Partie XIX - Tintin   Album   Le Secret de la Licorne - 04   
NONAGONES TINTIN HERGE LE SECRET DE LA LICORNE LE TRESOR DE RACKHAM LE ROUGE PERSUASION

Persuasion

Tintin est "persuadé" deux fois dans l'album (pages 27 et 58) - et convaincu page 12 -, et Maxime Loiseau (page 56), l'antiquaire, une fois (page 56). Maxime Loiseau le frère "le plus dangereux des deux" est celui qui organise la chasse à la licorne. Le second frère confessera ses fautes à la fin et dévoilera les agissements du duo.

Tintin et Maxime sont persuadés par leur raisonnement sur l'existence du trésor. Ils sont persuadés eux-mêmes mais le terme n'est pas employé pour convaincre autrui. C'est implicite. Les autres suivent. Être persuadé soi-même aurait un effet d'entraînement. Il faudrait un minimum de conviction chez quelqu'un pour créer une action collective.

En grec, le mot utilisé pour désigner la preuve rhétorique est pistis. À la différence du mot français preuve, pistis appartient à une famille de termes exprimant les idées de «confiance en autrui, ce qui fait foi, preuve» (Bailly [1901], [Pistis]). La famille lexicale de termes grecs que l’on traduit par persuader, persuasion associe les sens de «persuader, séduire, tromper qn», ainsi que «obéir à qn» (ibid., [Peitho]). À cette famille appartient également le nom propre Peithô, nom de la compagne d’Aphrodite, parfois Aphrodite elle-même, déesse de la beauté, de la séduction et de la persuasion. Vu au travers des dictionnaires, le terme pistis est, pour nous, syncrétique; il couvre le champ de la preuve, de la séduction, de la soumission et de la persuasion. Il en résulte en somme que dire “la preuve rhétorique persuade” est un pléonasme (Christian Plantin, DICTIONNAIRE DE L'ARGUMENTATION, Gaspillage – Vrai, 2021 - icar.cnrs.fr).

Les techniques de persuasion - de la publicité à la propagande - visent, depuis ses origines anciennes chez les sophistes, à convaincre, à séduire ou à exercer une influence, une domination (Ellul 1965, Colon 2019).

Dans les films de fiction, les technologies de simulation et de manipulation de nos perceptions, depuis Méliès, se trouvent au cœur des effets visuels, à travers une esthétique illusionniste visant à nous faire croire à la réalité des images présentées à l'écran (Prince 2012). Les stratégies en cause activent la suspension volontaire de l'incrédulité (Coleridge [1817] 1983), propre à instaurer le cadre pragmatique régissant l'entrée dans le régime fictionnel (Schaeffer 1999) ou ludique (Traitement et qualité de l'information, H2PTM’21: Information : enjeux et nouveaux défis, 2021 - books.google.fr).

Aristophane

L'ange au sourire manchot de Reims se trouve à côté du buste d'un homme antique, page 42 : rapprochement de Reims et d'Aristophane (sa pièce Les Oiseaux : les frères Loiseau, et le coucou de la page 42) dans un texte de Suarès (Remarques, 1917).

Dans les Nuées d'Aristophane, les sophistes vont nu-pieds, leur teint est pâle comme celui des cadavres, leurs regards sont brillants. Ils se servent de leur langue affûtée pour enseigner, contre salaire, l'art exquis de douter de tout, de transformer le discours juste en discours injuste et de vivre au-dessus des lois. Dans l'ombre du «pensoir», ces morts-vivants ont pour maître le bavard, le divin Socrate. À travers ces personnages, synthèse des différents intellectuels qui vivaient à Athènes aux alentours de 423 av. J.-C., Aristophane s'interroge sur l'impact qu'ont les idées des sophistes sur les citoyens. Conservateur résolu, ardent défenseur de la morale et de l'éducation léguées par la tradition, il déteste les novateurs et met dans le même sac les sophistes et Socrate, cet homme étrange qui semblait toujours dans les nuages (www.lesbelleslettres.com).

Conformément à son nom, Dicéopolis avait un comportement de juste dans la cité; Peithétairos est voué l'ambiguité de Peithô; la Persuasion, force à la fois négative et positive pour les Grecs, mais lourde surtout d'implications négatives à l'époque où Aristophane faisait représenter les Oiseaux . Les Athéniens se laissaient facilement subjuguer par la force persuasive des orateurs : Alcibiade avait ainsi réussi à emporter la décision de l'Assemblée et à engager Athènes dans l'expédition de Sicile, si lourde de conséquences pour la cité. Ensuite, le comportement de Peithétairos déborde largement les suggestions données par son nom. Après avoir usé de la persuasion vis-à-vis des oiseaux, il lui substitue l'usage de la contrainte, Bia, d'ordinaire opposée à Peithô, non seulement à l'égard des Olympiens qu'il oblige à capituler, mais aussi des oiseaux opposants qu'il massacre. A la fin de la pièce, le héros qui asseoit son pouvoir sur la force, est présenté par le messager comme un souverain absolu, un tyran (v. 1708). Les ambiguités que le héros concentre en lui finissent par lui faire épouser très exactement les contours de la figure inquiétante et énigmatique du tyran telle qu'on se la représente au Vème et au IVème siècle. Comme le tyran, il s'exclut de l'humanité et de ses lois et oscille entre la perspective de se faire «isotheos», l'égal des dieux et celle de devenir un animal. Pour Platon par exemple, le tyran est l'être du désir sans entraves, qui ne recule devant aucun crime, même ceux que le commun des mortels n'accomplit qu'en rêve, l'inceste et le cannibalisme. Comme le tyran, Peithétairos «ne sait point s'abstenir du sang des hommes de sa tribu». Tyran des oiseaux, Peithétairos règne sur une cité elle-même tyrannique, qui tient sa puissance de l'oppression des autres mondes, a récusé toute loi et admet le parricide. Le triomphe éclatant de Peithétairos ne manque pas d'être cité comme exemple de la souveraine liberté comique mais à la différence de la victoire de Trygée, il ne laisse pas d'être ambigu et de porter le masque inquiétant de la tyrannie. Que s'est-il passé pour que l'utopie se réalise de manière aussi ambiguë ? De quel choc en retour porte-t-elle le poids ?

Dans les Oiseaux l'utopie s'est éloignée d'Athènes à la recherche d'un autre lieu et de l'âge d'or. Par rapport aux pièces précédentes, elle est sans doute celle qui met le plus à distance l'Athènes réelle et son contexte historique et politique. La satire, l'attaque personnelle y ont pratiquement disparu et on n'y trouve même pas mention de l'événement où Athènes avait joué son va-tout l'année précédente, l'expédition de Sicile de 415, dont le départ avait eu lieu dans une atmosphère troublée. Pièce d'évasion dans une Athènes accablée et soupçonneuse ? Certains critiques le soutiennent. Mais pour d'autres, plus sensibles au ton grinçant de maint passage, la cité idéale devenue souveraine du monde finit par ressembler comme une sœur à l'Athènes impérialiste partie à la conquête de la Sicile. Dans la représentation de la cité de rêve surgit en effet une caricature crue, où l'on peut lire la vérité politique d'Athènes, la dégradation de la démocratie et la course en avant de l'impérialisme. Les Oiseaux montrent comment l'exigence toute démocratique de liberté réalisée par la création d'une cité sans lois, aboutit à la tyrannie du simple citoyen Peithétairos et figurent de manière concrète ce que Platon décrit comme la dégradation du régime démocratique en régime tyrannique. Quand l'Etat démocratique se grise de liberté pure, on se moque des lois écrites et non écrites et l'excès de liberté aboutit à un excès de servitude. De fait la crainte de la tyrannie semble avoir été très vive à l'époque des Oiseaux. Mais la tyrannie était aussi celle de la cité sur ses propres alliés : Peithétairos a le même comportement que l'Athènes impérialiste (Pierre Vidal-Naquet, Aristophane les Femmes et la Cite, 1989 - books.google.fr).

Claudel essaie de persuader Suarès

Ce qui faisait la valeur essentielle de la Correspondance Gide-Claudel, c'était la force dramatique d'un dialogue engagé entre deux grands esprits contemporains sur le problème de la foi. Ainsi se trouvait dépassé l'intérêt habituel de ce genre de documents où règne l'anecdote littéraire ou personnelle. Les lettres que nous lisons aujourd'hui sont dominées par le même problème et s'engagent de la même façon. Paul Claudel entreprend la conversion d'André Suarès au moment où il vient de réussir à entraîner Francis Jammes sur les chemins du Christ, au moment où il essaie d'y amener à son tour André Gide. Son prosélytisme, toujours en éveil, rencontre en Suarès un gibier de choix. Alors que Gide s'esquive, hésite, louvoie devant les attaques de celui qui voudrait lui communiquer sa certitude, c'est Suarès lui-même qui répond «touché» dès la première allusion de Claudel. Et pourtant Claudel sera finalement déçu par l'attitude d'un homme qui semble désirer la foi, qui envie celle de son correspondant mais qui s'obstine à attendre un miracle là où Claudel l'invite à faire lui-même les premiers pas «Rien ne compte pour nous, écrit Suarès, qu'un miracle personnel. Il nous faut une révélation qui nous soit propre.» Mettant d'abord à la réussite de son entreprise toute sa force de persuasion, Claudel s'essouffle bientôt devant la résistance d'un homme qui reste sur ses positions : «Pauvre ami, depuis huit mois vous êtes ma souffrance et mon tourment. Je comprends ce que dit Saint Paul quand il parle de ces âmes qu'il a engendrées. Je me dessèche à vous parler de la lumière et vous vous obstinez à fermer les yeux.»

L'attitude de Suarès est assez singulière et nous ouvre des horizons pitoyables sur l'amertume de sa vie. Lorsque Claudel espace ses coups, n'est-ce pas lui qui le relance et le sollicite ? C'est qu'il a trouvé chez son correspondant une des rares amitiés qui puissent consoler sa solitude. Et le drame vient de ce que Claudel, bien qu'il admire son œuvre littéraire, ne croit guère à un simple échange d'idées avec lui : «Le fait est, lui écrit-il en novembre 1907, que les sujets religieux une fois mis de côté, qui jusqu'ici ont fait l'unique objet de notre correspondance, je ne sais plus réellement quoi dire. J'attendais le N° de la Revue de Paris que vous m'annoncez. Jusqu'ici je n'ai rien reçu. Je vois que vous avez fini par être plus heureux avec mes livres. Vous vous plaignez souvent dans vos lettres que je ne vous comprends pas et cela est vrai. Vous avez été une amère déception pour moi. Je voyais en vous une âme désolée et altérée de vérité et de perfection et mon cœur allait vers le vôtre comme vers un frère souffrant. Mais il me faut admettre maintenant que cet état violent n'est pas une étape de votre avancement spirituel mais une assiette définitive de votre volonté où vous vous établissez avec une espèce de satisfaction. Vous me dites en effet : Je serais moins, si je croyais. Plût au ciel que vous ne fussiez rien à ce compte ! Un catholique ne peut admettre toutes les doctrines comme indifférences, surtout chez quelqu'un qu'il aime. L'erreur elle-même ne peut jamais être pour lui sympathique ou même intéressante, elle est toujours repoussante et détestable. J'ai essayé bien souvent de la prendre corps à corps chez vous et de savoir quelles étaient les raisons de ne pas croire d'un homme qui montrait un tel désir de Dieu, mais vous vous êtes toujours dérobé. Comment donc vous plaindre que je ne vous comprends pas lorsque vous vous cachez !»

Mais Suarès a besoin de la bonne parole, même si elle ne le touche pas. Ce cœur blessé, cet homme « hautain, solitaire et sauvage» comme il se qualifie, gémit de l'incompréhension qu'il cultive pourtant, essaye de forcer la pitié de Claudel retranché dans sa félicité. «J'ai de la joie à vous comprendre, mais moi, de qui suis-je compris ?» Cette position de suppliant diminue un peu Suarès. On se demande si dans sa volonté d'un art pur et sans sacrifice, si dans sa recherche de la seule grandeur, il n'entre pas beaucoup de cette grandiloquence qui apparaît jusque dans ces lettres familières. Le silence s'établit entre eux de 1915 à 1925, parce que l'essentiel écarté, ils n'ont plus rien à se dire, mais il n'y aura jamais de rupture définitive comme ce fut le cas avec Gide et la dernière lettre publiée date de 1938 (CORRESPONDANCE D'ANDRE SUARES ET DE PAUL CLAUDEL (1904-1938), Cahiers du monde nouveau, Numéros 46 à 54, 1951 - books.google.fr).

Violemment heurté dans ses convictions religieuses par la politique anticléricale menée en France au début du siècle, Claudel déclare alors rejoindre Maurras dans certaines de ses prises de position : «il hait autant que moi la démocratie, il donne une voix à ce furieux sentiment de dégoût d’un cœur noble qui se sent écrasé par les bestiaux, par la force brute, par le nombre». Pourtant, dans cette même lettre, il se démarque aussitôt de celui qui va devenir son adversaire et dont il désapprouve le recours à la violence : «Moi aussi, je vous l’avoue, mes préférences vont à cette forme de gouvernement (= la monarchie), mais à une monarchie revêtue d’un caractère religieux et dont l’autorité est celle moins de la force que de la persuasion, «sicut unguentum quod descendit in barbam, in barbam Aaron» [Ps 132,2]. Pour l’instant cette monarchie est un rêve et un homme de pensée a d’autres devoirs que de se mêler à la cohue des carrefours. Mon seul roi est le Christ, c’est pour lui que je lutte, c’est à lui que j’ai donné mon gant, c’est lui que je veux défendre et glorifier […].» Cette monarchie utopique était en effet très différente de celle, inspirée du positivisme de Comte, que souhaitait voir établir un Maurras agnostique, ce dernier ne voyant dans l’Église qu’une autorité nécessaire à l’ordre social et politique. Aussi l’auteur de L’Otage exprimait-t-il par ailleurs, à cette même date, des réserves très nettes à l’égard du théoricien de l’Action française : «Où je me sépare radicalement de lui, c’est pour sa sécheresse pédantesque et doctrinale, pour son admiration absurde à l’égard d’un des birbes les plus hideux de 1848, l’affreux Auguste Comte, pour ses prétentions dogmatiques mal justifiées en littérature, et enfin pour sa manière réaliste de concevoir la monarchie» (Lettre de Claudel à Suarès du 10 février 1911) (Pascale Alexandre-Bergues, Claudel et Maurras : retour sur une polémique. Maurrassisme et littérature. Volume IV, 2010 - books.google.fr, Robert Malet, Correspondance d'André Suarès, 1904-1938, 1951 - books.google.fr).

Caché

"Comment donc vous plaindre que je ne vous comprends pas lorsque vous vous cachez !" : Sakharine, portrait craché de Suarès, dont le frère était navigateur, habite rue de l'Eucalyptus.

"eucalyptus" vient du grec et signifie "bien caché" (Raphaël de Noter, Les Eucalyptus: culture-exploitation, industrie, propriétés médicinales, 1912 - books.google.fr).

Si la correspondance de Suarès est plubliée après sa mort en 1948, ce qui y était dit a pu circuler avant de proche en proche, en particulier dans le milieu cacatholique.

Claudel est en butte aux critiques du rationaliste Paul Souday, critique du Temps de 1920 à 1929, anticlérical, républicain laïque, constant contrepoids à la littérature catholique (Didier Alexandre, Le chant claudélien : ni prose, ni poésie, Le chant et l'écrit lyrique, 2009 - books.google.fr).

Voici ce que dit Souday de Suarès, qui, pour lui, se cache aussi, dans ses critiques littéraires parues en 1913 :

Il a fui la popularité avec un soin extrême. C'est, dans toute la force du terme, un solitaire. Il cache sa vie et montre à peine sa pensée. La plupart de ses ouvrages ont été imprimés à tirage restreint plusieurs sont épuisés. A l'exemple de Stendhal, il se flatte sans doute de n'écrire que pour cent lecteurs. Mais ce petit nombre d'élus compense par un zèle magnifique l'indifférence des foules. Un des rares articles qui aient été consacrés à M. Suarès commence par ces lignes : «Quelques personnes d'une haute vertu aiment les œuvres de Suarès. D'autres, en plus grand nombre, les haïssent, la plupart sans les avoir lues. Presque tout le monde les ignore. Parmi ceux qui les pratiquent, plusieurs sont rebutés : certains avouent n'y rien comprendre et confessent qu'ils se sont laissé séduire. Il ne reste donc à ce poète qu'une poignée d'amis, gens de l'esprit le plus rare, et dans le nombre les deux ou trois plus grands artistes de ce temps.» L'un de ces deux ou trois grands artistes paraît être M. Vincent d'Indy, qui a cité un passage de M. Suarès dans son récent livre sur Beethoven. Le piquant de cet article, c'est que l'auteur en était M. Suarès lui-même, écrivant à la Grande Revue sous le pseudonyme d'Yves Scantrel. Du reste, il l'a recueilli dans un volume signé Suarès, et il a raison de ne point rougir des éloges qu'il s'est décernés à lui-même : beaucoup de poètes en ont fait autant, sans plus de fausse honte. Le ridicule n'apparaîtrait que si l'on avait de bonnes raisons pour leur infliger un démenti; mais tout ce que disait Yves Scantrel de Suarès était certainement exact. C'est en effet un écrivain peu connu, ou méconnu, qui vaut qu'on essaye de le faire mieux connaître. Il n'est pas toujours d'une lecture facile, mais c'est un penseur original, audacieux, quelquefois profond. Une puis- sante vie morale bouillonne dans ses ouvrages, écrits d'un style vigoureux, habituellement sobre et dense, souvent imagé et d'un ardent lyrisme. Somme toute, parmi les contemporains, celui à qui il ressemble le plus, c'est M. Maurice Barrès, que d'ailleurs il n'aime point. Il rappelle aussi Pascal, qu'au contraire il chérit et qu'il imite parfois d'assez près : enfin il arrive qu'on songe, en le lisant, aux prophètes d'Israël, à Ezéchiel, à Isaïe ou à Jérémie. Si l'on excepte quelques tragédies, presque toutes introuvables, un petit volume de vers, Lais et Sônes, qui compte peu dans son œuvre, et si l'on veut, le recueil de poèmes en prose, d'un abrupt symbolisme, intitulé Images de la Grandeur, toutes les productions de M. Suares appartiennent au genre de la méditation philosophique. Soit qu'il étudie des auteurs célèbres, Pascal ou Ibsen, Tolstoï ou Dostoïevski, soit qu'il nous conte ses impressions de Bretagne (Le Livre de l'Émeraude) ou d'Italie (Voyage du Condottiere), soit qu'il expose simplement ses pensées ou ses émotions (Voici l'Homme, Bouclier du Zodiaque, Sur la Mort de mon Frère), soit enfin qu'il se divertisse à des chroniques d'actualité (Notes sur la Vie), toujours il va droit à l'idée générale et il l'exprime directement, sans l'inclure dans une construction poétique, dans un récit romanesque, ni dans un système lié. Son ouvrage capital, Voici l'Homme, se compose d'une succession de petits paragraphes discontinus, à la façon des Pensées de Pascal. Mais Pascal ne nous a laissé que les matériaux épars du monument qu'il n'a pas eu le temps d'édifier. M. Suarès admet que c'est fort heureux. On a dit, il est vrai, que le livre de Pascal n'eût pas été une œuvre d'art au même degré, si ce puissant esprit avait eu le loisir d'en faire l'apologie qu'il méditait». Mais on n'en sait rien. «Il aurait été, ajoute M. Suarès, plus riche d'arguments et plus pauvre d'émotion.» Ce n'est pas certain; et c'est peut-être mal admirer Pascal que de douter ainsi de l'étendue de son génie. On est un peu mis en défiance par ce parti pris d'un auteur qui, sans y être contraint, érige en procédé ce qui n'a été, dans l'œuvre de Pascal, que la conséquence d'un coup du destin. Cette fantaisie de M. Suarès évoque les fausses ruines industrieusement confectionnées par certains amateurs de parcs romantiques. Reconnaissons toutefois qu'une manière factice en apparence peut avoir sa raison d'être et même, en quelque sorte, une sincérité immanente. Cet artifice répond vraisemblablement au véritable tour d'esprit de M. Suarès, qui est en effet moins un idéologue méthodique qu'un impressionniste et un sensitif. Seulement, ses émotions, qui s'exhalent ainsi par bonds ou par jets, portent habituellement sur les questions philosophiques les plus hautes et les plus ardues. Son cas n'est pas entièrement nouveau : il y a au moins un précédent illustre, celui de Nietzsche, dont tous les livres, à la réserve de l'Origine de la Tragédie et de quelques autres dissertations, sont faits également de courts fragments non coordonnés. L'influence de Zarathustra notamment se retrouve aussi chez M. Suarès. Ajoutons enfin que M. Suarès lui-même nous avertit, comme eût pu le faire Nietzsche, qu'un ordre caché gouverne ce prétendu désordre et confère à l'ouvrage une profonde unité. En somme, c'est juste, bien qu'on puisse le contester dans le détail si l'on examine chacun de ces paragraphes ou de ces versets dont beaucoup se succèdent évidemment un peu au hasard ou se répètent à quelques centaines de pages de distance. Sans compter que quelques-uns, fort intéressants en soi, n'entrent pas avec une nécessité manifeste dans le plan d'ensemble. Mais ce plan d'ensemble existe; et l'on peut aisément dégager de cette forêt les idées essentielles de M. Suarès (qui s'affirment aussi, avec plus de force encore à certains égards, dans l'opuscule Sur la Mort de mon Frère et qui d'ailleurs inspirent plus ou moins immédiatement toute son œuvre). L'idée centrale, c'est l'idée de la mort. (Vous ai-je prévenus que prévenus que M. Suarès n'était pas un auteur gai ?) (Paul Souday, Les livres du temps, Tome 1, 1913 - books.google.fr).

Suarès tenait ferme au choix qu'il avait fait. Choix mortel; l'éloquence même de Suarès nous tourne contre lui. S'il persuade de choisir, qui choisira comme il a fait ? Qui voudra dire avec lui que le dernier mot de la vie, c'est la mort ?

Nous vivons sous la règle de la mort, écrit-il avec grandeur, et il ne l'oublie pas. Pascal, son maître, ne l'oubliait jamais. «La mort est le lieu de Pascal», écrit Suarès; mais Pascal sait où se réfugier contre elle; Suarès est privé de refuge. «Tant de mortalité m'effraye», écrit-il; et il reste dans la frayeur et la mortalité. Il le dit avec insistance, avec emphase; il se fait gloire de voir clair et de tenir ses yeux ouverts où le commun des hommes se distrait et s'aveugle (Daniel Halévy, Quelques nouveaux maîtres, 1914 - books.google.fr).

Marc-Édouard Nabe, Suarès en robe de chambre, 1985 - wikinabia.com

La robe de chambre

On voit Sakharine en robe de chambre (brune) pages 7-8 et (tirant sur le rouge) 28-30. Dans ces dernières il y a le gag de la loupe qui chauffe au soleil les fesses d'un des Dupondt.

C'est la reprise d'un procédé utilisé par Archimède que l'on retrouve dans Le Temple du soleil.

Pendant la deuxième guerre punique entre Rome et Carthage, en 212 avant notre ère, le général et consul romain Marcellus commande l'assaut de la ville de Syracuse, alliée de Carthage. Géomètre célèbre, mais aussi ingénieur militaire, Archimède (287-212) assure la défense de cette cité. On raconte que le savant réussit à mettre en déroute la flotte romaine par un procédé ingénieux : il concentra les rayons solaires sur les bateaux ennemis grâce à des «miroirs ardents» qui y provoquèrent des incendies (Roland Lehoucq, Robert Mochkovitch, Mais où est donc le temple du Soleil ?, 2023 - books.google.fr).

Avec Hélène chez Archimède, Suarès accomplit une œuvre beaucoup plus originale, puisqu'il se contente d'emprunter à l'Antiquité les deux personnages d'Hélène et d'Archimède et qu'il imagine une rencontre et un long dialogue entre eux. Le livre fut terminé pendant l'été de 1932. Suares devait le publier chez Vollard, avec des dessins de Picasso : projet qui avorta du fait de la mort de Vollard. Il avait songé à un drame : «J'ai conçu HL sous la forme du Drame. Et c'en est un, quoi qu'il semble. Si j'avais connu Lugné-Poe, si l'on ne m'avait séparé de lui avec une astuce et une perfidie qui m'ont épié pour me nuire, durant toute ma vie, Lugné-Poe aurait monté le drame et l'eût compris» (Carnet 214). En effet chaque poème peut être considéré comme une scène : monologue ou dialogue; et l'ordre de ces poèmes ne peut être modifié car une action se déroule : la lutte de la nature et de l'esprit, qui se termine par la victoire de l'esprit sur toutes les séductions et toutes les tentations de la nature (Yves Alain Favre, La recherche de la grandeur dans l'œuvre de Suarès, 1978 - books.google.fr).

Je fus rarement aussi surpris que le jour où Brun m'expédia, afin de récupérer un jeu d'épreuves chez André Suarès; c'était un soir d'hiver; l'auteur de Marsiho [1931] habitait une petite rue près du boulevard Henri IV; je sonnai, il m'ouvrit lui-même la porte et je me crus transporté au XVIIe siècle; Suarès portait les cheveux très longs; ils lui tombaient lisses, noirs et séparés par une raie médiane, jusqu'aux épaules; son visage était d'une extrême blancheur, troué par un regard d'un éclat extraordinaire. Il était ce jour-là vêtu d'une ample robe de chambre rouge foncé et, soit que la lumière électrique lui déplût, soit qu'il se fût produit quelque accident dans son appareillage, la seule clarté était fournie par un grand chandelier d'argent aux bougies allumées; qu'il tenait à la hauteur de son front (Henry Muller, Trois pas en arrière, 1952 - books.google.fr, Hubert Juin, André Suarès, La Quinzaine littéraire, Numéros 362 à 384, 1982 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Henry Muller).

Persuasion et autosuggestion

Dubois et Déjerine ont voulu opposer la persuasion à la suggestion, ce qui pourrait n'être qu'une question de mots; mais c'est davantage. Ce que ces auteurs reprochent à la suggestion, c'est de s'adresser au subconscient. Par là, selon eux, la suggestion favorise la dissociation mentale; elle est une culture de l'automatisme; elle développe le sujet dans le même sens qu'on «développe» un médium, dont la main écrit ce que sa pensée consciente ne commande et ne connaît pas. Si une éducation bien entendue doit viser à rendre la personne humaine maîtresse d'elle-même, il est bien certain qu'une culture de l'automatisme et de la dissociation devient, si elle se généralise, de l'éducation à rebours. C'est pourquoi Dubois et Déjerine veulent abandonner la suggestion, qui s'adresse au subconscient, et lui substituer la persuasion, qui s'adresse au conscient - à l'intelligence et à la volonté - du sujet De son côté, Freud, - et avec lui les écoles de psychanalystes qui en dérivent, aboutissait à une autre objection par son importante découverte du refoulement qui serait à l'origine des origine des maladies nerveuses et psychiques. (Cette objection est quelque peu à l'opposé de celle de Dubois et Déjerine, et cela peut déjà nous faire prévoir qu'elles risquent de se détruire plus ou moins l'une l'autre.) Pour Freud, des sentiments, pensées, tendances, que pour une raison ou pour une autre, nous avons eu besoin ou désir d'oublier, sont oubliés en réalité; ils sont refoulés dans le subconscient, mais là, ils continuent de vivre, de se chercher une issue; d'où une lutte, qui est la maladie même. La maladie ne peut être vraiment guérie que si on détruit les refoulements; pour cela il faut se plonger dans le subconscient (en quoi nous sommes aux antipodes de Dubois), il faut l'analyser et en exhumer le refoulé. La suggestion, elle, ne fait, selon ces auteurs, qu'enfoncer davantage les refoulements; elle peut, disent-ils, transformer et déplacer les symptômes, mais non guérir. Enfin une nouvelle école de Paris (Delmas, etc.) a donné une grande importance à la mythomanie dans une foule de manifestations pathologiques. Un grand nombre de malades nerveux seraient de purs simulateurs, que l'on ne guérit qu'en décelant leurs simulations. Ce seraient ces mêmes malades qui fournissent des sujets aux suggestionneurs; d'où cette conclusion que les faits de suggestion, autour desquels on avait fait tant de bruit, ne seraient qu'un ensemble de simulations, une vaste «fumisterie» maladive. Cette position extrême de l'école parisienne actuelle peut s'expliquer sans doute, en grande partie, par une réaction contre la première école de Paris, celle de Charcot, qui a été parfois la dupe de ses malades, et qui a posé comme des lois rigoureuses ce qui n'était que des faits de «simulation» ou de contagion suggestive (la loi des trois états, par exemple). Les psychiatres parisiens d'aujourd'hui ne veulent pas être dupes, et par instinct de défense, ils vont sans doute trop loin dans la défiance. Or, du temps de Charcot, il existait une école rivale, celle, celle de Nancy, qui, avec Liébault et Bernheim, avait su se garder des généralisations trop rapides de Charcot. Il existe de même aujourd'hui une «nouvelle école de Nancy» qui n'a pas eu la tentation de réaction excessive qu'ont eu les successeurs de Charcot. Les idées qu'elle professe sont l'évolution naturelle des idées de Liébault et Bernheim. Elles n'en représentent pas moins un événement scientifique de quelque importance. Nous allons maintenant y insister. Pour deux raisons en effet, la nouvelle École de Nancy est peu connue de ce qu'on peut appeler le grand public scientifique. C'est que d'abord la guerre est venue entraver son essor (sans l'interrompre, et quelques observations des plus intéressantes ont été notées depuis 1915 dans la ville bombardée). Ensuite, et surtout, Emile Coué et ses disciples se tournent vers la pratique, non vers l'exposition théorique des faits. L'œuvre écrite de Coué se réduit à quelques articles épars dans le Bulletin de l'École1 ou dans celui de tel Congrès de psychologie. Son œuvre vivante, elle, est considérable, et ses disciples se font nombreux. Quelles sont les conclusions qui se dégagent des travaux de la nouvelle École de Nancy ?

I. - Une première idée, fondamentale, c'est que la suggestion se réduit toujours à une autosuggestion. La suggestion n'est pas un phénomène de passage ayant pour point de départ la volonté de l'opérateur, pour point d'arrivée le cerveau du sujet. Tout l'essentiel se passe dans le sujet lui-même, et il peut y avoir suggestion sans suggestionneur. Une première preuve qu'il en est ainsi nous est donnée par l'analyse des phénomènes de l'hypnose, - cas où l'on pouvait croire cependant à une véritable dépendance du sujet par rapport à l'hypnotiseur. On constate d'abord que, dans les hallucinations suggérées, le sujet voit ce qu'il a pensé qu'il devait voir, non ce que l'hypnotiseur a voulu. Il a interprété les paroles de celui-ci comme le ferait une personne à l'état de veille, et s'il a interprété à faux, il modifie la suggestion proposée. Bref, les phénomènes courants de l'hypnose ne mettent en jeu aucune «transmission de pensée» ni aucune transmission plus mystérieuse, ou si de telles transmissions jouent un rôle, il ne peut être que secondaire. Il apparaît en outre que si le sujet devient un pantin dont l'hypnotiseur tire tous les fils, c'est qu'il s'est imaginé et autosuggéré qu'il en devait être ainsi. Cette dépendance, autosuggestive, n'est qu'une caractéristique apparente de l'hypnose profonde. Le fait que certains sujets sont moins suggestibles en hypnose qu'en veille s'explique aussi simplement dans une théorie de l'autosuggestion : Ces sujets ne croyaient pas au résultat, ou craignaient de voir échouer l'expérience (que cette crainte fût plus ou moins consciente). Le sujet peut donc bien «résister» à l'hypnotiseur, mais ce n'est pas une question de question de volonté comme on le pense quelquefois. C'est une question d'imagination et d'autosuggestion. Enfin une preuve décisive, a posteriori, en faveur de l'autosuggestion, c'est quune discipline méthodique permet l'éducation de cette force. Le praticien n'est plus qu'un guide, qui apprend au sujet à se passer de lui et à travailler seul. Et les résultats thérapeutiques obtenus par l'autosuggestion méthodiquement dirigée égalent et même semblent dépasser les résultats de la suggestion classique. Ils ont en tout cas plus de stabilité.

II. La suggestion et l'hypnose, telles qu'elles ont été mises en valeur par la médecine jusqu'à ce jour, nous apparaissent donc comme des applications très spéciales d'une force beaucoup plus générale : l'autosuggestion. L'autosuggestion est un fait courant et normal, mais non un fait banal. C'est-à-dire que, pour normal qu'il soit, il ne s'identifie pas à d'autres faits bien connus : émotion, association des idées, habitude, et n'est pas un nom inutile et nouveau dont on rebaptiserait ces faits. C'est un fait courant et jusqu'à présent peu connu, ce qui peut sembler contradictoire, mais ce qui s'explique si nous admettons qu'il met en jeu des éléments subconscients. Et c'est ce qu'il faut justement admettre si l'on ne veut pas faire de l'autosuggestion un fait banal. Bernheim définissant la suggestion comme «une idée qui se transforme en acte» aboutissait à une banalité, et a été justement critiqué par Binet. Nous devons dire que la suggestion ou autosuggestion est une idée qui se transforme subconsciemment en «acte» (ou, pour mieux dire, en «réalité»). Je pense une chose, un travail subconscient se poursuit, et la chose pensée se réalise : tel est le processus de toute suggestion (ou autosuggestion, les deux mots sont pour nous à peu près synonymes). La vie courante nous fournit de nombreux exemples de suggestions spontanées : il y a une part de suggestion dans la chute par le vertige, où l'idée de la chute détermine la chute, - dans la neurasthénie, où le malade est victime d'une foule d'impuissances suggestives (l'idée de l'impuissance déterminant l'impuissance) - dans les mauvaises habitudes, où le sujet pense aussi ne pas pouvoir résister, et en effet ne le peut, dans la mesure où il le pense, mais dans cette mesure seulement. Un grand nombre de symptômes maladifs, de maladies, sont considérablement aggravés, et quelquefois créés de toutes pièces, par l'autosuggestion, c'est-à-dire par l'idée du mal en question, sous forme d'attente, d'appréhension, de certitude que le mal doit apparaître dans certaines conditions.

III. - La suggestion a ses lois, dont quelques-unes apparaissent formulables dès maintenant. Deux des plus remarquables sont celles que nous avons appelées : loi de l'effort converti, et loi de la finalité subconsciente. La loi de l'effort converti s'exprime ainsi : Lorsqu'une idée s'est emparée de l'esprit au point de déclancher une suggestion, tous les efforts conscients que le sujet fait pour résister à cette suggestion ne servent qu'à l'activer. Cette loi, découverte par Coué (quoiqu'il lui donne une autre formule, un peu contestable) explique bien des faits de la vie courante comme de la pathologie : Celui qui apprend la bicyclette se jette avec une précision magistrale sur le caillou le plus minuscule, pour peu qu'il fasse des efforts pour s'en écarter, tout en craignant de s'y jeter. Tous les efforts d'un ivrogne pour ne plus boire aboutissent à le pousser malgré lui au prochain cabaret. La lutte consciente et crispée contre des symptômes nerveux ne sert qu'à les aggraver. Ce sont autant d'applications de cette loi. Pour vaincre, en de semblables cas, il faut cesser de faire effort, substituer la suggestion à la volonté, l'élément représentatif à l'élément actif («Je guérirai» et non «je veux guérir»). Et cela est d'une grande portée dans toute notre discipline morale. La loi de la finalité subconsciente, nous apprend que, dans toute suggestion, la fin étant pensée, le subconscient se charge de trouver les moyens pour la réaliser, et dans ce choix des moyens, il fait preuve d'une grande ingéniosité. La «rationalisation» par laquelle un sujet justifie, avec d'excellentes raisons, l'acte qu'il accomplit en suggestion posthypnotique (sans savoir que cet acte lui a été suggéré) n'est qu'un cas particulier de cette loi. En vertu de la même loi, une guérison étant suggérée, le subconscient réalise le travail physiologique nécessaire, sans que ce travail ait été directement suggéré. La connaissance de ces deux lois est importante parce qu'elle fournit une réponse décisive à deux des objections qui avaient été formulées contre le traitement suggestif : La loi de l'effort converti nous montre que dans bien des cas - toutes les fois qu'il s'agit de lutter contre une autosuggestion spontanée antérieure - la lutte consciente est une erreur. L'appel aux forces de la conscience claire, raison et volonté, est insuffisant et va même à l'encontre de son but; et il est nécessaire de faire appel au subconscient que les partisans de la «persuasion» voulaient éliminer. Mais d'autre part la loi de finalité nous garantit que le subconscient ne présente pas les dangers que ces auteurs lui attribuent : ils voulaient l'éliminer parce qu'ils l'identifiaient à l'automatisme. Or la finalité est l'opposé même de l'automatisme : Le subconscient n'est pas un manœuvre routinier, qui accomplirait sans raison des gestes machinaux; il est un ouvrier intelligent, un maçon qui travaille à réaliser le plan que l'architecte - le conscient - lui a proposé. La même loi de finalité répond à l'objection des psychanalystes. S'il était nécessaire, pour faire disparaître des symptômes par suggestion, de s'adresser impérativement à chacun d'eux, on pourrait en effet créer des refoulements, «rentrer» un symptôme pour qu'il ressortît ailleurs sous une autre forme. Mais au lieu de cette suggestion négative et spécialisée, ordonnant à chaque symptôme de ne plus être, nous pouvons formuler de préférence une suggestion positive et générale, qui n'entre pas dans le détail (pour qui, en tout cas, le détail est secondaire) et qui évoque, appelle la santé, plutôt que de chasser la maladie. En vertu de la loi de finalité, une telle suggestion est possible : Elle pose la fin à atteindre, et le subconscient trouve les moyens. Ainsi on peut se borner à orienter ce travail de guérison spontanée que les psychanalystes eux aussi ont reconnu dans le subconscient. Les deux méthodes, loin de s'opposer l'une à l'autre, peuvent efficacement collaborer. Et ce que le raisonnement nous laisse ainsi prévoir, l'expérience le vérifie.

IV. - Une des conclusions remarquables de la nouvelle École de Nancy, ainsi que de praticiens contemporains et indépendants, comme le Dr Bonjour de Lausanne, c'est que la suggestion agit même dans des cas organiques, et non pas seulement, comme on l'enseigne encore couramment, dans les cas nerveux et fonctionnels. La guérison des verrues par suggestion est chose assez anodine par elle-même, mais grosse de conséquences, parce qu'elle démontre la possibilité de cette action dans des cas organiques. Une telle guérison est du reste explicable sans qu'il faille faire appel à des lois autres que les lois connues; elle s'explique aussi simplement que l'arrêt d'une hémorragie par suggestion : Les nerfs vasomoteurs, sous l'influence du cerveau, contractent les capillaires et coupent la circulation : que cette action, bien connue, s'exerce d'une façon suffisamment durable, et un blocus s'établit : les cellules parasites dépérissent et se dessèchent; la verrue tombe. Du reste, dans des cas beaucoup plus graves, la suggestion, ou mieux l'autosuggestion dirigée par un praticien, a fait ses preuves : Dans la cicatrisation des plaies, dans le traitement de la tuberculose, les résultats sont des plus concluants. Il y a plus, et l'on peut soutenir que dans tous les cas dont le malade est conscient, la suggestion est susceptible d'agir comme auxiliaire. Supposons en effet un cas organique qui serait par nature absolument rebelle à ce traitement. La pensée de ce mal étant présente dans l'esprit du sujet - pensée plus ou moins obsédante surtout s'il y a douleur, cette pensée déterminera une suggestion, comme toute pensée obsédante, et ajoutera au mal primitif un mal suggéré. De sorte que pratiquement, tout cas concret se compose d'un élément primitif et d'un élément autosuggéré. Or si le premier est, par hypothèse, rebelle au traitement suggestif, le second, par contre, doit céder à ce traitement. De sorte qu'une amélioration doit toujours s'ensuivre, et que la suggestion peut être appliquée, au moins comme adjuvant, dans tous les cas possibles.

On le voit : l'école de Nancy actuelle prétend étendre fort loin le domaine de la suggestion. Cela est moins révolutionnaire, moins paradoxal, qu'il ne semble, si l'on songe que la méthode préconisée est avant tout à base d'autosuggestion, que le malade doit se formuler lui-même, matin et soir. De tout temps, on a reconnu le rôle de ce qu'on appelle «le moral» dans toute espèce de guérisons. L'autosuggestion, c'est l'action du «moral». Mais alors, après avoir eu l'impression d'un paradoxe, on va peut-être avoir celle d'une banalité : Ce serait aussi faux. L'autosuggestion, c'est l'action du moral, mais devenue rigoureuse et méthodique, agissant selon des lois fixes, et grâce à une éducation régulière (Charles Baudouin, Suggestion et autosuggestion: essai psychologique d'après les résultats de la Nouvelle Ecole de Nancy, 1922 - books.google.fr).

Marcel Proust a eu des entretiens, après la mort de sa mère, avec Jules Dejenire à qui il dédicace un exemplaire de Sésame et les lys, traduit de Ruskin. Dejenire est né à Genève en 1847 et mort en 1917. Paul Dubois, neurologue de Berne, est un de ses disciple. Il a été ridiculisé par Proust dans Le Côté de Guermantes, pour sa pratique visant à persuader le malade que sa maladie n'existe pas, et pour préconiser l'isolement strict du névropathe comme son maître (Luc Fraisse, Le langage des dédicaces : trois inédits de Proust, Annual bilingual review of the Dutch Marcel Proust Society, 2009 - books.google.fr).

Licorne et Vierge

C’est à partir du XIIe siècle que la licorne revêt un sens positif : l’image de la jeune fille accueillant la licorne dans son sein devient alors le symbole de l’Incarnation du Christ, et l’on retrouve la scène sur des chapiteaux d’église et des vitraux. La mise à mort de la licorne, dont le flanc est percé par la flèche (ou la lance) du chasseur, devient ensuite le symbole de la passion du Christ, qui a été percé au côté lorsqu’il était sur la Croix.

Dans son Bestiaire, Pierre de Beauvais rapproche le Christ et la licorne : «Notre Seigneur Jésus-Christ, licorne céleste, descendit dans le sein de la Vierge, et à cause de cette chair qu’il avait revêtue pour nous, il fut pris par les juifs et conduit devant Pilate, présenté à Hérode puis crucifié sur la sainte Croix, lui qui, auparavant, se trouvait auprès de son Père, invisible à nos yeux; voilà pourquoi il dit lui-même dans les psaumes : Ma corne sera élevée comme celle de l’unicorne» (Spritz92, La Bible mentionne-t-elle vraiment l’existence des licornes ?, 21 mai 2017 - www.etaletaculture.fr).

«Le Seigneur se manifestant dans ses propres ouvrages, dit saint Irénée, et se soumettant aux conditions d'une nature qui lui est soumise, a voulu acquitter par le moyen d'un arbre le prix d'une désobéissance dont un arbre avait été le moyen. Les filets dans lesquels l'ange du mensonge avait perfidement enveloppé la vierge Ève non encore soumise à l'autorité de l'homme, ont été brisés par la simplicité avec laquelle la vierge Marie, déjà soumise à l'autorité de l'homme, a accepté la bonne parole d'un ange de vérité. En effet, de même que celle-là, séduite par la parole d'un ange avait rejeté Dieu en répudiant ses ordres, de même celle-ci, à la parole d'un ange, a recueilli Dieu en réacceptant sa volonté. Et si l'une s'est enfuie loin de Dieu par le charme de la séduction, l'autre est revenue à Dieu par l'attrait de la persuasion. Et de la sorte, la vierge Marie est devenue l'intermédiaire du pardon pour la vierge Ève; et si le genre humain a été condamné à la mort par la faute d'une vierge, la vie lui a été rendue par une vierge : admirable équivalent d'une obéissance virginale pour la désobéissance commise en la virginité. Quoi de plus ? le péché de l'auteur de la race humaine a été détruit par le prototype de l'humanité, et la perfidie d'un serpent déjouée par la simplicité d'une colombe; ainsi ont été brisés les liens entre l'homme et la mort.» (Iren. hæres. V, 19) (Abbé Lecanu, L'histoire de la Sainte Vierge, 188 - books.google.fr).

La persuasion est un état que déterminent des causes dont je n'ai pas nécessairement conscience, état où je me trouve en raison de la puissance de ces causes sur ma nature particulière. Persuader, c'est manœuvrer de façon telle que l'autre pense ce qu'on veut qu'il pense. La norme n'est plus la vérité, mais l'efficacité. La persuasion ne requiert que la vraisemblance. Le discours persuasif vaut autant qu'il parvient à déterminer l'assentiment. Alors que preuve et démonstration valent par elles-mêmes et peuvent, même valides, ne pas convaincre, voire susciter mépris et ridicule. Dans la conviction, la vérité s'impose; dans la persuasion, l'assentiment m'est imposé par la puissance rhétorique de l'interlocuteur ou de l'orateur. [...] La persuasion est stratégie et tactique. Sa technique est l'art rhétorique, analysé et critiqué par Platon dans le Gorgias. Son modèle est aujourd'hui l'action publicitaire (Patrick Dupouey, Culture Générale - Choisir le juste mot - 2e édition, 2019 - books.google.fr, nonagones.info - La Croix d’Huriel et Léonard de Vinci - A quatre mains).

La licorne est un grand cheval pourvu sur le front d'une corne de narval et, plus encore que de l'existence du griffon et du dragon, nos pères étaient persuadés de la sienne. D'un naturel fougueux et d'une force qui la rendait indomptable elle cédait cependant à l'ascendant de la pureté; les anciens auteurs l'ont donc toujours considérée comme le symbole de la chasteté. Cet animal fantastique est très employé en blason et de nombreuses familles en ont fait leurs supports, citons les Bernard de Pélagey en Franche-Comté, Achard de Vacognes en Normandie, Lepelletier de Saint-Fargeau en Ile-de-France, Stolypine en Russie et enfin les Marnix de Sainte-Aldegonde qui les portent d'argent, barbées, crinées et onglées d'or, la corne burelée d'or et de gueules (Henri de la Perrière, Tenants, supports et soutiens, Rivista, Tome 8, Collegio araldico - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde).

Le siège d'Anvers et Louis XIV : un peu d'Histoire

En juillet 1581, les États généraux des provinces et villes de l'union d'Utrecht proclament la déchéance de Philippe II de ses droits sur les Pays-Bas (acte de La Haye), premier pas vers la création des Provinces-Unies. En 1583, alors que les troupes du gouverneur général Alexandre Farnèse progressent vers le nord en reprenant les villes insurgées de Flandre et de Brabant (notamment Gand, Bruxelles, Malines), la perspective d'un siège d'Anvers devient très vraisemblable. En novembre 1583, Guillaume d'Orange fait nommer Philippe de Marnix bourgmestre extérieur d'Anvers, c'est-à-dire chef du conseil échevinal, afin de préparer la défense de la ville. Le siège débute effectivement le 3 juillet 1584. Marnix dirige la ville pendant les treize mois du siège qui se termine le 17 août 1585 par la reddition de la ville, menacée de famine (fr.wikipedia.org - Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde).

Marnix employa tous ses efforts à persuader aux Anversois que la capitulation était devenue une nécessité devant laquelle il n'était plus possible de reculer. [...] Une foule innombrable sur la Grand'Place et dans rues avoisinantes criait : «La paix ! la paix !» L'attitude de la population ne marquait que la confiance et l'espoir; mais chacun sentait que si la paix n'était pas conclue sur l'heure, ces sentiments allaient se changer en une violente et terrible colère. Les articles communiqués par Marnix furent adoptés à l'unanimité (Eugène Gens, Histoire de la ville d'Anvers, 1861 - books.google.fr).

La nouvelle de la reddition de la ville qui avait constitué le centre de la révolution et le cœur de la résistance excita dans les Provinces-Unies une émotion profonde. Le roi était désormais en possession de la dernière citadelle du protestantisme dans les provinces méridionales, et la Hollande et la Zélande se trouvaient ainsi exposées directement aux attaques de l'Espagne. On rejeta la responsabilité de ce grand désastre sur Marnix de Sainte-Aldegonde; il avait capitulé, prétendait-on, avant qu'il eût été forcé de le faire et alors qu'il savait que des secours allaient lui arriver prochainement. On disait qu'il s'était laissé corrompre par Alexandre Farnèse et qu'il avait trahi la ville dont la défense lui était confiée (Biographie nationale, Tome 13, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, 1895 - books.google.fr).

Le chevalier de Hadoque est du côté du roi de France Louis XIV, plutôt porté vers la force avec la Révocation de l'Edit de Nantes en 1685 et les dragonnades qui s'ensuivent, un an après l'octroi du château de Moulinsart, et 13 ans avant le combat de 1698 contre le pirate Rackham le Rouge.

Des territoires qu'il avait envahis et conquis dans les Pays-Bas durant la guerre de Hollande, Louis XIV avait restitué, au traité de Nimègue, Gand et les châtellenies de la Flandre orientale, y compris Courtrai, ainsi qu'Audenarde, Ath, Binche et Charleroi, qu'il avait obtenus par le traité d'Aix-la-Chapelle. Mais ce ne fut pas pour longtemps. On connaît les artifices juridiques dont les chambres de réunion, créées par Louis XIV, furent les instruments. Le résultat en fut l'invasion et l'occupation des châtellenies du Vieuxbourg de Gand et d'Alost, des villes de Grammont, Ninove et Renaix, du pays de Beveren (Waes), des métiers d'Assenede et de Bouchoute et finalement d'une partie considérable des provinces de Luxembourg et de Namur. Nos gouverneurs généraux Alexandre Farnèse, prince de Parme, deuxième du nom (1679-1680) et le marquis dal Carretto, Savona et Graña (1680-1685) essayèrent de résister. Mais une campagne foudroyante, organisée par Louvois, et au cours de laquelle la Flandre et le Brabant furent cruellement éprouvés, obligea l'Espagne à signer, le 15 août 1684, la trêve de Ratisbonne. Aux termes de celle-ci le roi de France conserverait pendant vingt ans Luxembourg, Beaumont, Bouvignes et Chimay avec leurs dépendances. Dans l'entretemps l'incapable marquis de Graña fut remplacé, au gouvernement général des Pays-Bas, par le néfaste marquis de Castañaga qui dirigea nos destinées avec la plus insigne maladresse jusqu'en 1690 (H. van Houtte, Les occupations étrangères en Belgique sous l'ancien régime, Tome 1, 1930 - books.google.fr).

Le sud de la Wallonie et le Luxembourg ont ainsi été rattachés à la France en 1684 dans le cadre de la guerre des Réunions opposant la France aux Provinces-Unies. Par ailleurs, la ville de Mons a été intégrée à la France de 1691 à 1697 et celle de Namur de 1692 à 1695 (fr.wikipedia.org - Rattachisme).

Le chevalier François de Hadoque a pu donc être seigneur engagiste, d'autant que la date du 15 juillet 1684 trouve un écho dans ce domaine. La Futaie faisant partie du fond du bois, & conséquemment du domaine, elle n'entre jamais dans la jouissance des engagistes, concessionnaires ou donataires, douairiers ni usufruitiers (articles 5 & 6 du titre 22 de l'ordonnance de 1669). Ces dispositions de l'ordonnance ont été confirmées par plusieurs arrêts du conseil. Par le premier, du 15 juillet 1684, il a été défendu aux engagistes, donataires, douairiers & usufruitiers des domaines de Flandres, Hainaut, Artois, & pays d'entre la Sambre & la Meuse, de disposer des arbres compris dans les articles que nous venons de rapporter.

Dans l'Ancien Régime français les domaines engagés étaient des parties du domaine royal que le souverain avait attribué par acte d'engagement à un tiers. Ce pouvait être des personnes physiques (un seigneur ou un paysan), une personne morale (communauté ecclésiastique etc.) qui bénéficiaient ainsi de la possession du bien : terre, forêt, droit d'eau, etc. Les engagements étaient faits à titre gratuit ou onéreux (rente). Ils ne pouvaient être que temporaires mais certains étaient perpétuels sauf révocation toujours possible au moyen d'un édit. La révocation donnait lieu au remboursement des frais que les détenteurs (les engagistes) justifiaient avoir exposés. (nonagones.info - Tintin - Transversales - Arcadie Claret).

Peithô

Aphrodite intervient: secondée de Peitho (la persuasion) et d'Éros, lorsqu'elle préside à l'enlèvement d'Hélène ou prête à recueillir Hélène dans ses bras lorsqu'elle la protège de la colère de Ménélas, armé de pied en cap (Christiane Bron, Hélène sur les vases attiques : esclave ou double d’Aphrodite, Kernos, 1996).

M. Ziehen incline à reconnaître dans le bas-relief d'Aquincum une scène de l'Ilioupersis: Ménélas, rençontrant Hélène pendant le sac de Troie, s'arrête, séduit par ses charmes, et remet dans son fourreau le glaive dont il s'apprêtait à la frapper. Les monuments, tant grecs que romains, ont bien des fois reproduit cet épisode, qui symbolise, comme le désarmement de Mars par Vénus, le triomphe de la beauté sur la force brutale. Ainsi s'explique la présence d'Éros; ailleurs, on trouve Aphrodite ou Peitho, Athéna ou Apollon. En général, surtout sur les vases, la scène de la rencontre des époux est tumultueuse; c'est au moment où il va tuer Hélène que Ménélas s'arrête. Ici, la fureur du guerrier est déjà calmée; elle a fait place à l'admiration et l'on devine que l'amour renaissant aura bientôt triomphé de toutes les rancunes. C'est la version qu'avaient suivie Ibycus et Leschès de Pyrrha, celle dont Aristophane et Euripide nous ont conservé le souvenir. La scène n'est pas héroïque, comme sur les vases peints, mais sensuelle et déjà presque érotique. C'est ce qu'indiquent nettement ces vers d'Aristophane dans Lysistrata : «Quand il vit la rondeur des seins d'Hélène nue, Ménélas, je crois, jeta son épée.» Dans Euripide (Andromaque, v. 628), Pélée reproche à Ménélas de n'avoir pas tué son épouse infidèle, mais d'avoir jeté son glaive à l'aspect du sein d'Hélène pour tomber dans ses bras, vaincu par l'amour. Une peinture d'un vase à figures rouges, trouvé à Vulci, où les personnages sont désignés parleurs noms, montre Ménélas courant vers Hélène, qui s'est réfugiée auprès de l'idole d'Athéna ou Palladion; entre les deux personnages se tient Aphrodite, dans une attitude à la fois gracieuse et sévère. L'épée de Ménélas vient de tomber; Éros, planant entre lui et la déesse, apporte une bandelette, tandis que Peitho, de l'autre côté de la composition, tient un rameau de la main gauche levée (René Marie de La Blanchère, Collections du Musée Alaoui, Tome 1, 1890 - books.google.fr).

Le vase de Vulci (Viterbe, Latium), attribué au peintre d'Altamura, a été acheté par British Museum de Lucien Bonaparte prince de Canino et Musignano en 1837

Vase de Vulci - www.britishmuseum.org.

Dans le tableau de Moulinsart, l'épée est tenue en main, dressée.

Johann Heinrich Wilhelm Tischbein, Helena und Menelaos, 1816

Johann Heinrich Wilhelm Tischbein, alias Goethe-Tischbein, est un peintre allemand né le 15 février 1751 à Haina et mort le 26 février 1829 à Eutin. Il doit son surnom de Goethe-Tischbein à son célébrissime tableau de l'écrivain Goethe peint à Rome en 1787, Goethe dans la campagne romaine (fr.wikipedia.org - Johann Heinrich Wilhelm Tischbein).

Tischbein en allemand signifie "pied de table". Comme l'album se passe souvent en intérieur, on voit quelques tables dont celle avec laquelle le capitaine fait des acrobaties en relatant les aventures de son ancêtre à Tintin. Ou bien la table noire à tores (Louis XIII, hollandaise, portugaise, XVIIe ?) du "à qui a-t-il (Tintin) donné un coup de téléphone - A moi, répond Nestor".

«Rien n'est plus coulant ni plus harmonieux, dit Rollin, que l'endroit où le poëte décrit la douce et insinuante éloquence de Nestor.» Fénelon imite Homère quand il dit de ce même Nestor: «La douce persuasion coulait de ses lèvres comme un ruisseau de miel.» Selon Suidas, Nestor avait donc plus de soixante ans à l'époque du siège de Troie. Il vécut quatre-vingt-dix ans, si l'on s'en rapporte à ce distique : «L'éloquent Nestor, fils de Nélée, h?ros aux cheveux blancs, qui vécut trois générations, a son tombeau dans la divine Pylos» (Emile Pessonneaux, Iliade d'Homère, 1865 - books.google.fr).

Dans les discours de Gorgias et d'Isocrate, la beauté s'éprouve dans toute sa puissance et son pouvoir de persuasion. Chez Isocrate en particulier, Hélène est l'archétype du «beau», métaphore d'une beauté qui symbolise l'art oratoire. Le pouvoir de la beauté d'Hélène en vient à se confondre avec le pouvoir du langage (Enrica Bastianini, Variations sur le pouvoir de la beauté d’Hélène, d’Homère aux sophistes, 2019 - www.academia.edu).

Au fil du temps les Anciens, on le voit, se sont appliqués à distinguer avec précision trois styles d’éloquence, représentés par trois héros homériques auxquels s’atachent des caractéristiques et des images bien diférenciées : à Ménélas la parole musicale, déliée et sélective, à Ulysse l’abondance compacte et sublime des focons de neige, à Nestor la voix persuasive qui coule douce comme le miel (Sylvie Perceau, Autour de la tradition du style sublime d’Ulysse : dénotation, connotations, cliché, ou la fortune d’une comparaison homérique, Homère rhétorique, 2018 - books.google.fr).

L'imbécile, apte à parler, mais non à lire et à écrire, peut faire preuve d'activité sociale rudimentaire, mais il a besoin de trouver en autrui l'assistance que son dénûment intellectuel lui refuse (de in, privatif, et baculum, bâton; imbecillis, sans bâton, sans soutien) (Henri Roger, Nouveau traité de médecine, 1928 - books.google.fr).

C'est bien avec un bâton que Nestor, traité par deux fois d'imbécile par Maxime Loiseau (pages 47 - coup du téléphone - et 51 - Brutus), qu'il défend ses patrons, les contredisant.

Symbole de virginité provenant d'un très ancien culte d'une déesse-mère vierge, âprement convoitée et recherchée, elle est traquée lors de chasses précisément décrites par Jean Duvet dans une série de gravures. Sa fuite éperdue ne prenait fin que lorsqu'elle se réfugiait auprès d'une vierge, posant sa tête entre ses seins. La connotation phallique n'a pas échappé à l'artiste. L'association avec la virginité féminine est le fruit d'une ambiguïté qui n'est pas indifférente. Animal mythique, sujet de légendes fabuleuses, la licorne concentre dans sa corne des pouvoirs extraordinaires, assurant la guérison et préservant des empoisonnements, par ingestion ou attouchement. On porte également un morceau de corne en pendentif pour se protéger. Le mythe de la licorne s'est perpétué jusqu'au XVIIe (Jean-Hubert Martin, Jean Guillaume, Frédéric Didier, Le château d'Oiron et son cabinet de curiosités, 2000 - books.google.fr).

Le rapport d'Hélène (d'une Hélène) avec la licorne peut passer par la tapisserie de Cluny.

Au XIVème siècle, le roman de la dame à la licorne et du biau chevalier au lyon contient une allusion à la beauté d'Hélène (Henriette Bonnéric, La famille des Atrides dans la littérature française, 1986 - books.google.fr).

Chez Homère, Hélène fait preuve d'habileté dans l'art du tissage des vêtements colorés et variés. Cette habileté du tissage comprend en même temps l'art de créer une enveloppe qui cache ou qui recouvre, un art des apparences ; elle est donc une habileté trompeuse, une metis. En conséquence, l'héroïne homérique est créatrice de mimesis, de réalité imaginée et cachée dans les plis du tissu aussi qui essaie lui-même de reproduire la texture du monde extérieur et objectif, en continuant d'en être essentiellement une copie (Claudiu Sfirschi-Laudat, Hélène entre ombre et vérité) (nonagones.info - Voyage dans le temps - La Dame à la Licorne - Hélène(s) ou le retour de Zizim).

D'autant qu'une tapisserie représentant Hélène se trouve au château de Cheverny, modèle de celui de Moulinsart.

L'enlèvement d'Hélène, Château de Cheverny, XVIIe siècle

L’enlèvement d’Hélène fut un des thèmes mythologiques le plus souvent traité. Les premières illustrations datent de la période grecque sous forme de bas-reliefs ou de peintures sur vases. Il faut attendre le 15e siècle puis le début du 16e siècle pour voir réapparaître ce thème dans les œuvres d’artistes italiens; Raphaël inspira les graveurs Marcantonio Raimondi et son élève : Marco Dente de Ravenna (1493-1527). Ces gravures populaires qui illustrent la version d’un enlèvement accompagné de violents combats, ont directement inspiré Francesco Xanto Avelli (vers 1487-1542) pour la décoration de ses plats. Quelques années plus tard, on trouve un plat attribué à Monte Carelli et dont l’inspiration est identique à celle des plats précédents.

Cette interprétation de l’enlèvement d’Hélène a fait école et a certainement été véhiculée par les gravures et les nombreux artistes de la fin de la Renaissance et du début du baroque italien qui ont séjourné en Italie comme Maerten van Heemskerck (1498-1574, actif à Rome en 1532-1536). La plus belle illustration en est la tapisserie des Gobelins du château de Cheverny qui, au 17e siècle, reprend intégralement le motif de Raphaël; l’auteur des cartons reste toutefois controversé : on a longtemps pensé que Frans II Francken les avait réalisés en 1621 (Francken a peint, en effet, une toile datée de 1625 exposée au musée de Tours, d’une composition générale assez semblable mais pas totalement identique). D’autres pensent que ces cartons furent plutôt réalisés pour les Gobelins, sous la direction de Le Brun, par Verdier en 1686-87 (Yannick Ribrioux, PROPOSITIONS POUR L’IDENTIFICATION DU THEME de la peinture murale du manteau de cheminée de la «salle nord» du château de Mareuil-sur-Cher (Loir-et-Cher) – 17e siècle, 2004 - histoiremareuil41.free.fr).

Le tableau de Cheverny

Le tableau du salon de Moulinsart, page 45 du Secret de la Licorne

Jean Mosnier : Persée pétrifiant ses rivaux avec la tête de Méduse - www.fotocommunity.fr)

A Cheverny, la cheminée de la chambre du Roi est décorée d'une peinture de Jean Mosnier : Persée pétrifiant ses rivaux avec la tête de Méduse (Bernard de Montgolfier, Châteaux en pays de France, 1971 - books.google.fr).

Antonio Canova (1757-1822), Persée triomphant, 1800 - Musée du Vatican - www.museivaticani.va)

La composition de cette peinture correspond en partie au tableau de l'album : inspiration antique; personnage assis à gauche; un debout à droite. Mais la tête de Méduse, le geste de défense du personnage de gauche assis n'apparaissent pas à Moulinsart où le personnage de droite tient une épée droite, inexistante à Cheverny.

La harpé lui aurait été donnée, selon quelques auteurs (Apollodor., 1. c., Ovid., Metam., V, 176; Lucan., Pharsal., IX, 662), par Hermès, d'après Eschyle (Ap. Eratosthen. Catasterism., c. 22) par Vulcain. La harpé peut être dentelée comme une scie, avoir une extrémité droite et une extrémité recourbée; cette forme paraît être d'origine asiatique (Achilles Tatius, d'Alexandrie, nous donne une description très-détaillée de cette forme de la harpé, laquelle avait été adoptée pour les médailles de sa ville natale).

Hésiode (Scut. Herc., 221.), l'auteur le plus ancien que nous sachions, qui parle de l'expédition du héros argien contre les Gorgones, ne la nomme pas, et nousen trouvons la première mention chez Phérécyde. Quoi qu'il en soit, beaucoup de monuments figurés nous montrent une épée ordinaire aux mains du fils de Danaë, et il y a lieu de croire que c'est aussi la forme que devait adopter la tradition suivant laquelle le nom de Mycènes viendrait du fourreau de l'épée de Persée, tombé dans le lieu où s'élève cette ville (Joseph Emmanuel Ghislain Roulez, Persée recevant la harpé de Minerve: peinture de vase, 1844 - books.google.fr).

Sans connaître le savoir d'Hergé sur Cheverny et comment il l'a acquis, on trouve des cartes postales avec la photo de la chambre du roi et du tableau de la cheminée. On ne pense pas à une méprise sur le sujet représenté. Il aurait été remplacé par un autre. Le tableau à travers l'album est juste esquissés. Faut-il y attacher de l'importance ? Ce serait une approximation du Persée, même si les personnages sont bien déterminés et dans des attitudes précises : un assis, un autre debout brandissant une épée droite au premier plan, et le troisième courant en arrière-plan.

Carte postale de la chambre du roi de Cheverny - www.geneanet.org

MENELAS, ou MÉNÉLAUS, frère d'Agamemnon, et fils d'Atrée, roi de Mycènes, selon l'opinion commune. Ce prince épousa la fameuse Hélène, fille de Tyndare roi de Sparte, et succéda au royaume de son beau-père. Quelque temps après, le beau Paris arriva à Sparte, pendant l'absence de Ménélas que les affaires de ses frères avaient attiré à Mycènes; s'étant fait aimer d'Hélène, il l'enleva, et causa par-là la guerre de Troie (François Noel, Dictionnaire de la fable, Tome 1, 1803 - books.google.fr).

C'est Persée qui fonda Mycènes.

Selon la mythologie grecque, Mycènes est fondée par Persée à la suite de l'homicide accidentel d'Acrisios, roi d'Argos. Alors que cette dernière lui revient légitimement, Persée préfère céder cette royauté à Mégapenthès, neveu du défunt, et part fonder une nouvelle ville, qu'il baptise «Mycènes» soit en allusion au pommeau de son épée, soit en allusion au champignon qu'il trouve sur place (fr.wikipedia.org - Mycènes).

Epée que l'on retrouve à Moulinsart.

Le Ménexène de Platon rabat la sophistique sur la sorcellerie en recourant au verbe «enchanter» pour qualifier, avec une ironie certaine, la puissance des orateurs qui «enchantent nos âmes.» Cette puissance de la rhétorique s'affirme dès son avènement avec Gorgias, cette Gorgone de la persuasion selon Platon. Dans Le Banquet, le pouvoir du sophiste se confond avec celui de Méduse dans l'exclamation d'un Socrate s'amusant des sonorités parentes Gorgias-Gorgô : «je craignais qu'à la fin, au milieu de son dire, Agathon ne jetât contre mon discours la tête de Gorgias, le terrible diseur, par quoi il m'eût rendu muet comme une pierre» (198c).

L'image est produite par l'efficacité de la parole, et l'insistance sur l'optique dans L'Éloge d'Hélène vise fondamentalement à montrer que le discours persuasif est supérieur à toute perception oculaire : l'orateur, c'est celui qui provoque des affects comme ceux qu'induisait une vision, mais qui est plus puissant que tout peintre puisqu'il le fait sans recourir à la vision.

Avec Gorgias, en effet, le discours se trouve pensé dans ses rapports avec la perception visuelle. Gorgias, dans l'Eloge d'Hélène, use du phénomène de l'opsis comme d'un faire valoir de l'éclat supérieur qu'est celui du logos. La force des affectations vécues dans l'expérience de l'opsis, liée au corps, est, en effet, supplantée dans le texte de Gorgias par une expérience qui n'est pas dépendante d'un corps mais de ce expérience qui n'est pas dépendante d'un corps mais de ce qu'il désigne comme «corps minuscule», à savoir le discours.

L'enargeia, cette évidence des yeux, est une puissance du bien parler (Marion Delecroix, Loreline Dourneau, Rhétorique et image, Le temps d’une décapitation: Imaginaire d’un instant imperceptible. Peinture Littérature Corps et âmes, 2021 - books.google.fr).

Pour accéder à Méduse, Persée doit ruser, manipuler les trois Grées, faire preuve de persuasion, et franchir ainsi des obstacles. Après avoir tué Méduse, il tombe amoureux d'Andromède et négocie adroitement le mariage avec le père de celle-ci (Axel De Queylar, Choisir pour réussir: La psychanalyse adaptée aux problématiques professionnelles, 2017 - books.google.fr).

Borée et le Soleil contestaient de leur force. Ils décidèrent d’attribuer la palme à celui d’entre eux qui dépouillerait un voyageur de ses vêtements. Borée commença; il souffla avec violence. Comme l’homme serrait sur lui son vêtement, il l’assaillit avec plus de force. Mais l’homme incommodé encore davantage par le froid, prit un vêtement de plus, si bien que, rebuté, Borée le livra au Soleil. Celui-ci tout d’abord luisit modérément; puis, l’homme ayant ôté son vêtement supplémentaire, le Soleil darda des rayons plus ardents, jusqu’à ce que l’homme, ne pouvant plus résister à la chaleur, ôta ses habits et s’en alla prendre un bain dans la rivière voisine. Cette fable montre que souvent la persuasion est plus efficace que la violence (Fables d’Ésope, traduit par d’Émile Chambry, 1927 - fr.wikisource.org).

Bélier et agneaux

Agneaux (dans la bouche du chevalier de Hadoque au sujet des pirates, page 23) et le bélier (pages 38-41) fabriqué par Tintin pour abattre la cloison de briques qui le sépare du bric-à-brac.

Hermès sauve un frère et une soeur, Phryxus et Hellé, de leur belle-mère Ino, en les transportant en Colchide par les airs sur un bélier à toison d'or (L. Koch, Les auteurs allemands : Niebuhr, 1874 - books.google.fr).

A Tanagra en Béotie, Hermès était honoré sous le titre de Criophore (porte-bélier). On prétendait que le dieu avait fait cesser la peste qui affligeait le pays en portant un bélier autour des murs de la ville (Jean Joseph Antoine Marie de Witte, Médailles inédites de Postume, 1845 - books.google.fr).

L'unique témoignage pour Rhodes du culte de Peithô nous la montre associée à Hermès. L'association de la déesse de la persuasion avec le dieu de l'éloquence est déjà connue par d'autres exemples où Peithô, en tant que personnification de la persuasion érotique, est très étroitement liée avec Aphrodite. Dans notre cas, il s'agit d'un autre aspect de leur culte. La dédicace à ces deux divinités émane de différents magistrats chargés des cérémonies religieuses et de l'administration des sanctuaires (Vassa Kontorini, Inscriptions inédites relatives à l'histoire et aux cultes de Rhodes au IIe et Ier s. av. J.-C., 1983 - books.google.fr).

Peithô est connue par une dizaine d'inscriptions, elle est associée à Hermès à Olynthe (Macédoine), Thasos. [...] L'épigraphie confirme qu'au moins à partir du Ve siècle avant notre ère, Peitho recevait un culte et que, même si son association avec Aphrodite est largement attestée, elle était bien honorée comme divinité à part entière. Hermès est l'autre dieu qui l'accompagne. La dévotion des magistrats envers Aphrodite et Hermès est un fait trop connu pour qu'il soit nécessaire d'insister ici; que Peitho se retrouve dans un tel contexte met bien en évidence les nécessités de la concorde et de l'éloquence persuasive qui interviennent dans la charge des magistrats, notamment celle des astynomes, souvent arbitres entre marchands et clients, ouvriers et employeurs (Vinciane Pirenne-Delforge, Le culte de la persuasion. Peithô en Grèce ancienne. In: Revue de l'histoire des religions, tome 208, n°4, 1991 - www.persee.fr).