Partie II - Voyage dans le temps   Chapitre XXIV - Une traversée du siècle   La mondialisation   

Après l’épisode proprement socialiste de 1981 à 1983 qui fâcha les indicateurs économiques, les gouvernements de François Mitterrand durent se passer sous le joug de la loi de l’économie ouverte.

Le changement d’orientation, amorcé en 1983, n’est que le reflet d’une reprise en main de l’économie mondiale. « La politique de l’offre (restructuration de l’appareil économique) associé au monétarisme (fin du crédit facile) visait d’abord à briser les « rigidités » fordiennes (taylorisme, croissance, législation sociale) au détriment des salariés, à élargir le droit au licenciement et le volant des travailleurs à statut précaire, à remettre en cause les conventions collectives, à tailler dans la protection sociale… Elle provoqua une récession mondiale terrible, ruinant une bonne partie du tiers monde et gonflant la pauvreté dans les pays riches. Elle fut conduite avec vigueur au Royaume Uni par Margaret Thatcher, aux Etats-Unis par Ronald Reagan. Même les gouvernements socialistes de France et d’Espagne, tenus par la contrainte de la balance des paiements, durent s’y plier [1] ».

Au mois de juillet 1984, le gouvernement Fabius aura été installé, marquant le choix d’une politique d’ouverture sur l’Europe. Le discours que Mitterrand prononce à Strasbourg le 24 mai propose « la création d’une Union européenne après la résolution des contentieux et avant l ‘élargissement […] Ce qu’il dit de l’Europe politique est ce qui deviendra dans cinq ans, l’Union européenne [2] ». « La profession de foi de Mitterrand fut ardente et exhaustive, presque un acte de conversion aux idées les plus avancées qui eussent été exprimées au Parlement [3] ». Même s’il fut exclu du mouvement européen en 1954, pour s’être opposé à la CED.

La signature de l’ « acte unique européen » en 1986 consacre la convergence des politiques économiques des pays de la Communauté, visant à la création du grand marché fin 1992. Les pertes de souveraineté de la France concédées à l’Union européenne marquent en quelque sorte une « mort » pour une renaissance dans un amalgame plus large, idée toute alchimique. Ce n’est que dans cette démarche que la France peut dépasser sa perte de puissance dans le monde, amorcée dès le XVIIIème siècle pour des raisons essentiellement démographiques, puisque la baisse de la natalité a été la plus forte au monde durant le XIXème siècle. Ce déclin sera particulièrement ressenti lors de la guerre du Golfe de 1991, lorsque la France sera écartée du règlement de la crise et de la reconstruction koweïtienne par les Américains, bien qu’elle ait participé militairement au refoulement des troupes irakiennes avec l’ensemble de la coalition réunie à cet effet.

La construction européenne est une modalité de la mondialisation. Elle marque le changement d’échelle de la gestion des espaces économiques, mais aussi de la pensée des problèmes qui se posent aux humains tant matériels que spirituels. Dès 1975, une déclaration aux Nations unies affirmait que « les crises de notre époque qui mettent les religions en demeure de libérer une nouvelle forme spirituelle qui transcenderait les limites religieuses, culturelles, nationales, vers une nouvelle conscience de l’unité de la communauté humaine, et se traduirait ainsi par une dynamique spirituelle dirigée vers une conscience planétaire. »

Mitterrand a contribué à la construction d’un Nouvel Ordre mondial. « Cette globalisation des problèmes a un aspect évidemment ésotérique, qui est marqué par une attente collective souterraine. L’humanité arrive à un stade de développement spirituel et technologique suffisant pour comprendre qu’une nouvelle donne planétaire est nécessaire. La conspiration mitterrandienne concernait la France, mais également le monde. Pays de l’universalisme initié et républicain, avec les Etats-Unis, la France à une mission essentielle à jouer. [4]».


[1] Alain Lipietz,, « Le nouvel état du monde 1980-1990 », La découverte, 1990, p. 122

[2] Jacques Attali, « Verbatim I, 1981-86 », Fayard, 1993, p. 639

[3] Bino Olivi, « L’Europe difficile, Histoire politique de la Communauté européenne », Gallimard, 1998, p. 280

[4] Nicolas Bonnal, « Mitterrand le grand initié », Albin Michel, p. 230