Partie XVI - Darmstadt   Aspects religieux et philosophiques   L’Ecole de sagesse de Keyserling   
DARMSTADT ECOLE SAGESSE KEYSERLING

Le comte Hermann von Keyserling est un philosophe allemand né le 20 juillet 1880 à Könno (en estonien : Kõnnu, aujourd'hui commune de Kaisma), alors en Livonie, administrée par la Russie impériale. Hermann von Keyserling est le petit-fils du célèbre botaniste Alexander von Keyserling, élève favori d'Alexander von Humboldt, et fils de Leo von Keyserling (1849-1895). L'écrivain Eduard von Keyserling (1855 - 1918) était son oncle (Eté brûlant - Schwüle Tage, 1904) : considéré comme un maître par Thomas Mann, il est incontestablement l'écrivain le plus représentatif de l'impressionnisme allemand. La famille allemande des Keyserling originaire de Westphalie s'était installée aux confins de la Prusse-Orientale.

Le Reichsgraf Hermann Karl, successivement au service de deux tsarines, Anna Ivanovna, nièce de Pierre le Grand, et Elisabeth, eut le titre de gloire est d'avoir eu conscience de la grandeur de J.S. Bach. Les Variations Goldberg devraient s'appeler Variations Keyserling, puisque, selon le témoignage de Forkel, c'est lui qui les a commandées à Bach et royalement payées.

L'expropriation des biens familiaux en octobre 1919 par la loi de nationalisation des terres de la noblesse terrienne votée par le nouveau régime estonien le ruine totalement. Il émigre donc définitivement en Allemagne et épouse la même année la comtesse Marie Goedlinda von Bismarck-Schönhausen (1896-1981), petite-fille du chancelier Bismarck qui lui donne deux fils, Manfred (1920-2008) et Arnold (1922-2005). Il est invité par l'ancien grand-duc de Hesse détrôné, Ernest-Louis de Hesse-Darmstadt, à s'installer à Darmstadt et il fonde avec son soutien l'école du savoir. Thomas Mann compte aussi parmi ceux qui soutiennent cette fondation. Keyserling devient ainsi l'une des personnalités marquantes de la vie intellectuelle sous le régime de la république de Weimar, en tant qu'écrivain renommé, philosophe et directeur de l'école. Jung, Scheler, Frobenius, Dahlke, Rabindranath Tagore dont le portrait dominait l'entrée de l'Ecole, Frank Thieß et Hans Driesch y viennent donner des séminaires. Il s'efforce d'ouvrir sa philosophie aux sagesses orientales et de favoriser les échanges intellectuels avec la France (fr.wikipedia.org - Hermann von Keyserling).

Une telle école peut être définie négativement par rapport à deux institutions traditionnelles. Ce n'est pas une Eglise : elle n'est pas gardienne d'un dogme qui est l'expression d'une vérité. Ce n'est pas une Université: elle ne délivre pas des connaissances. L'enseignement de connaissances, de même que la référence à un dogme, supposent l'existence d'une vérité objective. Or, il n'y a pas de vérité définie intellectuellement, figée, mais une création perpétuelle de la vérité. Au niveau du Sens, il n'y a pas de vérité mais un contrepoint des réalités.

Il ne pourra être question de renier la tradition intellectuelle d'Occident, mais il faudra trouver en elle le fondement d'une sagesse nouvelle. A la notion de progrès objectif, rêve de l'idéalisme intellectualiste d'Occident, Keyserling oppose la perfection individuelle, à la vérité la véracité. L'essentiel n'est pas la doctrine, mais le rayonnement de la personne et avant tout de la personne du maître. Pour définir ce rayonnement, il emploie le terme de magie. Il ne faut pas y voir une référence ésotérique. L'exemple de magie qu'il propose, c'est Kant, parce que la magie peut paradoxalement s'exercer par un système qui, en lui-même, est triomphe de l'intellectualisme lorsque ce système est assez parfait pour exprimer le sens du discours logique.

Le jeune Kant a été précepteur chez les Keyserling près de Konigsberg et est resté sa vie durant en relations amicales avec eux. La tradition familiale le considérait comme une « sorte de fidéi-commis philosophique» dit Hermann von Keyserling avec ironie (Jean-Paul Boyer, Hermann von Keyserling et les interférences germano-slaves, Slavica occitania, Toulouse, 4, 1997 - w3.slavica-occitania.univ-tlse2.fr).

Ses œuvres majeures sont rapidement traduites en français, en anglais et en espagnol. Le changement intellectuel des années 1930 le range parmi les tenants de l'irrationalisme et le nouveau régime national-socialiste considère d'un mauvais œil les travaux de cet aristocrate. Lui-même refuse d'adhérer aux thèses national-socialistes, qu'il considère comme l'expression de masses manipulées par un parti d'essence révolutionnaire et nationaliste. Il n'a plus le droit de publier ni de se rendre à l'étranger. Cependant sa réputation ne fait que croître dans d'autres pays. Keyserling rouvre son école après la guerre, cette fois-ci à Innsbruck, mais il meurt peu après, en avril 1946. Son fils cadet Arnold von Keyserling devient lui-aussi philosophe, spécialiste des religions (fr.wikipedia.org - Hermann von Keyserling).

Hennann von Keyserling (1880-1946) est généralement présenté comme philosophe allemand, héritier de l'idéalisme romantique, et comme Kulturphilosoph dans la tradition de Herder et de Nietzsche. Jusqu'à son interdiction par les nationaux-socialistes, l'Allemagne a été le centre de son activité intellectuelle. Mais, baron balte, il avait été sujet du tsar et son ascendance familiale était double: allemande et russe. Penseur spiritualiste, sans illusions sur la civilisation contemporaine, il a voulu concrétiser son action par la création d'une Ecole de la Sagesse à Darmstadt afin d'aider à la création d'un type d'homme nouveau, susceptible de régénérer l'Occident aveuglé par l'intellectualisme et ruiné par la guerre. Un certain nombre de notions fondamentales de la philosophie du Sens et les principes pédagogiques de l'Ecole de la Sagesse où sont nombreuses les références à la pensée orientale rappellent la tradition de l'Orthodoxie. La suprématie accordée au symbole sur le concept, la conception du miracle, de l'épiphanie, le rôle du maître comparable au starets, le rôle de la notion de communauté, proche de la Sobornost, l'attention accordée à la véracité aux dépens de la vérité objective, l'attente de l'irruption du Saint-Esprit montrent qu'il y avait en Keyserling une part d'âme russe, comme il l'a souvent souligné lui-même, et que sa pensée révèle des traits caractéristiques de la piété orthodoxe (Jean-Paul Boyer, Hermann von Keyserling et les interférences germano-slaves, Slavica occitania, Toulouse, 4, 1997 - w3.slavica-occitania.univ-tlse2.fr).

Bien que le comte présente [...] sa Sagesse ou sa religion nouvelle comme le parachèvement du Protestantisme, qui aurait été une innovation de toute nécessité dans la sphère religieuse, il semble ailleurs placer le Catholicisme au-dessus de la Réforme, en cela fidèle, une fois de plus, aux traditions du Romantisme spécifiquement allemand. La seule institution, dit-il, qui garde encore le dépôt de la primordiale Sagesse (?) est l'Eglise catholique. Le Protestantisme, a sauvegardé la morale, mais non pas approfondi la religion, car il concède l'examen, la décision autonome, là où seul l'abandon est justifié. Oui, l'abandon fût-ce sous son aspect catholique presque servile, vaut mieux que l'absence entière de cet indispensable- élément religieux. [...] Luther n'a donc été qu'en partie le rénovateur désirable (S. E. 107), car il est resté le prisonnier du texte biblique. Et, tout au contraire, son antagoniste Loyola est fort admiré par le comte, à titre de précurseur de ses propres méthodes. Le Basque énergique fut, sur le terrain de la psychologie, un génie véritable (S. E. 362). De là procède la hauteur de sa milice, valeur dont le niveau n'a pas subi la moindre baisse depuis quatre siècles qu'elle est entrée en action ; au lieu que, d'ordinaire, les ordres religieux fléchissent dès le dernier soupir de leur fondateur. Malgré tant de mérites et tant de serviteurs éminents, l'Eglise romaine, comme toute Eglise au surplus, est devenue à la longue un obstacle sur la voie de l'humanité religieuse. Les vrais chrétiens, s'il en est encore parmi nous de tels, procèdent aujourd'hui non de la foi aux dogmes ou de l'obéissance aux disciplines ecclésiastiques, mais de l'exemple mystérieusement fécond de Jésus et de ses interprètes qualifiés, Paul et Jean. L'avenir n'est donc pas au catholicisme renouvelé, établi sur des bases plus larges, devenu véritablement œcuménique. (On sait que le sens de ce mot, d'après son étymologie grecque, est : qui s'étend à toute terre habitable, oikoumènè gè). — C'est la naissance de cette surreligion que prépare l'Ecole de la Sagesse, héritière en ceci une fois de plus du romantisme allemand de 1800 et des rêves de Novalis dans son Europa. L'esprit protestant, proclame le fondateur de cette Ecole, proclame le fondateur de cette Ecole, est désormais parvenu à cette totale mécanisation qui équivaut à la mort : l'orthodoxie russe est opprimée par le Bolchévisme destructeur, qui n'était d'ailleurs possible que dans la Russie telle que l'a faite la religion bizantine. L'espace est donc libre devant le catholicisme œcuménique. Ce nouveau catholicisme ou surcatholicisme ne saurait naître, toutefois, que dans cette partie de l'Europe qui a passé par le protestantisme au préalable, car il doit assimiler tout ce tout ce qui, dans le Protestantisme, se trouva durable et valable. Il devra, de plus, consentir de nouvelles et larges concessions à l'esprit moderne. Faute de quoi, la religion romaine ne durera plus que pendant quelques générations à peine, avant de devenir une simple secte qui groupera dans son sein les hommes de disposition purement statique (Ernest Seillière, La sagesse de Darmstadt, Volume 2 de Neoromanticisme en Allemagne, 1929 - books.google.fr).

Ernest-Antoine Aimé Léon Seillière de Laborde, connu sous le nom d'Ernest Seillière, baron romain (1er janvier 1866 à Paris - 15 mars 1955) est un écrivain, journaliste et critique français. Il est le grand-père d'Ernest-Antoine Seillière, ancien président du MEDEF. M. Ernest-Antoine Seillière appartient à une longue lignée, ayant des intérêts industriels et financiers communs avec les Wendel, les Schneider, les Demachy, auxquels les Seillière sont alliés. Car le système de parenté double et conforte le réseau des liens économiques. L’histoire moderne de la famille commence avec Florentin Seillière, l’un des commanditaires de la construction de la fonderie royale du Creusot - ville fondée, en 1782, par François-Ignace Wendel, petit-fils de Jean-Martin, propriétaire des forges d’Hayange depuis 1704. Puis un Schneider - Adolphe, de son prénom - entre à dix-neuf ans dans la banque Seillière, fondée en 1807 et qui, dans les années 1870, fusionne avec la banque Demachy. La nouvelle institution financière se trouve ainsi en position d’arbitre vis-à-vis de la Société de Wendel et Cie, dans laquelle les Wendel et les Schneider sont à égalité. Par la suite, les Wendel se réserveront le fief lorrain, les Schneider développant Le Creusot (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La saga des Seillière, 2001 - www.monde-diplomatique.fr, fr.wikipedia.org - Ernest Seillière).

A ces alliances, notons celle des Wendel avec les Coëtlosquet :

Maurice de Coëtlosquet (1836-1904) est issu d'une ancienne famille bretonne, mais né à Metz et fils d'Anne Caroline de Wendel (1812-1837). Coëtlosquet était l'un des principaux actionnaires des aciéries de Wendel à Hayange et bénéficiant de revenus annuels de l'ordre d'un million de francs, placés essentiellement à la Banque d'Alsace-Lorraine, d'après les Allemands, s'impliquait fortement par patriotisme dans la vie locale, notamment par un mécénat dont bénéficiaient presque sans distinction le clergé, les œuvres de bienfaisance les institutions culturelles, les «associations» et les hommes politiques - il finançait entre autres les campagnes des protestataires, ce que confirment les dossiers «Coëtlosquet» du Fonds de la Présidence de Lorraine, datant de 1882 (Jeanne Benay, L'Austrasie, Le probème de l'Alsace-Lorraine vu par les périodiques (1871-1914), 1998 - books.google.fr).

Hermann von Keyserling (1880-1946) était le neveu du célèbre romancier Eduard von Keyserling, Rilke fut très lié à un autre membre de la famille, le jeune Paul von Keyserling, mort au mort au combat en 1918.