Partie XV - Le Cercle et la Croix des Prophètes   Lourdes et la Croix des Prophètes   Pourquoi Mantinée ?   
LE CERCLE ET LA CROIX DES PROPHETES LOURDES POURQUOI MANTINEE

Diotime de Mantinée

Pris à la lettre et isolé du reste du dialogue, le discours de Diotime décrit une expérience qui, accédant à des réalités de plus en plus impersonnelles et de plus en plus éternelles, semble pouvoir et même devoir être indéfiniment répétée. Il n'en est pas tout à fait de même dans le Phèdre. Certes, ce qui est retrouvé et reconnu dans l'expérience érotique, ce sont bien des dieux éternels et des Idées, et en ce sens l'expérience décrite dans le Phèdre ne serait pas tellement différente de celle du Banquet : la Beauté, par exemple, occupe une place importante dans les deux dialogues. Pourtant le Phèdre introduit une première spécification de l'expérience amoureuse en indiquant que les divers amoureux suivent des dieux différents : tel dépend de Zeus, tel autre d'Héra, tel autre d'Apollon. Bury avait déjà vu que, dans le mythe de l'Androgyne, Platon s'inspirait des théories d'Hippocrate sur la variété des tempéraments amoureux. Il en est probablement de même ici. Plus exactement, comme nous essayerons de la montrer plus tard, le Banquet et le Phèdre interprètent l'expérience amoureuse dans la perspective dynamique de la reproduction d'une expérience. C'est seulement à partir du Phèdre et dans les derniers dialogues que l'aspect dynamique s'effacera pour faire place à des considérations plus statiques et plus structurales.

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Ici, par exemple, ce n'est plus tout à fait l'idéal très général du Banquet (le Beau) qui est retrouvé dans l'expérience amoureuse : chacun a le sien, conforme du dieu qu'il a suivi. Ces textes mythiques du Phèdre ne sont allégoriques que pour une partie de leur contenu, mais la forme a une signification psychologique et philosophique directe : et la forme, c'est l'intervention d'une expérience passée. Cependant nous sommes encore loin d'un passé personnel et événementiel. Mais Platon n'en reste pas là. Le Phèdre, on le sait, décrit divers types mais aussi divers degrés de l'expérience amoureuse. Non seulement les amoureux diffèrent entre eux par le dieu dont ils recherchent la ressemblance chez ceux qu'ils aiment, mais ils se distinguent aussi par la plus ou moins grande pureté de leur amour.

Dans le texte déjà cité du discours d'Agathon dans le Banquet qui imite Odyssée, V, 391-392, le poète tragique loue l'Amour comme source de calme. Mais, nous le savons, le discours d'Agathon est difficile à interpréter. Sans exprimer, comme on le croit parfois, des idées opposées à celles de Platon, il traduit un moment de l'expérience érotique qui doit être dépassé. Cependant, cette présence équivoque du mot "galènè" dans le discours d'Agathon est peut-être ce qui permet de saisir l'évolution de l'attitude de Platon envers la recherche de la vérité comme expérience vécue. Dans les dialogues de la jeunesse et de la maturité, la vérité est, disions-nous, considérée à la fois comme connaissance universelle, comme accès à l'authenticité et comme bonheur. Or cet effort vers la vérité c'est tout particulièrement visible pour le second aspect et pour le troisième est lié à la grande expérience «érotique». S'il y a, comme nous avons essayé de le montrer, un certain «achèvement» de cette expérience érotique à l'époque du Phèdre, la transformation psychologique et philosophique qui en résulte doit, forcément, affecter l'attitude de Platon envers la vérité. Il y a comme un éclatement, une dissociation des notions de vérité, d'authenticité et de bonheur dont un dialogue comme le Théétète porte la marque. On notera au passage qu'à la différence de certains courants philosophiques postérieure, le platonisme ne comporte pas de recours direct et dogmatique à la notion de bonheur. Celui-ci n'est jamais, comme l'"aretè" une sorte de moteur de la recherche philosophique : dès le Banquet, Platon sait bien que, sous sa forme sensible vive, l'aspiration au bonheur n'est qu'un «rêve d'amour» et que l'indifférenciation de la connaissance, de l'authenticité et du bonheur n'est que provisoire. Pourtant, aussi longtemps que se poursuit la grande expérience érotico-métaphysique, Erôs est une force au service de la vérité. Lorsqu'elle cesse, avec la quasi-reconnaissance dont témoigne le Phèdre, la vérité se trouve privée de toute force lui permettant de naître et de se manifester. On comprend que, dès lors, soit envisagé le recours à la persuasion et à la contrainte et que la question se pose du choix à effectuer entre les deux. Dans l'expérience dont témoignent les premiers discours du Banquet et même celui de Diotime, Erôs est à la fois le sorcier, l'enchanteur, l'initiateur aux mystères philosophiques de la vérité, de l'authenticité et du bonheur. Une fois effectuée la démystification, il faudra avoir recours à de nouveaux moyens qui vont peut-être transformer l'attitude du philosophe envers la recherche de la vérité. Dès le Phèdre, semble-t-il, deviennent possibles certaines tentations du recours à la contrainte et à la persuasion qui dureront jusqu'à l'époque des Lois. Dans la République, bien qu'il ne fût nullement question de faire accéder à la vérité la masse des citoyens de l'Etat, la formation des magistrats supérieurs demeurait une recherche, largement individuelle, de la vérité : ils étaient vraiment «philosophes» au sens qu'a pris ce mot depuis Platon et sous l'influence de Platon. Dès le Politique, par contre, on cesse de trouver des expressions sérieuses de cette préoccupation et, comme il n'est, d'autre part, guère question de faire participer le peuple à la vérité, les modalités de la contrainte et de la persuasion passent au premier plan. Ces deux attitudes sont rendues nécessaires par la fin de l'expérience érotico-métaphysique et du rôle qu'elle jouait dans la recherche de la vérité. Or c'est le Phèdre qui, jusqu'à maintenant, nous a donné le plus de renseignements sur l'achèvement de cette expérience. Il est donc vraisemblable que notre interprétation très générale de l'évolution de l'attitude de Platon envers la recherche de la vérité recevra une confirmation par l'analyse plus détaillée de certains passages du Phèdre. Il n'est pas de dialogue de Platon qui chante la Vérité avec des accents plus lyriques que le Phèdre (Yvon Brès, La psychologie de Platon, 1973 - books.google.fr).

Dans le Banquet Diotime s'entretient avec Socrate (207c 208b) et Diotime parle d'enfantement de Socrate. C'est dire que Socrate n'a pas toujours été maître puisqu'il lui faut un autre maître pour l'enfanter. En fait, c'est au moins à deux que l'impétrant et le maître décident (Jérôme Galan, La surprise de l'autre, Tome 1, 2016 - books.google.fr).

Il existe une connexion entre le mythe du De facie et l’intervention de Socrate dans le Banquet; Plutarque, fidèle platonicien, a intégré dans son récit non seulement le contenu mythique et anthropologique du Timée, mais aussi les enseignements épistémologiques et sotériologiques du Banquet.

Diotime fait un exposé magnifique sur ce sujet (206C-209E) : l’homme est inévitablement attiré par l’immortalité, et la seule façon de l’atteindre est à travers la procréation. Mais attention, il existe deux genres de procréation : l’une par rapport aux corps, celle qui engendre de nouveaux êtres humains; l’autre, par rapport aux âmes, qui engendre les vertus; c’est la deuxième qui permet à l’âme de s’élever vers la Beauté. L’association de ce vocabulaire au thème central de sa narration est particulièrement intéressante : Éros, qui continuellement meurt, renait, fleurit.

Il faut avouer que c’est une caractéristique qui convient à la perfection au thème central du récit de l’Étranger de Plutarque : la lune, dont les phases de croissance et de décroissance ont tant de fois été utilisées dans l’Antiquité comme symbole de l’éternel cycle de changement et de renouvellement. L’Étranger, d’ailleurs, recourt à ce vocabulaire de la création pour décrire la nature fécondatrice de la lune (943E), ainsi que le résultat de la relation entre la lune et le soleil (944E). Celui-ci est nommé «la meilleure des fécondations», mais ceci n’empêche pas l’Étranger d’y utiliser le même vocabulaire pour la «banale» création de l’être humain, comme l’avait aussi fait Diotime, tout au long de son exposé (943A, 945C, 945D). Et cerise sur le gâteau, tous deux font recours aux mêmes divinités (Ilithyie et les Moires) pour présider la naissance et le destin de ces humains.

Diotime et l’Étranger non seulement partagent une vision très proche sur le destin final de l’homme et sur la façon de l’atteindre, mais ils sont d’accord aussi sur l’importance relative qu’ils leur accordent dans leurs enseignements : ce n’est pas le thème principal, ce qui les intéresse vraiment c’est l’être intermédiaire. Pour Diotime, cet être est Éros; pour l’Étranger, en raison des deux ascensions du De facie, ils existent deux êtres intermédiaires associés à chacune d’elles, au niveau anthropologique c’est l’âme, et au niveau cosmologique, la lune.

Diotime décrit une ascension de l’âme vers la Beauté, qu’on parvient à atteindre à travers diverses étapes initiatiques qui nous mènent du particulier au général («Celui qui a été guidé dans les mystères de l’amour jusqu’à ce point par une contemplation progressive et bien conduite, quand il est en fin proche dans ces affaires concernant l’amour, il verra soudainement apparaître une beauté magnifique quant à sa nature»). Pour elle, Éros est le désir qui nous permet de nous élever d’étape en étape, à travers des mystères mineurs et majeurs; Éros est le moyen qui permet à l’être humain d’atteindre la vision finale de la Beauté, qui représente le bonheur et nous fait immortels – autant qu’on peut l’être, nuance de la prophétesse.

Selon Plutarque, par contre, l’ascension qui nous mène à la vision finale doit être divisé en deux phases : certaines étapes ont lieu en vie, et sont surmontées grâce aux études théoriques et aux mystères; et d’autres, celles qui conduisent à la vision de la Beauté et permettent que l’intellect puisse s’assimiler à elle, ont lieu après la première mort («il se sépare par amour de l’image autour du soleil, à travers laquelle brille ce qui est désirable, beau, divin et bienheureux»). La première phase peut être comparée aux mystères mineurs de Diotime, c’est celle que l’Étranger a exercé et complété – voilà pourquoi il est supérieur au reste des êtres humains dans la chaîne de transmission ?, et la deuxième phase correspond aux mystères majeurs (Luisa Lesage Gárriga, L’Étranger (De facie) et Diotime (Symp.) : Récits de sages absents, Figures de sages, figures de philosophes dans l’œuvre de, Humanitas supplementum N° 61, 2019 - books.google.fr).

Eros

Me contenterai-je de l'étudier dans cette fiction ingénieuse dont Socrates fait honneur à une prêtresse étrangere qui l'avoit initié, comme il le dit lui-même, dans les mysteres du véritable amour ? Et dirai-je avec elle que l'amour, fils de la pauvreté & du Dieu de l'abondance, est une espece de génie placé entre la nature humaine & la nature divine, qui tient également de sa mere & de son pere. Comme fils de la pauvreté, il est toujours pauvre, nu, indigent, affamé : privé de tous les biens, il cherche à remplir le vuide infini qu'il sent au-dedans de lui. Curieux & amateur des sciences, des arts, & de tout ce qui peut fixer ou amuser l'inquiétude de son esprit avide de plaisirs, de richesses, de gloire, & de tout ce qui peut amuser ou soulager la soif insatiable de son cœur : méprisant tout ce qu'il possede, & desirant tout ce qu'il ne possede pas : incapable d'être jamais pleinement rassasié, il saisit une félicité fugitive qui lui échappe dans le moment même qu'il croit en jouir; parce que s'il n'y prend garde, il est menacé d'être toujours pauvre comme sa mere, & de vivre dans un desir aussi immense que ses besoins. Comme fils du Dieu de l'abondance, il a reçu de fon pere l'idée de la grandeur, de la force, de la beauté, de la sagesse, en un mot de toutes les qualités, de tous les avantages dont l'union peut former un bonheur parfait. Il ose même y prétendre par un sentiment que la noblesse de son origine lui inspire, & se croire non-seulement capable de posseder ce bonheur, mais né pour y parvenir. Ainsi, sentant toujours l'indigence de sa mere, & voyant, au moins comme en songe les richesses de son pere, toujours également excité à desirer, & par la vue de la misere qu'il tient de l'une, & par celle de la félicité qu'il attend de l'autre : pauvre en effet, mais riche en espérance, il n'est, à proprement parler, ni mortel ni immortel : il semble mourir quelquefois & s'éteindre par la possession d'un bien passager; mais on le voit bientôt renaître de sa cendre, se rallumer à la vue d'un bien éloigné qui efface toute la douceur du bien présent, & courir d'objet en objet, ou plutôt d'illusion en illusion: voulant sans cesse être riche, sage, savant, heureux, & ne l'étant jamais: réduit à la condition de l'homme, & souvent au-dessous, lorsqu'il s'arrête dans sa course, & s'élevant en quelque maniere jusqu'à celle de la divinité, lorsqu'il fuit raisonnablement le progrès de ses désirs, en passant du sensible à l'intelligible, & de l'intelligible jusqu'à l'Etre suprême, source & modele de toute beauté comme de toute bonté, bien éternel, immense, inépuisable, dont la jouissance éteint tous les desirs de l'amour: car que peut desirer celui qui possede tout, & qui le possede pour toujours ? C'est donc alors qu'oubliant l'imperfection, la bassesse, la honte de son origine maternelle, l'amour s'attache si intimément à son véritable objet, qu'on diroit qu'il soit devenu Dieu, comme son pere, par une union qui fait en même-tems sa perfection & son bonheur. Ainsi parloit à Socrate la prêtresse Diotime, dont je ne fais ici qu'abréger les leçons. Substituons à présent la vérité à la figure: mettons la foiblesse, l'infirmité, l'indigence de notre nature à la place de la pauvreté, mere de l'amour. Mettons Dieu, auteur de notre être, source féconde des véritables richesses, à la place du Dieu de l'abondance, & nous pourrons conclure d'une si noble allégorie, que notre amour-propre consiste dans ce goût, dans cette soif insatiable du souverain bien que notre ame cherche par-tout, & qui seul est capable de remplir la vaste étendue de ses desirs (Henri François d'Aguesseau, Méditations philosophiques sur l'origine de la Justice, Tome 2, 1780 - books.google.fr).

Poros est fils de Métis qui est aussi mère d'Athéna. Eros est conçu le jour de la naissance d'Aphrodite.

Voici la raison pour laquelle Amour est le suivant d'Aphrodite et son servant; parce qu'il a été engendré pendant la fête de naissance de celle-ci, et qu'en même temps l'objet dont il est par nature épris, c'est la beauté, et qu'Aphrodite est belle (Philippe Borgeaud, Nicole Durisch, Antje Kolde, Grégoire Sommer, La mythologie du matriarcat, l'atelier de Johann Jakob Bachofen, 1999 - books.google.fr).

Eros est un daimon, nous dit Diotime, c'est-à-dire un intermédiaire entre les dieux et les hommes. Nous sommes ramenés encore une fois au problème de la situation d'intermédiaire et nous constatons à nouveau combien cette situation est inconfortable. Le démon Éros, que nous décrit Diotime, est indéfinissable et inclassable, comme Socrate, l'atopos. Il n'est ni dieu ni homme, ni beau ni laid, ni sage ni insensé, ni bon ni mauvais. Mais il est désir, parce que, comme Socrate, il a conscience de ne pas être beau et de ne pas être sage. C'est pourquoi il est philosophe, amoureux de la sagesse, c'est-à-dire désireux d'atteindre un niveau d'être qui serait celui de la perfection divine. Dans la description qu'en donne Diotime, Éros est ainsi désir de sa propre perfection de son vrai moi. Il souffre d'être privé de la plénitude de l'être et aspire à l'atteindre. Aussi, lorsque les autres hommes aiment Socrate-Éros, lorsqu'ils aiment l'Amour, révélé par Socrate, ce qu'ils aiment en Socrate, c'est cette aspiration, c'est cet amour de Socrate pour la Beauté et la perfection de l'être. Ils trouvent donc en Socrate le chemin vers leur propre perfection. Comme Socrate, Éros n'est qu'un appel, une possibilité qui s'ouvre, mais il n'est pas la Sagesse, ni la Beauté en soi. Il est vrai que les Silènes dont parle Alcibiade se révèlent, si on les ouvre, remplis de statues de dieux. Mais les silènes eux-mêmes ne sont pas les statues. Ils s'ouvrent seulement pour permettre de les atteindre. Poros, le père d'Éros, signifie étymologiquement "passage", "accès", "issue". Socrate n'est qu'un Silène qui s'ouvre sur quelque chose qui est au-delà de lui. Tel est le philosophe : un appel à l'existence (Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, 1993 - books.google.fr).

De voir le tombeau de Poussin comme un des silènes socratiques.

Grand remplacement

C'est bien sûr autant au lecteur qu'à Socrate que s'adresse Diotime par ces mots : "Essaie donc de mettre le plus possible ton esprit en état d'attention". [...] Comme, dans l'exercice d'attention qui définit le philosopher, l'esprit semble alors se désintéresser de tout ce qui n'est pas lui-même, ce qu'on retrouve ici, c'est le thème de l'abandon momentané du monde normal, du monde de la perception. Ce thème relève lui-même, on le sait, du complexe orphisme-pythagorisme : dans les pratiques corporelles recommandées par ces mouvements de pensée, il existait vraisemblablement une sorte d'exercices physiques d'abandon du corps, inspirés de l'exemple de Pythagore lui-même. L'un d'entre eux, appelé mélétè thanatou, est une manière de mort du corps réalisée dans le but de libérer l'âme considérée comme un daïmôn (thèse si importante dans le discours diotimien). C'est dans l'esprit de ces exercice que le corps est selon Platon tombeau de l'âme.

Le grand texte de Platon sur la mort, Phédon, qui produit une théorie de ces pratiques, serait de ce point de vue à rapprocher de notre Banquet, en considérant que l'emprunt platonicien aux pratiques religieuses vaut pour sa perspective propre, à savoir pour une perspective philosophique plutôt que religieuse. Il faut en quelque sorte mourir au monde pour pouvoir parler vraiment avec autrui. Le rapprochement entre l'amour et la mort semble devoir se comprendre ainsi dans le Banquet : Diotime nous invite à mourir au plan des perceptions, du désir immédiat, des pratiques habituelles de la vie sociale, et, par l'intermédiaire de l'amour, à renaître par l'âme (Thierry Ménissier, Eros philosophe: Une interprétation philosophique du "Banquet" de Platon, 1996 - books.google.fr).

For at Mantinea, as we learn from a footnote in Herodotus (Book 1 : 67), Minerva Alea, an Arcadian goddess of Wisdom, was worshipped; therefore it would be understood that her priestess was preaching her gospel. And, indeed, the teachings of Diotima on the subject of platonic love are simply a restatement of Cybele's instruction to Attis only to beget in the intellectual realms. For Diotima, turning thought from the love that is of the senses to the love that is of the mind, pointed out that what men really loved was the Good, the Beautiful and the True, and that nothing less would satisfy the soul, since men are by nature lovers of The Good. Procreancy of the body, she urged, does not satisfy this longing, for the flesh has no permanence, "But those whose procreancy is of the spirit rather than of the flesh... conceive and bear the things of the Spirit... wisdom and all her sister virtues". Friendship or love, therefore, should be upon this basis, so that it could produce the best of offspring - that of the mind. If a man accepted this higher love, rejecting the lower as unworthy, he and his friend will help each other rear the issue of their friendship - and so the bond between them will be more binding, and their communion even more complete than that which comes of bringing up children, because they have created something lovelier and less mortal than human seed. Who would not prefer such fatherhood to mere propagation, if he stopped to think of Homer and Hesiod, and all the greatest of our poets; who would not envy them their immortal progeny ?... Diotima then traces the ascension of love from physical attraction to love of the soul, of that which is immortal. The vision of the true lover of the Beautiful, she says, will not be of form or face, or anything fleshly, or of anything that exists in something else, such as a living creature; it will be of Beauty itself. And gazing on that heavenly Beauty, a man becomes like that which he contemplates. "And when he has brought forth and reared this perfect virtue he shall be called the friend of God : and if it is ever given to man to put on immortality, it shall be given to him." A passage that vividly calls to mind 2 Corinthians 3:18. But although Diotima so persuasively argues the relationship of purity to immortality, and points out that it is better to leave beautiful and immortal works behind us as a testament to friendship rather than temporal and perhaps ungrateful children of the flesh, she was certainly not speaking for Plato when she praised Hesiod and Homer. For one of the chief proofs of his hatred of violence and war lies in the fact that the philosopher banished heroic poetry from his Ideal State, saying that by its exaltation of belligerence and brutality, it induced such emotions in its hearers (Esmé Wynne-Tyso, The Philosophy of Compassion, The Return of the Goddess, 1970 - books.google.fr).

Should we, within an ontological discourse, accept the discrimination between apocalyptic and calyptic strategies of coping with the invisible, perhaps we should also agree to the hypothesis that the Western culture, in its mainstream. Decidedly prefers apocalyptic strategies to calyptical ones, chooses secret against mystery, and seeing face-to-face against seeing through veils. This means that the invisible should remain in the secret realm, just waiting for being disclosed. It should not, however, be mysterious and remain on the other side of our world, in another world, admittedly walled off from our possible experience yet existing in accordance with its own rights. History of Western culture is an entirely ontological, and not nihilist, history because it does not want to connect the invisible with nothingness and all the same to turn down its existence. Yetontology of the invisible, it is primarily an apocalyptic culture, which also means that at its very foundation it is a Platonic-Christian culture. At the foundation of this cultural formation stands both the discourse of Diotima recorded in Symposium and the statement of St Paul about Christ who is the true "image of the invisible God" (Col 1:15) – eikon tou theou tou aoratou. For if Christ is cosubstantial with the Father, as the visible image of the invisible, He makes God in his person become visible. "But we all, with open face beholding as in a glass the glory of the Lord" (2nd Cor, 3:18). It may be said that Christianity is a culture whose main task, much like the case of Greek culture, is to actualise the absent, or - to tackle the question from the other side - defence from the permanent absence of the absent. True in this sense is the claim saying that the Western culture, as a presentifying culture, is from its very definition – a Christian culture. It is not so, however, because the West is and should remain religious, and that without the faith in the resurrected Christ, Western culture is bound to fall, as Church persistently suggests. Western culture is Christian exactly for the reason why it is a Platonic culture. This reason is the overwhelming fear of non-existence of the invisible. The invisible must exist, while we must believe that thanks to this it will transform itself from the invisible into visible. This very powerful faith in the transformation of the invisible into visible, or representation, lays down the foundation of the culture of the West (Michal Pawel Markowski, ON THE INVISIBLE, Imhibition, 2006 - books.google.fr).

Corinthiens 3,18 : Nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir (katoptrizomai) la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l'Esprit.

Définition de "Katoptrizomai" : voir dans un miroir, faire se réfléchir. Se regarder, se contempler dans un miroir. Il est à noter que les miroirs étaient faits de métal poli, et le reflet n'avait pas la vérité qu'apporte nos miroirs actuels (emcitv.com).

Le Christ prit la place de l'éros de la prêtresse du Banquet, car généralement, dans la pensée chrétienne, le Christ était le médiateur, pour toute âme aimante, ainsi élevée à l'immortalité (Barbara Rosenwein, Love, Histoire d'un sentiment, 2023 - books.google.fr).

L'ambiguïté que l'on inflige à Marie Madeleine est le propre d'Éros si l'on suit Platon et tout d'abord Diotime, la prêtresse qui enseigna Socrate et dont les propos surgissent au beau milieu d'un banquet réunissant à Athènes quelques hommes remarquables. Cela se passait environ quatre cent cinquante ans avant le repas du Pharisien en Galilée. Que dit-elle, Diotime, l'étrangère de Mantinée, aux beaux esprits rassemblés ? Que l'amour est désir d'immortalité, qu'il ne se confine pas dans les plaisirs de chair. Que sa visée est haute, sa vision emplie de lumière. Il en va de même pour la passante de Magdala qu'on peut appréhender comme une courtisane ou bien comme une âme de haut rang allant vers son destin (Jacqueline Kelen, Marie Madeleine, ou La beauté de Dieu, 2003 - books.google.fr).

C'est sa soeur Marguerite-Marie qui amena Teilhard à contempler la Beauté inaltérable et céleste. Ce n'est pas la pythie Diotime de Mantinée qui enseignait Socrate, mais de Notre-Dame, la nouvelle Béatrice, qui apprenait à Teilhard un nouveau chemin de l'Eros : l'amour chaste, ou la virginité (Bosco Lu, L'amour comme énergie chez Teilhard de Chardin, Nouvelle revue théologique, Volume 126, 2004 - books.google.fr).

Patriarcat

La pédérastie rituelle figure la procréation des mâles par les mâles.

À la lumière de tous les témoignages ethnographiques, les métaphores de Diotime sur la grossesse masculine et la parturition paraissent non seulement sans incongruité, mais presque inévitables, eu égard au cadre pédérastique du Banquet de Platon.

La présence féminine de Diotime sur la scène originaire de la philosophie, à l'un de ses moments fondateurs, apporte un élément essentiel à la légitimation de l'entreprise philosophique; sa présence confère au processus pédagogique par lequel les hommes se reproduisent culturellement - par lequel ils transmettent aux autres à travers les générations les secrets de leur sagesse et de leur identité sociale, les «mystères» de l'autorité masculine - le prestige de la procréativité féminine. La compétence érotique de Diotime, de ce point de vue, constitue une reconnaissance par les hommes des pouvoirs particuliers des femmes et de leurs capacités; ainsi, Diotime est une femme parce que la philosophie socratique doit lui emprunter sa féminité pour donner l'impression de ne rien avoir laissé de côté et, par conséquent, assurer la réussite de ses entreprises créatrices, la reproduction permanente de son discours universalisant dans la culture masculine de l'Athènes classique.

Au moment même où Platon investit Diotime d'une autorité érotique et prophétique, son élaboration de sa «différence» reprend ce qu'elle donne, déniant, en effet, l'autonomie de l'expérience féminine (David Halperin, Bien avant la sexualité, 2019 - books.google.fr).

De l'impuissance des primitifs à comprendre le rôle de l'homme dans la fécondation est résulté, tout naturellement, le système de filiation purement féminine, par immaculée conception, c'est-à-dire la famille maternelle, qui persista bien longtemps après que le mystère de la génération eût été compris d'une manière générale.

En passant en revue toutes les races, j'ai longuement parlé de ce système de filiation maternelle, de son universalité primitive et des survivances qu'il a laissées derrière lui. En ce moment, j'y reviens seulement pour remarquer qu'en bien des contrées, il a contribué à alléger la servitude des femmes, à leur valoir certains égards, à leur garantir certains droits, ou même, comme il était arrivé chez les Peaux-Rouges, une sorte de royauté de ménage, noyant d'ailleurs rien de commun avec la domination matriarcale, qu'on s'est plu quelquefois à y voir. Au contraire, l'institution de la famille paternelle, quand elle s'effectua, produisit souvent, elle, une réaction tyrannique, un vrai patriarcat, cette fois, qui mettait à l'absolue discrétion du père, du chef de famille, non seulement la femme , mais les enfants et les serviteurs. Le patriarche biblique est, par excellence, la personnification de ce système familial; mais le père grec et le pater familias romain ne lui cèdent guère en domination despotique (Charles Letourneau, La Condition de la Femme, Revue anthropologique, Volume 11, 1901 - books.google.fr).

Notons aussi que ce sycomore de Zachée, évidemment parthénocarpique, dont le fruit n'est que le développement de l'ovaire de la fleur sans fertilisation, rappelle en manière de théologie végétale la grossesse virginale de Marie par la simple opération du Saint Esprit (nonagones.info - Thèmes - Double Zachée).

Après avoir parlé de Zachée monté sur un sycomore (Lc 19, 4), comme pour se détacher de la matière, le sol, Grégoire donne cette péroraison : «Le Verbe, redoutable aux indignes empêtrés dans la nature, est accessible par bonté à ceux qui se sont ainsi préparés, à ceux qui ont expulsé de leur âme l'esprit impur et matériel, à ceux qui par la science acquise ont orné leur âme; (enfin) à ceux qui ont donné pleine hospitalité au Christ ou qui du moins ont fait de leur mieux». Opposition entre l'âme et le corps... Le dualisme platonicien a souvent été défini comme une opposition entre deux substances, l'âme et le corps, entre deux mondes, le visible et l'invisible "sôma"-"sèma", ce jeu de mots inventé par Pythagore et rapporté par Platon, semblait si bien répondre à la doctrine de l'évangile que Grégoire, à la suite de Basile et de tant d'autres, conseillait de le lire dans les Lettres helléniques (Tomás Spidlík (S.J.), Grégoire de Nazianze, 1971 - books.google.fr).

Dans la figure de la Vierge, de l'Immaculée Conception, foulant de ses pieds le serpent [...], le matricide de la Déesse-Mère comme de toute femme de sexe et de chair, est consommé. Matricide fondateur renouvelé pour le bon fonctionnement du nouveau monothéisme masculin. Une mère agissante, parlante, amoureuse, révoltée-telle Clytemnestre ou Demeter - remplacée par une mère muette, immobile et résignée devant son fils crucifié. Observons par ailleurs, que le très effacé Joseph, père nourricier de Jésus, disparaît lui aussi au profit d'un géniteur autrement puissant. A deux êtres de chair et de sang, à l'histoire d'un couple, ont été substituées deux abstractions (Suzanne Blaise, Le rapt des origines ou Le meurtre de la mère : de la communication entre femmes, 1989 - books.google.fr).

Cf. "je suis l'immaculée conception" et non "l'immaculée conçue" à Lourdes.

Mais la vierge Marie reste vierge donc. Son corps ne participe pas à la conception mais est réduit à un ventre de gestation, ce à quoi elle consent. On a parlé de copulation par l'oreille du fait de l'annonciation par l'ange Gabriel. Antinaturel. Dieu n'est pas dans la nature et commande par ceux qui en manipulent l'idée : ce qui explique l'état de la planète Terre actuel.

Le divin devient le principe fondamental d’un pouvoir discriminatoire à l’égard des femmes, mais pas seulement, le régime est essentiellement inégalitaire, socialement, sexuellement, ethniquement etc. La femme est rejetée du côté de la nature car la nature est infériorisée et assujettie. Fonder les inégalités sur les différences réelles ou supposées conduit à accroître la différenciation de manière artificielle : cosmétique, habillement etc., ce qui génère des industries, des activités économiques consommatrices de ressources naturelles.

Petit théâtre

James Joyce suit patiemment les homologies entre le père mort, l'auteur Shakespeare et sa transmutation, à travers l'art, de l'état de spectre en son propre fils qui est le texte. «C'est le spectre le roi, un roi qui n'est pas roi, et l'acteur qui est Shakespeare qui a étudié Hamlet pendant toutes les années de sa vie qui ne furent pas vanité dans le but de jouer le rôle du spectre. Il dit les phrases de ce rôle à Burbage, le jeune acteur qui lui fait face de l'autre côté du transparent, l'appelant par son nom: "Hamlet, je suis l'esprit de ton père", lui enjoignant de l'écouter. C'est à un fils qu'il parle, le fils de son âme, le prince, le jeune Hamlet, et au fils de sa chair, Hamnet Shakespeare, qui est mort à Stratford afin que vécût à jamais celui qui portait son nom. «Est-il possible que cet acteur, Shakespeare, spectre par l'absence, et sous la chemise de fer du Danois enterré, spectre par la mort, disant ses propres paroles au prénom de son propre fils (si Hamnet Shakespeare eût vécu il aurait été le jumeau du prince Hamlet), est-il possible, je voudrais le savoir, est-ce probable qu'il n'eût pas tiré ou tout au moins prévu la conclusion logique de ces prémisses : vous êtes le fils dépossédé, je suis le père assassiné ; votre mère est la reine coupable, Anne Shakespeare, née Hathaway ?»

Le père meurt pour que vive le fils. Le fils meurt pour que le père s'incarne dans son œuvre et devienne son propre fils. Dans ce labyrinthe en effet dédalien, chercher la femme. L'agapê chrétienne des transsubstantations s'opposait à l'éros grec. Avant de le sublimer en quête mystique du bien et du beau par la bouche de Diotime dans le Banquet ou dans la deuxième partie du Phèdre, Platon décrit l'amour comme un psychodrame violent: sadomasochisme meurtrier entre l'amant et l'aimé que le philosophe n'hésite pas à comparer au loup et à l'agneau (Phèdre). Cette histoire est-elle vraiment perdue ? L'avalement amoureux du père qui conclut l'acte de l'identification eucharistique ne doit pas dissimuler la violence de l'agressivité sous-jacente. Une agressivité contre lui, ou plutôt contre son corps, pour autant qu'il est Le corps.

Car le corps du père porte la mémoire du corps maternel qui fut un corps enveloppe du temps de la symbiose archaïque entre le moi et ses attributs narcissiques. D'imaginer la déchéance ou simplement la sexualité – faille, jouissance, péché – du corps paternel me débarrasse de ma dépendance du corps maternel (Julia Kristeva, Les Nouvelles maladies de l'âme, 2014 - books.google.fr).

T. Hines, Théâtre de Mantinée, 2004 - ancienttheatrearchive.com

Selon Diotime, le désir du divin, c'est le désir de l'immortalité que je réalise dans l'amour procréateur (qui s'inscrit dans le mythe d'Aristophane) et mieux encore dans l'amour créateur d'œuvres immortelles (206c-209e). L'amour est du côté de l'éternité de la vie, et non du côté de l'abandon dans la mort. Le mythe de l'androgyne d'Aristophane a l'extraordinaire mérite de dire ce désir d'union avec l'autre, et de dire ce désir inavouable de réaliser l'union rêvée avec l'autre dans la mort (192d-e). On soulignera la perspective hallucinante ouverte pour longtemps en Occident l'objet véritable de l'amour, que les amants eux-mêmes ignorent, et pour cause, c'est la mort. Théoriquement de Freud à Denis de Rougemont, artistiquement de Roméo et Juliette de Shakespeare au Tristan et Isolde de Richard Wagner, ce thème de l'amour de la mort en enivrera plus d'un (Bernard Piettre, Jacqueline de Romilly, Le Banquet - Platon - Les Intégrales de philo, 2014 - books.google.fr).

L'amour mélancolique

JVSQVES icy nous auons traité en quelle maniere, & de qui nous sommes prins. Reste que nous monstrions breuement par quel moyen nous nous en pouuons deslier. Le moyen de s'en depestrer est de deux sortes, l'vne est de la nature, l'autre est de l'art. Le naturel est celuy qui faict son œuure aueques certains interualles de temps, & est ce moyen commun tant à ceste maladie, qu'à toutes autres. Car la demengeaison dure autant en la peau, comme dure la lie du sang dans les veines, ou la pituite salee dans les membres. Estant le sang esclarcy, & la pituite amortie, la demageaison default, & la gratelle s'en va. Neantmoins la meure diligence de l'euacuaison y profite beaucoup. L'euacuaison ou l'onction soudaine est moult dangereuse. Semblablement le trauail & l'agonie des amants dure autant de temps, comme dure ceste poison & infection de sang introduite aux veines par ce mal de l'œil & ensorcellement. Lequel venin presse le cueur d'vne grieue cure, nourrit la playe dans les veines, & ard les membres de flammes inuisibles. Par ce qu'il passe du cueur aux veines, & des veines aux membres.

Quand telle poison est esclarcie, le trauail des fols amants commence de cesser. Tel esclarcissement requiert en tous long espace de temps, & le requiert treslong aux melancholiques : specialement si en l'influence de Saturne Cupidon les a prins aueques ses rets. Outre plus, tel temps est tres amer & ennuyeux, s'ils ont esté mis soubs le ioug d'Amour lors que Saturne estoit retrogradé ou bien conioinct aueques Mars, ou vrayemet opposite au Soleil. Aussi ce mal dure fort long temps en ceux, à la naissace desquels Venus se troque en la maison de Saturne, ou vrayement remirant d'vn fort aspect & Saturne & la Lune. On doibt encor adiouster à ceste purgation naturelle mesme l'industrie de l'art tres diligent. En premier lieu il se fault donner garde que nous n'attentions d'arracher ou d'emonder les choses qui ne sont pas encores meures: & que tout d'vn coup nous ne vueillions retrancher aueques grand danger, ce que peu à peu & plus seurement nous pouuons decoudre & denoüer. Il faut entremettre la coustume & l'vsance, & sur tout auoir soing, que noz yeux ne se r'encontrent aueques les yeux de la personne aymee. Et s'il y a quelque default en l'ame, ou au corps d'icele il conuient souuent le r'amener en memoire, & employer l'esprit à meintes affaires diuerses & de grande importance. Souuentesfois se faire tirer du sang, & vser de vin clair & odoreux, & souuent senyurer afin que tirant le viel sang, lequel estoit enuenimé il se reface vn sang nouueau, & nouuel esprit. Il est bon aussi d'vser souuent d'exercices iusques à la sueur, par lesquels les pores & conduits duits du corps s'ouurent pour enuoyer dehors les vapeurs malignes. En outre tout ce que les medecins & naturels Filosofes ordonnent pour preseruatifs du cueur: ou nourriture du cerueau, y profitent grandement. Mesmes l'accouplement amoureux vniuersellement est vtile pour oster la cure d'amour, auquel remede s'accorde fort Lucrece disant,

Mais il faut euiter toute trompeuse image,
Et l'amorse d'amour, & l'amoureux breuage,
Reculer loing de soy, tournant l'esprit ailleurs:
Et l'humeur amaßée en des vases meilleurs
Conuient ensemencer, sans la semence bonne
Retenir pour l'amour d'une seule personne
(Marsilio Ficino, Discours de l'honneste amour sur le Banquet de Platon, traduit de Toscan par Guy le Feure de la Boderie, 1578 - books.google.fr).

Ceux-là souffrent aussi et très longtemps dont la naissance a coïncidé avec le passage de Vénus dans la maison de Saturne ou quand Vénus regardait vivement Saturne et la Lune Marsilio Ficino, Commentaire sur le Banquet de Platon, traduit par Raymond Marcel, 1956 - books.google.fr).

La première maison de Saturne dans le Capricorne, la seconde dans le Verseau (Huginus à BARMA, Le Règne de Saturne, changé en siècle d'or, 1780 - books.google.fr).

La distinction établie par Platon dans le Banquet entre un amour céleste et un amour vulgaire issus, selon deux généalogies distinctes, d'une Aphrodite céleste et d'une Aphrodite terrestre, n'a pas été oubliée au Moyen Âge, car elle a été transmise à travers la démonologie néo-platonicienne, en particulier par Apulée, dans l'Apologie et le traité De Deo Socratis, mais aussi par l'œuvre de Martianus Capella, De Nuptiis philologiae et Mercurii (Ve siècle après Jésus-Christ), dans laquelle Vénus est définie à la fois comme la mère de l'amour et des plaisirs et comme l'inspiratrice de la pureté des mœurs (pudicitia). D'une manière plus générale, on assiste cependant chez les auteurs chrétiens à une démonisation de Vénus et de son fils, à la suite de Tertullien qui, dans le traité De Spectaculis, assimile les dieux antiques à des démons, et de saint Augustin, qui, aux livres VIII et IX de La Cité de Dieu, discute la démonologie d'Apulée. Ainsi l'idée d'un Amour démonique a-t-elle été réinterprétée à la lumière de la Bible et de la morale chrétienne. Démon sinistre, Amour joue alors un rôle dans l'épisode traumatique de la chute. Étant fondé sur le récit d'une conversion personnelle symbolique de la condition humaine allant de la chute à la rédemption, Le Tournoi de l'Antéchrist fait jouer un rôle central au dieu d'Amour qui devient l'agent du péché de chair. Le chevalier célestiel qui défilait dans l'armée du Christ, prend soudain la défense de Fornication, l'un des vices de l'armée de l'Antéchrist, et s'attaque aux vertus fondatrices de l'esprit religieux (Mireille Demaules, De quelques figures d'Amour dans la littérature et l'iconographie médiévales, Figures d'Eros, 1998 - books.google.fr).

Socrate se met à répandre ses idées en continuant à dire : «Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien.» Mais il ajoute cependant une deuxième phrase : «Moi qui ne suis. Ah, pour ce qui est de l'amour, je crois que personne ni dans le passé, ni dans le présent ne peut m'être comparé.» Voilà une affirmation qui détermine bien le double aspect de Socrate, et qui sera sa double personnalité. Platon, à travers ses dialogues et notamment le Banquet ou de l'Amour, Phèdre ou de la beauté des âmes, montrera comment Socrate conçoit cet amour, un amour global, total, qui part de l'amour du prochain, et de l'amour vulgaire d'un être pour un autre, pour arriver à une véritable sublimation de cet amour, et Socrate atteindra cette sublimation grâce à un personnage curieux dont parle Platon, l'énigmatique Diotime, celle que l'on appellera «l'étrangère de Mantinée». Diotime apprendra à Socrate comment l'Amour transposé, sublimé se réalise dans la beauté incarnée (Jacques d'Arès, Encyclopédie de l'ésotérisme, Tome 2, Religions non chrétiennes, 1974 - books.google.fr).

Au XVIIe siècle

Marino conçoit une analogie entre la génération du Verbe à partir du Miroir archétypal, et ici-bas la naissance de Jésus du sein de Marie, dans l'un et l'autre cas la transposition mythologique étant invariablement la naissance d'Amour (l'amour sublime) du sein de la Vénus ouranienne, ou éventuellement, selon un degré d'analogie plus flou, de Cupidon (l'amour vulgaire) du sein de la Vénus jupitérienne (la Vénus intelligible). On songe notamment, au chant XV de l'Adone, aux octaves où Vénus se présente à Adonis déguisée en «Égyptienne errante», tandis qu'Amour enfant est endormi auprès d'elle : la scène est en effet traitée comme une véritable «Vierge à l'Enfant». Il va de soi que ces analogies en chaîne sont elles-mêmes un corollaire de l'interférence que l'auteur suggère constamment, par le biais des jeux spéculaires, entre le Monde archetype et les différents mondes manifestés, et notamment le monde sensible, celui où le Verbe a finalement choisi de s'incarner pour la simple raison qu'il est le plus bas des mondes, et pour réaliser ainsi la plus grandiose «récupération des cendres» qui se puisse concevoir. C'est pourquoi Marino précise, toujours dans la Pittura, que lorsque le Fils descendit sur terre il ne fut pas plus séparé des deux autres Personnes de la Trinité qu'il ne l'était dans la sphère de la divinité : la perspective a basculé, mais l'économie trinitaire reste inchangée. De même cet amour qui dans le Monde archétype amène le Père à accomplir sa descente théophanique et théogonique vers le Miroir pour engendrer le Verbe, ne se différencie pas foncièrement de la descente compassionnelle qui le fit s'incarner dans le sein de Marie pour engendrer le Christ. Dans un autre passage de la Pittura où l'identification Père/Verbe tend à glisser vers une identification Père/Christ, l'auteur laisse du reste entendre que c'est le même amour, la même pulsion miséricordieuse qui a amené Dieu à créer l'univers et à s'incarner dans le Christ : «Ce même Seigneur qui fut si grand auteur d'un aussi bel ouvrage, retenu par des chaînes d'amour, pour nous se fit esclave» : exinanivit semetipsum formam servi accipiens (Philippe 2,7)». Il y a dans cette proposition une coloration panthéiste implicite : tout se passe comme s'il y avait interférence, pour Dieu, entre le fait de prendre corps dans la chair du Christ, et celui de prendre corps dans la substance de l'univers, ces «prises de corps» n'étant elles-mêmes que des extensions, aux niveaux respectifs du microcosme humain et du macrocosme universel, de l'acte archetypal d'autocontemplation par lequel le Père engendre son Verbe. Dans la logique interne du Mythe chrétien, la consubstantialité des trois Hypostases pourrait suffire à elle seule à justifier de telles considérations. Mais Marino intègre dans cette consubstantialité le «Miroir de l'essence divine» dans lequel s'opère l'auto-contemplation : par voie de conséquence, dans une perspective élargie prenant en compte la création elle-même, ce n'est plus seulement l'homme, mais tout l'environnement mondain (lui-même épure du Miroir archetypal et de son tain chaotique) qui se trouvent faire concomitamment partie intégrante de cette consubstantialité divine. Pour les mêmes raisons il y a tout lieu de penser que pour l'auteur l'Esprit qui fait la navette entre le Principe et le Miroir au cœur du Monde arché- type , n'est pas foncièrement distinct de cet «Esprit médiateur qui, après avoir établi et célébré la sainte Alliance (il sacro maritaggio) entre Dieu et l'humaine nature, fait retour dans sa patrie». De même encore, le Fils engendré par le Miroir divin sous l'aspect d'une gloire rayonnante avant de faire retour au Père ne peut être autre autre dans son essence que celui qui, né de la Vierge, retourne lui aussi dans le sein du Père après avoir accompli sa pérégrination terrestre. Si l'on pousse plus loin la logique de ce raisonnement, on devra conclure que le chaos qui caractérise le monde sensible, même dans ses connotations les plus négatives, n'est sans doute lui-même qu'une réplique de ce Chaos originel qui sert de tain au Miroir archétypal, et qu'à ce titre il pourrait bien être porteur, tout comme son modèle, de promesses mariales à partir de cet autre miroir qu'est pour Marino, conformément à sa théorie du «miroir de l'âme», toute âme pure (ou purifiée), dont Marie est bien entendu la personnification suprême. C'est en effet à partir de ce miroir-là que le Verbe, sous l'aspect du Christ, pourra à nouveau rayonner. Certes de telles implications, omniprésentes chez Marino, se justifient par sa conception spéculaire de l'ordre du monde. Mais elles sont par ailleurs en parfaite conformité avec l'axiome hermétique bien connu, dont l'auteur pourrait s'être souvenu, de la similitude entre «ce qui est en haut» (le Verbe né du Miroir archétypal), et «ce qui est en bas» (à savoir précisément, dans la dimension historique, Jésus né de Marie). Si le dualisme latent qui, aux yeux de l'auteur, semble régir l'essence même du divin trouve à s'exprimer sous différentes formes, toutes corollaires les unes des autres, et notamment, comme on l'a dit, à travers la dialectique de l'occultation et de la révélation, ou à travers la double pulsion de la rigueur et de la miséricorde, il se manifeste de façon plus immédiate encore à travers la distanciation ontologique qui établit, si peu que ce soit, une distinction entre l'Être et le Non-être, entre le Principe divin et le «Miroir de son essence». Il est clair toutefois que cette binarité constitutive n'est un dualisme qu'en apparence puisqu'elle se résout intimement en unicité d'essence, et que cette unicité est confirmée et consacrée par l'intervention de ce troisième terme médiateur qu'est l'Esprit. Le rapport binaire/ternaire qui s'instaure ainsi entre Dieu et son Miroir se complique spontanément en un rapport binaire/ternaire/quaternaire dès lors que l'on envisage la présence du Verbe qui naît de l'autocontemplation principielle : dans cette perspective le rapport binaire Dieu/Miroir et le rapport ternaire des trois Hypostases s'articulent entre eux pour faire du Miroir une sorte de quatrième composant de l'économie trinitaire, ou plutôt un chaînon indispensable de la permanente autogenèse qui s'opère au sein de la Trinité. C'est peut-être là, plus encore que dans l'infirmation implicite de la création ex nihilo et dans la suggestion d'une substance chaotique pré-existant à l'acte créateur, que réside l'hétérodoxie la plus caractérisée de la position marinienne : car si l'on examine jusqu'au bout les implications du processus en question, on constate nécessairement que le Miroir doit par quelque côté être considéré comme ontologiquement antérieur à l'idée même de Trinité puisque, par définition, il précède cette génération du Verbe dont il est la cause prochaine. La seule possibilité d'échapper à ce dilemme serait, bien entendu, de ne pas identifier de façon absolue le Verbe et la personne du Fils (la seconde Hypostase), ce qu'à la limite autoriseraient, si l'on y regarde de près, les termes employés par Marino à la fin du passage paradigmatique de la Pittura. En ce cas le Verbe, en tant que Logos divin, serait identique au Principe trinitaire tout en étant autre que lui («un autre soi»), et pourrait de ce fait être considéré comme porteur de cette distanciation ou altérité minimale sans laquelle aucun monde, jamais, n'aurait pu être manifesté en dehors de l'enceinte du Monde archétype (Marie-France Tristan, La scène de l'écriture, essai sur la poésie philosophique du Cavalier Marin (1569-1625), 2002 - books.google.fr, Giovan Battista Marino-Adone, Adone, Canto XV, 1623 - it.wikisource.org).

Rubens - Vénus et Cupidon, 1615 - Musée Thyssen-Bornemisza - Jean-Pol GRANDMONT - fr.m.wikipedia.org

Au Palais du Luxembourg, les routes de Rubens et de Poussin avaient manqué de se croiser, en 1623-16241155. Mais Poussin, qui avait fait à Paris une rencontre déterminante, celle du Cavalier Marin, allait bientôt quitter la capitale française où triomphait le peintre flamand, pour Rome. Amateur d’art, le poète italien n’avait pas manqué de reconnaître dans l’artiste français un talent peu commun. Quittant la France où l’avait appelé Marie de Médicis huit ans plus tôt, pour Rome en avril 1623, Marino dut inciter Poussin à l’accompagner ou du moins à le suivre dans la ville éternelle. En 1624, l’artiste était enfin à Rome. Recommandé par le poète napolitain, Poussin dut être introduit bientôt auprès du cardinal Francesco Barberini, neveu d’Urbain VIII, et rencontrer celui qui devait devenir son ami et son principal mécène à Rome, le Cavalier Cassiano Dal Pozzo, «échanson» et secrétaire de Francesco Barberini. Mais le départ du cardinal, suivi par Dal Pozzo, le 17 mars 1625, pour une légation en France que réclamait une situation internationale particulièrement tendue, avec la crise de la Valteline, puis la mort à Naples de Marino, devaient plonger aussitôt Poussin dans la plus grande détresse. La légation du «cardinal neveu» en France allait être un échec complet. Richelieu qui venait d’évincer La Vieuville, adopta sur la question de la Valteline la position la plus ferme. Arrivé à Paris le 21 mai 1625, Francesco Barberini s’en retourna, après trois mois de négociations infructueuses avec, dans ses bagages, un superbe présent du roi de France, plusieurs pièces de la tenture de la Vie de Constantin tissées par de Comanset de La Planche pour Louis XIII, d’après des modèles de Rubens (Alexis Merle du Bourg, Peter Paul Rubens et la France, 2004 - books.openedition.org).

Le miroir figure dans l’iconographie de l’Immaculée Conception : la Vierge est le speculum justitiae (miroir de la justice) dans les Litanies de la Vierge - les Arma Virginis (XVIe s.). Bien avant, dans le Livre de la Sagesse (VII, 26-1er s. av. J.C.), on lit à propos de Marie qu’elle est un « speculum sine macula », un miroir sans tache comme l'a été la conception. Ce motif du miroir se développe à partir du XVIè s. et se rattache à la théorie immaculiste : Tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te (Cantique des Cantiques, 4,7).

Dans l'église Sainte-Marie de Calvi, on peut voir un beau tableau de l'Immaculée Conception (1600) où deux donateurs vêtus à la mode du début du XVIIè siècle - l'homme porte une fraise - sont représentés en prière dans le registre inférieur. La Vierge en gloire, élégamment drapée dans son manteau, est debout sur le croissant de Lune ; on la dirait enceinte comme il est dit dans l'Apocalypse. Des angelots occupent les côtés de la toile de haut en bas : des angelots sans corps, deux autres présentés à mi-corps et quatre chérubins aux ailes colorées. A gauche, l'un d'eux brandit la fleur de lis symbole de la pureté de Marie, tandis que le second du duo tient une rose à la main ; à droite, une scène charmante montre deux anges qui jouent à se regarder dans le miroir "sine macula".

L'immaculee conception et les anges au miroir - eglisesetchapellesdecorse.jimdoweb.com

Entre le Principe trinitaire et le Miroir illuminé par le rayonnement du Verbe se noue un lien de réciprocité qui, dans l'évocation qu'en fait Marino, est de nature nettement hiérogamique, et peut être considéré comme le fondement du panérotisme marinien. Par ce mot il faut entendre beaucoup plus qu'une simple allusion à la problématique de l'amour dans ses retombées existentielles, y compris, comme nous l'avons déjà signalé, dans l'extension de cette problématique au motif rebattu, et au demeurant très présent chez Marino, de l'«amour universel». Le panérotisme de l'auteur s'étend en fait à la totalité des phénomènes – à quelque niveau de réalité qu'ils appartiennent dans la stratification des mondes, et quels qu'en soient les champs d'application (au monde, à l'homme ou au langage) – , car étant tous, sans exception, des «portraits» de la divinité, si infidèles et déformés soient-ils, ils sont eux aussi des productions du Miroir, sans quoi ils n'auraient pas d'existence possible même en tant que reflets. En amont de tout le processus ils sont nécessairement nés, à l'instar du Verbe qui en est en quelque sorte la synthèse originelle, du «pinceau de l'intellect productif et fécond» du Principe divin. Dans le système cosmogonique/cosmologique marinien il n'est rien, et il ne peut rien y avoir dans l'ensemble des mondes, qui en définitive ne soit le fruit, si indigne soit-il, de l'amour qui unit Dieu au Miroir de son essence. Le Miroir fait alors véritablement figure, non seulement de double féminin de Dieu, mais aussi, corollairement, de Mère divine dans sa plus haute acception, et donc, comme nous le suggérions plus haut, de modèle archetypal de ce qu'est Marie dans le volet historique du Mythe chrétien. Dans ce rôle, particulièrement sous l'aspect mythologique de la Vénus ouranienne envisagée dans ses fonctions démiurgiques, et sous celui de la naissance de l'Amour surintelligible, mais aussi à travers l'allégorie de Nature entourée de sa flopée d'enfants, qui est elle-même la réplique intelligible de cette Vénus sur-intelligible, le Miroir archetypal est conçu comme enfantant les mondes dans le même temps qu'il engendre le Verbe. Dans l'Image archetype de la Pittura, la métaphore picturale du «pinceau de l'intellect» fusionne explicitement avec celle de la «fécondation» (des eaux) du Miroir et de la «production» du Verbe, dans un rapprochement très baroque et typiquement marinien entre les concepts de génération et de représentation (ou re-présentation). Chacune de ces métaphores est en liaison avec le symbolisme de la «vision/intellection», comme l'illustre le motif dominant de l'auto-contemplation dans le Miroir. On voit en effet se profiler, sous le commun dénominateur de l'émanation lumineuse visuelle/intellective, quelques rares images (le regard, le pinceau, le miroir) et quelques schèmes fondateurs (en particulier les schèmes de pénétration – ou d'effleurement – et de fécondation) qui s'avèreront déterminants pour l'ensemble de l'inspiration marinienne. Ainsi élargi aux domaines les plus divers, ce panérotisme concernera tous les aspects de l'univers physique et psychique, macro et microcosmique, non moins que le domaine du langage et des concepts; il recouvrira la totalité des activités intellectuelles, et toutes les pratiques des arts libéraux et mécaniques, depuis la «fécondation» de l'esprit du disciple sous l'action stimulante de la parole du maître, jusqu'à la «vivification» de la lettre morte du texte poétique grâce à l'usage des «pointes» rhétoriques et des vivezze (ou ferments métaphoriques); on ne le reconnaît pas moins dans les caractères qu'imprime le sceau au creux de la cire molle, que dans la fertilisation du sol par le labourage et l'ensemencement; dans la miraculeuse sublimation de la toile vierge sous l'effet du déversement chromatique dont l'abreuve le peintre, comme dans la fécondation allégorique de Danaé sous l'effet du déversement similaire de la pluie d'or jupitérienne (Cf. l'analogie qu'établit Marino entre Danaé fécondée par l'or jupitérien et la Vierge Marie).

Cette commune origine est la justification par excellence de tous les réseaux analogiques que le poète est susceptible d'introduire entre les ordres de réalité. Quels que soient, en effet, les champs d'application, ce ne sont que les multiples irisations dont se pare l'Esprit, principe opératoire à l'œuvre en toutes choses, alors même que dans le lieu des origines il continue d'avoir pour seule activité d'unir Dieu au Miroir de son essence. C'est toutefois l'incessant va-et-vient de l'Esprit entre les deux pôles de l'être lumineux et du Non-être (intrinsèquement) ténébreux de la divinité, qui rend peut-être le mieux compte du fonctionnement et de l'universalité de ce panérotisme. Les dérivations cosmologiques de ce schème fondateur, qui fournit à tous les degrés de la manifestation un modèle incontournable, sont véritablement omniprésentes, y compris lorsqu'on inclut les domaines où la connotation érotique proprement dite disparaît pour faire place à différentes formes de gestuelle, à l'accomplissement de simples actes quotidiens, à l'évocation de lois physiques impersonnelles, à des formes géométriques abstraites, autant de réalités dont on pourrait penser que l'idée même d'amour (trop souvent réduite, dans son acception courante, à sa seule dimension physiologique et psychologique) est par définition absente : les oscillations et sinuosités de tous ordres, les plis et les replis, les spirales et les virevoltes, les oscillations, les mouvements vibratoires et les frémissements, le va-et-vient de la navette sur le métier, le tressage des fleurs ou de la chevelure, l'alternance de l'exil et du retour, les parcours rhétoriques en quinconce pour tisser un lien verbal entre des lieux sémantiques qui s'ignorent, ainsi que la pratique de l'art du biais et du compromis pour concilier les points de vue inconciliables ou les pôles antagonistes, et jusqu'aux schèmes de médiation et de passage, etc. Même dans des cas de ce genre on peut estimer en effet qu'il y a réminiscence, si vague soit-elle, du va-et-vient archetypal et de l'efficience génératrice, illuminatrice et vivificatrice dont il est investi. Or cette efficience, en tout état de cause, a toujours les mêmes finalités : d'abord une finalité éthique qui consiste en la réalisation d'une «coïncidence des contraires» qui fait l'objet chez Marino d'une quête quasiment obsessionnelle, et d'autre part, corollairement, une finalité à la fois esthétique et hédoniste qui consiste en la jouissance légitime du fruit de ces conciliations, et des effets bénéfiques de la bienheureuse ou harmonieuse continuité qui s'est ainsi instaurée entre les opposés grâce à la transgression des obstacles constamment dressés par les tendances, également omniprésentes, à la séparation et à la fragmentation. En effet, même quand il ne s'agit plus d'amour entre les êtres, d'attirance entre les corps, d'affinité entre les esprits, ou de «sympathie» entre les substances, il peut s'agir aussi de cette autre sorte d'amour qu'est la jouis- sance de la beauté dans le monde des formes et des mouvements. Dans l'univers baroque ceux-ci n'ont jamais rien d'anodin ou d'insignifiant : eux aussi sont les révélateurs d'abstractions qui sont les leviers invi- sibles de toutes les destinées. On verra dans un autre chapitre comment, par ailleurs, l'ensemble de ces navettes et de ces va-et-vient converge dans le schème dialectique de l'émission/réception, lui-même souché sur le plus vaste schème de l'occultation/révélation (ou manifestation/non manifestation) dont il a déjà été question. Ce sont ces schèmes dialectiques qui détermineront à l'échelle universelle la rythmicité cosmogonique et cosmologique qui anime de l'intérieur tout l'univers poétique de Marino (Marie-France Tristan, La scène de l'écriture, essai sur la poésie philosophique du Cavalier Marin (1569-1625), 2002 - books.google.fr).

Francesco Valesio, Il cavalier Marino d'età d'anni LVI, d'après Simon Vouet - www.lombardiabeniculturali.it

Giambattista Marino, mieux connu en France sous le nom de Cavalier Marin ou encore Jean-Baptiste Marini, né le 18 octobre 1569 à Naples et mort le 26 mars 1625 dans la même ville, est un poète napolitain. Les premiers vers de Marino, échappé de la maison paternelle pour ne pas étudier le droit, lui valurent la protection du grand amiral de Naples, puis à Rome celle du cardinal Pietro Aldobrandini. Il suivit celui-ci dans son ambassade à la cour de Turin, où il s’attira de mauvaises affaires par son esprit satirique. En 1615, Marie de Médicis, épouse du roi de France dont il était devenu le protégé l’appela en France où Louis XIII le retint par une pension de 2000 écus. C’est dans les loisirs que lui laissaient la fréquentation de l’hôtel de Rambouillet et ses liaisons avec les gens de lettres en faveur, Du Bartas, Voiture, Madeleine de Scudéry et Guez de Balzac, qu’il écrivit son plus célèbre ouvrage, l’Adone (1623), un poème de 40 000 vers (répartis en 20 chants et environ 5000 stances de huit décasyllabes) qui raconte l’histoire d’Adonis et Vénus. Il a également écrit la Galeria (1620), qui réactualise l’ouvrage Les Tableaux de Platte Peinture de Philostrate (fr.wikipedia.org - Giambattista Marino).

Si l'Adone du chevalier Giambattista Marino, alias le Cavalier Marin, connut la gloire lors de sa parution en 1623, au terme du long séjour de l'auteur à la cour de France, le succès fut bientôt payé d'un long purgatoire. Survenue dès 1627, sa mise à l'index (après beaucoup d'autres et, parmi les plus significatives, celle de la Nova de universis philosophia de Francesco Patrizi qui entendait refonder une philosophie chrétienne sur des bases hermétiques) marque une ère nouvelle où la rationalité théologique post-tridentine constitue la face indissociable d'une remise en ordre simultanément philosophique et scientifique pour compartimenter tous les domaines du savoir et canaliser les coulées volcaniques de l'âge précédent. Rappelons que l'année même de la parution de l'Adone, Mersenne engageait son offensive contre toutes les fausses sciences, spirituelles ou non, marquant bien la solidarité du combat mené par la théologie et la nouvelle physique.

L'hétérodoxie marinienne, justement limitée au vitalisme et à des tendances panpsychistes, est à l'abri du panthéisme et de l'athéisme. Les Dicerie sacre de 1614 sont fondamentales pour comprendre l'Adone (Jean-François MAILLARD, Compte-rendu de La Scène de l’écriture, Essai sur la poésie philosophique du Cavalier Marin, Revue A.R.I.E.S., vol. 4, 2004, n°2, p. 239-242 - www.mariefrancetristan.com, nonagones.info - Le Cercle et la Croix des Prophètes - Lourdes et la Croix des Prophètes - La Lettre déchiffrée).

Inclure un miroir dans une œuvre picturale était une manière de symboliser la représentation artistique. Parfois c'était l'autoportrait du peintre qui se reflétait dans le miroir (Margaret Llasera, Représentations scientifiques et images poétiques en Angleterre au XVIIe siècle: À la recherche de l’invisible, 2020 - books.google.fr).

Les démonologues des XVI et XVIIe siècle se fonderont sur l'autorité de la Bible pour justifier leur croyance en la sorcellerie et à la lycanthropie et cautionner leur système judiciaire. La métamorphose des sorcières en animaux ou du diable en bouc ou en chien noir dans le mythe de Faust et de Henri-Cornélius Agrippa s'appuie sur l'antécédent de la transformation de Nabuchodonosor en bête. C'est pourquoi la relation des Chrétiens et de la magie ne fut pas plus claire, même s'ils qualifièrent les païens polythéistes de «deisidaimones» ceux qui craignent les démons. Par ailleurs, les pratiques magiques du paganisme antique perdurent sous de nouvelles formes ou en s'amalgamant au christianisme comme le souligne Alfred Maury. Partant de l'analyse du tableau de Turner, Le Rameau d'Or, James George Frazer établit la survivance en Italie du culte de Diane et de Virbius. Dans un substantiel article cité plus loin, Dominique Lesourd montre, à travers l'étymologie, la perpétuation du culte de Diane en France et son indéniable rapport avec la sorcellerie . Les rites dionysiaques de son culte sont la préfiguration du sabbat. Julio Caro Baroja appelle Diane «la déesse des sorcières» car elle est liée à la lune, à l'eau, aux lieux humides comme le seront les lieux de sabbat, et qu'elle est déesse-mère et sage-femme, déesse des carrefours. Elle s'identifie à Hécate, divinité des Enfers, aïeule, selon une tradition, de Circé et Médée, magiciennes archétypales. Saturne, lui, est le patron des sorciers. Il préside aux travaux de la mine ce qui l'apparente aux divinités souterraines et fera de lui un important symbole alchimique. Il sera également le symbole du dualisme magique : le Saturnien, au tempérament froid et mélancolique, à la mine de plomb, sera prédestiné, comme nous le verrons, aux plus hautes oeuvres de l'esprit et de la création, mais la face sinistre de Saturne, dévorateur de ses propres enfants, incarnera aussi la sorcellerie anthropophage. Un rapprochement a été esquissé entre les saturnales et le sabbat car le Saturne des Romains était, selon le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, cité par Alfred Maury : «[...] sur le même rang que les divinités de Janus, de Jupiter, de Faunus, de Picus, de Silvanus, c'est-à-dire, qu'il est comme eux de la lignée des esprits qui président à la vie agricole dans la maison et dans les champs.» (Article Saturnus) (Aurore Gutierrez-Laffond, Théâtre et magie dans la littérature dramatique du XVIIe siècle, 1998 - books.google.fr).

Le programme spectaculaire est plus chargé dans La Fête de Vénus, autre pastorale régie par une fête. Son prologue est déjà un prologue d'opéra : au son des musettes (l'instrument des bergeries !), des flûtes douces et des violons, Victoire, Renommée (avec sa trompette), et Paix finissent par chanter les louanges de Louis XIV (qui vient de mettre un terme à la guerre de Dévolution). Amour sort alors de la mer et s'envole, tandis que ses esclaves dansent. Place aux affaires d'amour des nymphes et des bergers ! Mais non sans la musique et la danse chœur, chanson, entrées dansées entre la plupart des actes. En attendant la descente finale de Vénus. Boyer récidivera pour le Marais, en 1672, avec sa pastorale de Lisimène, ou La Jeune Bergère. Ici encore on a l'impression que la pastorale est un peu sauvée par la musique et le spectacle. S'il n'y a pas de prologue, la pièce s'ouvre sur un choeur de bergers et tout son déroulement sera ponctué de tableaux ou d'intermèdes en musique et en danses, pour chanter généralement l'amour libéré des contraintes des mariages arrangées; et pour finir, «Des sylvains et des faunes dansent et chantent». Il est inutile de revenir sur des motifs propres à la pastorale (comme les chaînes d'amoureux ou les amours contrariées et croisées, les bergers abandonnés, les bergères à la reconquête de leur amant), que Boyer reprend vaguement dans sa Chypre ou dans son Arcadie de fantaisie - vaguement, parce que, fidèle à une thématique qui l'avait déjà retenu, il déplace l'accent et l'intérêt sur le déguisement d'identité et les apparences trompeuses. Dans La Fête de Vénus, c'est la bergère Diotime qui se déguise en garçon et fait des conquêtes féminines, au grand dam des victimes des quiproquos. Lisimène, pastorale plus intéressante que l'assez insignifiante Fête de Vénus, tire son intérêt du thème du déguisement mêlé à celui de l'ingénuité féminine : le passage de Lisimène de l'ignorance (époux et mariage sont des mots inconnus pour elle) à la passion ingénument dite et vécue est assez longuement et précisément montré – même si l'originalité n'est pas extraordinaire. Mais Lisimène s'est éprise d'une bergère qui s'était travestie en garçon ! Et le quiproquo va loin puisque Lisimène réalise un mariage secret avec son aimé(e) et vient raconter (V, 5) une nuit de noces un peu froide ! Notre bergère épousera finalement un vrai garçon à l'issue d'une intrigue où les déguisements auront causé bien des erreurs (Charles Mazoue, Le théâtre français de l'âge classique : L'apogée du classicisme, 2010 - books.google.fr).

Jésus mélancolique : Lune et Saturne ou alpha et oméga

Les Egyptiens et les Pythagoriciens rangeaient ainsi les Planètes : la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne, et par conséquent, l'alpha était la voyelle caractéristique de la Lune, l'epsilon de Mercure, l'èta de Vénus, l'iota du Soleil, l'omicron de Mars, l'upsilon de Jupiter, l'oméga de Saturne (nonagones.info - La Croix d’Huriel et Rennes le Château - ihEsu, Par ce signe tu LE vaincras, et le Mercure, nonagones.info - Généralités - Points particuliers - Le Centre (ou Coeur) : Neuillay-les-Bois 1).

Le type de celui qui est confronté à tous les stades spirituels dont l'acédie, et auquel est voué tout moine, est bien sûr le Christ. Maxime Préaud avait reproduit, dans un très beau livre d'iconographie de la mélancolie aujourd'hui heureusement réédité par Klincksieck, un Christ mélancolique, que l'on retrouve ici : c'est L'Homme de douleur d'Albrecht Dürer (Frédéric Gabriel, Exposer le viscéral, ou la mélancolie au Musée, Nouveau Recueil N° 78, Ecrits avec de la Lumiere, 2006 - books.google.fr).

L'Homme de douleurs peut être opposé au Christ mélancolique de Dürer, qui n'a pas de larmes. A Port-Royal, Philippe de Champaigne le représente dans tout l'éclat de son manteau rouge qui l'enveloppe d'une royauté triomphante et dérisoire. Cette image reste donc très forte au XVIIe siècle. Avec celle du Sacré-Coeur, on peut imaginer la présence de ces images douloureuses dans tous les couvents (Danielle Roth, Larmes et consolations en France au XVIIe siècle, 1997 - books.google.fr).

La mélancolie prend corps comme image. Or c'est bien ce destin qui la porte à nouveau au cœur «mystique» du dispositif de l'imagination ignatienne : la fluctuation du mal et du symptôme compénètre et confond dans la mélancolie le point de vue de la «créativité» et celui de la réception : je reçois comme image et je recrée ce que je ne peux ni seulement créer (je ne suis pas autre que ce que je crée) ni seulement recevoir (il n'y a pas autre chose que moi); c'est précisément ce recouvrement qui déterminait la répétition comme modalité fondamentale de la contemplation des images évangéliques de J. Nadal et enracinait cette modalité dans l'expérience ignatienne du lieu de l'imagination comme espacement ou intervalle de deux limites du visible : le lieu de moi-même et le lieu du Christ. Mais de l'un à l'autre de ces pôles, la mélancolie est en quelque sorte «passée par le lieu», dissoute : au terme le lieu ignatien ne se laisse plus saisir comme lieu mélancolique, mais seulement comme le lieu de la figure mélancolique du Christ, de sa Passion; toutefois, comme nous allons le voir, cette figure incarne le destin de l'imagination mélancolique et fait de la mélancolie l'humeur pathologique ou la passion d'images du lieu. La figure du Christ mélancolique porte, à l'extrême limite de la disparition du Christ, «présentation à la représentation de l'abîme de la scission», la concrétisation de l'attitude mélancolique, son résultat d'image. Elle est, pourrait-on dire, l'image même de sa perte : elle s'inscrit en effet à la croisée de la répétition, (de la présentation à la représentation) et de l'orientation . Le Christ mélancolique traverse le récit de la Passion : du Jardin des Oliviers aux Outrages et au «Christ penseur» dans la solitude où il est figuré, pieds et mains trouées , après la Croix, l'image du Christ est l'avant et l'après ; il est l'accomplissement de ce qui reste à accomplir, et la répétition du fait accompli; il produit l'acte même comme une répétition; il sait. L'image du Christ mélancolique introduit dans le temps de la Passion la contraction, de l'avant à l'après, du Temps absolu, du commencement. Dans cette station, le Christ est tout entier exposé. Il est dans l'attitude de la mélancolie : Ecce homo. La frontalité de l'exposition construit l'image du Christ mélancolique comme plan. [...]

Le Christ mélancolique, en accomplissant l'exercice mélancolique de l'imagination et l'effacement tendanciel de l'image sous la double contrainte de sa répétition et de son orientation, spécifie du même coup l'image elle-même comme le vestige, l'induration, la trace fossilisée, muette, de ce procès. Or nous trouvons, à l'autre extrémité de ce parcours d'image, dans ce «lieu corporel» aveuglément arpenté par le retraitant des Exercices où Ignace donne à expérimenter le lieu invisible de la figuration du Christ, les traces d'une humeur mélancolique (Pierre-Antoine Fabre, Ignace de Loyola: le lieu de l'image, 1992 - books.google.fr).

On verra par la suite que ces définitions ou descriptions ne sont pas sans intérêt. Nous pourrions les compléter par quelques-unes des objurgations plus ou moins justifiées, dont les poètes et les moralistes ont accablé le miroir, le rendant responsable de l'insensibilité des belles ou des fautes trop nombreuses qu'occasionne la coquetterie. C'est ainsi, par exemple, que dans la quatrième des Élégies de la belle fille lamentant sa virginité perdue (1557), Ferry Julyot fait dire à son héroïne, reprochant à ses parents leur trop grande faiblesse :

Combien de fois m'avez veüe empêchée
A ces mirouers, et ne m'en suis cachée
Aucunement, car vous le permettiez
Indulgemment, et ordre n'y mettiez.
(Henry Havard, Dictionnaire de l'ameublement et de la décoration depuis le XIIIe siècle jusqu'à nos jours, Tome 3 : I-O, 1887 - books.google.fr).

SIXIEME ELEGIE DE LA belle fille aux amoureux l'ayans seduite.

...Cy ne uerrez dictiers de rhetorique,
Desquelz usoit, ains Christ melancolique
(Ferry Julyot, Elegies de la belle fille, lamentant sa virginite perdue, Tome 5, 1557 - books.google.fr).

Ingrediamur, obsecro, hortum Gethsemani, ibi enim ex parte patebit, quantum Dominus omni illâ lætitia exinanitus fuerit, quæ tunc ipsi naturalis erat & debita. Euidens huius immensi doloris indicium fuit apud S. Matthæum 36,17, tristitia illa & mæror ac melancholia. Cæpit tristari & moestus esse. Apud S. Marcum 14,33, pauor & tædium : Caepit pauere & taedere. Apud Lucam 22,43, angor & agonia. Et factus in agonia prolixius orabat ! O miraculum nouum, nec vnquam visum hactenus ! (Tommaso Reina, Quadragesimale, 1667 - books.google.fr).

Tommaso Reina est un jésuite né à Milan en 1579 et mort à Rome en 1653 (data.bnf.fr, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Tome 6, 1895 - books.google.fr).

Gryffindumble, Pâques est à la pleine lune... Jésus le loup-garou, 2025 - www.reddit.com

La mélancolie (mélas = noir, kholé = bile, humeur, fiel) est privilégiée également au départ par Marsilio Ficino (De vita triplice), qui la place sous le signe de Saturne et de la Lune, anticipant sur le «soleil noir» nervalien ou le «spleen» baudelairien. Mais Ficino lui-même, s'inscrivant cette fois-ci dans une tradition qui va d'Aristote jusqu'à Kant, dédramatise la mélancolie en la citant parmi les prémisses nécessaires à la créativité; depuis, elle est souvent perçue comme une vague tristesse plutôt douce, accompagnant la réflexion et la rêverie (Simona Modreanu, Le dieu paradoxal de Cioran, 2003 - books.google.fr).

En médecine, la mélancolie est documentée depuis l'antiquité : au IIe siècle, Marcellus de Side (117 à 161 apr. J.-C.) la considère comme un dérèglement des “humeurs” et une manifestation d’un état mélancolique. Mais c'est à la fin du XVIe siècle, qu'associée à la peur du loup, elle donne lieu à une véritable «épidémie», combattue par l’Inquisition au cours de procès en sorcellerie. Au XVIe siècle, Jean Wier (1515-1588), médecin néerlandais, explique la lycanthropie comme un phénomène imaginaire et maladif. Au XVIIe siècle, le médecin français Jean de Nynauld, qui publie en 1615 De la lycanthropie transformation et extase des sorciers, reconnaît dans la lycanthropie, à la suite de Jean Wier, une forme de maladie mentale qu'il appelle «mélancholie ou folie louvière» (fr.wikipedia.org - Lycanthropie (psychiatrie)).

L'éros mélancolique qui dépend des maladies de la lune a quelque chose de terrifiant et de dévastateur qui s'apparente à une véritable démence. La "doctrine secrète des ogres" combine en fait dans la métaphore narrative un ensemble de significations sexuelles, anthropologiques et sociales. L'avidité sexuelle rejoint un appétit effréné qui se porte sur des proies faciles. L'ogre et le loup-garou aiment la chair fraîche et adorent les enfants jusqu'à le dévorer (Philippe Walter, La mémoire du temps: fêtes et calendriers de Chrétien de Troyes à La mort Artu, 1989 - books.google.fr).

Arcadie : Soleil, Lune et mélancolie

C'est dans l'Arcadie que les poëtes ont placé l'âge d'or, et que Le Poussin a mis la scene de ce beau paysage où l'on voit le tombeau d'une jeune bergere, avec cette inscription simple, sublime, et mélancolique : Et in Arcadia ego (M. G. T. Villenave, Les Metamorphoses d'Ovide, 1806 - books.google.fr).

L'organisation très concentrée de la Béotie, jointe aux talents militaires et diplomatiques de Pélopidas et d'Epaminondas, explique les succès éblouissants de Thèbes Après Leuctres, plusieurs expéditions sont menées jusque dans le Péloponnèse : l'autorité de Sparte sur la presqu'île est entièrement détruite et Thèbes s'y crée des clientèles fidèles Athènes avait aidé à la libération de Thèbes, afin de faire pièce à Sparte. Mais, assez rapidement, elle aperçoit le danger que représente pour elle la croissance de sa voisine. Un incident crée le conflit, un autre l'aigrit définitivement. En 373, Thèbes détruit Platées, ville béotienne située à la frontière de l'Attique et traditionnellement amie d'Athènes par répulsion contre Thèbes. En 366, elle reçoit d'un tyran d'une cité de l'île d'Eubée une autre ville-frontière, Oropos, qu'Athènes lui avait enlevée depuis 506 et dont ce tyran s'était emparé. Dès lors, c'est l'hostilité irréconciliable. En 364-363, Epaminondas entreprend une expédition maritime dans l'Egée et détache plusieurs cités de l'alliance d'Athènes. Celle-ci n'hésite plus et, en 362, lors d'une nouvelle expédition d'Epaminondas dans le Péloponnèse, envole son armée se joindre à l'armée spartiate. La rencontre a lieu à Mantinée, en Arcadie. C'est une victoire pour Thèbes, mais trop chèrement payée par la mort d'Epaminondas La tradition veut qu'avant de mourir, ayant appris la mort d'un de ses amis qu'il jugeait seul digne de lui succéder, il ait recommandé à ses compatriotes de conclure la paix. Ils s'y décidèrent en effet, au lendemain de Mantinée; paix dans le Péloponnèse sauf avec Sparte, paix avec Athènes, Thèbes, privée de ses chefs (Pélopidas était mort précédemment), renonçait au rôle dirigeant qu'elle avait joué depuis Leuctres en Grèce et à ses prétentions à l'hégémonie. En 359, elle demeure une puissance avec laquelle il faut compter en Grèce. Elle conserve une influence étendue. Elle maintient sa position à la tête de l'Etat béotien Elle a acquis l'alliance des petits peuples montagnards de Grèce centrale et, grâce à eux, elle dirige en fait le conseil amphictyonique de Delphes, qui administre et défend les intérêts d'Apollon et du sanctuaire pythique. Elle est intervenue en Thessalie et en Macédoine et y conserve des amis dévoués, surtout en Thessalie. En 367, elle a obtenu un arbitrage, d'ailleurs demeuré sans effet, du roi perse en sa faveur : sa diplomatie, de ce côté, a des moyens d'action. Dans le Péloponnèse, elle a des alliés que la reconnaissance et l'intérêt lui attachent, notamment Mégalopolisen Arcadie et Messène. Mais elle n'a plus de puissance militaire capable, comme auparavant, de dicter ses volontés. 17 ans de luttes incessantes, imposées par une politique au- dessus de ses moyens, ont épuisé ses ressources en hommes. Elle est privée également d'hommes de guerre capables de remporter des victoires décisives avec ce qui lui reste. Sa déchéance est, dès maintenant, chose acquise (André Aymard, Le monde grec aux temps de Philippe II de Macédoine et d'Alexandre le Grand (359-323) avant J.-C.), 1964 - books.google.fr).

Pour l'historien Diodore de Sicile, la politique navale est donc conçue comme totalement dépendante de la volonté d'Épaminondas. Si le général avait vécu plus longtemps , il aurait obtenu pour les Thébains, et par extension pour les Béotiens, l'hégémonie sur terre et sur mer. Mais sa mort sur le champ de la bataille de Mantinée en 362 av. J.-C. priva la Confédération béotienne du seul chef politique et militaire sur qui elle pouvait compter après la mort de Pélopidas en Thessalie, en 364 av. J.-C. L'absence d'une classe politique capable de prendre en compte et de poursuivre le projet d'Épaminondas provoqua la fin de l'hégémonie béotienne, l'incertitude, voire le chaos pour l'avenir de la Grèce et, ce qui est l'aspect le plus important pour notre recherche, l'abandon complet de la politique navale de la part de la Béotie. Comme nous l'avons vu plus haut, le général est, dans le récit de Diodore et de la plupart des sources anciennes, le seul véritable acteur de l'aventure navale. De plus, la grandeur de la Béotie sous Épaminondas n'est pas perçue comme un exploit isolé, l'historien affirmant que, si le général avait survécu après la bataille de Mantinée, la Confédération béotienne aurait certainement (ômologèmenôs) obtenu la double hégémonie sur terre et sur mer. La dernière partie du fragment d'Éphore que nous avons cité au début de ce chapitre véhicule la même idée (Giulia Icardi, Affirmer sa puissance par la mer: La rivalité pour l’hégémonie en Grèce dans la première moitié du IVe siècle avant J.-C., 2024 - books.google.fr).

La Macédoine flottait indécise entre les deux compétiteurs Amyntas III et Pausanias, lorsque le plus jeune des fils d'Amyntas, ce Philippe que nous avons vu donner en otage aux Thébains par Alexandre II, son frère, après la première expédition de Pélopidas en Thessalie, et qui recevait, sous la direction d'Épaminondas lui-même, l'éducation la plus complète et la plus distinguée, par les soins de plusieurs professeurs de la secte de Pythagore, s'échappa tout à coup de la ville de Thèbes, probablement de l'assentiment des magistrats et des béotarques, et reparut spontanément dans son pays natal, où il rallia de nombreux partisans (André de Bellecombe, Histoire universelle, Tome II,1858 - books.google.fr).

Du temps de Démosthène il s'agissait de tout autre chose et la Grèce avait un autre ennemi : la Macédoine. Ce qui caractérisait maintenant la situation politique, c'était ce trouble et ce désordre que Xénophon avait signalés non sans mélancolie à la fin de ses Helléniques, quand il avait peint l'état de la Grèce au lendemain de la bataille de Mantinée désordre et trouble qui depuis n'avaient fait que s'accroître (Jean Luccioni, Démosthène et le panhellénisme, 1961 - books.google.fr).

Les Arcadiens étaient selon Lycophron des mangeurs de chairs humaines lykainomorphes (cf. "ceci est mon corps").

Si la métamorphose de Lykaon marque une régression au stade d'animal que perpétuent les lycanthropes, lorsqu'il s'agit des dieux, le thériomorphisme, la forme animale des dieux, ne comporte aucune connotation négative. Bêtes et dieux dans le mythe et les représentations cultuelles Poséidon est le dieu qui revêt le plus volontiers une forme animale en Arcadie : avec l'épiclèse Hippios, il est lié au cheval. Quant à Déméter, c'est lorsqu'elle est associée à ce dieu qu'elle prend à l'occasion l'apparence d'une jument. Le lien de Poséidon avec le cheval s'affirme à Mantinée, où le dieu est appelé Hippios, "Protecteur des chevaux". Après la naissance de Poseidon, "Rhéa dit à Kronos qu'elle avait mis au monde un cheval et lui donna à avaler, au lieu de son enfant, un poulain, comme elle lui donna par la suite, au lieu de Zeus, une pierre enveloppée de linges". A sa naissance, Poseidon est cheval; en revanche, le culte ne connaît que Poseidon Hippios, "Protecteur des chevaux". Ailleurs en Arcadie, le dieu se change en cheval. Deux logoi d'inspiration commune rapportés par Pausanias - l'un se situe à Thelpousa et l'autre à Phigalie - donnent à Poseidon et à Déméter la forme chevaline de manière épisodique (Madeleine Jost, Bêtes, hommes et dieux dans la religion arcadienne, Ancient Arcadia : Papers from the Third International Seminar on Ancient Arcadia, 2005 - books.google.fr).

La légende béotienne des amours de la déesse-brebis et du dieu aquatique d'où naît le héros bœuf Bœotos, transportée au pied de l'Alésion par les adorateurs de Poseidon s'est, au contact du dieu indigène, enrichie d'un détail topique, celui du poulain. Alors se constitue la légende de Poseidon Hippios, élevé parmi les agneaux près de la source Arné (en grec "moutons", dans les environs de Mantinée), dévoré sous la forme du poulain enfanté par Rhéa, et dont l'abaton est fermé par un fil de laine (Gustave Fougères, Mantinée et l'Arcadie orientale, 1898 - books.google.fr).

Quand Rhéa eut mis au monde Neptune, elle le plaça dans une bergerie pour qu'il y fût élevé avec les agneaux, et on donna le nom d'Arné à cette fontaine, parce que les agneaux venoient paître autour; elle dit ensuite à Saturne qu'elle étoit accouchée d'un cheval, et elle lui donna un poulain à avaler en place de son enfant; de même dans la suite elle lui fit avaler une pierre emmaillotée au lieu de Jupiter (Pausanias, Hellados periegesis, Tome 4, 1820 - books.google.fr).

L'Arcadie, d'après la tradition, était réputée «plus vieille que la lune» (Ovide, Sénèque, Stace); mais on peut se demander s'il ne faut pas faire ici la part de l'image et de la tradition, car nulle part ailleurs chez les Anciens il n'est question de l'âge de la lune. Et c'est seulement dans des oeuvres poétiques que se rencontre cette comparaison d'ancienneté. La lune était donc considérée comme très vieille, ainsi que le prouve l'insistance fréquente sur l'âge de l'Arcadie, qui sous - entend un chiffre très élevé. D'autres superstitions encombraient l'esprit latin, moins répandues certes si l'on en juge par leur peu de retentissement dans la littérature, et par le fait qu'elles sont propres à un auteur. Chez Lucrèce, c'est l'idée épicurienne que les lunes sont innombrables, parce qu'il existe des mondes innombrables. Pour Pline, encore tout imprégné d'astrologie, la lune a une couleur particulière, comme les autres astres (lunae blandus, II, 79). Cicéron, lui, se contente de rapporter l'opinion de Xénophane qui faisait de la lune une terre habitée «et remplie de villes et de montagnes», mais il ne semble pas y croire (Acad., II, 39, 123) (Sophie Lunais, Recherches sur la lune, Tome 1 : Les auteurs latins de la fin des Guerres Puniques à la fin du règne des Antonins, 2015 - books.google.fr).