Partie X - 22 v’la l’Tarot   Chapitre II - Kabbalisation du Tarot   Introduction 4 : Tarot et Gonzague   

Tarot et Gonzague

Il est probable que les Tarots de Mantegna soient la vision par un artiste de la pensée d'un ou plusieurs humanistes. Ce pourrait être le jeu du " Gouvernement du Monde " inventé par le pape Pie II (Aenas Sylvius Piccolomini, élu en 1458, décédé en 1464) et les cardinaux Nicolas de Cuse (1401-1464) et Jean Bessarion (1403-1472), lorsqu'ils se réunirent pour le long concile de Mantoue en 1459 et 1460 (Gisèle Lambert, Suite d'estampes de la Renaissance italienne dite tarots de Mantegna, ou, Jeu du gouvernement du monde au quattrocento, vers 1465, Volume 1, 1985 - books.google.fr).

Léonore de Médicis, Duchesse de Mantoue, savait que le Duc son époux était fort grand seigneur au jeu, tant à celui du tarot qu'à tout autre : et en femme qui se plaît à savoir un peu par le menu les faits de son époux, elle s'était ménagé des intelligences dans la place au moyen desquelles les affaires ducales demeuraient assez peu secrètes pour elle. Elle était la sœur de la reine de France, Marie de Médicis, et fille de François, grand-duc de Toscane, et avait épousé Vincent de Gonzague en 1584, alors qu'il était prince héritier de Mantoue (Charles Du Bus, Paul Chéron, Gazette des beaux-arts, Volume 1, 1868 - books.google.fr).

La princesse Louise-Marie de Gonzague-Nevers aimait le jeu de tarot : " Comme les loix de ce jeu ne luy sembloient pas assez belles, ny assez diversifiées, elle trouva bon d'y en faire de nouvelles. " En 1637, elle demanda à l'abbé de Marolles " de les escrire & de les faire imprimer, afin de s'en servir plus commodément, et que personne ne pust abuser ". Le résultat en fut la toute première règle de ce jeu, imprimée à Nevers (Ève Netchine, Jeux de princes, jeux de vilains, 2009 - books.google.fr).

Le père de l'abbé, le capitaine Marolles, avait quitté sa compagnie des Cent-Suisses et était passé au service de la maison de Nevers, en qualité de gouverneur du jeûne duc de Rethelois. L'abbé de Marolles (1600 - 1681) se vit donc naturellement introduit à l'Hôtel de Nevers, et il y fut très-favorablement accueilli de l'aînée des filles, la princesse Marie de Gonzague, la future reine de Pologne, " qui se pouvait dès lors appeler la gloire des princesses de son âge par la beauté de sa personne et par les excellentes qualités de son esprit. " (Charles Augustin Sainte-Beuve, Causeries du lundi, Volume 14, 1857 - books.google.fr).

Plus connu dans le monde littéraire par le nombre de ses traductions que par leur mérite, Michel de Marolles naquit en Touraine, le 22 juillet 1600, d'un gentilhomme fort attaché à la Ligue, et qui, le lendemain de la mort de Henri III, eut, sous les murs de Paris, un combat singulier, dans lequel il tua son adversaire de l'Isle Marivaut.

Dès l'âge de neuf ans, le jeune Michel de Marolles fut pourvu de l'abbaye de Beaugerais, près de Loches, et c'est dans cette même année qu'il reçut une petite estampe en taille-douce, qui lui fut donnée par un chartreux nommé Mare Durand. Son père l'amena à Paris en 1610; il y fit ses études, 4'abord au collège de Clermont, puis ensuite à celui de la Marche, où il se trouva condisciple de l'abbé de Lumagne, célèbre, amateur, dont Van Dyck a fait le portrait. Le père, attaché au duc de Nevers, ayant été forcé de, s'éloigner de Paris en 1616, Michel de Marolles- fut interrogé par le garde des sceaux eu présence de Richelieu, alors évêque de Luçon ; le prélat engagea alors le jeune de Marolles à quitter le collège et à se retirer dans sa famille. Son père et lui restèrent cependant toujours attachés à la famille de Nevers, et en 1626 le fils obtint l'abbaye de Villeloin, qui avait quatorze religieux et pouvait rapporter alors 6,000 livres de rente.

Ayant eu fort jeune le goût des estampes, et peu de personnes alors formant de semblables collections, l'abbé de Marolles en réunit facilement de très-rares : en 1644 son cabinet en contenait environ 70 mille, il montait à 120 mille lorsqu'il le vendit au roi en 1667.

En 1655, l'abbé de Villeloin fit construire dans son abbaye une bibliothèque, dans laquelle il plaça plusieurs portraits de personnages célèbres; ces copies furent faites par un peintre lyonnais, nommé Vande. Revenu à Paris l'année suivante, il logea d'abord dans la rue Saint- Honoré, en face de l'Oratoire, ensuite à l'hôtel de Nevers, au faubourg Saint-Germain, puis après le mariage (le la princesse Marie avec le roi de Pologne, il se retira chez la veuve du peintre Daniel Rabel (Jean Duchesne, Description des estampes exposées dans la galerie de la bibliothèque impériale, 1855 - books.google.fr).

On a longtemps confondu notre Daniel Rabel (Paris, 1578-1637) avec son père, Jean (vers 1545-1603). Celui-ci avait été marchand d'estampes, graveur, plus ou moins spécialisé dans le portrait, mais qui fut sans doute intéressé aussi par les plantes et les insectes (on connaît dans ce genre un dessin, conservé au Cabinet des Estampes). La vie de Daniel Rabel reste fort mal connue. Peintre et graveur, fils et élève de son père, il fut chargé par Marie de Médicis de faire le portrait d'Anne d'Autriche.

Comme l'avait fait son père Jean, Daniel Rabel travailla pour Peiresc. Il a pris la suite de son père, Jean, après sa mort (1603), a copié pour Peiresc des vases et divers objets du trésor de Saint-Denis, " un fort gros livre in folio de dessins d'antiquailles pour une cinquantaine d'escus [...] un autre libvre d'armoiries d'Allemagne fort anciennes et une grande partie des figures d'une vieille bible " (Antoine Schnapper, Collections et collectionneurs dans la France du XVIIe siècle: Histoire et histoire naturelle, Le géant, la licorne et la tulipe, Volume 1, 1988 - books.google.fr).

Daniel Rabel fut peintre au service du duc de Nevers, Charles de Gonzague, "conducteur des défenses et fortifications", puis ingénieur du Roi en Champagne et Brie. Dans la seconde moitié du XVIIème siècle, les faïenciers de Nevers prennent leurs modèles de décor chez les graveurs. Les scènes illustrant l'Astrée sont très en vogue grâce aux vignettes de Daniel Rabel, et les paysages des Pérelle sont reproduits en camaïeux bleu, signe de la propagation du paysage dans les arts décoratifs. On lui attribue 232 estampes à l'eau-forte, scènes religieuses, mythologiques, scènes de genre et chasses, paysages et fleurs. Il fit de nombreux dessins pour l'illustration de livres (L'Astrée d'Honoré d'Urfé, Théagène et Chariclée d'Héliodore, L'Aminte du Tasse) et travailla pour Peiresc. Il est l'auteur d'un recueil d'aquarelles de costumes de ballet (musée du Louvre, département des Arts graphiques) et d'un recueil de vélins de plantes et d' animaux (Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie) (Monuments historiques de la France, 1971 - books.google.fr, Marc Bayard, Henri Zerner, Renaissance en France, renaissance française ?, 2009 - books.google.fr).

Jean Rabel ne s'en est pas tenu aux crayons. Papillon le fait graveur en bois; il est certain du moins qu'il faisait des dessins pour les tailleurs de bois encore florissants de son temps (J. Renouvier, Des types et des manières des graveurs, Mémoires de la Section des lettres, Volume 2, 1855 - books.google.fr).

Son fils a sans doute été initié à la xylographie.

On sait que la gravure sur bois précéda celle sur cuivre ou sur métal. Le métier des graveurs sur bois était affilié à celui des cartiers, et bien différent des graveurs sur cuivre qui tenaient aux orfèvres. En Allemagne dès 1470 on avait inséré des figures de saints gravées, dans les livres. Ce n'est qu'en 1481 qu'on voit paraître dans ce pays un livre orné de gravures sur cuivre, le Missale Herbipolense. En Belgique il n'y eut aucun livre avec des gravures sur bois avant 1476. Epoque où parut le Fasciculus temporum de Jean Valdener ; mais on ignore complètement quels fuient les premiers graveurs sur bois, quoique les premières images portent des marques ou des armes de graveurs. Déjà antérieurement aux époques que nous venons de citer, on avait fait de grandes gravures sur bois ou images détachées représentant des saints ou des sujets religieux. Le baron Heinecke rapporte que dans ses voyages il en a rencontré beaucoup, collées sur les couvertures des premiers livres imprimés. La plus ancienne portait la date de 1423.

Ainsi dès l'origine de l'art, on composait et l'on imprimait des images détachées, avec des inscriptions, avant que l'on n'imprimât des livres, à l'imitation sans doute des fabricants de cartes à jouer, et d'après un procédé analogue, ainsi que Prosper Marchand l'a démontré. Maintenant si l'on compare nos gravures récemment découvertes, à celles qu'on trouve soit dans les bibles des pauvres, soit dans l'histoire de St-Jean et de l'Apocalypse, ou dans les histoires de la sainte Vierge, premiers livres d'images imprimés au XVème siècle, on voit qu'elles sont d'un dessin plus correct et d'un style plus élégant qu'aucune d'elles. L'ensemble est plutôt léger que chargé, et malgré les larges lignes qui forment les contours, les figures sont bien drapées et faites avec goût. Elles représentent des sujets religieux; les plus grandes ont la forme carrée, les petites la forme ronde.

La dévotion pour les images, représentant des saints ou des sujets religieux, était montée, en ce temps, au plus haut degré; le clergé en distribuait en toute occasion. Elles étaient donc assez communes, les graveurs en bois trouvant plus de profit à ce travail, qu'à tailler les figures extravagantes dessinées sur les cartes. Ces images dispersées et perdues parmi les laïques, imprimées d'ailleurs sur des feuilles volantes, ne furent conservées que pour autant qu'on les collait dans les livres. C'est ainsi que plusieurs sont parvenues jusqu'à nous.

En établissant une date approximative pour y rattacher les gravures des tombes de St-Sauveur, nous n'avons eu aucun égard à l'enluminure qu'on y remarque, parce qu'elle ne peut nous guider. Meerman, en effet, parle de cette espèce d'ornement employé dans plusieurs bibles des pauvres, de sorte que dès l'origine de la gravure sur bois, on doit avoir eu l'habitude de les colorier grossièrement, probablement à l'imitation des cartes à jouer. Car dans la fabrication de celles-ci, la gravure en bois, l'impression et la peinture allaient de compagnie et cette triple opération ouvrait tout de suite la porte à l'impression sur papier, des planches gravées en bois, et peu après à l'impression des livres (Annales de la Société d'Emulation de Bruges, Volume 4, Société d'Emulation pour l'Histoire et les Antiquités de la Flandre Occidentale, 1842 - books.google.fr).

Le Tarot de Paris

Des quatre tarots uniques du XVIIe siècle que la BnF peut s'enorgueillir de posséder, celui-ci est peut-être le plus chatoyant mais aussi le plus frustrant : il est fait à Paris, comme le rappellent plusieurs cartes par un artisan anonyme mais on ne sait si cet anonymat est le fruit de la décision du graveur ou de l'imprimeur (sur le deux de deniers, ainsi que le deux et le trois de coupes comporte la phrase suivante, inachevés : " Fait à Paris par… " le nom a été biffé sur les matrices. Sur le quatre de deniers, on peut lire : " A Paris, de… ". Ce jeu complet de 78 cartes est un jeu à part dans l'histoire du tarot. A l'instar du jeu de Geoffroy ces cartes ont été totalement réinventées. Les triomphes, bien qu'ils conservent leur appellation traditionnelle, présentent de nombreuses variantes noté au bas de chaque page dans une orthographe très grossière. On peut noter la présence épisodique d'éléments typiquement italiens comme le cadre orné de damier blanc et noir et les cartouches où est inscrite l'initiale ou la couleur des lames. De style très italianisant - au point que certains cartouches portent des initiales italiennes (FS, fante di spade, pour valet d'épées) -, résolument atypique, ce tarot paraît avoir été conçu au début du XVIIe siècle car les costumes sont ceux du règne d'Henri IV. L'encadrement "componé" (en damier) est une imitation en trompe-l'oeil du dos rabattu des tarots italiens. Les deniers sont ornés de motifs héraldiques empruntés aux manuels de blason de l'époque. Le contenu des lames d'épées rappelle les cartes espagnole fabriquées à la même époque, ainsi que la présence d'animaux fantastique fréquente sur les jeux espagnol ou allemand. Les deniers comporte des blasons qui n'appartiennent pas qu'à l'héraldique française, mais aussi à l'italienne (écus des Gonzague de Mantoue et de la famille Strozzi de Florence) (expositions.bnf.fr, magie.alliance-magique.com).

"five of coins has the arms of Paris and Vendome-La Marche (top), Lyon (center), Normandy and Toulouse (bottom); four of coins bears the arms of the Dauphin of Vienna and of Giangaleazzo Visconti, showing the Visconti viper quartered with the French fleur-de-lis (top ), Brittany and possibly a poor interpretation of the arms of Artois (bottom), along with the words A PARIS (backward) PAR; two of coins has the arms of the Gonzaga of Mantua and of the Strozzi, with the words FAICT A PARIS PAR (Stuart R. Kaplan, The encyclopedia of tarot, Volume 2, 1986 - books.google.fr).

Le 14 Janvier 1605, les fabricants reçoivent l'ordre de se regrouper dans 7 villes. En Février 1613, il est décidé que les noms et devises des Cartiers figureront sur le Valet de Trèfle, dès la Renaissance le graveur marque ses initiales sur le Chariot et le maître sur le 2 de Deniers, ce que fera Jean Noblet. (tarotchoco.quebecblogue.com).

Ce qui implique l'importance des armes sur ce 2 de deniers : celle des Gonzague - Mantoue.

Le Nivernais avait pour armes: D'azur à trois fleurs de lis d'or à la bordure componée d'argent et de sable (qui est des Capétiens de Bourgogne-Nevers). Les 3 fleurs de lys sur les cartes de ce jeux peuvent indiquer les armes du Nivernais plutôt que celle de la France.

Le diable tient un râteau qui pourrait renvoyer aux râteaux du blason de Rethel dont les Gonzague-Nevers étaient seigneurs par la Maison de Clèves qui descendait, selon la légende, du chevalier au cygne Helias On dit que le diable est chef de cette noble maison et père des comtes de Clèves. Les cabalistes prétendent que ce fut un sylphe qui vint à Clèves par les airs, sur un navire merveilleux traîné par des cygnes, et qui repartit un jour, en plein midi, à la vue de tout le monde, sur son navire aérien. Le Râteau est aussi le Bâton de Jacob, le Baudrier d'Orion et les Trois-Rois du ciel étoilé.

Nevers a pour armes: D'azur semé de billettes d'or, au lion d'or brochant sur le tout.

Sur la carte de l'Ermite et de la Lune, deux arches bien évidence montrent leur courbe. La principauté d'Arches est née en 1608, par la volonté de Charles III duc de Nevers et de Rethel, à la suite de la création ex-nihilo de la cité de Charleville.

Sur lacarte de l'Etoile, une inscription apparaît sur un livre à droite. Elle semble écrite incomplètement à l'envers : on pourrait y lire "GELE". Claude Gellée dit Le Lorrain signa un site d'Italie, une hutte de chcvrier située auprès de grands arbres avec deux hommes sous la porte et plus loin, des chèvres couchées, le tout à la plume et au bistre, avec rehauts blancs, sur du papier gris clair, d'un "Cl. Gelé 1645" (Mme Mark Pattison, Claude Le Lorrain, 1884 - archive.org).

Claude le Lorrain de son vrai nom, Claude Gellée est né en Lorraine dans une famille nombreuse et pauvre, dans le village de Chamagne, près de Charmes sur la Moselle. En 1616, après la mort de ses parents, Le Lorrain suivra son frère aîné Jean, graveur sur bois, en Allemagne, à Fribourg-en-Brisgau, ou il travailla dans son atelier. Puis, il sera en Italie, à Bagnaia, ou il devint valet, puis assistant du peintre Agostino Tassi, paysagiste et élève du peintre flamand Paulus Bril, dont le Lorrain copiera les oeuvres. Ensuite le jeune artiste passera deux ans à Naples dans l'atelier de Gottfried Wals. De retour à Rome en 1623, Le Lorrain travaille à nouveau pour Tassi jusqu'en 1625 (universdesarts.fr - Le Lorrain).

La duchesse Marguerite de Gonzague (celle de la coline de Sion) fait peindre en Lorraine des tableaux qu'elle envoie à Mantoue. Claude Gellée inversement rentre d'Italie et décore, en 1626, en compagnie d'un peintre italien, André Battista, l'église des Carmes de Nancy sous la direction de Claude Deruet. Jacques Callot reparaît en 1620, à la suite du prince Charles IV, futur duc de Lorraine, et grave des planches qu'il envoie à Israël Henriet, compagnon de travail de Duchesne, qui habitait à Paris avec Poussin.

À la même époque arrive à Nancy une œuvre de Caravage représentant une Annonciation. Cette œuvre, que conserve aujourd'hui le musée des Beaux-Arts de Nancy, est remarquable à plus d'un titre. Tout d'abord, elle est la seule œuvre réalisée par Caravage pour un pays étranger, en l'occurrence la Lorraine, en raison des liens familiaux qui unissaient les Gonzague, ducs de Mantoue, et les ducs de Lorraine. En effet, Henri II, fils de Charles III, avait épousé en 1606 Marguerite de Gonzague, fille du duc de Mantoue, et soeur du cardinal Ferdinand de Gonzague protecteur du Caravage (Annales de l'Est, Fédération historique lorraine, Université de Nancy II, 1977 - books.google.fr).