ne voulut jamais quitter cette paroisse et refusa constamment les fonctions plus élevées qui lui furent offertes. L'ancien clergé de Saint-Sulpice, ainsi que les vieux paroissiens, n'ont pas perdu le souvenir de ses vertus sacerdotales qui ont édifié la paroisse pendant près d'un demi-siècle. Il est mort pauvre, comme il avait voulu vivre; et le peu qu'il possédait, il l'a légué à M. l'abbé Cambon, ne réservant pour sa famille qu'un titre peu considérable de rente sur l'Etat (Edmond Biré, Les dernières années de Chateaubriand: 1830-1848, 1905 - books.google.fr).

On pourrait multiplier les exemples de ces «contaminations » caractéristiques de la manière de Chateaubriand. Toujours, il montre une hautaine désinvolture envers les écrivains et les écrits qu'il utilise. Sa liberté semblera même insolente quand il rapporte comme authentiques des textes (des lettres en particulier) qu'il a préalablement arrangés à son gré, en y pratiquant son art souverain des sutures invisibles. Voici un exemple de «superposition » de textes particulièrement curieux. Racontant les relations de Rancé avec Anne de Gonzague, Princesse Palatine, dont l'Aigle de Meaux prononça l'oraison funèbre, Chateaubriand écrit :

Bossuet conte ce que la Princesse Palatine raconta elle-même au saint Abbé : «Une nuit, dit-elle, que je croyais marcher seule dans une forêt, je rencontrai un aveugle dans une petite loge ; je lui demandai s'il était aveugle de naissance ou s'il l'était devenu par accident. Il me répondit qu'il était né aveugle. Vous ne savez donc pas, lui dis-je, ce que c'est que la lumière qui est si belle et si agréable ? Non, me répondit-il, mais je ne laisse pas de croire que c'est quelque chose de très beau. Alors il me semblait que cet aveugle changea tout à coup de voix, et me parlant avec autorité, me dit : Cela doit vous apprendre qu'il y a des choses excellentes, quoiqu'on ne les puisse comprendre.

Or, ce n'est pas là, comme on pourrait croire, le texte exact de Bossuet, mais plutôt celui de la Relation du songe faite par la Princesse elle-même et rapportée par le Nain, contaminée toutefois avec le récit du discours funèbre, auquel elle servait déjà de source (Fernand Letessier, Chateaubriand et la Vie de Rancé. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°3, octobre 1951 - www.persee.fr).