Partie XVI - Darmstadt   Aspects religieux et philosophiques   La République chrétienne   
DARMSTADT LA REPUBLIQUE CHRETIENNE SULLY HENRI IV

La "république chrétienne"

La couronne impériale et la constitution de l'Empire germanique , centre de l'Europe, devaient donc former la base principale des desseins européens de Henri IV. Il paraît néanmoins que ce fut le Landgrave de Hcsse qui le premier conçut le projet de procurer au Roi de France la succession impériale, en lui faisant donner le titre de Roi des Romains. Henri IV, en accordant son consentement, le pria de conférer sur ce sujet avec quelques électeurs de l'Empire, mais, soit que ce projet ne fût pas accueilli par les autres Princes de l'Empire, soit que la modération et le désintéressement du Roi ne lui permissent pas d'insister sur une telle proposition, soit qu'il voulût renforcer sa confédération (appelée l'Union Très Chrétienne), par l'influence ou la neutralité d'un prince jaloux de l'Autriche, Henri IV, long-temps incertain, se décida enfin en faveur du duc de Bavière, sans abandonner pour cela ses vues sur la couronne impériale, qui serait évidemment pour tous un sujet de guerre. C'est pourquoi, pendant les dernières années de Rodolphe, après s'être soigneusement informé des obligations d'un Empereur d'Allemagne, et pendant que les archiducs, favorisés par le Roi d'Espagne, consumaient leurs efforts en intrigues, il résolut de surveiller et de protéger activement l'élection prochaine d'un Roi des Romains, et de porter pour cet effet, une fois l'affaire de Juliers terminée, toutes ses forces vers Francfort, siège de l'élection. Avant tout, Henri IV devait avoir pour but d'abaisser la maison de Habsbourg qui, par la grandeur de ses possessions, par ses usurpations et par l'absolutisme de ses maximes en politique et en religion , formait le principal obstacle à ses desseins de pacification générale par l'établissement en Europe d'une république chrétienne. Aussi trouve-t-on dans son système de quinze états ou gouvernemens de l'Europe, d'abord quatre républiques, celle de Venise, la Suisse conjointement avec l'Alsace, la république des Pays-Bas, composée des dix-sept provinces, et une nouvelle république Italique qui, ayant le Pape pour chef et aidée par un Roi de Lombardie (le duc de Savoie) devait chasser les Espagnols de toute l'Italie. Ensuite cinq monarchies électives, dont deux, la Hongrie (avec la Transylvanie, la Moldavie et la Valachie) et la Bohème (agrandie par la Moravie, la Silésie et la Luzace), suffisaient déjà pour opposer un juste contrepoids à la maison d'Autriche, car le privilège constitutionnel de l'élection devait finir par les faire passer à une autre dynastie. La monarchie d'Espagne et le pays héréditaire des archiducs en Allemagne demeuraient l'apanage de la maison de Habsbourg qui, dépouillée de ses autres possessions , eût été dédommagée de ses pertes en Europe, par ses conquêtes dans les Indes Orientales et Occidentales, sauf la liberté du commerce.

La république chrétienne, sans favoriser la licence des esprits et des sectes nouvelles, devait garantir liberté et protection aux trois religions principales, les religions catholique, luthérienne et calviniste; ce que l'Allemagne n'a depuis obtenu que par la paix de Westphalie. Enfin pour rendre ce nouvel ordre de choses permanent et invariable, pour substituer le droit à la force, Henri IV voulait organiser un conseil général, un tribunal suprême de l'Europe, chargé de décider en dernier ressort toutes les questions d'intérêts particuliers qui pourraient donner lieu à quelques collisions entre les divers états, et toutes les puissances composant la république chrétienne, devaient s'engager à faire exécuter les arrêts de ce conseil. Quant à quelques projets réservés, comme l'exclusion des Moscovites et des Turcs des limites de la république chrétienne, il faut peut-être les attribuer à ces idées vagues que Villeroi aimait à appeler les fantaisies du duc de Sully. Mais surtout il ne faut pas croire que Henri IV, en entreprenant une œuvre si longue et si difficile, en se réservant de faire accepter, parla puissante maison de Habsbourg, ce plan gigantesque, de gré ou de force, eût résolu d'en précipiter l'exécution par une attaque subite et injuste. Depuis long-temps il avait gagné les princes et les gouvernemens ennemis naturels de la domination espagnole et autrichienne, en Allemagne, en Italie et en Angleterre; le fils aîné de Jacques I, le prince de Galles lui avait même promis un secours éventuel. Les princes, les plus intimement initiés à ses projets, le Landgrave de Hesse, le prince d'Anhalt et Maurice d'Orange, qui eux-mêmes les avaient en partie proposés, ne les avaient approuvés, selon l'assurance de Sully, « que moyennant qu'ils fussent bien et à propos entamés et poursuivis par bon ordre, les uns après les autres, afin de ne s'embarrasser de trop d'entreprises à-la-fois et trop éloignées les unes des autres» (Mémoires de Sully). Après la conclusion définitive de la confédération générale, et les immenses préparatifs, fruits de l'ordre et de l'économie de Sully, une fois terminés, des invitations, des représentations, des sommations même, devaient être faites à l'Empereur, au roi d'Espagne, et aux princes, dont l'assistance pouvait être douteuse, entre lesquels on ne remarque que le grand duc de Florence , et l'électeur de Saxe, intéressés dans la succession de Clèves et Juliers. Cette succession litigieuse entre l'Autriche et les alliés de Henri IV (l'électeur de Brandebourg et le prince palatin de Neubourg), devait servir d'occasion et de prétexte aux mouvemens de l'armée française, commandée par le Roi en personne, et de toutes les troupes de l'Union. Dès les premiers mois de l'an 1610, tout se ressent des résolutions belliqueuses du Roi; tout présage une victoire décisive, une guerre courte, rapide, peut-être sanglante, mais nécessaire pour la pacification de l'Europe, et qui, selon les espérances de Henri IV, devait être la dernière de toutes. Un seul instant change les destinées de l'Europe. Henri IV, sur le point de partir, attendu par cent mille hommes prêts à combattre pour lui et pour la confédération chrétienne, est assassiné le 14 mai 1610, au milieu d'un peuple qui l'aimait. Peu de catastrophes ont été plus frappantes et plus funestes. Le poignard de Ravaillac, ou plutôt la faction des régicides, fomentée par l'Espagne, en perçant le cœur d'un ami de l'humanité, retarda d'un demi-siècle les progrès de la civilisation européenne. Au rêve brillant, au vaste et salutaire projet d'une république chrétienne qui s'évanouit avec son auteur, succéda un calme perfide, avant-coureur des plus terribles calamités. Toute la profonde douleur que cette catastrophe fit éprouver au Landgrave et à la moitié de l'Europe, se manifeste dans les dernières lettres de cette correspondance. Averti par ses agens à l'étranger, que le poignard, plongé dans le sein du Roi de France, menaçait également les Princes Protestans et lui-même, il chercha d'abord à découvrir le fil d'une conspiration, dont il pensait que Ravailiac, l'écolier fanatique des jésuites, n'était qu'un aveugle instrument. Son chargé d'affaires dans les Pays-Bas, Philippe Dubois, lui mandait, en effet, les 21 et 31 mai (nouveau style), qu'il y avait encore à Liège quatre-vingts de ces régicides; que, malgré l'empressement de l'archiduc Albert à ouvrir ses frontières au feu Roi, les jésuites résidens dans la province de Flandre, avaient été informés de l'attentat, avant qu'il fût commis et que même le marquis de Spinola, par un présage ou plutôt par un aveu, avait laissé tomber ce mot : On fera la guerre en coche.

Le Landgrave fit tous ses efforts pour soutenir une cause à laquelle il s'était dévoué, en exhortant à la concorde ses alliés les plus intimes, et les seigneurs de France, conseillers de la reine régente. Sully vivait encore; mais la France, privée des vertus et du génie de ce grand citoyen, qui avait si puissamment aidé le Roi à relever sa patrie, la France, abandonnée aux intrigues de cour les plus frivoles, à l'ambition haineuse des factions, la France, délaissant l'alliance du protestantisme, ne tarda pas à retomber dans un état d'anéantissement complet. A partir de cette époque, la correspondance du Landgrave devait cesser de présenter un grand intérêt, malgré l'opinion de quelques Princes de l'Empire qui, s'obstinant à solliciter son entremise auprès de la cour de France, supposaient qu'il devait jouir encore des avantages d'une alliance et d'une amitié si constamment entretenue. Bientôt même le conseil de la Reine Régente, Marie de Médicis, influencé parle parti renaissant des Guises, et privé de l'appui des partisans de la religion réformée , que Henri IV y avait introduits et soutenus, désavoua hautement la grande part que le Roi avait eue à la confédération protestante, conclue sous ses auspices; l'on alla même jusqu'à prétendre que le feu Roi n'avait; contracté aucune obligation politique, et que la France était quitte envers les princes allemands, en se bornant à la protection des princes héritiers des pays de Juliers et Clèves. Ce changement subit d'un système politique auquel était lié l'intérêt de toute la république chrétienne , se manifesta malheureusement pendant la crise la plus dangereuse qu'ait eu à subir la maison d'Autriche, à l'avènement de Ferdinand II, prince despotique et intolérant (l'an 1620). L'ambassadeur de France, au lieu de maintenir la balance entre les partis, catholique et protestant, au lieu d'empêcher, par une médiation active et vigoureuse, cette grande guerre allemande, fatale à toutes les branches de la civilisation européenne, ne fit que la rendre plus nécessaire et plus violente en se renfermant dans une neutralité si préjudiciable à ses propres intérêts. Enfin, le traité d'Ulm, qui fut exécuté avec perfidie, porta les derniers coups au parti protestant, en Allemagne; il anéantit cette même confédération qui avait été conclue sous les auspices du Roi de France, et rétablit la prépondérance et la domination de la maison de Habsbourg.

Depuis, le cardinal de Richelieu, après avoir terrassé les Huguenots en France, anéanti la force de la noblesse et détruit la puissnnce des parlemens, pour établir la monarchie sur des bases plus solides, voulut reprendre l'exécution d'une partie des projets politiques de Henri IV, afin de ne pas abandonner l'arbitrage de l'Europe à Gustave-Adolphe, ce héros suédois, que le destin donna au monde quelques années trop tard. Mais tandis que le pouvoir absolu et le despotisme avaient fait leur progrès dans le gouvernement intérieur de la France, ses relations extérieures,sous les ministères de Richelieu, etdeMazarinnon moins astucieux que son prédécesseur, avaient perdu ce caractère de bonne foi, de loyauté et de tolérance religieuse que Henri IV avait su leur imprimer; la sympathie nationale qu'il avait si bien entretenue entre la France et l'Allemagne s'éteignit insensiblement, et l'ambition démesurée de Louis XIV, jointe à une intolérance superstitieuse, détruisit enfin tout espoir que le système politique de Henri IV pût être jamais réalisé. En réveillant les mêmes appréhensions et les mêmes défiances, qui avaient forcé les Princes Protestans à s'unir pour défendre les droits de son aïeul, Louis XIV les contraignit à former encore une nouvelle union, mais pour diriger cette fois tous leurs efforts contre la France.En révoquant l'édit de Nantes, il rompit le contrat social de pacification religieuse par lequel Henri IV avait payé son trône, il abandonna cinquante mille familles pieuses et paisibles au fanatisme de ces mêmes prêtres, qui n'admettaient point de transaction ; la cruauté de l'oppression ne fit qu'augmenter la conviction et la persévérance évangélique des Protestans opprimés; ils durent fuir devant la persécution, et presque tous portèrent dans des pays étrangers leurs biens, leurs talens, leur industrie, et leur vengeance. Ce furent les successeurs des anciens alliés de Henri IV, les électeurs de Bandebourg, et les Landgraves de Hesse, qui recueillirent les fruits de cette émigration. (M. De Rommel, Correspondance inédite de Henri IV, roi de France avec Maurice le Savant, landgrave de Hesse, 1840 - books.google.fr).

L'Allemagne resta divisée en deux partis. Le premier, qu'on nommoit L'union évangélique, avoit pour chef l'électeur Palatin, et réunissoit presque tous les princes protestans et la plupart des villes impériales. Le duc de Bavière fut le chef du second, qu'on nomma la ligue catholique, et auquel le pape et le roi d'Espagne se joignirent. L'électeur de Saxe et le landgrave de Hesse-Darmstadt le fortifièrent encore : le premier, parce qu'il étoit jaloux de l'électeur Palatin, et que Rodolphe lui faisoit espérer les duchés de Clèves et de Juliers; le second avoit aussi des raisons particulières pour ménager l'empereur. L'électeur de Brandebourg resta neutre (Etienne Bonnot de Condillac, Cours d'etudes pour l'instruction du prince de Parme, 1798 - books.google.fr).

À la mort du dernier landgrave de Hesse, Philippe Ier le Magnanime, survenue le 31 mars 1567, la tradition successorale de la Maison de Hesse imposait le partage entre ses quatre fils : Guillaume hérita de la moitié nord appelée désormais « Hesse-Cassel », Louis la Hesse-Marbourg, Philippe la Hesse-Rheinfels et Georges Ier le Pieux les territoires méridionaux appelés désormais « Hesse-Darmstadt » . Ce legs ne comportait que Darmstadt et son territoire, mais il vit bientôt ses domaines s'agrandir par la mort de deux de ses frères, Philippe II (1583) et Louis III (1604), restés sans enfants. Louis V, fils de Georges, céda en 1595 à son frère Frédéric le territoire de Hombourg qui par la suite forma un landgraviat distinct : le landgraviat de Hesse-Hombourg. Au siècle suivant, Georges II céda Marbourg à la Hesse-Cassel.

Le regroupement progressif des fiefs issus de l'héritage de Philippe Ier au sein des landgraviats de Hesse-Cassel et de Hesse-Darmstadt conduisit ainsi de fait à un quasi-partage de la Hesse en deux comtés. En 1622, une nouvelle succession se soldait par le rattachement de la Hesse-Hombourg à la Hesse-Darmstadt. Darmstadt et Cassel se disputèrent alors pendant des décennies l'héritage de Marbourg, les combats se mêlant tantôt à ceux de la guerre de Trente Ans, où Cassel était l'allié de la Suède, Darmstadt celui de l'empereur (fr.wikipedia.org - Landgraviat de Hesse-Darmstadt).

Tout en étant dans le camp impérial "catholique", la Hesse-Darmstadt protestante réalisait ainsi cette "république chrétienne" rêvée par Sully à laquelle elle s'opposait.