Partie IX - Synthèse   Chapitre LXVI - La Rose kabbalistique   Le Bastit   

Le Bastit

Il semble que ce soit un peu après, vers 1140, que la première implantation templière ait eu lieu dans le bas Quercy, à Vaour. Les autres commanderies ne naquirent qu’au cours de la deuxième moitié du XIIe siècle et au début du XIIIe. La première de ce deuxième groupe fut Montricoux en 1181. Puis ce fut le tour de Cahors en 1196, du Bastit presque à la même période, de La Capelle-Livron et de Figeac (commanderiedestempliers.com - Templiers dans le Quercy).

Le Bastit appartenait donc aux Templiers ; ils y avaient un château qui existe encore et où furent arrêtés, sous le règne de Philippe le Bel, par l'ordre de l'évêque de Cahors, les chevaliers qui l'occupaient. Le Bastit devint ensuite une commanderie de l'ordre de Malte. On y a découvert des poteries romaines, des tuiles sur lesquelles est gravé le nom de Florus, des médailles de Jules-César, de Marc-Antoine, d'Auguste, et des fragments de mosaïque. Au temps de l'abbé de Fouilhac, on voyait au Bastit des ruines de structure romaine.

La commanderie du Bastit était constituée du château plusieurs fois restauré, de l'église Saint-Blaise, de deux jardins et d'un verger (le tout entouré de murs de pierres sèches), de l'hôpital Saint-Jean-Baptiste.

Les services éminents que l'ordre du Temple rendait à la chrétienté, justifiaient les libéralités des princes et des seigneurs, et les privilèges que lui accordèrent les papes et les rois. Les Templiers ne relevaient que du pape, et ne devaient rendre compte qu'à leurs chefs, ils pouvaient être témoins en leurs propres causes, ne payaient aucun droit, tribut et péage, et leurs maisons avaient droit d'asile.

Vaour a alors comme dépendance Montricoux (1181), Cahors, Le Bastit, La Capelle-Livron, La ville Dieu et le village de Labastide du Temple.

La Commanderie du Bastit comprenait les possessions suivantes, appelées 'membres' selon le vocable des ordres de chevalerie: Le Bastit, la Pomarède, Assier, Martel, Miers, Taillefer... (www.templiers.net - Commanderie de Vaour, www.montvalent.com - Templiers de Montvalent).

Pape quercynois

Jacques Duèze, né en 1244 à Cahors, mort en 1334 à Avignon, issu d'une famille de la bourgeoisie aisée de Cahors, devient pape en 1316, sous le nom de Jean XXII.

Puis, entre 1317 et 1318, ce fut une énorme mutation que fit subir le pape à la majorité des diocèses du sud de la France. Celui de Toulouse, fut amputé des diocèses de Saint-Papoul, le 22 février 1317, de Lombez, le 11 juillet 1317, et de Lavaur, le 26 septembre 1317. Pour faire passer sa réforme, Jean XXII jugea politique d'élever l’évêché toulousain au statut d’archevêché le 26 mai 1317. L’archidiocèse de Narbonne, quant à lui, fut amputé des diocèses d’Alet, après la suppression de l’éphémère évêché de Limoux, et de Saint-Pons-de-Thomières, le 1er mars 1318.

Du diocèse de Clermont fut sorti celui de Saint-Flour, le 22 février 1318 ; du diocèse d’Albi, Castres, en 1317, et de celui d’Agen, Condom, en 1317. Le diocèse de Poitiers se vit retirer ceux de Luçon et de Maillezais, le 13 août 1317 ; celui de Cahors, Montauban, le 25 juin 1317 ; Pamiers, ceux de Rieux, le 11 juillet 1317, et de Mirepoix, le 27 septembre 1317. Du diocèse de Périgueux, ce fut Sarlat ; de celui de Limoges, Tulle, et de Rodez, Vabres, tous constitués en évêché le 13 août 1317.

En multipliant ainsi les évêchés, le second pape d’Avignon, en bon cadurcien, remettait le pouvoir spirituel à des prélats citadins, alliés naturels de la bourgeoisie marchande. Jean XXII n'oublia pas la ville des comtes-évêques de Cahors en y créant en 1332 une université afin de renforcer cette élite.

Il a promulgué la décrétale Spondent quas non exhibent (1317) contre les alchimistes.

Sur son lit de mort, Jean XXII doit rétracter les propositions énoncées lors de ses derniers sermons. Il mourut le 4 décembre 1334, à l'aube, à 90 ans, laissant la mémoire du plus grand pape d'Avignon. Il fut le 194ème pape (fr.wikipedia.org - Jean XXII).

Successeur de Clément V (qui prit une part active au démantèlement de l'Ordre du Temple sous le règne de Philippe Le Bel), Jean XXII aurait fait partie, officieusement, du premier groupe d'hommes qui fondirent les légendaires Frères Aînés de la Rose Croix (F.A.R.+C.). Roger Caro, dans son Legenda, montre avec force détails, comment Jean XXII aurait été initié au Grand Art par ce dernier groupe de Templiers, révélant son intérêt pour la "Chimie de Dieu". Dans les deux traités "L'Elixir des Philosophes" et "L'Art Transmutatoire", Jean XXII délivrerait ses connaissances très détaillées (www.quercy.net - Jacques Duèze).

Saint quercynois du 23 janvier (Acta SS Belgii, T. II p. 206)

Le nom de saint Trivier ne se lit dans aucun martyrologe, bien qu'il soit connu dans l'ancienne principauté de Dombes, où il existe même une ville de Saint-Trivier, à deux lieues environ des rives de la Saône. Une volonté de la Providence le dirigea vers ce pays, où sa vertu et ses exemples opérèrent un grand bien dans les âmes. Sa patrie n'est pas bien indiquée par les auteurs. A s'en tenir aux actes que le savant P. Chifflet a rapportés d'après un très-vieux manuscrit du prieuré de Saint-Trivier, on croirait-que ce saint reçut le jour d'une famille romaine de Cahors. Le Seigneur soutint saint Trivier dans toutes ces luttes, et bientôt il lui fut permis de se renfermer dans le monastère de Térouane. L'auteur de sa vie dit qu'il avait quarante ans lorsque cette faveur lui fut accordée, et que le monastère où il entra était situé dans un faubourg; ce qui peut facilement s'entendre de la campagne qui environnait cette ancienne capitale des Morins. Dans cette retraite, le fervent religieux apprit à mourir tout-à-fait au monde et fit de rapides progrès dans la science des saints. Son esprit de détachement, son humilité et sa prudence étaient tels qu'on le regardait comme le modèle de tous ses frères. La prière était son occupation favorite: souvent il restait la plus grande partie de la nuit en oraison et croyait ne s'y être appliqué que quelques instants, tant il goûtait de douceurs à s'entretenir avec Dieu. Il avait déjà passé plusieurs années dans cette heureuse solitude, lorsqu'il plut au Seigneur de l'en retirer.

Les Francs avaient fait prisonniers de guerre deux jeunes seigneurs qu'ils emmenèrent avec eux, et que l'abbé du monastère de Térouane trouva moyen de racheter pour les rendre à leur famille. On sait que dans les siècles d'invasion, ce trafic des esclaves était commun, et que les évêques, les abbés, et en général tous les prêtres se faisaient remarquer par leur empressement à délivrer ces malheureuses victimes. L'abbé avait besoin d'un homme qui eût le courage de traverser des provinces ravagées par la guerre, pour reconduire ces deux enfants dans leur famille. L'entreprise était périlleuse ; elle demandait une grande prudence et beaucoup de ménagements. Saint Trivier, chargé d'exécuter cette commission, sut conserver, au milieu des distractions d'un voyage long et pénible, la paix et la tranquillité de l'âme, et ne perdit rien de son esprit intérieur. Il ramena les deux jeunes seigneurs au pays de Dombes et les rendit à leurs parents. Qui pourrait dire la joie de ces familles en revoyant leurs enfants qu'ils croyaient morts ou perdus pour jamais! Quelle reconnaissance ne témoignèrent-ils pas à saint Trivier ! Leurs richesses furent mises à sa disposition; mais le saint refusa tout. Pressé de se fixer dans le pays de Dombes, il accepta une cellule et un petit jardin où il passa ses jours dans les plus grandes austérités, ne vivant que de légumes et de racines qu'il cultivait de ses propres mains. On eût dit un autre Antoine, reproduisant au milieu des Francs encore barbares les vertus que cet admirable anachorète avait pratiquées dans les déserts de la Thébaïde. Ce qui le retint dans cette nouvelle solitude fut la crainte d'être élevé à quelque dignité, s'il retournait dans son monastère. Souvent on le vit paître des troupeaux dont il se chargeait volontairement; d'autres fois on le rencontrait se rendant à quelque lieu de pèlerinage, ou bien, le dimanche, à quelque église pour y entendre la sainte messe et chanter les louanges de Dieu. Ce fut dans la pratique de ces vertus que le pieux solitaire remit son âme à Dieu. L'année de sa mort est incertaine; mais les auteurs s'accordent à reconnaître qu'elle arriva vers la fin du sixième siècle (Cyrille Jean Destombes, Les vies des saints et des personnes d'une éminente piété, des diocèses de Cambrai et d'Arras, 1868).

Dans la Dombe, dans le village du même nom, saint Trivier est fêté le 16 janvier.

La Morinie avait connu une situation excentrée dans l'espace politique et économique romain, ce que suggère la fortune de l'expression de Virgile sur les « extremi hominum Morini ». Néanmoins, la conquête de la Grande-Bretagne donna un rôle de premier plan au port de Gesoriacum/Bononia (Boulogne), ce qui entraîna une certaine activité dans la cité des Morins, singulièrement dans sa capitale, Thérouanne, lieu de passage obligé vers Boulogne pour quiconque empruntait la chaussée venant des prospères cités de Germanie. Mais le développement un peu artificiel de Boulogne fut sanctionné au IIIe siècle par la division de la Morinie en deux entités administratives, la cité de Boulogne et celle des Morins, dont Thérouanne restait la capitale tout en ressemblant davantage à une « bourgade rurale sans importance ».

L'activité marchande et militaire qui régnait le long des voies romaines a pu en toute logique favoriser le développement de petites communautés chrétiennes, mais il manque à ce sujet des sources explicites. La Vie carolingienne d'Orner, un texte qui sera ici abondamment utilisé, évoque la venue, à partir d'Amiens, de compagnons de saint Denis, les saints Fuscien et Victoric. Il faut cependant rattacher la biographie de ces martyrs au cycle littéraire, encore mal connu, dit « de Rictiovare », un préfet romain auquel sont attribués les meurtres de nombreux missionnaires du IIIe siècle. En revanche, le témoignage de missions répétées à partir de Rouen sous la direction de l'évêque Victrice (attesté entre 390 et 404) doit être davantage pris au sérieux, sans qu'il faille toutefois en exagérer la portée. C'est en effet dans une lettre datée de 398, que lui adresse Paulin, futur évêque de Noie en Campanie [que l’on retrouve à Saint-Ciers-sur-Gironde], qu'est évoquée l'entreprise de Victrice. Après s'être réjoui des « lumières nouvelles » que « le Seigneur a allumées dans les régions où autrefois il n'y avait que des ténèbres », Paulin évoque la Morinie :

« Nous avons vu la même chose dans la terre des Morins, qui est au bout du monde, battue des flots sauvages de l'Océan frémissant. Car ces peuples des nations éloignées vivaient dans de sombres cachettes, sur la voie sablonneuse de la mer, bien au-delà du Jourdain, avant que l'on eût civilisé les marches désertiques. Ils se réjouissent aujourd'hui que tu aies fait naître chez eux la lumière du Seigneur ; ils ont perdu l'âpreté du cœur en laissant entrer le Christ. Autrefois les Barbares ou les brigands indigènes occupaient le désert des forêts et des rivages ; aujourd'hui le chœur vénérable et angélique des saints célèbre la louange de Dieu dans les villes, dans les bourgades, les îles, dans les forêts où ils ont établi églises et monastères peuplés de nombreux fidèles ».

Il faut évidemment se méfier de la rhétorique enthousiaste qui est ici déployée. Néanmoins, il n'y a pas véritablement lieu de soupçonner le fond du récit, en alléguant notamment que les connaissances géographiques de Paulin seraient sommaires (il avait en fait rencontré peu auparavant deux clercs de Victrice) et qu'il évoquerait avant tout les succès obtenus par l'évêque de Rouen sur les marges septentrionales de son propre diocèse. Il est, au contraire, légitime de supposer que des membres du clergé de Rouen aient pu être envoyés le long du littoral jusqu'en Morinie, en bénéficiant de la navigation qui animait les côtes, quoiqu'elle fût désormais de plus en plus perturbée par la piraterie saxonne et franque. Pourtant, dans le contexte général des IVe et Ve siècles, leur présence s'est vraisemblablement limitée à une activité missionnaire sporadique : les « églises et monastères » de Victrice sont à rapprocher d'un lieu commun hagiographique martinien. Il n'en reste pas moins que, dès la fin du ive siècle, Rouen a pu constituer un petit foyer missionnaire, alors qu'aucune source ne mentionne un rôle analogue de Reims, pourtant capitale métropolitaine de la Belgique seconde : avant Hinc-mar, nul témoignage n'est parvenu du moindre intérêt des évêques métropolitains pour cette extrémité de leur province.

L'environnement relativement hostile dans lequel s'étaient installées ces populations (plaines maritimes, marais) explique qu'elles aient pu échapper plus longtemps à l'hégémonie franque qui, de Tournai, s'étendit vers l'ensemble de la province romaine de Belgique seconde sous Childéric, avant de gagner l'ensemble de la Gaule sous Clovis et ses fils au VIe siècle. La maîtrise de la région de Thérouanne semble avoir été négligée jusqu'à la grande guerre civile qui déchira la famille royale du début des années 570 jusqu'en 613. C'est à l'occasion de cette lutte fratricide que se manifestèrent les intérêts pour l'ancienne cité des Morins de la part des entités politiques alors en cours de formation, les royaumes de Neustrie et d'Austrasie. Signe d'un indéniable isolement, il n'existe qu'une mention de la Morinie chez Grégoire de Tours, cet observateur si prolixe de la Gaule du VIe siècle. Ce témoignage est de surcroît ambigu ; il montre que les fidélités des « gens de Thérouanne » (comprenons plutôt de ses environs) ne sont pas encore bien nettes dans le dernier quart du VIe siècle. Fuyant son père, le roi de Neustrie Chilpéric, qu'il a profondément mécontenté en épousant Brunehaut, la veuve de Sigebert d'Austrasie, Mérovée est attiré par des promesses de secours et de refuge autour de Thérouanne. La région nourrissait vraisemblablement assez de sentiments anti- neustriens pour qu'il pût, en 577, prendre ces appels au sérieux, quitter la Champagne (où il était alors, en Austrasie donc) et tomber dans le piège qui lui était tendu par des fidèles de son père. Retenu dans l'« hospitolium » d'un grand domaine, il préféra alors se suicider (même si, selon Grégoire, on accusa aussi Frédégonde de l'avoir fait assassiner).

La mention dans les listes épiscopales de deux évêques de Thérouanne, Aimundus et Athalbertus, avant le nom d'Omer, peut témoigner d'une organisation ecclésiastique autour de quelques individus dans le courant du VIe siècle, même si la fonction épiscopale de ces deux personnages semble infirmée par un passage de Grégoire de Tours. Ce dernier, en effet, évoque l'assassinat sur ordre de Frédégonde de deux fils du roi de Neustrie Chilpéric, Clovis (assassiné dans la villa de Noisy) et Mérovée (assassiné, comme on l'a vu, dans les environs de Thérouanne). Le roi Contran, frère de Chilpéric, fit procéder plus tard (vers la fin des années 580) à l'exhumation des corps de ses neveux et à leur inhumation dans la basilique Saint-Vincent à Paris (devenue plus tard Saint-Germain-des-Prés). Grégoire précise que, pour la sépulture de Clovis, l'évêque de Paris fut naturellement convoqué (la villa de Noisy se trouvait dans son diocèse). En revanche, Contran « envoya Pappoul, évêque de Chartres, pour rechercher le cadavre de Mérovée et l'ensevelir auprès du tombeau de Clovis », ce qui semble montrer, sinon qu'il n'y avait pas à ce moment d'évêque à Thérouanne, du moins que l’évêque de Thérouanne était une personnalité mineure, ne jouissant pas de la confiance royale pour remplir cette mission politiquement délicate.

Sur la présence chrétienne à Thérouanne et dans ses environs au même moment, il existe une source tardive, et donc délicate d'interprétation dès lors que l'on ne peut guère recouper ses informations. Un ermite du nom de Trivier est en effet connu par une biographie dont la date de rédaction est bien difficile à déterminer, car il n'existe aucune mention ancienne de son culte. Elle repose avant tout sur des éléments historiques tirés des Dix livres d'histoires de Grégoire de Tours 28. Trivier, natif de Cahors, se vit en effet chargé par le roi d'Austrasie Théodebert (533-548) de surveiller deux prisonniers dont le roi s'était emparé à la suite d'une campagne en Italie. Trivier les accueillit alors dans le monastère qu'il dirigeait dans les environs (« in suburbano ») de Thérouanne, « près du fleuve Ulte [qui serait l’Authie] et de la mer », avant de les raccompagner dans les Bombes, où il s'installa finalement comme ermite. Si le texte souffre d'incontestables incohérences chronologiques, il offre néanmoins une vue crédible de la Bourgogne dans le premier tiers du VIe siècle et de la brutalité de la conquête franque ; il propose ensuite une description assez précise des déboires des voyageurs « dans le vaste désert et la forêt dense qui portait le nom de Mempisque ». Cette attestation, dans la première moitié du VIe siècle, d'un monastère dans le diocèse de Thérouanne ne peut donc être complètement négligée.

Le processus d'évangélisation a contribué au renforcement des liens avec le littoral neustrien et favorisé des courants d'échanges religieux et spirituels avec d'autres établissements monastiques, notamment avec ceux de la basse vallée de la Seine. Wandrille lui-même, le fondateur de l'abbaye de Fontenelle (mort en 668), reçut l'ordination sacerdotale des mains d'Orner. Lambert, le successeur de Wandrille à la tête de la communauté, était originaire des alentours de Thérouanne et l'on devine, au profit de Fontenelle, un courant de donations aristocratiques en provenance de la Morinie dès la fin du VIIe siècle. Le temporel de l'abbaye semble s'être tôt étoffé de domaines sis entre l'Authie et la Canche, même si ceux-ci n'apparaissent explicitement dans la documentation qu'au IXe siècle. La Constitution de l'abbé Anségise (mort en 833) énumère en effet une importante série de produits (textiles, cuir, fromages, œufs, cire, suif...) provenant des domaines des «pagi Bononensis et Tarvanensis », sans entrer dans plus de détails.

Le Livre des miracles de saint Wandrille (rédigé lors de l'exode de la communauté à partir de 858 et dont il sera question plus loin) permet d'identifier plus précisément plusieurs de ces propriétés de Fontenelle. Avant d'être appelée par saint Philibert (mort en 685/690) [que l’on retrouve à Mimeure et à Legé] pour fonder puis diriger la communauté de Pavilly dans le diocèse de Rouen, Austreberte se vit remettre, contre la volonté paternelle et après une traversée miraculeuse de la Canche, le voile consacré par Orner et s'installa d'abord quelque temps chez ses parents, « in territorium Tarvanensi », puis une dizaine d'années à Port-le- Grand en Ponthieu, pour enfin rejoindre le fondateur de Jumièges. Par la suite, c'est un évêque de Thérouanne, Bainus (mort en 710), qui fut désigné comme abbé de Fontenelle ; il semble qu'il ait pu conserver ces deux charges simultanément 68 ; on se souvint surtout, à l'abbaye, qu'il reçut le monastère de Fleury des mains de Pépin (mort en 714) et Plectrude, et qu'il fit transférer les corps de moines illustres (Wandrille, Ansbert et Vulfran puis Erembert) dans la basilique des saints Pierre et Paul à Fontenelle. Le cas de Bainus suggère que la reprise en main par les Pippinides de la hiérarchie ecclésiastique entre la vallée de la Seine et la plaine maritime flamande participait d'une même mission au début du VIIIe siècle.

La région semble alors avoir compté une administration bien établie, dont l'action soutint celle de la hiérarchie ecclésiastique, ce qui correspond tout à fait aux desseins de l'édit de 614. Mais d'autres aristocrates semblent avoir gravité dans l'entourage de l'évêque. Autour d'Orner, la Vita Austrebertae mentionne Badefridus, « comte du palais », époux d'une princesse royale alémanique (?) et père de l'Austreberte dont il a déjà été question. Quant à Bertin, il reçut la plus grande partie des biens du comte Walbert, ainsi que, des mains du riche propriétaire Heremarus 81, le domaine de Wormhout où il établit alors une petite communauté pour veiller au bon fonctionnement d'un hospice. Après la mort d'Éloi, vraisemblablement au tournant du vne et du vme siècle, une épidémie vint à décimer les « cités de Francie ». Ayant appris les prodiges opérés par le saint évêque de Noyon au lieu de sa sépulture, dans une basilique à l'écart de la ville, un « comte de la ville de Thérouanne », nommé Ingomar, vint l'implorer de protéger les siens. Cet homme repartit avec un peu de la précieuse liqueur qui s'écoulait miraculeusement du tombeau, promettant au saint le dixième de ses biens si elle s'avérait efficace. Le comte et ses proches furent épargnés et dotèrent généreusement la basilique. Les dévotions de cet Ingomar, peut-être d'abord encouragées par le clergé de Thérouanne, ont pu ensuite se porter vers le diocèse de Noyon après la nomination de Mommelin. C'est, semble-t-il, ce qu'il faut retenir de cet épisode, même si la communauté réunie autour du tombeau d'Éloi (plutôt hostile à Mommelin, on l'a dit) tire ici tout le profit du miracle. Il peut aussi être tentant de rapprocher Ingomar de l'époux décédé (qualifié de « vir illuster ») d'une abbesse du monastère de Hamage sur la Scarpe, elle- même vraisemblablement liée à la famille de sainte Rictrude, première abbesse de la communauté voisine de Marchiennes, ce qui étendrait bien au-delà du seul diocèse de Thérouanne l'action de christianisation que l'on peut prêter à Ingomar et à ses proches. Il existe en tout cas des concordances chronologiques sérieuses, qui convergent vers l'extrême fin du VIIe siècle.

En définitive, les Normands ont contribué à réactiver les itinéraires qui naguère soutenaient les échanges, économiques et religieux, le long du littoral, ceux-là même qui, depuis les lointaines tentatives de Victrice, ont soutenu le mouvement de christianisation de la Morinie, avant que celui-ci ne soit pris en charge par le clergé et l'aristocratie locale (Charles Meriaux, Thérouanne et son diocèse jusqu’à la fin de l’époque carolingienne).