La proclamation de la République islamiste en Iran en février 1979 a ébranlé le monde musulman et les gouvernements qui présidaient à son destin. Khomeyni offrait à la population iranienne et par delà les frontières de son pays une troisième voie face à l’Occident – le grand Satan – et à l’Est. La réussite de la révolution a été favorisée par l’échec de la transposition du modèle occidental et par un discours égalitaire et moral, alors que le monde musulman connaissait une forte croissance démographique, un fort chômage des éduqués et une urbanisation mal maîtrisée. L’islamisme, issu principalement des Frères musulmans créés en Egypte en 1927, est une réaction contre le matérialisme des sociétés occidentales et l’athéisme du monde communiste. C’est aussi « une idéologie politique qui utilise la religion [1]», essentiellement parce qu’il n’y a pas de séparation entre temporel et intemporel dans la religion musulmane. La déstabilisation des autres régimes musulmans conservateurs les a poussés, comme en Arabie saoudite, à appuyer un fondamentalisme islamique non révolutionnaire avec des effets profonds sur les masses sunnites. La révolution iranienne est restée enfermée dans les limites du chiisme n’ayant pu s’assurer de la victoire sur l’Irak lors de la guerre du Golfe entre 1980 et 1988, qui aurait été pour elle le signe d’une révolution mondiale. La solidarité arabe se manifesta en faveur de l’Irak, isolant l’Iran qui se lança dans une politique de fuite en avant faite d’enlèvements et de terrorisme dans tout le Moyen Orient. C’est ainsi que le Djihâd islamique, mouvement terroriste chiite libanais retint en otage plusieurs français dont Michel Seurat exécuté en mars 1986.
L’islam devint visible en France à l’occasion de cette révolution qui lui donna le visage agressif de Khomeyni et à celle des projets de construction de mosquées sur des terrains achetés dans l’espace public, bien que des salles de prières soient déjà installées mais dans les lieux privés, comme les foyers ou les usines. Le réseau islamique s’était en effet développé auparavant mais dans la discrétion. Dans les années 70, le mouvement d’origine indienne Jama’at al tabligh procédait à la réislamisation des travailleurs immigrés, avec les encouragements des interlocuteurs français qui y voyaient « l’occasion d’assurer à court terme la paix sociale et de susciter des rivaux aux mouvements gauchistes et communistes [2]».
Il faut faire la distinction entre islam et islamisme. La majorité des musulmans français cherchent à vivre leur religion paisiblement dans le cadre de la loi républicaine. Mais la minorité agissante des islamistes cherchent à organiser leur communauté selon des lois spécifiques qui les soustrairaient au droit commun. « Ce n’est que la première étape d’un projet à plus long terme d’islamisation qui vise l’ensemble de la société française et du monde, conformément à la conception la plus intransigeante du dogme musulman. Pour eux la laïcité n’a aucune légitimité, c’est un mal dont on s’accommode en attendant de pouvoir y mettre fin [3]».
L’UOIF (Union des organisations islamiques de France), de tendance rigoriste, a été la première à avoir créé deux écoles coraniques de formation d’imams à Saint-Denis et à Saint-Léger-de-Fougeret.
La secte dominante de l’Iran est le chiisme duodécimain qui croit à 12 imams dont le dernier, Muhamad al Mahdi, s’est occulté et qui devrait revenir selon la prophétie en même temps que Jésus pour inaugurer une ère de justice et de bonheur. Ce douzième imam, caché au sens, est la « face de Dieu ». Il reste présent au cœur de chaque croyant et le guide intérieurement vers Dieu. L’Imam est aussi la forme de la connaissance de soi qui conduit à celle du divin. En s’identifiant à l’image primordiale de soi, on atteint un état durable qui correspond à « l’homme régénéré, ressuscité par qui la terre est transfigurée[4] ». L’Imam présente deux aspects, un aspect féminin comme guide secret, et celui de la Lune qui illumine la nuit, c’est-à-dire du Moi céleste lumineux, le Moi de la résurrection. La méditation chiite « rejoint la pensée alchimique et son symbolisme des deux mercures : le premier, le mercure blanc, féminin, la « Lune à l’envers », et le mercure oriental, rouge, d’or […] la Lumière de gloire [5]».
[1] Paul Balta, « Le nouvel état du monde, 1980-1990 », La Découverte, p. 194
[2] Gilles Kepel, « Les mosquées de la République », L’Histoire n° 135, p. 119
[3] ibid. p. 118
[4] Paulette Duval, « La pensée alchimique et le conte du graal », Champion, p. 186
[5] ibid ., p. 181