Partie X - 22 v’la l’Tarot   Chapitre II - Kabbalisation du Tarot   Introduction 2 : Ordres angéliques et enfer   

Ordres angéliques

Les Chrétiens qui ont voulu dresser un tableau cohérent des ordres angéliques ne disposaient que d'informations dispersées et limitées. Avant tout ils prenaient appui sur quelques versets glanés dans les Epîtres. Ils les confrontaient avec les indices tirés de visionnaires juifs les moins suspects, Hénoch et Daniel. La méditation des lettres de Paul leur avait appris l'existence de " puissances " célestes. [Ces] " puissances ", souvent hostiles, devaient virer du négatif au positif. Le Christ, au lieu de les détruire, avait à les surmonter, puis à les incorporer au Cosmos rénové.

Les ordres ont variés en nombre et dans leur ordre. Jean l'Eunuque identifiait des Gloires correspondant aux Splendeurs et Elévations de Grégoire de Nazianze.

Un modèle différent se prépare quand on interprète d'autre façon les Puissances-Vertus. Le mot grec dynameis est ambigu. Si au lieu de le prendre en un sens intellectuel on pense aux " forces " matérielles qui meuvent les astres, ou aux " forces armées ", leur statut rétrogradera de beaucoup. C'est le cas dans une Homélie sur la Genèse de Jean Chrysostome qui les fait dévaler du 3ème au 7ème rang, juste au-dessus des Archanges. Pour aboutir au Modèle III, il reste à opérer un mouvement inverse, une promotion des Trônes au 3ème rang. S'ils accèdent à proximité de Dieu, c'est que leur signification a changé. Ils retrouvent leur ancienne association avec les Chérubins ; plus précisément ils s'identifient à l'une de leurs fonctions, laissant l'autre aux Hayyoths d'Ezechiel. Ainsi s'édifie une triade suprême qui fournit aux Chrétiens un pendant aux Sephiroth de la Merkabah juive. Elle est apparue chez Cyrille de Jérusalem (ou son successeur Jean) en relation directe avec une mystique : traversée des trois cieux par saint Paul, nécessité de s'initier à la hiérarchie angélique avant de scruter le mystère de la Trinité.

C'est de ce modèle que s'est inspiré le pape Grégoire, mais il l'a modifié en permutant le rang des Dominations (= Seigneuries) et des Puissances-Autorités, en accord avec la tradition syriaque dont la Vie de Pierre l'Isaurien a transmis un écho populaire. Les Dominations deviennent supérieures aux Principautés, comme il est logique pour un latin qui parle du Seigneur : Dominus. Cette retouche reste circonscrite par la permutation principale, commune à Grégoire et à Cyrille, celle qui a exhaussé les Trônes et rabaissé les Puissances-Vertus.

Dante, décrivant le Paradis, reproche au pape Grégoire de s'être écarté de Denys auquel saint Paul en personne a révélé la véritable hiérarchie céleste. L'auteur qui s'est présenté non sans aplomb comme " Denys l'Aéropagite ", converti par l'apôtre à Athènes, écrivait dans les années 485/515, probablement en Syrie. Ne moralisons pas sur l'imposture. En quoi consiste l'écart de Grégoire ? Il a interverti les 5ème et 7ème ordres, Vertus et Principautés. Mais de cela il n'est pas responsable, il n'a fait que suivre Cyrille. Si intervertion il y a, c'est à Denys qu'il faut l'imputer. Or elle a son équivalent en Syrie dans un appendice au Testament d'Adam, transmis par un manuscrit unique. En revanche Grégoire et Denys s'accordent pour s'écarter non seulement de Cyrille, mais de la tradition presque unanime en permutant les 4ème et 6ème ordres, Dominations et Puissances-Autorités. Probablement ont-ils puisé à une source commune, la même dont on retrouve trace en Syrie dans la Vie de Pierre l'Isaurien - et à nouveau dans le Testament d'Adam.

Bernard Teyssèdre, Anges, astres et cieux, Albin Michel, p. 344, pp. 350-351

L'ordre est cependant variable chez saint Grégoire le Grand (Morales, xxxn, 23, n° 48, LXXVI, 665 : anges, archanges, trônes, dominations, vertus, principautés, puissances, chérubins et séraphins et In Evang. homil. xxxrv, ibid 1249 : anges, archanges, vertus, puissances, principautés, dominations, trônes, chérubins et séraphins, de même dans Lectiones in S. Michael). Saint Grégoire dépend du Pseudo-Denys; mais on ne peut comme on l'a fait parfois, que la division des anges en neuf chœurs soit une invention de ce dernier car elle se trouve déjà dans saint Ambroise (Apol. proph. David 5, XIV, 900) : " Dominus noster Jésus... cui angeli et archangeli, virtutes et potestates et principatus, throni et dominationes, cherubim et seraphim indefesso obsequio serviebant. " (Ferdinand Prat , La Théologie de Saint Paul, Volume 1, 1938).

Chez Notker (Omnes sancti), on trouve l'ordre Angeli, Archangeli, Virtutes, Potestates, Principatus, Dominationes, Throni, Cherubim, Seraphim, ainsi que dans Hildegard (O vos angeli) et Alain de Lille (Hierarchia Caelestis) (Rainer Berndt, Im Angesicht Gottes suche der Mensch sich selbst, Volume 2 de Erudiri Sapientia Series, 2001).

Dans les hiérarchies du pseudo-Denys, les spirituels puisent l'image d'un ordre universel qui, depuis la matière jusqu'aux anges, s'ouvre à la participation à la vie divine médiée par les ordres intermédiaires et supérieurs. Cette mystique d'un univers unifié et ordonné suivant l'ordre hiérarchique permet de penser la société terrestre comme la projection de la cour céleste et justifie les fonctions intermédiaires comme celles des prêtres, comme la subordination du politique au spirituel. Mais, par un travail de substitution et de transfert c'est encore elle qui permettra de penser l'ordre hiérarchique de l'État, comme le montre le juriste comme le montre le juriste Charles Loyseau qui s'y réfère dans son Traité des Ordres (1610) justifiant ainsi l'origine de la puissance publique des officiers dotés parfois d"'inspirations secrètes" et voués à diffuser, comme autant de liaisons, la lumière déifiante d'un roi à l'image de Dieu (Augustin Redondo, Christine Aguilar, La prophétie comme arme de guerre des pouvoirs, XVe-XVIIe siècles, Volume 5 de Modernité aux XVe-XVIIe siècles, 2001).

L'enfer

La réforme tridentine, qui entre en application peu à peu dans le premier tiers du XVIIème siècle, est une véritable révolution culturelle, qui donne à l'Eglise un visage neuf, quasiment définitif jusqu'aux grandes remises en cause du XXème siècle. Il s'agit en fait d'une vaste reprise en mains de toute la culture occidentale après les désordres de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance. Les croyances sont redéfinies, précisées et figées. L'édifice ecclésial s'immobilise en une vaste synthèse répondant aux nécessités de la période 1600-1650.

L'enfer est intégré comme un rouage essentiel du plan de salut. Son rôle est à la fois pastoral et eschatologique : inspirer aux chrétiens une peur salutaire pour les détourner du péché et fournir une solution finale pour la masse des incroyants, infidèles, païens et rebelles qui refusent le pardon divin.

Pris dans les dizaines de milliers de pages de cette littérature infernale, un sermon du confesseur d'Henri IV, le jésuite Pierre Coton (1564-1626), prononcé en 1616 sur le sujet de l'Enfer et de ses peines, envoie les damnés " boucs puants et infâmes ", dont le corps est " vilain, puant, difforme, horrible, espouvantable " au royaume de Satan à 1760 lieues sous terre (Georges Minois, Histoire de l'Enfer, PUF).

Pierre Coton est envoyé au Collège Romain de Rome, pour y faire ses études de théologie. Gabriel Vázquez et Robert Bellarmin sont ses professeurs ; parmi ses condisciples se trouve Louis de Gonzague.

Les images de l'Enfer sont colportées par les missionnaires de l'intérieur tel le Père Julien Maunoir qui prêche 375 missions en basse Bretagne de 1642 à 1682 utilisant lesméthodes pédagogiques les plus révolutionnaires comme les tableaux peints montrant la route large et facile qui mène à l'Enfer.

Les taolennoù ou tableaux de mission sont des outils de reconquête spirituelle constitués d'illustrations destinées à l'enseignement de la religion et à l'évangélisation. Créés en Bretagne au XVIe siècle, répandus dans le monde entier et utilisés jusqu'au milieu du XXe siècle, les représentations, la plupart du temps non signées, symbolisent le mal et les péchés capitaux. Vincent Huby, jésuite né à Hennebont, fut le premier à les utiliser.

Maunoir succédait à Dom Michel Le Nobletz (1577-1652) qui fut au début du XVIIe siècle le premier et l'un des plus vigoureux missionnaires de la Réforme catholique dans le royaume. Il reçut le sacerdoce à Paris où son directeur fut le fameux père Coton, confesseur d'Henri IV. En 1608 il effectua sa première mission, dans l'île d'Ouessant, reprenant une activité que saint Vincent Ferrier avait initié au début du XVe siècle en Bretagne, et que les Frères mineurs capucins avaient réactivé. Il fut surnommé par ses contemporains " ar beleg foll " (le prêtre fou), pour son rigorisme (fr.wikipedia.org - Taolennoù).

Taolennoù de Michel Le Nobletz daté du XVIIe siècle dans la chapelle Sainte-Marine

fr.wikipedia.org Sainte-Marine (Combrit)

Notons que Marine est fêtée le 4 décembre comme Barbe.

Le bon saint Vincent de Paul n'est pas plus tendre. Le recueil de ses Sermons pour les missions de campagne nous le montre sous un jour inhabituel, brandissant la menace. Dans le sermon Des peines corporelles de l'enfer, il présente le lieu comme situé au centre de la terre, cloaque de souffre et de bitume où s'accumulent tousles immodices du globe. En dépit de l'obscurité complète, on y voit " la laideur effroyable des corps des damnés ", " des spectres et des fantômes épouvantables ", " des roues, des rasoirs, des crochets, des grils, des brasiers, des chaudières bouillantes, des dragons, des serpents " ; " des bêtes les plus cruelles se jettent sur vous avec des imprécations et de lugubres hurlements ".

La foi des XVIIème et XVIIIème siècles est pessimiste et élitiste. Elle exige un niveau de vie ascétique au-dessus des forces de la multitude des chrétiens. Rationnelle et logique plus que miséricordieuse, elle en tire mathématiquement les conséquences et damne froidement " le plus grand nombre (Georges Minois, Histoire de l'Enfer, PUF).