Partie X - 22 v’la l’Tarot   Chapitre II - Kabbalisation du Tarot   Introduction 5 : Kabbale et Tarot   

Kabbale

Kabbale chrétienne

À sa naissance, la kabbale chrétienne recueille plusieurs courants distincts, voire contradictoires : le messianisme apocalyptique, le missionnarisme polémique et apologétique, centré sur la conversion des juifs, enfin l'humanisme annonciateur de l'âge d'or et d'une expérience religieuse originelle recherchée dans toute sa pureté, y compris dans ses expressions non chrétiennes. Le kabbalisme juif et les convertis qui en assurent pour une part la diffusion traversent, surtout après l'exil de 1492, les mêmes tensions entre les aspects politique et spirituel, traditionnel et novateur du prophétisme messianique. À plus d'un titre, la kabbale chrétienne était vouée à accueillir et à fondre en une parfaite symbiose tous les courants eschatologiques issus des horizons les plus divers. Sa volonté de s'appuyer, en la reconstituant, sur une tradition ininterrompue donnant la primauté à l'illumination directe ou, ce qui revient au même, à la médiation angélique plutôt qu'à celle du magistère, rend compte au premier chef de cette symbiose. S'efforçant de déchiffrer par ses méthodes exégétiques propres la parole unique que Dieu révéla à l'origine pour la retrouver in fine à travers les prophètes que sur le modèle de l'auteur de l'Apocalypse nous sommes tous destinés à devenir, la kabbale chrétienne prétend ainsi fonder les bases de la religion unique nécessaire à l'avènement du Messie. Dans ce cadre très général qu'il reste à illustrer d'exemples plus précis, s'expliquent aisément l'assimilation par les kabbalistes chrétiens de mouvements aussi hétérogènes que le joachimisme, le franciscanisme spirituel, le prophétisme populaire s'exacerbe sous le flot grandissant d'apocryphes et le succès d'une diffusion savante de la kabbale, la première en milieu latin, inaugurée par Pic de la Mirandole [qui est mort un 17 novembre (1494) date kabbalistico-tarotique].

Emile Poulat déclare : "Je constate que les rapports entre prophétie et politique prennent deux directions très différentes. La première, c'est en permanence le caractère politique que revêt la prophétie en intervenant dans l'actualité. Autrement dit la prophétie continue parce que l'histoire continue et, comme cette histoire est à la fois politique et religieuse, "le prophète" (même s'il ne s'appelle pas ainsi) est appelé à prendre position dans les événements et par conséquent à susciter des réactions pour ou contre ce qu'il énonce. La deuxième, c'est avec et après Joachim de Flore : à mesure de la sécularisation de la pensée qui se produit on observe une sorte de transfert qui fait que l'on va assister à la dissociation du politique et du religieux. Tout un aspect du joachimisme va devenir politique en même temps que, par réaction contre ce joachimisme politique, on va voir surgir une nouvelle prophétique, je n'ose pas dire contre-politique mais en toute hypothèse en réaction contre cette évolution. C'est là véritablement que l'on voit cette dissociation de la droite et de la gauche. La résurgence de l'idée de croisade donne au mythe du grand monarque et du pape angélique qui en est inséparable une place centrale qu'il n'avait pas dans le messianisme antérieur. D'anciens mythes servent en fait à refléter pour l'utiliser cette autre réalité historique caractéristique de la Renaissance : la centralisation étatique d'où sortent renforcées l'image du souverain et l'onction royale, instrument et promesse d'un monde unifié prêt pour la parousie. Depuis la croisade chevaleresque ou la quête du Graal reposant sur une égalité figurée par la Table ronde jusqu'au mythe impérial du retour vers l'Orient à la Renaissance, le messianisme a changé d'accent sinon de thème. Quelques exemples représentatifs chez les kabbalistes chrétiens tenteront de cerner ce déplacement et la nature du nouveau rapport qui se cherche entre le messianisme traditionnel et le politique." (Politica Hermetica 08, Prophétisme et politique).

Kabbale et Tarot, construciton des tableaux

On ne trouve généralement pas de numéro sur les cartes d'atout avant l'apparition des cartes imprimées. Les atouts des tarots enluminés du XVe siècle ne sont jamais numérotés, ni légendés. Les Cartes de Charles VI ne portent pas de numéros ni de devises.Toutefois, si les numéros et légendes n'apparaissent sur les cartes à jouer du tarot que tardivement (tout au long du XVIe siècle, ils ne sont pas encore systématiques, et ne le deviendront qu'au XVIIe siècle), l'ordre des atouts alors numérotés varie d'un jeu à l'autre (Myriam Marrache-Gouraud, "Hors toute intimidation", 2003).

Dans le Zohar, on trouve des descriptions établissant un parallèle entre sefirot et sitra ahra (l'" autre côté"), mettant en scène d'âpres combats entre les deux forces, qui donnent l'impression d'une conception dualiste extrême.

La force du Mal a été créée dans le seul but d'éprouver l'homme. S'il tombe dans le filet, ce sont les forces du Mal et ses armées qui se chargent de le punir. Le Mal se retrouve donc, ni plus ni moins, au service du Bien (Shmuel Trigano, Le monde sépharade, Volume 2, 2006).

Quant aux anges, ils s'en tiennent d'un côté aux principes de l'Ancien Testament, mais, d'un autre côté, ils s'en écartent par les opinions les plus hasardées; ils ont surtout une quantité innombrable de noms d'anges ; Maimonides les divise en dix classes. La correspondance des sephiroth avec les anges est donnée par Robert Fludd. De même l'ordre angélique grégorien est repris par lui dans certaines parties de son œuvre et d'autres ordres dans d'autres parties (Robert Fludd, Medicina Catholica, Seu Mysticvm Artis Medicandi Sacrarivm, 1629, Robert Fludd, Utriusque Cosmi Maioris Scilicet et Minoris Metaphysica, Physica Atque Technica Historia II, i, 217, Oppenheim 1619).

Confirmée par Charles Dudley Warner, elle sera modifiée pour l'ange Kamael remplacé par Uriel en raison de son association avec Asmodée et de sa définition dans les textes apocryphes juifs (Charles Dudley Warner, A Library of the World's Best Literature - Ancient and Modern, Volume 21, 2008).

La Séquence VOS, O MICHAHEL de l'Exposition du manuscrit Expositio Kf 1 Klagenfurt Universitätbibliothek 1356, donne une correspondance partielle des archanges avec les ordres angéliques, met bien en relation Michaeal avec les Principautész, Raphaël avec les Vertus et Gabriel avec les Archanges :

Nota: Ab aliquibus dubitatur, in quibus choris angelorum sint hâ tres angeli, Michahel, Gabriel et Raphahel. Et quidam respondent dicentes, quod Michahel sit de choro principatuum, et hoc nituntur probare auctoritate Danielis allegata, que est: In tempore illo consurget Michahel princeps magnus. Sed dicunt ulterius, quod Gabriel sit de choro archangelorum, quia ad nunciandum maiora missus est. Et dicunt ulterius, quod Raphahel sit de choro virtutum, quia miraculose Thobie visum reddidit (Erika Kihlmann, Expositiones sequentiarum).

Georges Huan, dans Le Nom sacré et le dénaire séphirotique (livres-mystiques.com - Discour sur le nom) fait correspondre la sephira Hochmah avec l'ordre des Séraphins, décalant le rang d'un cran.

Comme Metatron est l'Ange de la Face ou un des Anges de la Face, et qu'il est associé à Kether, l'ordre angélique devient celui des Anges de la Face, qui peuvent identifier les Hayyot (les quatre animaux) avec de tels anges vu l'abondance de faces dont ils sont dotées.

Isidore de Séville prétend, que c'était le Sabaoth ou Dieu des armées chez les Hébreux, qui présidait à cet ordre appelé Vertus ; et il prend occasion de rappeler les différentes classes d'Anges , d'Archanges , de Trônes, etc. dont nous avons parlé (Charles François Dupuis, Origine de tous les cultes, ou Religion universelle, Tome 2, partie 1).

Quartum nomen Dei dicitur Sabaoth, quod vertitur in Latinum exercituum sive virtutum, de quo in Psalmo ab angelis dicitur (23, 10): 'Quis est iste rex gloriae? Dominus virtutum.' Sunt enim in huius mundi ordinatione virtutes multae, ut angeli, archangeli, principatus et potestates, cunctique caclestis militiae ordines, quorum tamen ille Dominus est. Omnes enim sub ipso sunt eiusque dominatui subiacent, écrit-il (Isidori Hispalensis Episcopi, Etymologiarum sive Originum).

Albam : 2 x 11

Les kabbalistes se servent en effet d'un tableau qu'ils nomment atbasch, tableau disposé par lignes horizontales et verticales comme ce que nous appelons Table de Pythagore, et dont chaque case contient une combinaison de deux lettres de l'alphabet hébreu: de sorte que, sur une même ligne, on a 11 combinaisons comprenant les 22 lettres de cet alphabet, et sur chaque ligne un système différent de 11 pareilles combinaisons : - Aleph cum omnibus et omnia cum aleph, et sic de singulis. Ita rotando singulas per omnes, résultant januœ 231 (Sepher jetzirah). - Chacune de ces lignes servait ainsi à une écriture occulte ou kabbalistique dans laquelle les deux lettres de chaque case se substituaient mutuellement l'une à l'autre. Ordinairement les lettres placées à droite, d'une part, et les lettres placées à gauche, d'autre part, dans les diverses cases d'une même ligne, ou dans chacun des divers alphabets, formaient deux séries successives dans le même sens ou en sens contraire ases d'une même ligne, ou dans chacun des divers alphabets, formaient deux séries successives dans le même sens ou en sens contraire, de l'une de ces deux manières :

AL / BM / CN / DO / EP / FQ etc. ou AL / BK / CJ / DI / EH / FG / etc.

Dans le premier cas, l'alphabet était direct ; et dans le second, il était rétrograde. La première case suffisait pour déterminer toute la série quand on savait si l'alphabet était direct ou rétrograde; mais quand on ignorait lequel des deux systèmes avait été suivi, il devenait nécessaire, pour la lecture, d'employer deux cases, lesquelles servaient alors de clé et donnaient leur nom à tout l'alphabet. Ainsi, les deux alphabets précédents seraient l'alphabet albam et l'alphabet albak, en intercalant la voyelle a pour la prononciation, comme on le fait en hébreu. Le dernier alphabet du tableau, ou l'alphabet atbasch, ayant pour clé les deux premières lettres de l'alphabet naturel, aleph, beth, et les deux dernières, schin, tau, a donné son nom au tableau entier (Alexandre-Joseph-Hyacinthus Vincent, Note sur l'origine de nos chiffres et sur l'Abacus des Pythagoriciens, 1839).

Selon le Sepher Jesirah dans la présentation de Papus qu'a consultée l'auteur, le chiffre 11 a en effet une signification sacrée au sens ancien du mot sacré, c'est-à-dire intouchable, imprononçable. Il y aurait dix Sephiroth ou attributs de Dieu, plus l'ineffable. Papus encore, donnant les différents noms de Dieu et mettant en évidence le nombre de lettres qui les composent, rappelle qu'il n'y a pas de nom de onze pour le désigner, onze étant un mauvais chiffre pour les Hébreux, ce dont se souvient saint Augustin (Jacques Houriez, Litérales: mythe et littérature : actes du séminaire de la formation doctorale de lettres, humanités, civilisations de l'Université de Besançon, 1997).

En quelque sorte, c'est en appliquant l'albam, que l'on fait correspondre deux à deux les lames du tarot : I - Bateleur/ XII - Pendu, II - Papesse / XIII - Mort etc.

La correspondance des sephiroth avec les anges de l'autre côté, les démons, a été donnée par Eliphas Levi qui n'a fourni aucune de ses sources. Si certaines associations ont des résonnances avec l'affaire de Rennes-le-Château que nous avons conservées, d'autres ont été préférées pour coller le plus possible à la kabbale juive étudiée par la chrétienne.

Ce qu'il ressort des écrits sur les démons et les ordres auxquels ils appartiennent, c'est Belzébuth est le plus souvennt des Séraphins et Astaroth des Trônes.

Belzebub (disoit elle) se tient au cerueau. vn autre vers le coeur, vn autre vers les reins qui est Afmodee,&Carreau vers le cœur,&ainsi des autres qu'elle nomoit parleurs noms : & comme nous discourions sur la raison, & cause de l'opposition, si c'estoit pour ce qu'ils tienent leur place en Paradis,ou pour les vertus contraires aux vices de quoy ils tentent, discourant le P. Michaelis que ce ne pouuoit estre la premiere cause, attendu que sainct Barthélémy est le sainct contraire à Astaroth qui n'estoit que des Throsnes, & S. François estoit contraire à Belzebub, qui estoit des Séraphins. (Sébastien Michaelis, Histoire admirable de la possession et conversion d'une pénitente...au païs de Prouence, conduite à la Ste-Baume pour y estre exorcizée l'an MDCX, 1613).

D'un point de vue théologique, la chevirah de la kabbale lourianique présente des aspects résolument dualistes. Ce système actualise un antagonisme latent entre le bien et le mal au sein de la divinité. En reconstituant une cosmogonie mythique, Louria fait preuve d'une grande audace, puisqu'il n'hésite pas à supposer l'existence d'un dualisme originel avant même la création ou l'émanation. Selon lui, l'origine du mal est aussi divine que celle du bien. Ces deux aspects coexistaient au sein de la divinité éternelle et ils accédèrent pleinement à l'existence par le processus du tsimtsoum et de la chevirah (Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Cerf/Laffont, p. 603).

Les qelipot ne sont rien d'autre que les produits dérivés du din, c'est-à-dire de la rigueur divine. R. Hayim Vital distingue même, à l'entrée de son Ets Hayim, la bonne qelipa et la mauvaise. Quoi qu'il en soit à ce propos, les qelipot franchement mauvaises, comme l'ange Samaël et sa comparse Lilith, n'agissent jamais, ni dans la cabale espagnole, ni dans la cabale de Safed, contre Dieu, ou en opposition avec lui, elles demeurent subordonnées à lui et même figurent ses instruments par le biais desquels Il châtie les hommes à cause de leurs iniquités. Sous leur aspect de séducteurs qui entraînent leurs victimes à fauter, ils sont les agents d'épreuves auxquelles Dieu soumet les hommes. [...] G. Scholem lui-même montre, dans la première partie de son ouvrage consacré à Sabbataï Tsevi(14), que dans la théorie lourianique, le din, c'est-à-dire la rigueur (dont le mal est la lointaine résultante), est présent au sein même de En-Sof, de l'Infini, et que le Tsimtsoum, c'est-à-dire l'évacuation d'un point vide de la présence divine pour faire place au monde, est la première phase d'extériorisation de ce din, le début de sa manifestation. Tous les moments du processus de la formation du corps séfirotique, ou Adam Qadmon (homme primordial), y compris ceux où le din (la rigueur) se manifeste, ont pour racine la volonté généreuse de Dieu, bonne au plus haut point, de rendre possible l'existence du monde matériel, appelé assia (fabrication), celui où les êtres atteignent leur achèvement et leur liberté. Rien ne ressemble ici, de près ou de loin, à un dualisme, cela et n'a rien de pareil avec ce qui fait le fond du gnosticisme. Par ailleurs, c'est un lieu commun du gnosticisme de considérer que la matière est mauvaise, mieux qu'elle est le mal ou le fruit du mal, et que de cette façon elle est radicalement séparée du Dieu inconnu, comme son antithèse la plus extrême. Au contraire, Scholem lui-même nous montre que dans le système lourianique "notre propre monde matériel n'est que la dernière et la plus extérieure des enveloppes de ce "vêtement" de la Déité (...). A mesure que le courant d'émanation divin se développe, il devient progressivement moins spirituel et raffiné, plus matériel et grossier" (ST, p. 44). Le monde matériel n'est que "moins spirituel" , ou si l'on veut d'une spiritualité plus trouble, mais en aucune façon il n'est séparé, dans son origine et dans sa fin, de la vie divine (Charles Mopsik et Eric Smilevitch, Observations sur l'oeuvre de Gershom Scholem).

La première des 231 (22 x 21 / 2) portes aleph-lamed est à l'origine de la Torah écrite. En hébreu, Abraham qui correspond à la Torah écrite (céleste, masculine, convexe, descendante) vaut 8 fois la valeur de la porte aleph-lamed. Eliezer son serviteur correspond à la Torah orale (terrestre, féminine, concave, ascendante). Le nom d'Eliezer commence par aleph-lamed et se termine par un mot qui signifie " aide ". Rabbi Isaac Ashkenazi Louria (Arizal) identifie les différentes réincarnations de l'âme d'Eliezer avec les grandes figures de la Tradition orale. Cette âme se réincarna plus tard dans le prophète Zacharie dont la valeur numérique est celle d'Abraham (Lech Lecha: Abraham and the Wisdom of the Book of Formation).

Réincarnation

Théorie pythagoricienne de l'harmonie universelle

L'une des notions clés de la philosophie pythagoricienne est celle d'harmonie. Le sens primitif du terme harmonia est celui de 'jonction' , 'union', utilisé dans les travaux de menuiserie. Il suppose l'ajustement de deux pièces différentes. Ultérieurement le terme prit la signification de 'corde attachée', notamment les cordes attachées de la lyre. Puis, son sens évolua en développant une signification musicale, d'une part, et métaphysique, d'autre part. Dans l'évolution sémantique du terme harmonie se produit un glissement du sens physique de 'unir', 'joindre', à une signification plus large, à caractère abstrait, d'accord entre deux réalités différentes. […] L'un des premiers philosophes qui utilise le mot harmonie est Heraclite. Dans l'un de ses fragments, ce terme s'applique à la tension de la corde attachée qui peut s'appliquer aussi bien à l'arc qu'à la lyre. Chez les Pythagoriciens, le terme harmonie acquiert une signification musicale et mathématique. L'harmonie est définie par Philolaos comme 'unité de la multiplicité et concordance de ce qui est discordant'.

Pour les Pythagoriciens, le cosmos, l'univers est harmonie. Les astres se trouvent à des distances fixes et se déplacent à un rythme régulier. La conséquence de ce mouvement des astres est la célèbre harmonie des sphères. Tout corps qui bouge dans l'espace à une grande vitesse produit un son. Les corps célestes se déplacent et produisent des sons en rapport avec leur vitesse, d'autant plus aigus que le mouvement est plus rapide. D'autre part, la vitesse est en rapport avec l'éloignement entre les astres. Cette distance se trouve dans la même proportion que les intervalles entre les tons de la gamme musicale. Ainsi, le mouvement des étoiles produit une série de tons qui forment une octave. C'est probablement pour cette raison que les Pythagoriciens désignent l'intervalle d'octave par le terme d'harmonie. De cette doctrine est née l'analogie entre les sept planètes, les sept cordes de la lyre et les sept notes de la gamme musicale. La musique produite par les par les astres est l'harmonie cosmique ou harmonie des sphères, la véritable musique selon des lois mathématiques, celle qui se reflète dans la musique sonore. La musique des sphères est donc le modèle imité par la musique sonore. Cette théorie avait une valeur religieuse. Pour les Pythagoriciens, la musique cosmique apparaît unie à la croyance en l'immortalité et la réincarnation. Les étoiles et les planètes sont les demeures des hommes réincarnés dans une existence supérieure. Toute âme individuelle est habitée par une musique intérieure. Une fois l'âme libérée de la prison du corps, elle peut aussi contribuer à l'harmonie cosmique. Dans la conception pythagoricienne de l'au-delà, l'espace céleste dans lequel se retrouvent les âmes des bienheureux après la mort est assimilé à l'Océan. Dans cet espace, le Soleil et la Lune sont les îles des Bienheureux où habitent les Sirènes qui gouvernent les mouvements des sphères.

La structure mathématique de l'univers

La notion d'harmonie apparaît étroitement liée à celle du nombre qui exprime la mesure et la proportion de l'univers et de l'homme. Selon le témoignage d'Aristote, les Pythagoriciens concevaient les nombres comme les principes de tous les êtres. Ils avaient établi des analogies, fondées sur le nombre, entre tout l'univers et la musique dont les accords sont exprimés par des proportions mathématiques. La musique n'est autre chose que l'expression sonore de l'ordre du monde. C'est pourquoi la connaissance de ses lois mathématiques est le meilleur moyen pour connaître les lois du Cosmos. Dans les fragments qui nous sont parvenus de Philolaos, il souligne que l'essence des choses est constituée par le nombre, ce qui facilite la connaissance de la réalité et notre compréhension des choses. Tout est nombre et on ne pourrait rien connaître sans le nombre. Le nombre le plus important pour les Pythagoriciens était la tétractys, ensemble des quatre premiers chiffres, dont l'addition donne dix : 1+2+3+4 = 10. La tétractys était sacrée parce qu'elle contenait le nombre parfait: 10. Par conséquent, tous les multiples de quatre étaient considérés comme harmonieux. L'importance du chiffre quatre se reflète aussi dans le tétracorde, l'unité fondamentale du système musical grec, et dans la distinction des quatre éléments. Aristote, dans Du ciel, affirme l'analogie pour les Pythagoriciens entre l'harmonie des astres et l'harmonie musicale car toutes deux sont fondées sur le nombre. Les lois mathématiques qui gouvernent les relations entre les astres ordonnent également les intervalles musicaux. Pour cette raison, les Pythagoriciens n'accordent pas d'importance à l'oreille dans le jugement musical. L'oreille n'est qu'un intermédiaire. Pour juger de la musique, il faut comprendre sa structure mathématique. Pour le calcul des intervalles, ils utilisaient le monocorde, instrument d'une seule corde qui servait à montrer le rapport entre la longueur de la corde et la note émise par sa vibration. Les distances entre les sons, les intervalles, étaient exprimées par des proportions mathématiques : 2/1 - octave ; 3/2 = quinte ; 4/3 = quarte. Les critères de consonance et dissonance découlent, pour les Pythagoriciens, des rapports mathématiques des intervalles.

L'harmonie de l'âme

L'âme humaine à l'instar de l'univers est harmonie, parce qu'elle a été façonnée d'éléments contraires. Cette idée de l'âme harmonie est exprimée par Simmias, disciple de Philolaos, dans le Phédon. Ici l'âme apparaît comme l'harmonie du corps, d'union d'éléments contraires, d'équilibre entre les différentes parties du corps. Cette doctrine est incompatible avec la croyance en l'immortalité de l'âme, ce qui amène à faire une distinction, selon Lâscaris, entre l'âme mortelle ou, psyché et l'âme immortelle, daimon, esprit. Par ailleurs, l'harmonie se trouve dans l'âme même, composée de parties différentes. Ainsi, l'homme participe de l'harmonie de l'univers. L'âme crée l'harmonie du corps dans l'ordre psychique ; elle réalise l'harmonie entre les quatre tempéraments et surtout, d'elle dépendent l'équilibre et la maîtrise des passions.

Platon, à la suite des Pythagoriciens, établit dans la République une analogie entre la structure ternaire de l'âme et la structure de l'harmonie musicale. […] L'influence de la musique sur l'âme humaine est fondée sur l'affinité entre les deux, car le mouvement de l'harmonie musicale est de la même espèce que les variations régulières de notre âme. La musique peut l'aider à retrouver l'harmonie perdue. En des termes éthiques et psychologiques, le mal est compris comme la perte de l'harmonie, d'où la valeur thérapeutique de la musique (Paloma Otaola, La pensée musicale espagnole à la renaissance, 2008).

La croyance en la réincarnation peut être assimilée à une doctrine selon laquelle un certain principe immatériel (" esprit ", " âme ", " conscience individuelle ") s'accomplit au travers de vies successives dans différents corps (humains, animaux ou végétaux selon les croyances). Dans cette doctrine, à la mort du corps physique, l'" esprit " quitte ce dernier pour habiter, après une nouvelle naissance, un autre corps, ce qui permettrait à l'individualité de poursuivre ses expériences de vie et son évolution spirituelle ou morale. La réincarnation est une forme de la transmigration des âmes, proche des concepts de métempsycose, palingénésie, et l'Éternel retour.

C'est principalement dans le monde grec que fleurit la doctrine de la réincarnation et de la métempsycose. En grec, métempsycose signifie " transmigration des âmes ". Dans cette doctrine, l'âme poursuit son évolution d'existence en existence humaine (réincarnation), et peut éventuellement s'incarner dans un animal ou un végétal (métempsycose). C'est vers le VIe siècle av. J.-C. que cette croyance apparaît dans le monde grec. Son origine n'est pas connue avec certitude. On n'en trouve pas trace chez Homère ou Hésiode, il est donc peu probable qu'elle provienne du passé mythique grec. La doctrine de la réincarnation influencera ensuite le poète Pindare. (Olympiques, II). La théorie des transmigrations de l'âme fut partagée par plusieurs écoles philosophiques, dont celle de Pythagore, bien sûr, et celle d'Empédocle. Platon l'utilisa dans le mythe d'Er. Dans le système d'Empédocle, la réincarnation en personnage " inspiré " - poète, devin ou médecin - représente la dernière étape du cycle, puisque l'âme divine, à ce stade, contrôle totalement le corps: concevant lui aussi l'au-delà comme une prairie, il espère y " repousser " (anablastanein), en partageant le foyer et la table des dieux, au festin d'immortalité (Marie-Françoise Baslez, Odette Mainville, Daniel Marguerat, Résurrection: l'après-mort dans le monde ancien et le Nouveau Testament, 2001).

Dans la Kabbale, la notion de réincarnation est aussi présente. L'ouvrage qui en traite le plus directement est le Sha'ar Ha'Gilgulim (La porte des réincarnations). Il est inspiré du Sefer Ha Zohar (section Mishpatim), le Livre de la Splendeur, l'un des ouvrages les plus importants de la Kabbale. Le concept utilisé en hébreu est celui de Gilgulei Ha Neshamot, ou plus simplement gilgul, signifiant "cycle", neshamot étant le pluriel d' "âmes". L'ouvrage décrit le "cycle" des âmes à travers différentes vies ou incarnations, les raisons de ce cycle, ainsi que les moyens permettant d'accélérer son évolution spirituelle. La réincarnation est citée par de nombreux commentateurs importants, y compris le Ramban (Na'hmanide), Mena'hem Recanti et Rabbenou Ba'hya. Le Bahir (fin XIIème) présente le principe de la transmigration des âmes comme un moyen pour Dieu de donner à l'homme une nouvelle chance de racheter ses péchés et d'atteindre le salut après avoir passé sa première vie dans le péché. Rabbi Isaac l'Aveugle, le plus grand kabbaliste de la Provence au début du XIIème siècle, avait la réputation de pouvoir distinguer entre une âme " ancienne " et une " nouvelle ", connaissant l'histoire de chaque âme grâce à ses pouvoirs surnaturels.

L'usage littéraire de cette notion atteignit son point culminant au XVIème siècle, après l'expulsion d'Espagne, à Safed. L'auteur anonyme du Galya raza (Le révélateur des secrets) soulignait le fait que la transmigration des âmes représentait un châtiment pour les péchés - l'être dont on revêt la forme est déterminé par la nature de ses péchés. L'idée que l'âme humaine pouvait réapparaître dans des corps d'animaux se répandit. L'exposition la plus systématique de cette conception se trouve dans les œuvres de R. Hayyim Vital (1542 - 1620), un disciple de Louria, chacune des cinq parties de l'âme migre indépendamment de corps en corps. Isaac Luri reconnut un jour selon Hayyim Vital et son fils l'âme d'un père incestueux dans le corps d'un grand chien noir.

Le bouddhisme propose, à la place d'une âme et d'un corps, la distinction de cinq agrégats d'attachement, skandha. Agrégat décrit l'individu comme un ensemble de phénomènes différents ; attachement insiste sur le fait que ces constituants sont pris pour un être, pour un moi, et conduisent à s'attacher à cette idée d'égo, là où il n'y a que phénomènes éphémères, impersonnels et insatisfaisants : ce sont les trois caractéristiques de tout phénomène conditionné.

Bien que l'expression " réincarnation " puisse figurer dans quelques traductions, le terme le plus employé est celui de " renaissance ". Il y a bien, en effet, une continuité - la mort ne signifie pas que le conditionnement cesse. Le samsâra forme ainsi un cycle de vies qui s'enchaînent les unes après les autres selon la loi de causalité

L'hindouisme défend la métempsycose, la loi du karma. Il croit à la métempsycose : l'âme individuelle (âtman) doit se fondre dans l'Âme cosmique, dans le Brahman immanent et absolu, afin de se dégager du cycle des renaissances (samsâra). La Bhagavad-Gîtâ (II, 22) présente ainsi la transmigration des âmes : "A la façon d'un homme qui a rejeté des vêtements usagés et en prend d'autres, neufs, l'âme incarnée, rejetant son corps, usé, voyage dans d'autres qui sont neufs." Selon swâmi Dayânanda Sarasvatî, "en punition des péchés physiques, un homme renaîtra sous forme végétale ; pour les péchés de la parole, il prendra la forme d'un oiseau ou d'un quadrupède ; et, pour les péchés de la pensée, il vivra dans les conditions humaines les plus basses" (Satyârtha-prakâsha. La Lumière de la Vérité, 1865, trad., Adrien- Maisonneuve, 1940, p. 335). L'écrivain T. Lobsang Rampa a prétendu avoir lui même transmigré de son corps de tibétain dans le corps d'un anglais afin de poursuivre sa vie sur terre. Toujours d'après cet auteur, d'autres entités, notamment parmi les fondateurs de religions auraient transmigré dans des corps à l'âge adulte. Le cas de Jésus de Nazareth devenu le Christ en recevant l'esprit saint en serait l'un des exemples. La descente de l'Esprit saint sur les apôtres serait ainsi la migration de l'esprit de Jésus, le Paraclet, dans le corps des apôtres. On verra que l'âme de Jésus serait celle de Moïse qui espérait un prophète tel que lui viendrait au secours des Israélites (fr.wikipedia.org - Transmigration des Âmes, fr.wikipedia.org - Réincarnation).