Partie X - 22 v’la l’Tarot   Chapitre II - Kabbalisation du Tarot   Introduction 3 : Les Gonzague   

Les Gonzague

Les Gonzague mécènes

Au XVème siècle les Génois ont la réputation de mépriser la culture. En revanche, des petites villes comme Urbino (10 000 habitants), Mantoue (25 000) et Ferrare (45 000) brillent dans ce domaine. Urbino est un petit duché (100 000 habitants ) inclus dans la marche d'Ancône, jamais vraiment indépendant. Mais sous Federico da Montefeltro, puis Guidobaldo (du même nom) entre 1444 et 1508, sa capitale - où naissent Bramante et Raphaël - devient " l'Athènes de l'Italie " : elle attire Piero della Francesca, Luciano Laurana, Melozzo da Forli pour construire le palais d'Urbino. La cour policée de Guidobaldo sert de modèle à l'Europe des rois et des nobles lorsque Balthazar Castiglione en fait connaître dans son Courtisan ( 1528 ) la haute culture. Son épouse est d'ailleurs une Gonzague de Mantoue, autre centre de rayonnement littéraire et artistique. Les Gonzague, devenus marquis en 1433 sont obligés de se maintenir par l'appui de Venise, Milan et le Pape. Ce sont des condottieri : enrichissement grâce à la guerre. Mais aussi des mécènes : Gianfrancesco, en 1423, fait venir Vittorino da Feltre, le premier des grands pédagogues humanistes. Son fils, Ludovico, rassemble livres et tableaux, honore artistes et lettrés. C'est pour lui qu'Alberti dessine des plans d'églises et que Mantegna peint au palais ducal la célèbre " chambre des époux "avec ses portraits. Apogée de la cour sous Francesco et son épouse Isabelle d'Este, qui devient l'animatrice de la vie culturelle, faisant donner des représentations théâtrales, inspirant les poètes, correspondant avec Léonard, Bembo, l'Arioste, Bandello etc. Poétesse et musicienne, elle apparut comme le type accompli de la gentildonna (Jean Delumeau, L'Italie, de la Renaissance à la fin du XVIIIème siècle).

Les Gonzague en France

Louis de Gonzague, duc de Nevers (18 septembre 1539-23 octobre 1595), était un prince italien de la maison de Gonzague qui régnait au XVIe siècle sur le duché de Mantoue. Il fut envoyé très jeune à la cour de France pour être élevé avec les enfants de la famille royale des Valois à laquelle sa grand-mère Anne d'Alençon était liée. Il fut naturalisé français. Compagnon d'enfance du roi François II, marié à Henriette de Clèves (l'héritière du prestigieux duché de Nevers), conseiller politique du duc d'Anjou (futur Henri III), membre influent du conseil royal et à plusieurs reprises chef de l'armée royale, il fut une personnalité française très importante de la période des guerres de religion.

Profondément catholique, il s'illustra à de nombreuses reprises en combattant les Réformés. Il contribua au massacre de la Saint-Barthélemy et encouragea toujours la monarchie à rester ferme contre les rebelles (http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_IV_de_Nevers).

Comme tous les Gonzague, Louis de Nevers était très versé dans la tradition ésotérique. En 1582, il se rendit en Angleterre où il rencontra Sir Philip Sydney et John Dee. Devenu surintendant des Finances de Henri IV, il travailla avec le père de Robert Fludd, trésorier du contingent militaire envoyé par la reine Elizabeth Ière d'Angleterre pour soutenir le nouveau roi.

Le duc Louis, un Gonzague, qui avait reçu dans sa jeunesse une éducation raffinée à la cour d'Henri II, favorisa l'installation à Nevers de faïenciers et d'imprimeurs italiens mais facilita en premier lieu, dès le début des années 1570, l'établissement de verriers issus du duché de Montferrat, possession des Gonzague depuis 1533. Son fils aîné, Charles Ier (1580- 1637), hérita de son goût pour les arts et poursuivit sa politique de mécénat. À plusieurs reprises au cours de son règne, il renouvela son soutien à la verrerie créée à Nevers au temps de son père et suscita, en 1612, la fondation d'une autre verrerie à Charleville, cité idéale élevée de toutes pièces à partir de 1608 dans sa principauté d'Arches.

Fanatisme religieux et Gonzague

La somptueuse et magnifique entrée du Tres-chrestien Roy Henri III de ce nom Roy de France et de Pologne, grand duc de Lithuanie, en la cité de Mantoue, par Blaise de Vigenère (1576), est une publication au service des Gonzague-Nevers. La glorification du duc de Mantoue et de sa maison permettait ainsi, sans que rien ne fût dit explicitement, d'évoquer les Gonzague-Nevers comme des piliers de la foi catholique dans le royaume de France et, simultanément comme de bons féaux, servant le roi et la monarchie Très Chrétienne. Blaise de Vigenère (1523-1596) fut secrétaire du duc de Nevers puis de Henri III. De retour d'un voyage à Rome en tant qu'ambassadeur (1566-1569), il partagea désormais sa vie entre des travaux d'érudition et le service des ducs de Nevers. Sans porter le titre de précepteur, il est en effet chargé de l'éducation du fils de Louis de Gonzague et d'Henriette de Clèves, Charles (Arianne Boltanski, La Somptueuse et magnifique entrée du Tres-chrestien Roy Henri III, Le livre d'architecture, XVe - XXe siècle).

Les Guise avaient partie liée avec la fraction des catholiques exclusivistes. Or, celle-ci avait été revigorée par les événements, ses membres les plus actifs, comme les ducs de Nevers et de Montpensier, ne cachaient pas leur hostilité à la politique de conciliation avec les protestants.

Le duc de Nevers, Louis de Gonzague, un des inspirateurs de la Saint-Barthélémy, tiraillé entre ses devoirs de sujet et la cause de Dieu, ne s'était pas sitôt déclaré pour un parti que ses scrupules le ramenaient à l'autre. Il s'était d'abord enrôlé dans la Ligue ; mais il avait quitté le parti des Guise, après avoir reconnu que la religion n'était pas le motif qui les faisait agir. Ce personnage était fort agréable au pape et bien connu par ses sentiments catholiques.

Dans les jours et les semaines qui suivirent le 24 août parisien, des tueries se produisirent dans plusieurs villes du royaume. A La Charité-sur-Loire, ce sont les hommes de la compagnie du duc de Nevers qui ont perpétré les meurtres (www.matierevolution.fr).

Les premières lettres écrites d'Orient au duc Charles, fils de Louis de Nevers, ou si on l'aime mieux à l'empereur Constantin et à toute sa famille impériale, car c'est ainsi qu'on se plaisait à l'appeler, sont du mois d'octobre 1612, mais elles supposent évidemment des relations plus anciennes et semblent indiquer une affaire qui touche à son dénouement. Le duc Charles n'a pas voulu attendre la mort de François IV, duc de Mantoue, son cousin, pour faire valoir des droits que ce dernier aurait pu lui contester, il savait que François n'avait pour héritière que la princesse Marie, qui certes ne pouvait contrebalancer les projets de son cousin. Aussi, nous voyons ses relations s'établir avec les peuples de la Morée, avant la mort du duc François. La réussite de l'entreprise paraissait indubitable ; Charles de Gonzague voyait se grouper autour de lui tout ce que la Grèce avait de plus illustre, surtout les personnages qui, comme lui, se rattachaient a l'ancienne famille impériale, et qui auraient pu faire valoir quelques droits. Néophytes, évêque du Magne, lui écrivait, en 1612, qu'il avait eu de ses nouvelles par un nommé Juan, et par une lettre d'un certain Kalapotos. D'après les renseignements que lui avaient donnés ces deux personnages, il savait que le prince .trait le projet de se rendre en Morée. Le bon évêque, ignorant sans doute toutes les difficultés qui s'opposaient à un semblable voyage, crut que le duc de Nevers était sur le point d'arriver; il se mit en route, et marcha toute une nuit pour se rendre à sa rencontre et avoir le bonheur de le bénir, a Je me suis mis en route, dit-il, pour saluer " notre roi très-sacré, que nous attendons avec la même impatience que les Hébreux attendaient le Messie. " Cette lettre est du mois d'octobre 16l2.

Les factions qui, alors, divisaient la France venaient ajouter aux préoccupations du duc de Nevers. On l'avait vu s'éloigner de la cour avec les ducs de Mayenne, de Longueville et de Bouillon, à l'exemple du prince de Condé. Cependant, par suite des conférences tenues à Sainte-Menehould, au mois de mai 1614, on devait réunir dans le cours de la même année les états-généraux. Le duc de Nevers convoqua donc à cet effet dans son duché le clergé, la noblesse et le tiers-état. Dans cette circonstance, il déploya une magnificence digne d'un empereur.

Dès lors Charles de Gonzague est traité avec tous les égards dus à une tête couronnée; on se plaît à lui donner les titres les plus magnifiques, on lui rappelle sans cesse son illustre origine, soit sur l'adresse, soit en tête des lettres qu'on lui expédie : " A l'empereur Constantin et à toute sa famille impériale, années nombreuses et salut dans le Seigneur. - A Constantin Paléologue, le roi très chrétien, etc. ".

Les états-généraux en France n'eurent aucun résultat, et les factions continuèrent à s'agiter. On décida une nouvelle assemblée pour conclure un nouveau traité, c'est ce qui eut lieu à Loudun, le 20 janvier 1616.

Cependant , le projet du duc de Nevers, de devenir empereur de Constantinople, était connu, et parmi les pamphlets que les gens attachés à la cour avaient fait pleuvoir sur les princes mécontents, on remarquait surtout ceux qui s'adressaient à l'héritier des Paléologue. Sans se laisser déconcerter, Charles de Gonzague croyant la paix rétablie par le traité de Loudun, voulut témoigner la joie qu'il en ressentait par une fête splendide, à laquelle il avait invité tous les premiers personnages de l'époque. Laissons l'abbé de Marolles, témoin oculaire, raconter les détails de cette fête vraiment royale.

Nous remarquons, comme une singularité, que trois dames prirent part à ces conférences de Loudun, savoir de la part du roi, Anne de Montasié, comtesse de Soissons, et de la part des factieux, Charlotte de La Trimouille, mère du prince de Condé, et Catherine Gonzague de Nevers, mère du duc de Longueville.

A l'occasion de la conférence tenue à Loudun, en 1616,1e duc de Nevers était entré en relation avec un homme qui jouai, déjà en Europe un rôle important, un de ces hommes difficiles à saisir, et que l'histoire laisse enveloppé d'un voile mystérieux. Considéré par les uns comme un être providentiel et doué des qualités propres à la mission qu'il avait à remplir : " II travailla toujours pour l'Église, dit un historien, longtemps pour l'État; religieux fervent " dans le cloître, fin politique à la cour, guide assez souvent nécessaire à Richelieu lui-même. Regardé par les autres comme un ambitieux, aspirant aux honneurs, ou au moins à se faire un nom sous l'humble froc du capucin. C'était le père Joseph Leclerc du Tremblay, d'une naissance illustre, et qui avait pour parrain le duc d'Alençon, frère des trois rois, François II, Charles IX et Henri III.

Le 25 novembre 1616, le Conseil du Roi est remanié : les vieux ministres d'Henri IV sont remplacés par des hommes inféodés à Concino Concini. Mais, alors qu'il est au sommet de sa puissance et qu'il a la haute main sur le Gouvernement, l'Italien n'a jamais été aussi impopulaire.

Ce remaniement fait presque figure de coup d'Etat et soulève l'indignation des Parisiens. Rue de Tournon, l'hôtel particulier de Leonora Galigaï est pillé, deux domestiques y sont massacrés. Alors qu'il est plus impopulaire que jamais, qu'il est accusé de dilapider les deniers de l'Etat pour son propre compte, Concini abandonne toute prudence et laisse libre cours à son ambition dévorante : désormais, il convoite l'épée de connétable, c'est à dire le commandement en chef de toutes les armées du royaume. Si bien que l'agitation des Grands reprend. Tous se targuent de vouloir libérer le jeune roi "de la conjuration et tyrannie du maréchal d'Ancre et de ses adhérents". Tandis qu'ils vont jusqu'à chercher des appuis à l'étranger, le Gouvernement réagit avec énergie, n'hésite pas à recourir à la force et à faire intervenir l'armée.Le 31 janvier 1617, le duc Charles de Nevers publie un manifeste contre la "tyrannie" de Concini. Trois jours plus tard, les ducs César de Vendôme et Henri de Mayenne renchérissent dans des publications similaires. "La tyrannie de l'autorité du gouvernement du maréchal d'Ancre (...) était si grande qu'aucun des Grands ne put le supporter (...). Il était toujours en dessein de chasser et congédier le reste du Conseil et les secrétaires d'Etat qui ne dépendaient pas entièrement de lui, de faire changer les officiers des cours souveraines, d'ôter ceux qui étaient près de la personne du roi (...). Toutes personnes de toutes qualités lui voulaient du mal et le haïssaient", relate le secrétaire d'Etat Paul de Pontchartrain dans ses Mémoires.

Le 24 avril 1617, Louis XIII laisse assassiné Concini par le capitaine des gardes Nicolas de Vitry (http://chrisagde.free.fr/bourb/l13hommes.php3?page=22).

En 1617, trois frères gentilshommes de Spello, en Italie, de la famille des Pétrignan , avaient conçu le projet de fonder un ordre millitaire sous le nom de la bienheureuse vierge Marie, mère de Dieu, et la règle de saint François d'Assise, pour la défense de la foi, l'exaltation de la sainte Église et aussi pour s'opposer aux incursions des Turcs. Ils en dressèrent les statuts, qu'ils traduisirent en diverses langues pour les répandre partout, et attirer ainsi de toutes parts, dans le nouvel ordre, le plus de membres possible. Il devait y avoir trois sortes de chevaliers : des gentilshommes laïques, nommés chevaliers de justice; des gentilshommes ecclésiastiques, et des chevaliers chapelains et servants d'armes. Ceux de la première et de la seconde classe devaient porter au cou une croix d'or émaillée d'azur, en mémoire de la robe de la sainte Vierge, et sur le côté gauche de leur manteau, qui devait être blanc, une autre croix de satin bleu bordée d'argent, au milieu de laquelle serait un ovale, dans lequel il y aurait un chiffre composé d'une S et d'une M (signifiant sans doute Sancta Maria), couronnées avec ces paroles à l'entour : In hoc signo vinces. Autour de l'ovale, entre les quatre branches de la croix, il devait y avoir douze rayons " d'argent, trois de chaque côté pour représenter les " douze apôtres ; sur chaque branche de celte croix, " il devait y avoir aussi neuf autres rayons d'argent, " pour marquer les neuf cœurs des anges. Les branches devaient se terminer en fleurs-de-lis, pour " signifier que cet ordre était institué en l'honneur " de la sainte Vierge, le vrai lis des vallées ; et au " bout des quatre fleurs-de lis, on y devait mettre quatre étoiles entourées de rayons, en mémoire " des quatre évangélistes. Les chevaliers de la troisième classe, qui étaient les chapelains et servants " d'armes, devaient porter seulement la croix sur le manteau et non au cou. "

Enfin le pape, comme chef et protecteur de l'ordre, avait promis son palais de Latran pour leur servir de maison conventuelle, et le port de Civita Vecchia pour y établir un arsenal de galères. On devait réunir dans le palais de Latran des maîtres de toute espèce, afin de former les nouveaux chevaliers aux sciences et aux exercices qui conviennent à la noblesse. Chaque chevalier, au jour de sa réception, était r tenu de verser une certaine somme à la caisse commune, et une partie de cette somme était consacrée à fonder des commanderies. Tels étaient en substance les statuts de l'ordre de la milice chrétienne, qui demeura à l'état de projet quoique agréé du Saint-Siège.

Si ce projet ne reçut pas son exécution, il servit du moins de base à l'ordre de l'Immaculée Conception de la bienheureuse vierge Marie. En effet, les frères Pétrignan qui, comme nous l'avons dit, avaient traduit leurs statuts en diverses langues, songèrent sérieusement à se procurer des adeptes, et se transportèrent dans les principaux Etats de l'Europe, pour proclamer le nouvel ordre. Jean-Baptiste Pétrignan, l'un des trois frères, se rendit en France au commencement de 1618, d'où il passa à la cour de l'Empereur. Il avait eu, soit en France, soit en Allemagne, des entretiens particuliers avec le duc de Nevers, et lui avait communiqué ses projets et les statuts de l'ordre de la milice chrétienne. Cet ordre devait merveilleusement seconder la chevaleresque entreprise de Charles de Gonzague ; et, sans doute, il encouragea fortement Jean-Baptiste Pétrignan. Mais, quel crédit devait avoir sur les seigneurs de France, d'Allemagne et même d'Italie, trois gentilshommes dont le nom n'avait pas un grand retentissement, et dont la fortune n'était pas à la hauteur d'une semblable entreprise ? Forcés par la nécessité, ou peut-être à l'instigation du duc Charles, ils renoncèrent à leurs projets ; et le duc de Nevers, avec leur concours, fonda, grâce aux éléments déjà préparés, un nouvel ordre, dont le nom devait perpétuer le souvenir des démarches faites par les frères Pétrignan, en même temps que les pieux efforts de celui qui devait compléter cette œuvre; on l'appela l'Ordre de la milice chrétienne de l'Immaculée Conception de Marie.

Il nous sera facile de nous rendre compte du motif qui détermina le duc de Nevers à lui donner ce titre; l'Église n'avait pas encore proclamé comme un dogme la croyance à l'Immaculée Conception de la très-sainte Vierge, cependant elle avait manifesté sa pensée par la bouche de ses pontifes, qui regardaient comme téméraires ceux qui osaient soutenir une opinion contraire. Déjà saint Pie V et Sixte IV s'étaient prononcés d'une manière formelle, et avaient soumis à des censures ceux qui prêcheraient publiquement contre cette pieuse croyance de l'église catholique. Le 31 août 1617, Paul V renouvela, par une bulle, les constitutions de saint Pie V et de Sixte IV. Cette bulle dut exciter, au milieu des peuples, un nouveau degré de confiance en Marie. Ne nous étonnons pas de voir le duc Charles de Gonzague mettre son entreprise sous la protection puissante de la Vierge Immaculée dès le premier moment de sa conception.

Cependant, le duc de Nevers avait quitté Rome pour revenir dans son duché, heureux du résultat de ses démarches. Le 1er novembre de la même année, la cathédrale de Nevers était témoin d'une cérémonie bien imposante ; toute la jeunesse de la noblesse du pays se pressait autour de la chaire de la vieille basilique. Un capucin y prêchait la croisade au nom du souverain-pontife, et appelait sous la bannière de la Vierge Immaculée, dès les premiers instants de sa conception, les jeunes seigneurs Nivernais; c'était le R. P. Joseph du Tremblay, de retour de ses pérégrinations. Au milieu de l'assemblée, on voyait Charles de Gonzague avec le magnifique costume de l'ordre, et auprès de lui, sans doute, l'étendard général. Cet étendard, d'après ces constitutifs, devait être blanc. Au milieu, le mont du Calvaire avec l'image de Jésus en croix ; au côté droit, on voyait Marie compatissant aux douleurs de son fils ; au côté gauche, l'archange saint Michel perçait d'une lance crucifère le dragon renversé sous ses pieds, et tenait en la main droite une épée sur laquelle on lisait : Quis ut Deus. L'autre côté de l'étendard était timbré d'une grande croix bleue, au centre de laquelle la Vierge Immaculée, entourée des rayons lumineux du soleil, avait la lune sous les pieds et une couronne d'étoiles sur la tête ; au côté droit de cette croix, était l'image de saint François avec ses stigmates, et au côté gauche, saint Basile, habillé à la façon des patriarches d'Orient. Cependant le pape Urbain VIII, qui avait pris sous sa protection l'ordre de la milice chrétienne de l'Immaculée Conception, n'avait pas" encore donné sa bulle de confirmation des statuts; il s'était contenté de les approuver de vive voix et d'encourager le duc de Nevers dans son entreprise. Ce fut le 12 février 1624 qu'il confirma les premiers statuts dont nous avons parlé plus haut. Le 14 novembre de la même année , par une nouvelle bulle, il permit au grand- maître de recevoir dans cet ordre les patriarches, archevêques, évêques, auditeurs de Rote, clercs de la chambre apostolique, protonotaires , référendaires et autres prélats de la cour romaine, pourvu qu'ils eussent exercé leurs offices pendant deux ans, les dispensant, en ce cas, de l'année de noviciat; il voulut qu'ils eussent voix active et passive dans les chapitres généraux, et qu'ils jouissent des autres privilèges accordés aux autres chevaliers. Le 10 mai de l'année suivante, 1625, par une autre bulle, il prorogea pour un an, à compter du jour de la Pentecôte, la convocation du chapitre général, qui ne pouvait se tenir cette année-là à Rome, à cause des guerres qui désolaient l'Europe. En attendant, le conseil suprême, établi au palais de Latran, avait dressé des constitutions que le pape confirma, à la prière du duc de Nevers, par une nouvelle bulle du 24 mai de la même année 1625. Ces constitutions venaient compléter les statuts dont nous avons relaté plus haut les principaux articles. Elles furent imprimées à Rome la même année, et, ayant été traduites en français par l'abbé de Marolles, elles furent imprimées à Paris l'année suivante.

Le moment semblait être arrivé pour le départ de la croisade, et la Hotte était à l'ancre dans le port de Cette, car, dit l'abbé de Marolles : " le P. Joseph avait suggéré au prince généreux (Charles de Gonzague), de faire équiper des vaisseaux pour embarquer des chevaliers de sa milice, et aller au secours des chrétiens opprimés sous la domination du Turc, et particulièrement de ceux qui sont en Morée, qu'il espérait attirer dans les intérêts de son entreprise par une révolté considérable. " Son zèle et son grand cœur lui ôtaient l'appréhension de toutes sortes de périls et ne luj permettaient pas de désespérer d'une entreprise si hardie, ajoutant d'ailleurs beaucoup de créance aux révélations du père capucin, qui l'assurait qu'il fallait " se promettre toutes choses d'un si grand et si pieux " dessein, et que Dieu ferait des miracles, s'il en " était besoin, pour le faire réussir. Cinq vaisseaux " furent bâtis et frétés de tout point aux dépens de M. de Nevers, qui n'y voulut rien épargner, et ils la reçurent en la cérémonie de leur baptême, s'il faut user de ce terme, les noms de Saint-Michel, de Saint-Basile, de la Vierge, de Saint-François et de Saint-Charles. Mais enfin le malheur voulut qu'ils y fussent brûlés, et que toute cette grande entreprise fut abîmée dans les eaux ou dévorée par les flammes. "

Huit ans plus tard, il était encore question de croisades, et sans doute de croisades qui devaient être entreprises par les chevaliers de l'Immaculée Conception. En effet, Urbain VIII, protecteur, et pourquoi ne pas dire fondateur de cet ordre, semble recommander le succès de ses entreprises à une sainte vierge et martyre de Rome, pour laquelle il avait une dévotion toute spéciale.

A l'occasion de la translation solennelle des reliques de sainte Martine, en 1634, ce pape voulut composer lui-même les hymnes du nouvel office de cette sainte (Courgenay, Bulletin de la Société nivernaise des sciences, lettres et arts, 1855).

L'empereur Ferdinand III, en 1647, fit élever sur la grande place de Vienne une splendide colonne couverte d'emblèmes et de figures qui sont autant de symboles de la victoire que Marie a remportée sur le péché, et surmontée de la statue de notre Reine immaculée, avec cette pompeuse et catholique inscription : " Au Dieu très bon et très grand, Monarque du Ciel et de la Terre, par qui règnent les rois; à la Vierge Mère de Dieu, Immaculée dans sa conception. Par qui les princes commandent, que l'Autriche a choisie avec amour pour Souveraine et Patronne, Ferdinand III Auguste confie, donne, consacre soi-même ses enfants, ses peuples, ses armées, ses provinces, enfin tout ce qu'il possède et érige cette statue, en souvenir éternel. " (http://imagessaintes.canalblog.com/archives/2009/06/26/14212908.html).

Sa femme était Éléonore de Nevers-Mantoue, également appelée Éléonore de Mantoue, Eléonore de Gonzague-Mantoue ou Éléonore de Mayenne est née le 18 novembre 1630 à Mantoue (Italie) et décédée le 6 décembre 1686 à Vienne (Autriche). Fille de Charles II Gonzague, duc de Nevers, de Mantoue, et de Mayenne, qui était un prince français de la Maison Gonzague, de souche franco-italienne, né en 1609 en France et mort le 30 août 1631 à Cavriana (Province de Mantoue, Italie).

Les Gonzague créèrent de nombreux ordres de chevalerie :

L'Ordre des Chevaliers du Sang de J. C. fut institué par Vincent de Gonzague IV, duc de Mantoue, duc de Montferrat, en l'honneur de quelques gouttes de sang de Notre-Seigneur J. C. qu'en garde, et qu'on révère à Mantoue. On y prétend, mais fans fondement, que ce sang miraculeux y a été apporté par celui qui perça d'un coup de lance le sacré côté de notre divin Rédempteur, & à qui l'on a donné le nom de Longin, quoique ce Soldat ne soit point nommé dans l'Ecriture.

1619. L'Ordre des Chevaliers de la Conception, fut institué par Ferdinand, Duc de Mantoue, par Charles de Gonzague, Duc de Nevers; et par Adolfa, Comte d'Alla. En 1614. Urbain VIII.

1668. L'Ordre des Dames Chevalieres de la vraie Croix fut institué par l'Impératrice Douairière Eléonore de Gonzague, veuve de Ferdinand III. Cet Ordre est composé de plusieurs Dames de qualité, qui se font une dévotion particulière d'honorer le bois de la vraie Croix. Le Pape Clément IX. approuva cet Ordre par une Bulle, où il célèbre l'excellente piété de cette grande Princesse (Pierre Le Lorrain De Vallemont, Les éléments de l'histoire, Volume 4, 1758).

Mantoue et ses Juifs

La maison de Gonzague traitait sa population juive avec beaucoup d'humanité, eu égard aux mœurs de l'époque, et au quinzième siècle ils pouvaient pratiquer librement leur culte, et vivre presque en intimité avec les chrétiens dont il ne leur était pas défendu d'utiliser au besoin les services. Mantoue fut un foyer de musique juive, comme Venise, et les ducs de Gonzague eurent des musiciens juifs. Mantoue renferme alors 10% de la population juive de l'Italie du Nord.

Le duché de Mantoue comportait un vaste ensemble de bibliothèques juives. En 1490, Louis de Gonzague commande chez lui une Bible hébraïque, et, après 1464, il contrôle les livres de compte des juifs florentins sur l'ordre du gouvernement. Jacob ben Nephtali publie le Zohar à Mantoue en 1558-1560 (Bibliothèque universelle et revue suisse, Volume 3, 1885, Ilana Zinguer, L'Hébreu au temps de la Renaissance, Volume 4 de Brill's series in Jewish studies, 1992).

R. Azarias savant Juif Italien a composé un Livre, intitulé Meor Enajim, [Lalumière des yeux,] divisé en trois parties, dont la troisiéme a pour titre, lmre Bina, [Paroles d'intelligence,] où l'auteur explique plusieurs difficultés de l'Ecriture, et principalement celles qui regardent les anciennes traductions de la Bible et de la Chronologie. Il cite nos auteurs latins, et principalement les Livres des Pères. Il soutient quelquefois des Paradoxes ; mais il est beaucoup plus savant que la plupart des Juifs, parce qu'ayant eu la connaissance de la langue latine, il a consulté les auteurs chrétiens. On trouve dans ce même livre une traduction en hébreu de l'Histoire d'Aristée touchant la Version Grecque des Septante. Il a été imprimé à Mantoue in quarto en 1574.

Abraham de Porta Leone, ou, comme il a traduit son nom en hébreu, Abraham me-Schaar Arié, naquit en 1542 d'une famille qui a produit plus d'un grand médecin. Nous avons parlé de son père, de son grand père et de son bisaïeul. Ses premières études le portèrent vers la théologie, qu'il cultiva sous les meilleurs maîtres de son temps, tels que Meïr Katzenellenbogen, Joseph Zarka, Joseph Sinaita, Jacob Fano, Iehuda et Abraham Provençal. Après avoir acquis un certain succès dans le rabbinisme, il se rendit à Pavie et fréquenta la fameuse université' de cette ville. La philosophie d'Aristote et la médecine d'Hippocrate et de Galien furent dès lors les objets principaux de ses études assidues. En 1563, il fut nommé docteur en médecine, et trois ans après, en 1566, agrégé au collège des médecins de Mantoue. Entre temps il publia à Venise, en 1564, et d'après le vœu de Guillaume Gonzague, duc de Mantoue, ses dialogues sur l'or, où il traite de l'usage de l'or dans la médecine. Cet écrit est d'autant plus important, suivant le jugement d'un savant académicien, que c'est lui qui fait attribuer aux israélites la première connaissance de l'usage que l'on pouvait faire de l'or dans l'art de guérir. Outre ce traité médical, on a encore de notre Porta Leone deux autres ouvrages de médecine inédits, qui méritent d'être publiés. Son Schillé ha-Ghibborim, qu'il termina en 1607, est l'un des meilleurs écrits de l'école rabbinique d'Italie. L'auteur y examine avec beaucoup d'érudition les antiquités hébraïques et sacrées, et principalement ce qui se rapporte au temple et aux cérémonies juives. Ce savant ouvrage, publié à Mantoue en 1612, infolio, a été dédié aux trois fils de l'auteur. Wagenseil, Iken, Opitz et Ungolino font le plus grand éloge de ce livre. Ce dernier, dans son Trésor des antiquités sacrées, en a reproduit plusieurs traités avec une traduction latine. Iken en avait promis une version complète, mais qui n'a jamais paru. On a un abrégé inédit de Schilté haGhibborim qui se trouve, comme nous croyons, à la Bibliothèque du sénat de Leipzig.Porta Leone mourut en 1612, à l'âge de soixante et onze ans.

Abraham Conath vivait à Mantoue, où il pratiqua l'art de guérir. Il porte le titre de chaber, ou associé rabbin, et se rendit célèbre par l'imprimerie hébraïque qu'il était vers l'an 1476. Conath partage, avec les Gardon, les Kosi et les Soncino, l'honneur d'avoir fondé la typographie hébraïque, les ouvrages sortis de ses presses sont recherchés par les amateurs (Eliakim Carmoly, Histoire des médecins juifs anciens et modernes, 1844).

Vespasien Gonzague, duc de Sabionetta dans le Mantouan, dont le Père Irénée Affò Franciscain publia la Vie à Parme 1780. On trouve dans ce dernier Ouvrage les Annales Hebreo-typographiques de Sabionetta, par M. Jean Bern. de Roflì, ou la liste des Livres Hébreux imprimés dans cette ville, depuis 1551 jusqu'en 1590. Vespasien Gonzague Colonne, protecteur des Lettres, forma, dans le seizième siècle, une riche Bibliothèque qu'il laissa aux frères Servites de Marie de la même ville.

Cependant, à Mantoue, à la fin du XVème siècle, la maison du banquier juif Daniele da Norsa, qui avait remplacé à sa façade une image sacrée par son blason, fut rasée pour élever à ses frais une chapelle dédiée à la Vierge. Francesco II de Gonzague lui fit en outre payer en réparation le tableau de La Vierge de la Victoire (Paris, musée du Louvre), qu'il avait commandé à Mantegna (Thomas W. Gaehtgens, Nicole Hochner, L'image du roi de François 1er à Louis XIV, 2006).

Sorcellerie, possessions et Gonzague

Les Italiens, venus à la cour de France avec la reine Marie de Médicis, étaient infatués de magie. Le fameux maréchal d'Ancre, Concino Concini, fut tué, a coups de pistolet, sur le pont-levis du Louvre, par Vitry, capitaine des gardes du corps, le 24 avril 1617. Le parlement procéda contre la mémoire du défunt ; et sa femme Léonora Galigaï fut comprise dans l'accusation. Comme le président Courtin lui demandait par quel charme elle avait ensorcelé la reine, elle répondit fièrement: " Mon sortilège a été le pouvoir que les âmes fortes doivent avoir sur les âmes faibles. " On produisit au procès des agnus que l'on prit pour des talismans, et une lettre que Léonora avait ordonné d'écrire à la sorcière Isabelle. On trouva dans la chambre de la maréchale trois livres de caractères, cinq rouleaux de velours pour dominer les esprits des grands, et des amulettes pour pendre au cou. Il fut prouvé, au procès, que le maréchal et sa femme se servaient d'images de cire , qu'ils gardaient dans des cercueils; qu'ils consultaient les magiciens , astrologues et sorciers , et notamment le nommé Cosmo Rugieri, Italien, le même qui fut appliqué à la question quand Charles IX mourut. Il fut encore établi d'une manière certaine que tous deux avaient fait venir des religieux sorciers, de Nancy " pour faire un sacrifice d'un coq ; que ces religieux ambroisiens encensaient le jardin, et faisaient des bénédictions sur terre; et que Galigaï ne mangeait dans ces circonstances que des crêtes de coq et des rognons de bélier, qu'elle avait fait bénir auparavant. Dacquin, juif nouvellement converti au christianisme déposa que Concini, en présence de sa femme, lui avait ordonné de dire en hébreu quelques versets des psaumes, et que, pour en voir l'effet, on avait retiré de la chambre un crucifix et un urinal. Léonora fut convaincue de s'être fait exorciser par un Mathieu de Montenay, charlatan qui passait pour magicien. On fit venir des moines du couvent, et la maréchale d'Ancre avoua qu'elle se faisait exorciser de nuit, dans leur église, pour ne pas nuire à sa réputation, parce qu'elle était parfois possédée. Sur ces aveux, elle fut condamnée à avoir la tête tranchée, et à être brûlée après sa mort. L'arrêt fut exécuté le 8 juillet 1617 (Jules Garinet, Histoire de la magie en France: depuis le commencement de la monarchie jusqu'à nos jours, 1818).

La Duchesse de Nevers, Catherine de Lorraine, fille de Charles II, duc de Mayenne et de Bar (le célèbre Mayenne qui s'opposa à Henri IV) et d'Henriette de Savoie-Villars, qui haïssait la Maréchale d'Ancre, et qui avait loué une Chambre pour être témoin de son supplice , ne put s'empêcher de verser des larmes en la voyant monter fur l'échafaud. Au XVIe siècle, la branche des Capucins (portant le capuchon de Saint François d'Assise), qui opère un retour aux sources, devient cependant l'un des instruments les plus puissants de la lutte contre la Réforme protestante. Son influence triomphe au XVIIe siècle, dans les plus hautes sphères de la société. Ainsi, Benoît Canfield (mort en 1610) a marqué trois générations de spirituels. Catholique émigré de Grande-Bretagne, il a été considéré comme la plus grande autorité mystique de son temps. Sa Règle de perfection fut rapidement traduite dans toutes les langues européennes. Célébrant la primauté du pur amour, il a été aussi le maître du capucin Joseph de Paris, qui allait devenir conseiller de Richelieu (www.onelittleangel.com - St Francois d'Assise).

La Règle de perfection du capucin anglo-français Benoît de Canfield ou Canfeld est un excellent exemple de cette spiritualité dite " abstraite " qui répugnait si profondément aux Carmélites espagnoles amenées en France par Bérulle, et qui est parfois au bord du quiétisme. Il est d'ailleurs caractéristique que la première condamnation portée contre l'ouvrage l'ait été par l'Inquisition espagnole et surtout que la doctrine ait été vivement combattue par Jerónimo Gracián dans ses rarissimes Lamentaciones del miserable estado de los ateístas destos tiempos (Bruxelles, 1611) - car Gracián ne va pas moins qu'à regarder Benoît de Canfeld et ses disciples comme des " athées spirituels " (Robert Ricard, Optat de Veghel, Benoit de Canfield (1562-1610). Sa vie, sa doctrine et son influence).

Nicolas du Fossé édite " Le Jardin " des Contemplatifs parsemé de fleurs de l'amour divin" de Thomas Deschamps. Ouvrage de spiritualité parmi d'autres, qui se multiplient à l'aube du XVIIe siècle ? Sans doute. Mais bien plus. T. Deschamps est peu connu. "Ecrivain spirituel", confesseur de Catherine de Gonzague, duchesse douairière de Longueville, dont le testament fait mention, et à qui le "Jardin" avait été dédicacé, Deschamps devait " mettre sous presse", dès l'année où parut cet ouvrage, un traité "de l'annihilation de l'âme dans l'amour". Ce texte ne fut jamais publié […] De part en part, pourtant, le "Jardin des Contemplatifs" est d'inspiration résolument canfieldienne.

L'examen des donateurs de subsides pour la fondation d'un couvent de religieuses fidèles à la règle de Ste-Elisabeth vérifie l'insistance d'un tissu socio-culturel assez acquis aux thèses canfieldiennes pour reproduire celui qui déterminait l'adhésion des proches de Benoît à sa spiritualité abstraite : les réseaux financiers gouvernaient l'ensemble des choix faits en ce sens.

De Thomas Deschamps aux donateurs de Ste-Elisabeth, de ceux-ci aux arguments qui circulent alors en faveur de l'érection du monastère de Louviers, le fil se remet à courir. A Louviers, nous le verrons, les vocations s'organisèrent dans la fidélité à Benoît.

Le réseau des La Grange-Trianon, en jeu dans la création du couvent, s'attache aux thèses canfieldiennes : Angélique de La Grange, alors religieuse au monastère des filles pénitentes fondé à Paris rue St-Denis, reçoit en 1619 150 livres de Catherine de Gonzague et de Clèves, duchesse de Longueville.

Nul hasard en effet ne saurait rendre compte de l'intrigue liant passion du diable et passion de l'argent, pas plus qu'il ne gouverne le rapport de la mystique abstraite aux gens occupés de finances. C'est en l'économie de la possession que cette liaison prend sens. Possession : attestation ultime que le seul monde viable dans la traversée de la mystique, est le réel libéré de ses servitudes symboliques, et délesté de ses valeurs. Monde où se consomme continûment la défaite des référents - chaque objet perdu d'identité, et faisant là irruption nette contre la loi qui en disait auparavant l'incomplétude en l'enchaînant aux autres, qui fondaient sa légitimité. La possession brise le cercle où rien ne vaut s'il n'est indexé à tout autre : elle porte dès lors chaque chose en absolu. Sans identité, puisque sans paramètres qui en autoriseraient la façon ; sans valeur, puisque lieu de désinvestissement radical. Les diables de Louviers - et tant d'autres, sans doute, qui firent les beaux jours d'une histoire des mentalités et des vocations populaires -, ces diables parlent désormais d'un monde destiné à son réel, à l'engendrement continu de sa poétique. C'est dire aussi bien que le diabolique décide du monde comme jubilation sans fin. Moins jouissance que jeu, libre en effet de se savoir incommensurable, inéchangeable : le monde comme différence inaliénable. Poétique, intransitivité, jubilation : paramètres de la possession, qui définissent désormais le champ d'action de ceux-là qui vinrent à Louviers selon la même nécessité qui les conduisit à la mystique abstraite. Si celle-ci offrait à leurs pratiques le seul argumentaire apte à leur conférer signification plénière, la possession dispose à leur endroit des principes mêmes qui gouvernent leur faire. La doctrine canfieldienne autorise l'affluence vers elle des réseaux dans la mesure où elle définit les obligations élémentaires auxquels ils obéissent : annulation des valeurs identitaires comme condition de la circulation des biens ; extraction de la monnaie hors de la sphère de circulation, condition de l'échange généralisé de ces biens. De la même façon, le désinvestissement symbolique auquel procède la possession, parce qu'il libère l'objet de ses qualités et de son ustensilité, l'exhibe comme ensemble à disponibilité infinie. Ainsi se fonde une économie du réel où nulle chose ne vaut par ses qualités propres non plus que par l'imposition d'un système d'évaluation extérieur à elle mais tient toute sa valeur de n'en avoir point. La possession fonde le monde en gratuité. Et, comme tel, appropriable sur le seul mode qui lui convienne désormais : celui de la consommation ostentatoire, signe de pur pouvoir s'augmentant de lui-même, par l'effet de son seul travail. A rigoureusement parler, la possession marque l'entrée dans l'univers de la dépense. Au cœur de la mystique, vient le réel en catastrophe. Cette catastrophe : non pas quelque subversion décidant d'une loi alterne, mais le foisonnement de ces choses muettes, sans garants ni revers, simples signes lancés dans le tissu social évidé de ses symboles. La possession est cette production sans fin d'objets sans héritage ni avenir, contraignant quiconque à s'en saisir à seule fin de ne les point faire fructifier. A la stérilité dont Michelet qualifie l'entreprise de sorcellerie, répond ici, au versant de la possession, le non-usage des choses - images, passions, corps, actions. Il n'est pas de hasard que les circuits financiers aient trouvé ici leur second site d'excellence : ils étaient assurés d'y pouvoir, à la lettre, faire folle dépense. Le désinvestissement radical que réclame la mystique abstraite quant à la créature, au monde et aux passions, se clôt ici, en l'œuvre de possession, par la dilapidation de ce qui se produit alors comme réel brut, ce système de choses enfin venues à leur inanité, et qui réclament qu'on en use comme extrême vanité. Les hommes de l'argent pouvaient seuls mener à son terme cette entreprise duelle : parler la mystique abstraite comme langue obligée de leur passion parler langue de possession comme occasion de leur dépense en pure perte, qui est leur absolu triomphe. Et l'assurance qu'ils détiennent ainsi la seule puissance qui ait quelque vertu - le pouvoir de ruiner cela-même qui vaut identité.

Et cependant la "Règle" de Benoît en sa conduction même, annonciatrice de tout cela qui devait venir, parce que vectrice d'une exigence simple, et délétère : du moi anéanti que ne demeure rien, sinon Dieu. De Dieu porté à son néant que ne demeure rien, sinon ce rien même. Alors de la créature à son Dieu le passage peut s'éprouver, dans le vide de soi et le vide de Dieu : ce sont mêmes déserts. Et peu importe alors que ce désert s'habite en forme jésuite ou rigueur janséniste, en tragique vision ou moins vive désespérance : Benoît de Canfield est mystique de partage : ce qui s'abandonne du moi - images et passions tourments et affects - instaure la complétude des choses ; ce qui se dévaste de Dieu - jusqu'à n'être que rien, chose alors d'excellence - instaure la complétude du sujet. C'est en ce va- et-vient de la chose au sujet, l'une condition de l'autre, que toute spiritualité, d'origine ou de bordure canfieldienne, se trame.

[Le couvent Saint-Louis et Sainte-Elisabeth du Tiers-Ordre de Saint-François, est né à Louviers en 1617 par la volonté d'un prêtre parisien, l'abbé David, qui avait su obtenir les concours financiers indispensables. C'est le lieu d'une affaire de possession célèbre qui dura de 1633 à 1647. Madeleine Bavent la principale protagoniste, présumée séduite par le père David, mourut en prison en 1652.]

Madeleine Bavent, dont le dire ici n'est pas contestable, affirme que l'ouvrage de Canfield était sa référence permanente. Porteuse des "maximes les plus pernicieuses" par quoi [le père] David serait parvenu "à soumettre ses pénitentes aux pratiques les plus infâmes sous le prétexte d'introduire la parfaite obéissance".

[Le diable] Gonzague tourmente la sœur Anne de St-Augustin, Ancitif possède Barbe de St-Michel et Léviathan Anne Barré, sœur de la Nativité. Accaron, Ramon, Léviathan, Dagon, font le siège de Madeleine Bavent, et Gonzague celui de Marie Chéron. Asmodée tourmente Elisabeth du St-Sauveur et Calconix, sœur Françoise de l'Incarnation. Sysmond est au corps de Catherine Graindor. Putiphar, qui avait possédé Mathurin Picart, travaille Marie Langlois, sœur du St-Sacrement. Louise Le Paige de Pinterville est possédée d'Arfaxat et Asphaxat. Accaron, à nouveau, et Phaëton, tourmentent sœur Marie de Jésus. Dagon s'empare de sœur Marie du St-Esprit, et Asselon de Jeanne Poiblanc, sœur Jeanne de St-François. Asphaxat possède sœur Françoise de St-Bonaventure, et Béhémond, sœur de St-Laurent. Possédée "par un diable sans nom" : Marthe du Val, sœur de la Résurrection, et par Ramond, Marie Vironneau, sœur de St-Jérôme et St-Nicolas. D'autres religieuses, tourmentées de démons passés au travers de leur corps un temps sans doute trop fugace pour que les exorcistes aient eu loisir d'entendre leur nom : furent ainsi livrées à d'anonymes diablotins, Anne de St- François, et Catherine de St-Alexis, Catherine de Ste-Anne et Madeleine Liesse, sœur de Ste- Thérèse. Marie Thénart, sœur de l'Annonciation, échappa aux démons : elle en fut quitte, note Barbe, pour quelques hallucinations. Mais furent au sabbat bien M. Bavent, assurément, et Catherine de Ste-Geneviève, mère vicaire du couvent, et Elisabeth de la Nativité, mère des novices, et Catherine Le Grand, sœur de la Croix, mère supérieure. (Daniel Vidal, Critique de la raison mystique: Benoît de Canfield : possession et dépossession au XVIIe siècle, Volume 1 de Le Livre des questions, 1990).

La troisième tragédie diabolique du début du XVIIème siècle, celle de Louviers, commence presque en même temps que celle de Loudun et se prolonge jusqu'en 1647 et après celle d'Aix-en-Provence dont Sébastien Michaëlis fut l'instructeur.

Le Père Joseph, capucin, se nommoit Leclerc en son nom, et étoit frère de M. du Tremblay, qu'il fit gouverneur de la Bastille. Le cardinal de Richelieu fit connoissance avec lui en Poitou, comme il fut envoyé par ses supérieurs. Jamais il n'eut homme plus intrigant ni d'un esprit plus de feu. Il a toujours eu de grands desseins en tête. Un temps il ne faisoit que prêcher la guerre sainte. M. de Mantoue, M. de Brèves, madame de Rohan et lui prenoient fort souvent tout l'Etat du Turc. Depuis, il prit la maison d'Autriche pour but, et il travailla fort avec M. de Charnacé à faire entrer le roi de Suède en Allemagne. Il se vantoit d'être né pour abattre la maison d'Autriche. Effectivement ce n'étoit pas un sot ; il soulageoit fort le cardinal, et le cardinal ne faisoit pas un pas sans lui. Au commencement il alloit à cheval. Le Père Ange Sabini avoit un jour un cheval entier, et lui une jument. Ce cheval grimpe la jument, et les capuchons des deux moines faisoient la plus plaisante figure du monde [Le Père Joseph dit : " Voilà un impudent animal. " Depuis on appela ce cheval l'Impudent.

Pour éviter ce scandale, on lui donna un carrosse. Depuis, il eut litière et toute chose ; il alloit être cardinal s'il ne fût pas mort. On a cru que la diablerie de Loudun ne fût point arrivée sans lui, car Grandier, curé, et les capucins de Loudun disputoient à qui auroit la direction des religieuses, qui furent ou qui firent les possédées. Il y avoit de l'amour sur jeu, et il y eut un capucin tué. Les capucins, se voyant appuyés du Père Joseph, poussèrent Grandier, et, comme ces religieuses étoient pauvres, ils leur persuadèrent que bientôt elles deviendroient toutes d'or. On les instruisit donc à faire les endiablées. Cette badinerie, ou plutôt ce désir de vengeance des capucins, fut cause que Grandier fut brûlé tout vif ; car Laubardemont, qui étoit bon courtisan, le sacrifia au crédit du Père Joseph. Ce Grandier avoit été galant, et s'étoit fait quelques ennemis dans la ville qui lui nuisirent (Gédéon Tallemant des Réaux, Historiettes).

C'est le père capucin Tranquille qui mit le feu au bûcher d'Urbain Grandier.

Ismaël Bouilliau, plus connu sous le nom latinisé de Bulliarius, naquit à Loudun le 28 septembre 1605, d'Ismaël Bouilliau, notaire et procureur au Bailliage de cette ville, et de Susanne Motet, de familles protestantes. Il sut d'abord avocat ; mais ses parents s'étant opposés à un mariage qu'il voulait contracter, il abjura le Calvinisme à l'âge de 21 ans, et fut prêtre à l'âge de 25. Il desservit la Cure de Saint Pierre, pendant la détention d'Urbain Grandier. Chez le vieux Scévole de Sainte-Marthe, il retrouvait de 1618 à 1623, le bailli de Loudun, Guillaume de Cerisay, le conseiller Rogier et son frère le médecin, Théophraste Renaudot, et, au passage, de Thou. Il alla ensuite à Paris où il fit la connaissance des personnes les plus distinguées. Il accompagna le Président de Thou dans son ambassade en Hollande. La Reine Louise de Gonzague l'accueillit à sa Cour. Jean Casimir le nomma Agent auprès des Provinces-Unies, pendant la guerre qu'il eut avec la Suède. En 1689, il se retira à l'Abbaye de Saint-Victor, et y mourut le 25 novembre 1694. L'Histoire, les Mathématiques, le Droit, la Théologie, furent pendant sa vie les principaux objets de son étude. Il y fit de très-grands progrès, et s'appliqua particulièrement à l'astronomie. II a mis au jour un ouvrage intitulé Astrologia Philolaica, parce qu'il y soutient comme Philolaus, Pythagoricien, et comme Copernic, le mouvement diurne de la terre. Bouillau était en correspondance avec les écrivains les plus célèbres de son temps (Dumoustier de la Fond, Essais sur l'histoire de la ville de Loudun: 1ère et 2ème parties, 1778).

Louise-Marie de Gonzague-Nevers est une princesse française de la maison de Gonzague, née à Paris (France) le 18 août 1611 et morte à Varsovie (Pologne) le 10 mai 1667, à l'âge de 55 ans. Elle était la fille de Charles III de Nevers (futur Charles Ier duc de Mantoue) et de Catherine de Lorraine-Mayenne. Elle épousa successivement les rois de Pologne Ladislas IV Vasa en 1646 et son frère Jean II Casimir Vasa en 1649. Elle fit venir nombre d'ordres religieux français en Pologne, ainsi des lazaristes, ou des filles de la Charité, fondés par saint Vincent de Paul (fr.wikipedia.org - Louise-Marie de Gonzague).

Nous la retrouvons comme commenditaire de la règle du tarot imprimée à Nevers en 1637 par l'abbé de Marolles.

Au temps d'Henri II de Lorraine, qui se remaria en secondes noces en 1606 à Marguerite de Mantoue (1591 - 1632), fille de Vincent Ier, duc de Mantoue, et d'Éléonore de Médicis, eut lieu une affaire de sorcellerie qui impliqua Marie de Ransin d'une famille considérable ; elle était distinguée par sa beauté et plus encore par sa vertu. Ses parents l'avaient forcée à se marier, et elle était devenue veuve au bout de quelques années de mariage. Un médecin nomme Poiret, ayant conçu pour elle une violente passion, lui donna un philtre. Elle en ressentit bien les effets; mais elle sut, à force de prières et de larmes, le rendre impuissant. Poiret lui en administra un second, à la suite duquel elle fut attaquée de maux de toute sorte, si bien que ses parents la forcèrent d'envoyer chercher Poiret. Mais comme elle se défiait de lui, elle le congédia. Poiret devint furieux, et Marie tomba bientôt dans des états extraordinaires. La moitié de son corps était comme roidie par le froid et sans aucune sensation, tandis que l'autre moitié était agitée par des mouvements si violents que, malgré la faiblesse de sa constitution, quatre hommes très-forts pouvaient à peine la tenir. Tantôt son crâne s'ouvrait et se fermait ensuite, tantôt il s'enflait d'une manière monstrueuse. La chose fit du bruit. Le médecin et ses partisans attribuèrent ces phénomènes à l'imagination de la malade. Son évêque lu fit venir à Nancy ; six des médecins les plus distingués de la ville furent chargés de l'examiner, et déclarèrent unanimement que, parmi les symptômes de cette maladie, il y en avait quelques-uns qui ne pouvaient s'expliquer d'une manière naturelle. L'évêque chargea les ecclésiastiques les plus savants et les plus habiles d'examiner l'état de la malade, et plusieurs évêques s'adjoignirent à eux. On employa les exorcismes, et tous furent d'avis que Marie était possédée du démon. En effet, elle était enlevée en l'air avec une telle force que six personnes pouvaient à peine la retenir. Elle grimpait sur les arbres de branche en branche avec l'agilité d'un chat. Elle faisait tout ce qu'on lui commandait en italien, en allemand, en latin, en grec, en hébreu ; elle lut une lettre latine fermée, et indiqua une lettre qu'on avait omise. Un grand nombre de témoins assistèrent à toutes ces expériences. Les esprits qui possédaient la malade désignaient toujours Poiret comme l'auteur du mal, de sorte qu'il résolut de prendre la fuite. Henri II de Lorraine, prince doux et indulgent d'ailleurs, le fit mettre en prison et ordonna d'instruire son procès. On procéda avec une prudence vraiment remarquable. On fit venir de France des magistrats qui, réunis à ceux du pays, formèrent un tribunal de vingt-quatre juges. L'accusé trouva des défenseurs. Un docteur en théologie écrivit un livre en sa faveur. Une princesse dépensa de grandes sommes pour sa délivrance. L'infante des Pays-Bas plaida sa cause auprès du duc. Marie Ransin ne fut pas épargnée. On l'accusa d'hypocrisie ; on mit en prison ses deux filles; tous ceux qui prenaient son parti étaient calomniés. On interprétait en mal tout ce qu'elle faisait et disait; on ouvrait ses lettres, et on y écrivait des choses capables de la compromettre. Des inconnus la poursuivirent avec des pistolets chargés; mais au moment de tirer ils furent arrêtés par un sentiment d'effroi dont ils ne pouvaient se rendre compte. Le matin, on trouvait des échelles de cordes suspendues à sa fenêtre, et des empreintes de pieds sur le sable. Plusieurs fois on lui donna du poison, et l'on promit mille pistoles à celui qui la tuerait ; de sorte qu'il fallut lui donner des gardes. Mais Dieu veillait sur elle. Les lettres infâmes qu'on avait répandues contre elle furent réfutées par la recherche minutieuse de chaque action de sa vie. Le procès suivit son cours, et les vingt-quatre juges condamnèrent unanimement à mort Poiret. Ses amis furent assez puissants pour empêcher l'exécution de la sentence. Le duc ordonna une seconde enquête, qui eut le même résultat, et Poiret mourut le 7 avril 1622 sans donner aucun signe de repentir. Dieu permit qu'après sa mort Anne Boulet, compagne de ses forfaits, fût arrêtée à Paris et amenée à Nancy. Touchée de repentir, elle confessa tous ses crimes. Les juges, de leur côté, sans s'appuyer sur ses déclarations, firent toutes les enquêtes nécessaires. Elle fut condamnée à mort, et mourut de la manière la plus édifiante. Plusieurs personnes qui s'occupaient aussi de magie furent effrayées par cet événement. Quelques apostats revinrent au sein de l'Église, et l'on remarqua une amélioration sensible dans les mœurs de la noblesse et de la cour. (Le Triomphe de la Croix, par M. Boudon, grand archidiacre d'Évreux.) (Joseph von Görres, La mystique divine, naturelle et diabolique: 3e partie: La mystique diabolique, 1855).

Marguerite de Mantoue porta un grand intérêt à la colline de Sion-Vaudémont où elle fit installer une croix en 1622 et fonda cinq ans plus tard une maison religieuse et une école.

Madame Acarie, dirigée par Benoît de Canfield et qui professait le volontarisme de celui-ci, redoutait aussi les contrefaçons de la vie mystique d'autant plus que certains chrétiens n'avaient pas compris la nature de cette vie suréminente enseignée par Canfield et pouvaient faire fausse route.

Accoutumée à la spiritualité du Tout et du Rien, Mme Acarie, fidèle disciple de Canfield, aime aussi à contempler le Christ crucifié. On peut cependant faire de sérieuses réserves à l'égard de l'école abstraite : son néo-platonisime dyonisien qui, après une grande vogue, commençait à être quelque peu dépassé, surtout le niveau élevé et nullement à la portée de beaucoup d'âmes, ainsi qu'une formulation assez obscure. Bon nombre de directeurs de conscience trouvaient cette spiritualité trop spéculative pour le commun des fidèles, autant plus que certaines thèses du mysticisme rhéno-flamand avaient trouvé un écho dans le luthéranisme et semblaient avoir favorisé la Réforme. On peut le constater en lisant les Vrais exercices spirituels, dont elle est l'auteur. Cet anéantissement enseigné par Benoît de Canfield, Mme Acarie l'exprimait en ces termes : "Je m'offre à vouloir effectuer tout ce que le benoît saint Esprit demande de moi, je vous offre particulièrement une parfaite abnégation de moi-même. Hélas, mon Dieu, quand sera-ce que cette union et conjonction d'amour sera telle que je ne puisse plus supporter votre absence ? Mon Dieu, venez en moi et entrez en mon âme" (Vrais exercices spirituels, p. 728, 732).

Madame Acarie, sainte Marie de l'Incarnation, sera l'introductrice des Carmes réformées par Thérèse d'Avila (fêtée le 15 octobre) en France avec le soutien de Bérulle. Irlandais d'origine, Benoît de Canfield est au centre du réseau mystique parisien dès 1586. II est très actif auprès de Bérulle, au sein du groupe de Madame Acarie et dans la formation spirituelle du premier Carmel parisien.

La " mystique réformée " désigne assez justement une " nouvelle spiritualité " qui apparaît entre les années 1625 et 1640, surtout dans les régions où affluent les influences carmélitaines (christo-centrisme espagnol) ou rhéno-flamandes (mystique abstraite). La mystique de Coton doit beaucoup à Marie Teyssonnier. Durant son noviciat à Rome, il avait déjà fréquenté la mystique visionnaire Isabelle Bellinzaga. Marie de Valence (Marie Teyssonnier, 1576-1648) l'eut pour confesseur, puis le minime Louis de La Rivière, son biographe.

Parmi les grands, les liens d'une vive amitié unissent Madame la Duchesse de Nevers et Marie Teyssonnier. La duchesse projette de créer un monastère des " filles de la Mère de Dieu " à Charleville, et qui désire confier cette création à son amie. Marie se refuse à cette entrée en religion. Ce refus ne rebute pas la Duchesse de Nevers ; sa position lui permet de faire intervenir le Père Coton.