Partie XIV - Le Serpent rouge   Le voyage de l’âme   Introduction   
SERPENT ROUGE AME VOYAGE

C'est sous l'aspect du voyage de l'âme que www.nonagnes.info aborde l'étude du Serpent rouge.

A chaque signe du zodiaque centré sur Palaja, correspondra un lieu que semble décrire le Serpent rouge.

Mais revenons à Virgile, qui, dans l'Enéide, s'inspire de Platon pour parler de la vie des âmes alors qu'Enée est descendu aux Enfers sous les auspices de la Sibylle de Cumes.

Virgile et l'Aude

Virgile continue ici à être considéré comme l'ami dont la valeur du nom (VERGILIUS en latin) a la même valeur 50 que HEXAGRAMME, sceau de Salomon (cf. POISSONS du Serpent rouge), dans le système de numérotation des lettres dit "Pythagoricien", sans rapport avec Pythagore, ou de Septimus Tripoli (en 1350 : mais l'alphabet n'avait pas 26 lettres à cette époque), ou de Cornelius Agrippa (en.wikipedia.org - Arithmancy).

En montrant l'hirondelle, qui a donné son nom à un lieu dit de Douzens qui serait le SIS de la dalle de Coume Sourde, "à l'approche de la pluie, raser la surface de l'eau avec de petits cris ininterrompus, Virgile fait un emprunt à Varron de l'Aude : Aut arguta lacus circumvolitavit hirundo (G., I, 377), mais, s'il a jugé le vers du poète gaulois digne de figurer dans ses Géorgiques , c'est qu'il en appréciait la vérité" (Pierre d'Hérouville, À la campagne avec Virgile, 1930 - books.google.fr).

La poésie mythologique et la poésie historique alternaient sans cesse à Rome ; les deux voies furent suivies avec un égal succès par le gaulois Varron d'Atax, dont le talent en vers était aussi souple et aussi varié que l'était en prose celui de son savant homonyme.

Varron d'Atax est "l'un des poètes qui marquent la transition des lettres latines à ce qu'on appelle le siècle d'Auguste. C'était moins un poète qu'un versificateur; il inventait peu, il traduisait beaucoup; interpres operis alieni, a dit de lui Quintilien. Au reste, si, comme l'atteste Horace, il avait peu réussi dans la satire, on estimait son Jason, imité des Argonautiques d'Apollonius de Rhodes, et l'ouvrage, où il voyageait en personne et sur la terre et dans le ciel, que les anciens désignent parles titres divers de Cosmographia, Chorographia, Orthographia, Varronis lier, ou encore par des noms empruntés à quelqu'une de ses parties, Parronis Europa, Asia, etc. On a pensé qu'il l'avait composé d'après le grand traité d'Ératosthène, et aussi d'après le poème intitulé Hermès, où ce même savant introduisait Mercure assistant au spectacle du monde et le décrivant. Quelques-uns des vers peu nombreux qui ont survécu à l'ouvrage de Varron d'Atax semblent se rapporter à cette imitation. Il y est de même question d'un observateur des phénomènes célestes, qui pourrait bien être Pythagore, car le poète lui fait entendre cette harmonie des sphères, cette lyre des deux, comme dit Lamartine, que Pythagore avait imaginée, que lui avait empruntée Platon, et dont, au temps de notre poëte, l'académicien Cicéron avait, dans sa République, enchanté en songe les oreilles de Scipion.

Il ne parait pas, au reste, que Varron ait répandu beaucoup de clarté sur les obscurités de la cosmographie pythagoricienne, qu'il y ait eu le droit de dire, comme Lucrèce : Obscura de re lucida pango Carmina. Les ténèbres ou les lueurs douteuses de son exposition désespéraient encore, au IVème siècle, Licentius, qui écrivait lui-même assez obscurément à son ami Augustin, déjà évêque en Afrique :

"Quand je veux pénétrer dans les mystérieuses profondeurs du livre où voyage Varron, la vue de mon esprit est comme émoussée, il recule plein d'effroi devant la lumière qui le frappe. Faut-il s'en étonner? Chez moi languit l'ardeur de l'étude, quand tu ne lui tends pas la main; elle n'ose seule prendre l'essor. A peine un savant désir m'a-t-il poussé à parcourir la suite difficile des démonstrations d'un si grand homme, à en chercher, à travers leurs saints voiles, le sens caché, à apprendre de lui quels tons composent l'harmonie qui règle le chœur des astres et charme l'oreille du dieu de la foudre, que la grandeur de ces objets accable mon intelligence et l'enveloppe comme d'un nuage. Alors, tout hors de moi, j'ai recours aux figures que l'on trace sur le sable et rencontre encore d'épaisses ténèbres, en somme la cause des lumineuses révolutions de ces astres, qu'il nous montre à travers les nuages comme perdus dans l'espace."

Les autres vers de Varron nous sont connus, pour la plupart, ou par Virgile, qui leur a fait grand honneur en les copiant, ou par ses scoliastes, Servius et autres, qui nous ont dénoncé son larcin. On y remarque, fort élégamment exprimés, quelques-uns de ces pronostics qui, avant d'arriver à Virgile par Varron, étaient venus à ce dernier, par Cicéron, d'Aratus, leur premier interprète, si toutefois c'est bien Aratus qui, pour en orner ses vers, les a le premier tirés des ouvrages météorologiques d'Aristote et de Théophrastc. Varron les avait-il insérés dans sa Chorographia? Cela est douteux. Ces pronostics semblent mieux convenir à ses Librinatales, navigation poétique, de mers en mers, d'îles en îles, sur tous les rivages, qui lui avait probablement mérité de la part d'Ovide le titre de velivoli maris rates, et où nous savons qu'il avait décrit les signes de la tempête" (Henri Patin, La poésie didactique à ses différents âges, Revue des deux mondes, Volume 1, Volume 21, 1848 - books.google.fr).

La quête de Jason a été l'objet d'interprétations alchimiques.

C'est à l'âge de trente-cinq ans que Varron "commençait une traduction des Argonautiques d'Apollonius de Rhodes, intitulée Jason, distribuée en quatre livres d'après le texte grec, où il avait conservé la rapidité du récit, l'intérêt des situations, l'élégance du style, et que les connaisseurs égalaient à l'original ; Horace, Properce, Quintilien l'ont vantée, Virgile l'a mise à contribution et elle était demeurée populaire et classique à Rome, même après 1'Enéïde." (Alfred Philibert Soupé, Étude sur le caractère national et religieux de l'épopée latine, 1852 - books.google.fr).

Les travaux géographiques de Varron d'Atax ont péri (Encyclopédie des gens du monde, Volume 17, 1842 - books.google.fr).

Le méridien de Paris

Le méridien traverse du Sud au Nord les signes du Sagittaire, du Capricorne, du Verseau, des Poissons, du Bélier, du Taureau, des Gémeaux (mentionné dans GEMEAUX du Serpent rouge). Il est mentionné aussi dans le Scorpion qu'il ne traverse pas, ce qui pourrait invalider l'hypothèse. Mais le Scorpion est à l'opposé du Taureau.

La Belle endormie

Concernant la "Belle endormie", peut-être faut-il faire un tour d'horizon des textes mythologiques et des contes en parlant.

"Si l'on remonte jusqu'à la nuit des temps, il est possible de mentionner des sources variées pour retrouver l'origine de notre conte. Quelques ingrédients y reviennent d'une façon troublante : le sommeil, l'inaccessibilité, le sortilège, la durée. Mentionnons Epiménide, un Grec dont la léthargie, déclara Diogène Laërce, poète du IIIe siècle, dura 57 ans. Les Sept dormants d'Ephèse ont été évoqués dès 500 par Jacques de Saroug, évêque syrien de Batnae, qui inspira tour à tour Grégoire de Tours, Paul Diacre et Jacques de Voragine dans la Légende dorée ; la 18e sourate du Coran, La Caverne, en présente une autre version. Dans chacune, on rencontre des jeunes gens dormant dans une caverne inaccessible, repliés du monde. La durée du sommeil varie, allant de deux à trois siècles. En Inde, le conte de Surya Bai évoque un sort semblable à celui de la Belle au Bois Dormant. La Saga des Völsungar met en scène Brunehilde, une héroïne endormie sur un rocher, ceinturée de flammes ; Marie de France, fin XIIe, met en scène, dans Eliduc, Guilliadon plongée dans le sommeil par une fleur vermeille. Vers 1176, Cligès, roman de Chrétien de Troyes, évoque lui aussi une belle endormie. Frère de joie et Sœur de plaisir, nouvelle catalane du XIVe siècle, semble apparentée de près à la Belle au Bois dormant. Outre le sommeil, l'un des ingrédients de notre conte est la réunion de fées pour douer l'enfant dès la naissance. [...] Anonyme, la composition en prose Perceforest fut écrite vers 1340 ; elle fait apparaître Zellandine, qui dort dans sa tour après s'être piquée en filant. L'origine du mal remonte à la vexation de l'une des déesses invitées au baptême et qui qui n'avait pas trouvé de couteau à sa place au repas. Zellandine, endormie, est honorée par un visiteur, Troïlus, porté par Zéphyr. Elle accouche dans son sommeil et le bébé, en essayant de téter, la débarrasse de l'écharde et l'éveille. Le Pentamerone de Giambattisa Basile (1634) raconte Le Soleil, la Lune et Thalie. C'est l'histoire d'une jeune femme, Thalie, dont l'horoscope révèle à la naissance qu'une écharde de lin la mettra un jour en danger. Piquée à la quenouille d'un rouet, elle sombre en effet dans un profond sommeil. Abandonnée dans le château, elle y est découverte par un roi qui lui fait l'amour sans l'éveiller (il la viole, traduisent nos contemporains)." Elle accouche d'un fils et d'une fille que le père appelle Soleil et Lune. Mais l'homme est déjà marié. Sa femme veut faire périr les enfants en les donnant à manger à son conjoint qui déjouera ce plan cruel.

"En 1697, paraissent les Contes de ma mère l'Oye, voués à faire les délices de la Cour de Louis XIV. S'il conserve la mauvaise humeur d'une hôtesse lésée au baptême pour justifier le sortilège et la quenouille fatale, Charles Perrault choisit un prince charmant célibataire et une princesse éveillée d'un baiser." La fin est comparable à celle de Basile mais la femme est remplacée par la mère du prince, une ogresse (Michel Bosc, Au bout du rêve: La Belle au Bois Dormant de Walt Disney, 2012 - books.google.fr).

L'influence de L'Âne d'or, notée par quelques rares critiques seulement, ne se lit pas en effet dans l'emprunt de tel ou tel détail, mais bien plutôt dans l'élaboration d'un véritable mythe, celui de la belle endormie, soumise au désir d'autrui et source d'érotisme morbide. Le motif d'un sommeil surnaturel qui a toutes les apparences de la mort apparaît dans trois des récits enchâssés du roman d'Apulée : dans le récit de Thélyphron (II.21-30), qui met également en scène un cadavre reprenant vie et la menace pour une femme d'être enterrée vivante ; dans l'histoire de la femme criminelle et incestueuse qui croit avoir tué son fils (X) ; dans le récit de la mort de Charité, qui se poignarde sur la tombe de son mari, tandis que le meurtrier de ce dernier choisit d'être enterré vivant (VIII). Encore une fois, ce sommeil mortifère frappe des hommes, dans les trois cas. Il revient au mythe de Cupidon et Psyché de lier ce motif à la figure d'une jeune femme amoureuse : Vénus impose à Psyché de lui rapporter des Enfers un peu de la beauté de Proserpine ; la jeune femme ne sait résister à la curiosité, elle ouvre la boîte confiée par Proserpine et sombre dans un profond sommeil.

Ariane à Naxos est certes une belle endormie, bien connue à la Renaissance. Or, personne ne vient troubler ou épier son sommeil ; au contraire, c'est le moment que Thésée, son mari, choisit pour prendre le large (Yves Peyré, Mythe et littérature, Shakespeare et ses contemporains, 2003 - books.google.fr).

Attardons nous sur le conte Frayre de joy et Sor de Plaser.

L'empereur de Gint Senay a une fille d'une grande beauté. Un jour, durant un banquet, elle meurt subitement à table. Contre l'avis des évêques et des abbés, son père, qui ne la croit pas morte, refuse de l'enterrer. Il la fait porter dans une tour construite au milieu d'un jardin entouré d'une rivière, qu'on ne peut traverser que par un pont de verre enchanté. Seuls l'empereur et son épouse y ont accès pour rendre visite à leur fille, dont le visage reste mystérieusement frais comme la rose et le lys. Le fils du roi de Floriande entend parler de la jeune fille, dont on dit qu'elle est encore plus belle morte que vivante. Il se rend à Rome auprès du magicien Virgile, qui lui apprend, moyennant une forte somme d'argent, le moyen de franchir le pont enchanté. Le prince pénètre dans la tour, découvre la belle endormie et en tombe éperdument amoureux. Il échange son anneau avec celui de la jeune fille et profite si bien de la faculté qu'il a de se rendre auprès d'elle secrètement qu'elle donne le jour, neuf mois plus tard, à un enfant sans se réveiller. Les parents sont dans le plus profond des désarrois: seul un oiseau ou le Saint-Esprit aurait pu accomplir ce miracle, dont ils se sentent indignes. Toujours dans son sommeil, la jeune fille fait un mouvement, qui semble vouloir dire: «Je suis vivante, ne pleurez plus». Peu de temps après, un geai pénètre dans la chambre et dépose une herbe magique sur la main de la belle, qui s'éveille soudainement et pleure sa virginité perdue. Le geai la réconforte et lui explique que Frère-de-Joie, le prince qui l'aime, a parcouru trois fois le monde entier pour trouver l'herbe salvatrice. Apaisée, la belle, qui s'appellera désormais Sœur-de-Plaisir, supplie le geai de faire venir Frère-de- Joie, mais l'oiseau est capturé par un chasseur qui le donne à son amie. L'oiseau parvient à convaincre la dame de lui rendre la liberté et il va annoncer à l'empereur et à son épouse que leur fille s'est réveillée. Il leur explique que Dieu a permis ce miracle pour les honorer. L'oiseau se rend ensuite auprès de Sœur-de-Plaisir, qui se désespérait de ne plus avoir de nouvelles. Il lui promet de lui amener Frère-de- Joie, mais, auparavant, l'enfant sera baptisé et prendra le nom de Joie-de-Plaisir, composé à partir des noms de ses parents. L'oiseau magique fera également construire un magnifique château, qu'il qu'il donnera à l'enfant en sa qualité de parrain. Quelque temps plus tard, le geai revient en compagnie de Frère-de-Joie, qui épouse Sœur-de-Plaisir dans l'allégresse générale (Gilles Roussineau, Perceforest, Volume 3, Droz, 1993 - books.google.fr).

Le geai

Le conte de Frayre de Joy et Sor de Plaser rassemble la présence de Virgile, en temps que magicien, réputation prêtée au moyen âge, la belle endormie, et le geai. Pourquoi le geai ?

Ce geai n'est pas le seul oiseau prodigieux de nos textes d'oc. Il semble bien proche de l'oiseau de feu qu'est le perroquet de la Nouvelle du Perroquet, composée par Arnaut de Carcassès (Las Novas del Papagai). Mais, s'il partage avec lui le don de la parole et un comportement humain, il n'a pas l'aspect presque satanique du perroquet dévastateur et incendiaire imaginé par Arnaut.

Dans le roman, Virgile est accompagné du Prêtre Jean qui tous deux construisirent un miroir juché sur une hauteur permettant de prévenir toute attaque, comme le note Jean Gobi le Jeune dans l'Exemplum Feminae : Dans une autre partie de la ville Virgile érigea une colonne où il plaça un miroir qui reflétait toutes les tentatives de destruction de la ville. Or le roi de Sicile, en guerre avec la cité, ne pouvait s'imposer à cause de ce miroir (S. Thiolier-Méjean, Une belle au bois dormant médiévale: Frayre de Joy et Sor de Plaser : nouvelle d'oc du XIVe siècle, 1996 - books.google.fr).

Dans la lecture inversée de l'ET IN ARCADIA EGO, inscription présente sur le tombeau des Bergers d'Arcadie de Nicolas Poussin, on peut retrouver O GEAI D'ACRANITE.

« Oui, dit Lascaris, rien ne flétrit comme la conquête; elle détruit même le génie des lieux et le bienfait de la nature. Venise le saura quelque jour. » Un ordre du gouverneur espagnol, qui commandait à Syracuse, avertit les Grecs de poursuivre leur route jusqu’à Palerme. Leurs guides, dont la rude indifférence ne voyait rien dans ces monuments antiques, les pressèrent de se mettre en route, pendant que la première fraîcheur du soir tempérait le ciel brûlant de la Sicile. Après avoir traversé l’Acranite, ils remontèrent lentement la haute colline, que l’on appelle encore aujourd’hui l’échelle grecque, et s’éloignèrent de Syracuse, où tout, excepté les hommes, retraçait l’image de la Grèce. (Abel-François Villemain, Lascaris: ou, Les Grecs du quinzième siècle, suivi d'un Essai historique sur l'état des Grecs, depuis la conquête musulmane jusqu'à nos jours, 1825 - books.google.fr).

A l'époque du roi des Deux-Siciles Alphonse d'Aragon, Constantin Lascaris, après la prise de Constantinople par les Turcs, le 26 mai 1453, se réfugia en Italie, n'emportant de toutes ses richesses que les manuscrits de sa bibliothèque. François Sforce, duc de Milan, accueillit avec bonté ce descendant des empereurs de Nicée, et lui confia l'éducation de sa fille Hippolyte. C'est pour elle qu'il composa la grammaire, encore employée aujourd'hui dans les écoles de la Grèce. Constantin, après le mariage de son auguste élève, enseigna le grec dans plusieurs villes d'Italie, et se retira à Messine où il mourut, en 1493. Cette ville lui avait donné le droit de cité, et, par reconnaissance, il lui légua sa bibliothèque, depuis transportée à l'Escurial. C'est Constantin Lascaris qui est mis en scène dans le tableau plein de poésie et d'intérêt par M. Villemain (Encyclopédie des gens du monde, Volume 16, Treuttel et Würtz, 1842 - books.google.fr).

On sait les fruits que produisit au quinzième siècle cette célèbre émigration si bien peinte par M. Villemain, dans son bel ouvrage de Lascaris. Tous ces illustres fugitifs échappés au cimeterre turc, répandirent en Europe le goût des études ancienne (Le Polonais: journal des intérêts de la Pologne, Volumes 1 à 2, 1833 - books.google.fr).

Médicis, Bembo, le peintre Alberti, Calderino, qui depuis porta les lettres grecques en France, écoutaient avidement Lascaris, et semblaient s’animer de son enthousiasme. Lascaris continua quelque temps de les entretenir du génie de Platon ; il leur exposait rapidement quelques—unes de ces grandes pensées qui s’étaient presque élevées d’avance jusqu’à la sublimité de la loi chrétienne. Lascaris s’arrêtait quelquefois pour s’accuser lui même de se plaire à de tels discours. « L’empire grec n’est plus, disait-il; et moi, faible citoyen, je vais conter à des étrangers les merveilles du génie de nos pères qui n’ont plus de tombeaux ! Je ressemble à ces Athéniens esclaves qui, dans cette même Sicile, allaient chantant les vers de Sophocle et d’Euripide; mais ces Athéniëns n’avaient perdu que la liberté; leur patrie vivait encore et donnait des regrets à leur esclavage ; moi, je suis libre, mais seul dans le monde: excusez-moi, si je cherche à retrouver une image présente de la Grèce dans le souvenir de nos arts; je n’ai plus d’autre patrie. » (Lascaris, p. 21).

Abel-François Villemain, né le 9 juin 1790 à Paris où il est mort le 8 mai 1870, est un écrivain, universitaire et homme politique français, qui a notamment été professeur à la Sorbonne et à l'Ecole normale supérieure, et ministre de l'Instruction publique de 1839 à 1845 (fr.wikipedia.org - Abel-François Villemain).

Le 24 avril 1821, il succède à l’Académie Française au fauteuil de Louis de Fontanes, Grand-maître de l’Université. Partisan de l’indépendance de la Grèce, il publie Lascaris ou les Grecs du XVe siècle (1825), et l’Essai sur l’état des Grecs depuis la conquête musulmane (1825). En 1822, il donne la traduction de la République de Cicéron dans laquelle se trouve le Songe de Scipion dont Macrobe a donné un commentaire (www.appl-lachaise.net - Villemain).

Alexandre-Victor Lequien, Abel-François Villemain, Hôtel de Ville de Paris, photo Harmonia Amanda, 2007 - fr.wikipedia.org - Hôtel de ville de Paris

Le traducteur allemand de ce Lascaris de Villemain fait remarquer que le nom d'Acranite est original et qu'il doit retranscrire la vrai nom d'un quartier de Syracuse : Achradina (Achradine, Acradine). L'origine de cette substitution est un mystère : "Der Verfasser hat Acranite. Es soll aber wohl Achradina seyn, das von Plutarch als der stärkste, schönste und, größte Theil von Syrakus beschrieben wird." (A. F. Villemain, Laskaris: oder die Griechen in dem fünfzehnten Jahrhundert, mit einem historischen Versuche über den Zustand der Griechen, seit der Groberung der Mahomedaner bis auf unsere Zeiten, 1825 - books.google.fr).

Les quartiers de la Syracuse antique étaient Ortygie, Achradine, Tyché et Néapolis.

A la recherche d'objets anciens et de médailles, Denon fouille la terre de l'Achradine, à l'emplacement du fameux palais à soixante lits, bâti par Agathoclès. Il y trouve des médailles. Il évoque Archimède, dans ce chemin creux appelé « Buon Servizzio » qui fait croire que là était la maison du sublime géomètre. Avec une rare perspicacité, Denon a la divination de ce va devenir la machine de guerre inventée par Denys : « Les Syracusains n'étaient plus que les instruments des machines de ce grand artiste; pour la première fois on faisait la guerre à couvert, et l'on combattait sans s'exposer au danger d'être atteint de l'ennemi. Un seul vieillard résista pendant huit mois aux forces romaines, tant il est vrai qu’un seul homme peut faire et la force et la gloire d’une nation entiere. Celle des Béotiens naquit et mourut avec Épaminondas. Il n’existe rien de la maison d’Archimede, non plus que du palais de Gélon, et du grand et fameux temple d’Esculape, que l’on sait qui étoit bâti dans l’Achradine. [...] La partie de l’Achradine qui regardoit le levant , alloit en pente douce jusqu’à la mer, et sans doute devoit être la plus commode; mais elle jouissoit de la vue la moins variée et la moins agréable, parceque de ce côté on ne découvroit que la pleine mer. » (Ibrahim Amin Gali, Vivant Denon: ou la Conquête du bonheur, 1986 - books.google.fr, Voyage en Sicile, par M. Dominique Vivant Denon, 1788 - books.google.fr).

Virgile appelle le grand port de Syracuse, avec raison, du nom de golfe (Enéide, Livre III) sicanium sinus, tant il est vaste.

Dans un ouvrage daté de 1650, on trouve Acranida dans l'index pour Acradina dans le corps du texte (page 294) (Sethus Calvisius, Opus chronologicum, 1650 - books.google.fr).

En effet, Achranide se retrouve chez certains auteurs :

Cicéron, Suite des exemples : Archimède : XXIII Avec une pareille vie, la plus affreuse, la plus misérable, la plus détestable que je puisse imaginer, je ne vais pas comparer celle de ces savants et de ces sages que sont Platon et Archytas; dans la même ville, bien des années après, vivait un homme de naissance obscure, Archimède, connu pour les figures tracées sur le sable avec sa baguette, dont je vais réveiller le souvenir. Étant questeur, j'ai recherché son tombeau qui n'était pas connu des Syracusains et qui, selon eux, n'existait même pas; il était entouré et couvert de buissons et de broussailles. J'avais dans la mémoire quelques ïambes sénaires qui d'après la tradition étaient gravés sur le monument; ils faisaient connaître que, sur le haut du tombeau, avait été placée une sphère avec un cylindre. En parcourant tout du regard (car il y a abondance de tombeaux près de la porte Achranide), j'aperçus, s'élevant à peine au-dessus des broussailles, une petite colonne, où étaient dessinés une sphère et un cylindre. Je dis aussitôt aux Syracusains (j'avais avec moi les personnages principaux de la ville) que je pensais avoir trouvé cela même que je cherchais. Beaucoup d'hommes envoyés avec des faux nettoyèrent la place et la rendirent accessible. Quand le chemin nous fut ouvert, nous nous approchâmes de la base de la colonne, en face de nous ; on y voyait une inscription en petits vers dont les parties finales, presque la moitié, étaient rongées. Ainsi la cité la plus noble de la Grèce, autrefois aussi la plus savante, aurait ignoré le tombeau du plus profond de ses citoyens, si un homme d'Arpinum ne le leur avait fait connaître. Cicéron, Tusculanes, V,23 (Les Stoïciens: textes, Volume 156 de Bibliothèque de la Pléiade, 1962 - books.google.fr).

Cette traduction de la Pléiade n'est pas conforme au texte latin de Cicéron. On y a bien Achradina. Alors pourquoi la traduction (de Bréhier ?), qui a été reprise, inverse-t-elle le d et le n ? Simple coquille comme l'atteste l'erratum de l'édition de 1816 de l'Histoire universelle de l'abbé Dillon : p. 92 ligne 5, l'Achranide, lisez : l'Achradine (Henri Dillon, Histoire universelle, Volumes 7 à 8, Bidault, 1816 - books.google.fr).

Une telle inversion se trouve chez Charles Rollin (1661-1741) dans l'édition de 1818 de son Histoire romaine Œuvres complètes de Ch. Rollin: Histoire romaine, Volume 10, Ledoux et Tenré, 1818 - books.google.fr).

Louis-Denis Caillouette, Charles Rollin, Hôtel de Ville de Paris, photo Harmonia Amanda, 2007 - fr.wikipedia.org - Hôtel de ville de Paris

Platon à Syracuse

Deux hommes fort illustres travaillèrent à rétablir la liberté dans Syracuse, Dion et Timoléon. Le premier en jeta les fondemens, et le second acheva entièrement ce grand ouvrage.

Une espèce de hasard, ou plutôt, dit Plutarque, une providence particulière, qui jetoit de loin les fondemens de la liberté de Syracuse, y avoit amené Platon, le plus célèbre des philosophes, en 387 avant J.-C. Denys l'Ancien, qui s'intéressait à la philosophie, dont Platon fait le portrait peu flatté dans le IXème livre de la République, le reçut à la cour de Syracuse. Il gagna à la philosophie Dion de Syracuse, qui devint son ami et son disciple, et profita bien de ses leçons. Dion était le frère d'Aristomaque, que le premier Denys a voit épousée, mais, en raison de son penchant moralisateur, ou à cause de son influence, il ne tarda pas à déplaire au maître souverain. Embarqué de force sur un bateau spartiate, il fut probablement capturé et vendu comme esclave sur l'île d'Égine, alors en guerre contre Athènes. Il fut néanmoins affranchi par Annicéris de Cyrène, philosophe cyrénaïque, qui l'aurait reconnu, acheté « pour vingt mines d'argent », puis libéré.

En 367, le second Denys avoit succédé à son père dans un âge où, comme le dit Tite-Live d'un autre roi de Syracuse, à peine étoit-il capable d'user modérément de sa liberté, loin de pouvoir gouverner avec sagesse.

Dion, persuadé que tous les vices du jeune Denys ne venoient que de la mauvaise éducation qu'il avoit eue, chercha à le jeter dans des conversations honnêtes, et à lui faire goûter des discours capables de former les mœurs. Pour cela il l'engagea à faire venir à sa cour Platon. Quelque répugnance qu'eût le philosophe pour ce voyage, dont il n'espéroit pas un grand fruit, il ne put résister aux vives sollicitations qu'on lui fit de toutes parts. Il vin à Syracuse deux fois encore en 367 et en 361, et y fut reçu avec des marques d'honneur et de distinction extraordinaires.

Platon trouva les plus heureuses dispositions du monde dans le jeune Denys, qui se prêta sans réserve à ses leçons et à ses conseils. Mais comme il avoit lui-même infiniment profité des avis et des exemples de Socrate son maître, le plus habile homme qu'ait eu le paganisme pour faire goûter la vérité, il eut soin de manier l'esprit du jeune tyran avec une adresse merveilleuse, évitant de heurter de front ses passions, travaillant à gagner sa confiance par des manières douces et insinuantes, et surtout s'étudiant à lui rendre la vertu aimable, pour la rendre en même Les courtisans travaillèrent de concert à lui rendre suspect, et même odieux, le zèle de Dion et de Platon, en les lui représentant comme d'incommodes censeurs et d'impérieux pédagogues, qui prenoîent sur lui une autorité qui ne convenoit ni à son âge ni à son rang. Enfin Dion et Platon, sous difFérens prétextes, et en différens temps, furent éloignés de la cour, qui se trouva de nouveau abandonnée à toutes sortes de désordes et d'excès (Oeuvres complètes de Charles Rollin, Volume 17, Ledoux et Tenré, 1819 - books.google.fr, Édouard Des Places, Pindare et Platon, 1949 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Platon).

Agathoclès, le geai de Syracuse

C'est la raison pour laquelle nous ferons bien de ne pas ajouter foi aux choses que Timée rapporte contre Democharés. II n'est en cette occasion ni excusable ni croiable. Son caractère médisant s'y fait trop sentir, & le jette trop visiblement au-delà des bornes de la bienséance. Je ne m'en fie pas plus à cet Historien sur le chapitre d'Agathocles ; je veux que ce Tyran ait porté l'impiété jusqu'à son comble, mais Timée devroit-il pour Cela dire à la fin de son Histoire qu'Agathocles, dès sa plus tendre jeunesse, se prostituoit au premier venu & s'abandonnoit aux plus outrez débauchez, que c'étoit un geai, une buse qui se livroit à quelque infamie que l'on demandât de lui... (Polybe, Histoire, Livre XII, Chapitre IV, Volume VI, Gandouin, 1730 - books.google.fr).

Petit retour sur Villemain qui revint aux affaires le 29 octobre 1840 dans le troisième ministère Soult et resta en poste jusqu'au 30 décembre 1844, date où il fit une tentative de suicide qu’il s’agit d’expliquer. Une nuit de février 1844, Villemain, homme marié et père de famille, fut surpris par des maîtres-chanteurs près de la Madeleine, « se livrant à ce qu’il y a de plus dégradant avec un jeune homme. Ils étaient blottis dans un coin de la rue de l’Arcade. » Villemain, croyant impressionner les voyous, commit l’erreur de décliner sa qualité de ministre. Pire, il conduisit les chanteurs à son hôtel particulier. Il n’en fut que plus grandement exploité : il dut d’abord leur céder 3 000 francs. Cette affaire de chantage joua un rôle déterminant dans la tentative de suicide, par défénestration de son bureau, à laquelle Villemain se livra en décembre 1844. Seulement blessé, Villemain fut interné à Bicêtre, dans les services du Dr Leuret4. L’intelligentsia française, consternée par cette brusque défaillance d’un homme si brillant, crut devoir attribuer la dépression et le coup de folie du ministre à la seule pression de travail et aux critiques dirigées contre sa réforme de l’Instruction publique. En vérité, la transcription par Victor Hugo, d’un entretien qu’il eut l’année suivante avec Villemain guéri, suggère que les craintes, sinon l’obsession, de voir sa pédérastie révélée au public, eurent un rôle clé dans l’accès dépressif aigu du ministre (fr.wikipedia.org - Abel-François Villemain).

Les Samnites dans une épidémie, avaient voué aux dieux un printemps sacré (ver sacrum) ; en conséquence, tout ce qui naquit au printemps fut immolé; on ne réserva que les enfants, et encore pour les bannir du pays à leur 20ème année. Les jeunes Samnites, ainsi bannis, se réfugièrent en Sicile, où Agathocles les prit à sa solde. Après sa mort (288 ans av. J .-C.), ces aventuriers, ayant excité des troubles à Syracuse, furent obligés d’en sortir, et se retirèrent sous les murs de Messine. Ils y entrèrent comme amis; mais ils n’y furent pas plus tôt installés qu’ils massacrèrent une partie des habitants, chassèrent les autres, prirent les femmes et les enfants, et se partagèrent ce qu’il y avait de richesses dans la ville et le pays. On dit qu’alors, pour avoir un nom, ils consultèrent le sort, en mettant dans une urne les noms de douze grands dieux. Il en sortit celui de Mamers, qui, dans la langue des Osques, signifie Mars. C’est de là qu’ils s’appelèrent Mamertins, et qu’ils nommèrent Messine Mamertina civitas. Vers la même époque, et par une trahison semblable, des Romains s’étaient emparés de Rhegium (Reggio). Unis avec eux par une communauté d’origine et de brigandage, les Mamertins demeurèrent non-seulement tranquilles possesseurs de leur ville et de son territoire, mais ils inquiétèrent fort les Carthaginois et les Syracusains, qui se disputaient alors la possession de la Sicile, obligèrent même une partie des villes a leur payer tribut. Telles furent leur force et leurs ressources, qu’ils purent résister à Pyrrhus, et qu’ils lui firent éprouver un rude échec quand il évacua la Sicile, 275 av. J.-C. Hiéron II, roi de Syracuse, parvint enfin à vaincre les Mamartins. C’est alors qu’ils se partagèrent en deux factions : les uns eurent recours aux Carthaginois, et leur livrèrent la citadelle; les autres implorèrent les secours des Romains, leurs alliés. Ceux-ci accoururent, et bientôt s’accomplit la prédiction de Pyrrhus, en quittant la Sicile : "Quel beau champ de bataille nous laissons aux Carthaginois et aux Romain." Ce fut l‘a l'origine et l’occasion de la première guerre punique qui éclata 264- ans av. J.-C., et dont la Sicile fut un des principaux théâtres. (Encyclopédie des gens du monde, Volume 17, Librairie de Treuttel et Würtz, 1842 - books.google.fr).

Le "Geai rare" de Nerval

Dans la lithographie de Gervais le représentant, Gérard de Nerval dessina de sa main un oiseau en cage ainsi que le rébus "G rare". Pour certains ce G est un geai. Le geai en cage se retrouve dans quelques écrits, dans Les miracles de Notre Dame de Sardenay de Gautier de Coincy : "Mes maintenant en issir en cuide, / Dieu l'enprisone et l'enjaiole / Plus que ne set jais en jaiole" (Les Miracles De La Sainte Vierge, traduits et mis en vers par Gautier De Coincy, Publies Par l'Abbe Poquet, Parmantier, 1857 - books.google.fr), dans des poèmes anglais médiévaux (Thomas Wright, Histoire de la caricature et du grotesque dans la littérature et dans l'art, 1867 - books.google.fr), ou dans des prédications calvinistes du XVIème siècle (Georges-Frédéric Goguel, La prédication protestante avec prières au temps de la Réforme, en France, en Suisse et en Allemagne, Volume 1, 1857 - books.google.fr).

Une Lanassa apparaît chez Nerval dans le sonnet dédié «à Made Aguado», version Aguado des Chimères : "Lanassa ! fais flotter ton voile sur les eaux ! Livre les fleurs de pourpre au courant des ruisseaux".

En revanche la mythologie et l'histoire de la Grèce ancienne offrent deux personnages de ce nom : une petite-fille d'Hercule que Pyrrhus, le fils d'Achille, arracha au temple de Zeus à Dodone pour en faire son épouse ; puis, au IIIème siècle, une fille d'Agathoclès de Syracuse, l'une des femmes d'un autre Pyrrhus, descendant du premier, l'adversaire des Romains. Jalouse des épouses « barbares » de son époux, elle s'allia par vengeance au roi de Macédoine Démétrius qui vogua à son instigation vers Corcyre pour enlever cette place à Pyrrhus ll. Un enlèvement, une expédition maritime, les souvenirs de cette guerre de Troie qu'avait annoncée la Sibylle attachés au nom de Pyrrhus, ce sont là des liens bien faibles pour autoriser l'intrusion d'un nom hellénique dans une pièce de couleur indo-judéenne. On peut soupçonner ici une intention cryptographique soupçonner ici une intention cryptographique. On sait le goût de Nerval pour les jeux de mots symboliques (geai rare au-dessus de son portrait en tête de la notice d'Eugène de Mirecourt ; « celui qui fut Gérard... (geras : récompense pour vous tous) » dans une lettre du 24 octobre 1854). Aurait-il ici, par une démarche mentale dont la sémantique moderne souligne l'importance psychologique et la fécondité, rapproché le nom de Lanassa de l'ancien l'ancien grec anassa (souveraine), songé à la Reine des lieux d'en-bas, à cette Perséphone qu'il identifie à Artémis dans les Chimères ? ou à l'infidèle reine de Sparte dont le voile flotta sur la nef de son ravisseur et pour qui des ruisseaux de sang inondèrent la plaine et les rues d'Ilion ? (François Constans, Sibylles nervaliennes, Revue des sciences humaines, Numéro 95, 1959 - books.google.fr).

Mme M.-J. Durry avait d'abord vu dans les « papillons blancs » la transfiguration des plumes qu'avait laissé choir le vautour du pantoum malais, et aussi l'écume blanche que l'on aperçoit à la crête des vagues, et elle finit par reconnaître (p. 183) dans les papillons Psyché, le mythe biologique de l'âme, d'une âme qui recouvre le monde en dépit du fils de Typhon. L'exotisme de Mahdéwa ou la grâce hellénistique de lanassa s'harmonisent avec les voiles et les eaux, les fleurs de pourpre et les ruisseaux, mais l'étrangeté géographique du dernier vers : « La neige du Cathay tombe sur l'Atlantique », tout en nous rappelant les « papillons blancs » reporte notre méditation vers le symbole alchimique, qui s'épanouit magnifiquement dans les deux premiers vers du dernier tercet : Cependant la Prêtresse au visage vermeil Est endormie encor sous l'Arche du Soleil.

M.-J. Durry a ingénieusement rapproché ce flamboiement, cette « calme respiration dorée » du Recueillement où Baudelaire montre « Le Soleil moribond s'endormir sous une arche. » Et le dernier vers, dans sa rigidité : « Et rien n'a dérangé le sévère portique » paraît marquer le caractère illusoire de toutes les visions qui viennent d'être évoquées. (Roland Derche, Études de textes français: XIXe siècle (Des Mémoires d'Outre-Tombe aux Comtemplations), Volume 5, 1966 - books.google.fr).

En la situant sous "l'Arche du Soleil", le poète dresse au milieu du cycle du principe féminin, la ligne verticale qui relie Artémis à son frère jumeau Apollon, le ténèbre à la lumière. Or, c'est aussi la lumière absolue qui réside à l'étage sublime dans les cieux de Brahma ; ce serait Brahma. Brahma, sous forme neutre, signifie la parole sacrée, hymne, prière, savoir sacré et forme magique, et il n'est pas personnifié.

Le fondement du macrocosme correspond au microcosme, à Atman, le souffle vital, l'âme individuelle, principe éternel du Soi impérissable. L'Orient chez Nerval, identifié à la recherche intérieure, lui donne la direction de sa recherche intérieure. Il se peut qu'il ait entrevu une telle lumière lorsqu'il écrit : "Au-delà de leur ciel éblouissant je vis resplendir les sept cieux de Brahma" (Nerval et L'Orient, Numéro 16 de Cahiers Gérard de Nerval, 1993 - books.google.fr).

Des siècles, de toutes les contrées du monde, de l'Antiquité et des temps bibliques jusqu'aux temps modernes, sortent les Rois, les Reines, les héros et les génies — David, Michaël, Mahdewa, César, Napoléon, la reine de Saba, Artémis, Dafné, Myrtho, etc... Princes ou génies de l'Esprit; Rois ou Reines de l'âme. Triomphants ou vaincus. Nerval sent, comme physiquement, organiquement, le règne mais aussi l'écroulement de cette souveraineté; il connaît les déserts de la dépossession. Dans El Desdichado l'évocation du Prince d'Aquitaine fait paraître la tour, image de la splendeur seigneuriale mais en même temps la tour abolie; aux pieds du princier personnage s'étendent soudain les témoins de sa déchéance (Octave Nadal, Poétique et poésie des "Chimères", Mercure de France, Volume 325, 1955 - books.google.fr).

Gérard de Nerval, grâce aux traversées de l'Achéron que représentent pour lui ses crises d'aliénation mentale, croit avoir acquis la certitude de la survie des âmes; au lieu de renier les dieux du paganisme égyptien ou gréco-latin, il tente d'illustrer leur accord avec la Vierge Marie et son divin Fils (Roland Derche, Études de textes français: XIXe siècle (Des Mémoires d'Outre-Tombe aux Comtemplations), Volume 5, 1966 - books.google.fr).

Le Voyage d'Orient s'achève par l'image de derviches assistant à la messe à Constantinople (Jacques Huré, Le livre nervalien de l'éveil de l'âme, Nerval et L'Orient, Numéro 16 de Cahiers Gérard de Nerval, 1993 - books.google.fr).

L'âme

Bernard Silvestre (mort en 1160), un des grands chartrains, maître à Tours de Matthieu de Vendôme, par-delà le sens historique et le sens moral, "identifie en effet dans l'Enéide un troisième degré de signification. «Voyons maintenant ce qu'il en est de la vérité philosophique. En tant qu' il est philosophe, Virgile décrit la nature de l'existence humaine (humane vite naturam). Voici comment il procède: en termes voilés (in integumento), il dépeint ce que fait ou ce que subit l'esprit humain temporairement inclus dans dans le corps... » Si l'on suit Bernard Silvestre, le sujet authentique de YEnéide est donc l'aventure platonicienne des relations entre esprit et matière, âme et corps. Soit, plus précisément: le récit de l'exil de la substance spirituelle au sein de l'univers charnel et de l'ascèse à laquelle elle soumet pour enfin parvenir à s'en arracher et s'unir de nouveau à l'Etre. Aux termes d'une démonstration que nous pouvons juger bizarre, mais qu'il emprunte à un commentateur du Ve siècle, Fulgence12, Bernard déchiffre les six premiers chants de l' Enéide comme une métaphore du pèlerinage de l'esprit humain, depuis sa chute dans la matière, la naissance, dont la tempête du chant 1 représente la traduction poétique, jusqu'au retour dans la patrie spirituelle, salué par le discours triomphal d'Anchise aux enfers, à la fin du chant 6 - chacun des six chants symbolisant par ailleurs, comme autant d'étapes dans ce processus, l'un des six âges successifs de la vie humaine.

Nous venons d'employer le verbe «symboliser». Il est impropre à rendre exactement le terme par lequel le prologue de Bernard désigne le travail poétique, à savoir integumentum, le concept-clé de l'exégèse chartraine. Integumentum (ailleurs: involucrum), c'est ce qui couvre, ce qui dissimule - dans l'acception technique ici envisagée, un «genre de discours qui enveloppe l'intelligence de la vérité sous une narration fabuleuse», pour citer la définition canonique de Macrobe, l'un des auteurs les plus passionnément étudiés à Chartres. Le travail du poète va donc être de vêtir la vérité philosophique des voiles diaprés du récit" (Jean-Yves Tilliette, Des mots à la parole: une lecture de la Poetria nova de Geoffroy de Vinsauf, 2000 - books.google.fr).

Le Songe de Scipion constitue la conclusion du traité cicéronien De Republica. Par la bouche de Scipion, Cicéron relate à la fin du sixième livre de son dialogue, le songe advenu à son héros quelque vingt ans auparavant. Le texte très court s'ouvre sur l'arrivée de Scipion en Afrique alors que celui-ci se rend chez le roi Masinissa, un ami de la famille. Après le banquet et les conversations qui se prolongent tard dans la nuit, Scipion sombre dans un profond sommeil. En songe, il est transporté dans la Voie lactée, séjour des Bienheureux, où son grand-père, le premier Africain, lui apparaît. A l'instar d'Anchise annonçant à Enée sa destinée lors de sa descente aux Enfers, le premier Africain prédit à Scipion ses victoires militaires, les charges publiques qu'il sera appelé à remplir, la trahison de ses proches et sa mort. Pour raviver son ardeur au service de la res publica, il lui révèle la récompense réservée à ceux qui ont sauvé, défendu et agrandi leur patrie : la jouissance de la vie éternelle. S'étant enquis de la présence en ces lieux de son père Paul Emile qu'il rencontre peu après, Scipion le jeune manifeste alors le désir de se donner la mort afin de rejoindre ses illustres ancêtres. Mais son père lui rappelle la tâche qu'il doit accomplir et l'incite à la pratique des vertus civiles. Invité par la suite à contempler l'univers et l'harmonie des sphères, Scipion reporte constamment son regard vers la Terre. Le premier Africain lui montre alors la fugacité du monde mortel et la vanité de la gloire terrestre. Puis son aïeul l'exhorte à se livrer aux plus nobles activités, celles qui contribuent au salut de la patrie. Le Songe s'achève sur la démonstration de la nature de l'âme et de son immortalité. Le premier Africain s'éloigne et Scipion s'éveille.

Le Commentaire de Macrobe comporte deux livres qu'accompagne habituellement le texte même du Songe de Scipion. Outre les réflexions sur les nombres, l'astronomie, la géographie et une théorie des des quatre vertus devenue classique, le thème central de ces commentaires, ou du moins les arguments qu'en ont retenus le Moyen Age et la Renaissance, ont trait à l'immortalité de l'âme, matière qui occupe les cinq derniers chapitres de l'œuvre.

Dans ses préliminaires à l'analyse du Songe de Scipion. Macrobe trace d'abord le parallèle entre la République de Cicéron et le traité de son prédécesseur Platon. Justifiant le recours à l'allégorie dans les écrits philosophiques, il explique le choix de Cicéron quant à la mise en scène du Songe de Scipion, version modifiée du récit d'Er le Pamphylien sur lequel s'achève la République platonicienne (Diane Desrosiers-Bonin, Le Songe de Scipion et le commentaire de Macrobe à la Renaissance, Le songe à la Renaissance: colloque international de Cannes, 29-31 mai 1987, 1990 - books.google.fr).

Le Commentaire de Macrobe fut longtemps la seule sauvegarde du Songe de Scipion de Civéron. Le texte complet du traité, que Roger bacon et Pétrarque avaient cherché, ne fut seulement retrouvé qu'en 1822 sous la forme d'un palimpseste par Angelo Mai.

Macrobe veut montrer que tout ce qu'on dit du Tintée peut être dit du Songe de Scipion et que la théologie de Cicéron s'accorde avec celle de Platon ce qui est son postulat fondamental 38. On peut même remarquer que sur un point Macrobe donne l'avantage à Cicéron: terminant sa République, à l'exemple de Platon, par une fable qui décrit de façon imagée le sort des âmes après la mort, il a su prévenir les sarcasmes des ignorants en imaginant que Scipion a cette révélation au cours d'un songe, ce qui est tout naturel; au lieu que Platon, de façon peu croyable, a fait ressusciter le Pamphylien après douze jours passés chez les morts (Jacques Flamant, Macrobe et le néo-platonisme latin: à la fin du IVe siècle, 1977 - books.google.fr).

Chap. XI. Opinion des platoniciens sur les enfers et sur leur emplacement. De quelle manière ils conçoivent la vie ou la mort de l'âme.

Aux opinions que nous venons d'exposer, ajoutons celles de quelques philosophes, ardents investigatcurs de la vérité. Les sectateurs de Pythagore, et ensuite ceux de Platon, ont admis deux sortes de morts : celle de l'âme et celle de l'animal. L’animal meurt quand l'âme se sépare du corps, et l‘âme meurt lorsqu'elle s'écarte de la source simple et indivisible où elle a pris naissance, pour se distribuer dans les membres du corps. L’une de ces morts est évidente pour tous les hommes, l'autre ne l'est qu’aux yeux des sages, car le vulgaire s’imagine qu'elle constitue la vie : en conséquence, beaucoup de personnes ignorent pourquoi le dieu des morts est invoqué, tantôt sous le nom de Dis (dieu des richesses), et tantôt sous celui d‘implacable. Elles ne savent pas que le premier de ces noms, d’heureux augure, est employé, lorsque l'âme, à la mort de l'animal, rentre en possession des vraies richesses de sa nature, et recouvre sa liberté; tandis que le second, de sinistre augure, est usité, lorsque l'âme, en quittant le séjour éclatant de l'immortalité, vient s'enfoncer dans les ténèbres du corps, genre de mort que le commun des hommes appelle la vie : car l'animation exige l'enchaînement de l'âme au corps. Or, dans la langue grecque, corps est synonyme de lien, et a beaucoup d’analogie avec un autre mot qui signifie tombeau de l'âme. C'est pourquoi Cicéron, voulant exprimer tout a la fois que le corps est pour l'âme un lien et un tombeau , dit: « Ceux-là vivent, qui se sont échappés des liens du corps comme d'une prison, parce que la tombe est la prison des morts.

Cependant les platoniciens n’assignent pas aux enfers des bornes aussi étroites que nos corps; ils appellent de ce nom la partie du monde qu'ils ont fixée pour l'empire de Pluton, mais ils ne sont pas d'accord sur les confins de cet empire : il existe chez eux , à ce sujet, trois opinions diverses. Les uns divisent le monde en deux parties , l'une active et l'autre passive; la partie active, ou tout conserve des formes éternelles, contraint la partie passive à subir d'innombrables permutations. La première s'étend depuis la sphère des fixes jusqu'à celle de la lune exclusivement; et la seconde, depuis la lune jusqu'à la terre. Ce n'est que dans la partie active que les âmes peuvent exister; elles meurent, du moment où elles entrent dans la partie passive. C'est donc entre la lune et la terre que se trouvent situés les enfers; et, puisque la lune est la limite fixée entre la vie et la mort, on est fondé à croire que les âmes qui remontent du globe lunaire vers le ciel étoilé commencent une nouvelle vie , tandis que celles qui en descendent cessent de vivre. En effet, dans l'espace subluuaire, tout est caduc et passager; le temps s'y mesure, et les jours s'y comptent. La lune a reçu des physiciens le nom de terre aérienne, et ses habitants celui de peuple lunaire; ils appuient cette opinion sur beaucoup de preuves, qu’il serait trop long de rapporter maintenant.

On ne peut douter que cet astre ne coopère à la formation et à l'entretien des substances périssables, puisque plusieurs d'entre elles augmentent ou diminuent, selon qu'il croît ou décroit ; mais ce serait le moyen d'ennuyer le lecteur, que de s'étendre davantage sur des choses si connues: uous allons donc passer au second système des platoniciens sur l'emplacement des enfers. Les partisans de ce système divisent le monde en trois ordres d'éléments, de quatre couches chacun. Dans l'ordre inférieur, ils sont ainsi rangés : la terre, l'eau, l'air et le feu, formé de la partie la plus subtile de l'air qui touche à la lune. Dans l'ordre intermédiaire, les quatre éléments sont d'une nature plus pure, et rangés de la même manière : la lune ou la terre aérienne représente notre terre ; au-dessus d'elle la sphère de Mercure tient la place de l'eau; vient ensuite Vénus ou l'air, puis le soleil ou le feu. Dans le troisième ordre, les rangs sont intervertis, et la terre occupe la plus haute région; de telle sorte que cette terre et celle de l'ordre inférieur sont les deux extrêmes des trois ordres. On trouve d'abord la planète de Mars, qui est le feu; puis Jupiter ou l'air, dominé par Saturne ou l'eau; et enfin la sphère des fixes ou la terre, qui renferme les champs Élysées, réservés aux âmes des justes, selon les traditions de l'antiquité. L'âme qui part de ces lieux pour revêtir un corps a donc trois ordres d'éléments à traverser, et trois morts à subir pour arriver a sa destination. Tel est le second sentiment des platonicieus, relativement à la mort de l'âme exilée dans un corps. Les partisans de la troisième opinion divisent, comme ceux de la première, le monde en deux parties; mais les limites ne sont pas les mêmes. Ils font de la sphère aplane la première partie; la seconde se compose des sept planètes, et de tout ce qui est au-dessous d'elles, y compris la terre elle-même. Selon ces philosophes, dont le sentiment est le plus probable , les âmes affranchies de toute contagion matérielle habitent le ciel; mais celles qui, de cette demeure élevée, où elles sont environnées d'une lumière éternelle, ont jeté un regard en bas vers les corps et vers ce qu'on appelle icibas la vie, et qui ont conçu pour elle un secret désir, sont entraînées peu à peu vers les régions inférieures du monde, par le seul poids de cette pensée toute terrestre. Cette chute toutefois n'est point subite, mais graduée. L'âme parfaitement incorporelle ne se revêt pas tout de suite du limon grossier du corps, mais insensiblement, et par des altérations successives qu'elle éprouve à mesure qu'elle s'éloigne de la substance simple et pure qu'elle habitait, pour s'entourer de la substance des astres, dont elle se grossit. Car, dans chacune des sphères placées au-dessous du ciel des fixes, elle se revêt de plusieurs couches de matière éthérée qui, insensiblement, forment le lien intermédiaire par lequel elle s'unit au corps terrestre; en sorte qu'elle éprouve autant de dégradations ou de morts qu'elle traverse de sphères.

Chap. XII. Route que parcourt l'âme, eu descendant de la partie la plus élevée du monde vers la partie inférieure que nous occupons.

Voici le chemin que suit l'âme en descendant du ciel en terre. La voie lactée embrasse tellement le zodiaque dans la route oblique qu'elle a dans les deux, qu'elle le coupe en deux points, du Cancer et au Capricorne, qui donnent leur nom aux deux tropiques. Les physiciens nomment ces deux signes les portes du soleil, parce que, dans l'un et l'autre, les points solsticiaux limitent le cours de cet astre, qui revient sur ses pas dans l'écliptique, et ne la dépasse jamais. C'est, dit-on, par ces portes que les âmes descendent du ciel sur la terre, et remontent de la terre vers le ciel. On appelle l'une la porte des hommes, et l'autre la porte des dieux. C'est par celle des hommes, ou par le Cancer, que sortent les âmes qui font route vers la terre; c'est par le Capricorne, ou porte des dieux , que remontent les âmes vers le siege de leur propre immortalité, et qu'elles vont se placer au nombre des dieux; et c'est ce qu'Homère a voulu figurer dans la description de l'antre d'Ithaque. C'est pourquoi Pythagorc pense que c'est de la voie lactée que part la descente vers l'empire de Pluton, parce que les âmes, en tombant de là, paraissent déjà déchues d'une partie de leurs célestes attributs. Le lait, dit-il, est le premier aliment des nouveau-nés, parce que c'est de la zone de lait que les âmes reçoivent la premiere impulsion qui les pousse vers les corps terrestres. Aussi le premier Africain dit-il au jeune Scipion , en parlant des âmes des bienheureux, et en lui montrant la voie lactée : « Ces âmes sont parties de ce lieu, et c'est dans ce lieu qu'elles reviennent. » Ainsi celles qui doivent descendre, tant qu'elles sont au Cancer, n'ont pas encore quitté la voie de lait, et conséquemment sont encore au nombre des dieux; mais lors qu'elles sont descendues jusqu'au Lion, c'est alors qu'elles font l'apprentissage de leur condition future. Là commence le noviciat du nouveau mode d'existence auquel va les assujettir la nature humaine. Or le Verseau, diamétralement opposé au Lion, se couche lorsque celui-ci se lève; de là est venu l'usage de sacrifier aux mânes quand le soleil entre au premier de ces signes, regardé comme l'ennemi de la vie humaine. Ainsi l'âme, descendant des limites célestes, où le zodiaque et la voie lactée se touchent, quitte aussitôt sa forme sphérique, qui est celle de la nature divine, pour s'allonger et s'évaser en cône; c'est comme le point qui décrit une ligne, et perd, en se prolongeant, son caractère d'individualité: il était l'emblème de la monade, il devient, par son extension, celui de la dyade. C'est là cette essence à qui Platon, dans le Timèe, donne les noms d'indivisible et de divisible, lorsqu'il parle de la formation de l'âme du monde. Car les âmes, tant celle du monde que celle de l'homme, se trouvent n'être pas susceptibles de division, quand on n'envisage que la simplicité de leur nature divine; mais aussi quelquefois elles en paraissent susceptibles, lorsqu'elles s'étendent et se partagent, l'une dans le corps du monde, l'autre dans celui de l'homme. Lors donc que l'âme est entraînée vers le corps,des l'instant où elle se prolonge hors de sa sphère originelle, elle commence à éprouver le désordre qui règne dans la matière. C'est ce qu'a insinué Platon dans son Phedon, lorsqu'il nous peint l'âme que l'ivresse fait chanceler, lorsqu'elle est entraînée vers le corps. Il entend par là ce nouveau breuvage de matière plus grossière qui l'oppresse et l'appesantit. Nous avons un symbole de cette ivresse mystérieuse dans la coupe céleste appelée Coupe de Bacchus, et que l'on voit placée au ciel entre le Cancer et le Lion. On désigne par cet emblème l'état d'enivrement que l'influence de la matière, tumultuairement agitée, cause aux âmes qui doivent descendre ici-bas. C'est laque déjà l'oubli, compagnon de l'ivresse, commence a se glisser en elles insensiblement; car si elles portaient jusque dans les corps la connaissance qu'elles avaient acquise des choses divines dans leur séjour des cieux, il n'y aurait jamais eutre les hommes de partage d'opinions sur la Divinité; mais toutes, en venant ici-bas, boivent à la coupe de l'oubli, les unes plus, et les autres moins. Il arrive de là que la vérité ne frappe pas tous les esprits, mais que tous ont une opinion , parce que l'opinion nait du défaut de mémoire. Cependant moins l'homme a bu, et plus il lui est aisé de reconnaître le vrai, parce qu'il se rappelle sans peine ce qu'ila su antérieurement. Cette faculté de l'âme, que les Latins nomment lectio, les Grecs l'appellent réminiscence, parce qu'au moment ou la vérité se montre à nous, les choses se représentent à notre entendement telles que nous les voyions avant que les influences de la matière eussent enivré les âmes dévolues à nos corps. C'est de ce composé de matière et d'idées qu'est formé l'être sensible, ou le corps de l'univers. La partie la plus élevée et la plus pure de cette substance, qui alimente et constitue les êtres divins, est ce qu'on appelle nectar : c'est le breuvage des dieux. La partie inférieure, plus trouble et plus grossière, c'est le breuvage des âmes; et c'est ce que les anciens ont désigué sous le nom de fleuve Léthé.

Par Bacchus, les orphiques entendent la matière intelligente, ou la monade devenue dyade. Leurs légendes sacrées disent que ce dieu, mis en pièces par les Titans furieux, qui avaient enterré les lambeaux de son corps, renaquit sain et entier; ce qui signifie que l'intelligence, se prêtant successivement aux deux modifications de divisibilité et d'indivisibilité, se répand, au moyen de la première, dans tous les corps de la nature, et redevient, au moyen de la seconde, le principe unique.

L'âme, entraînée par le poids de la liqueur enivrante, coule le long du zodiaque et de la voie lactée jusqu'aux sphères inférieures; et dans sa descente, non-seulement elle prend, comme on l'a dit plus haut, une nouvelle enveloppe de la matière de ces corps lumineux, mais elle y reçoit les différentes facultés qu'elle doit exercer durant son séjour dans le corps. Elle acquiert, dans Saturne, le raisonnement et l'intelligence, ou ce qu'on appelle la faculté logistique et contemplative; elle reçoit de Jupiter la force d'agir, ou la force exécutrice; Mars lui donne la valeur nécessaire pour entreprendre, et la fougue impétueuse; elle reçoit du soleil les facultés des sens et de l'imagination, qui la font sentir et imaginer; Vénus lui inspire le mouvement des désirs; elle prend dans la sphère de Mercure la faculté d'exprimer et d'énoncer ce qu'elle pense et ce qu'elle sent; enfin, dans la sphère de la lune, elle acquiert la force nécessaire pour propager par la génération et accroître les corps. Cette sphère lunaire, qui est la dernière et la plus basse relativement aux corps divins, est la première et la plus haute relativement aux corps terrestres. Ce corps lunaire, en même temps qu'il est comme le sédiment de la matière céleste, se trouve être la plus pure substance de la matière animale. Voilà quelle est la différence qui se trouve entre les corps terrestres et les corps célestes (j'entends le ciel, les astres, et les autres éléments divins) : c'est que ceux-ci sont attirés en haut vers le siège de l'âme et vers l'immortalité par la nature même de la région où ils sont, et par un désir d'imitation qui les rappelle vers sa hauteur; au lieu que l'âme est entraînée vers les corps terrestres, et qu'elle est censée mourir lorsqu'elle tombe dans cette région caduque, siège de la mortalité.

Qu'on ne soit pas surpris que nous parlions si souvent de la mort de l'âme, que nous avons dit être immortelle. L'âme n'est pas anéantie ni détruite par cette mort, elle n'est qu'accablée pour un temps; et cette oppression momentanée ne la prive pas des prérogatives de l'immortalité, puisque, dégagée ensuite du corps, après avoir mérité d'être purifiée des souillures du vice qu'il lui avait communiquées, elle peut être rendue de nouveau au séjour lumineux de son immortalité. Nous venons, je crois, de déterminer clairement le sens de cette expression, vie et mort de l'âme, que le sage et docte Cicéron a puisée dans le sanctuaire de la philosophie (Macrobe, œuvres complètes, Volume 20, Rédacteur Désiré Nisard, 1850 - books.google.fr).

Les âmes dans les sphères célestes

Les Physiciens pensent que les deux tropiques qui divisent le Zodiaque, sont deux portes par lesquelles les ames descendent du ciel en terre, & y remontent aussi. Le Cancre est la porte des hommes; & le Capricorne, celle des Dieux ; pource que par là ils montent à leur immortalité. Pour cette cause Pythagoras tient que l'Empire de Pluton commence au cercle lactée, d'autant que les ames tumbans de là se reculent des lieux haults pour venir prendre place és corps.Tandis qu'elles font au signe du Cancre, elles n'ont pas encore quitté le hault mais quand elles passent en celui du Lion, c'est lors qu'on commence à prendre vie, & qu'elles coulent és corps. Platon au Dialogue Phedon, dit que l'ame chancelant d'une nouuelle yuresse entre au corps, & que le bruuage de la matière qui la circuit, est une iauine qui l'enyvre, car tout ainsi que l'oubli accompagne l'yvresse; aussi fait la matière cette ravine ou inondation. Ainsi donc Lethé est un oubli, d'autant que les ames prestes à choir és corps, oublient leur origine divine, leur source & dignité. Et quand elles font devallées és enfers, & ont longuement sèjourne és champs d'Elysée, pour revenir à la plus commune opinion, devant qu'elles obtiennent passeport pour retourner au monde, elles boivent l'eau de la riviere de Lethé, pour mettre en oubli toutes choses passees, comme dit Virgile au 6. Livre :

Les ames que tu vois voltigeans sur ces bords, / A qui les destins ont destinez autres corps ; / Vont les flots chasse-soings en l'eau de Lethé boire, / Et les oublis qui effacent la mémoire (Natale Conti, Mythologie, 1612 - books.google.fr).

La notion des deux portes du ciel est attribuée à Numénius, selon Porphyre.

L'exposé de la doctrine de Numénius sur les deux portes du ciel est immédiatement suivi d'une description de la descente de l'âme du Cancer au Lion (In Somn., 1, 12,4; p. 48, 18-22 Wi) Il s'agit évidemment d'une descente à travers les signes du zodiaque. Selon la conception du troisième groupe de Platoniciens telle qu'elle est exposée dans l'introduction (1, 11, 10-12) et ailleurs (1, 12, 14) par Macrobe, la descente a lieu uniquement à travers les sphères des planètes. La notion d'une d'une descente à travers les signes du zodiaque doit donc être liée à la doctrine précédente des deux portes dans le zodiaque et dériver également de Numénius. Dans le De antro nympharum, nous l'avons vu, la doctrine numénienne des deux portes dans le zodiaque est suivie d'un exposé sur le thema mundi, c'est-à-dire, l'attribution de chacun des signes du zodiaque à un des sept planètes (attribution qui est censée représenter la configuration des astres au moment de la création du monde). On pourrait penser que cette attribution (que Macrobe connaît, rappelons -le, sans doute à travers le commentaire de Porphyre sur le Timée) explique la notion d'une descente à travers les signes du zodiaque, l'âme traversant en réalité les sphères des planètes auxquels appartiennent ces signes). Il n'en est pourtant pas ainsi et il doit s'agir de deux notions différentes, car la descente à travers les signes du zodiaque commence par le signe du Cancer, tandis que selon le thema mundi le Cancer appartient à la lune, la sphère inférieure des planètes. La doctrine de la descente de l'âme à travers les signes du zodiaque s'oppose donc au contexte (M. A. Elferink, La Descente de L'ame D'apres Macrobe, 1968 - books.google.fr).

Pour les Frères de la Pureté, Ihwân al safa (Xème siècle) qui seront aborder au TAUREAU, la belle endormie, c'est l'âme qu'il faut réveiller.

L'âme d'Anchise

Mais quelques ames privilégiées n'entroient ni dans le Purgatoire, ni dans les Champs-Elysées, parce que leur pureté première n'avoit rien souffert de son séjour dans un corps mortel et terrestre. Elles s'envoloient au ciel, et retournoient aux astres qu'elles avoient quittés. Alors c'étoit peut-être autant de dieux. Peutêtre lorsqu'une comète parut au ciel, après la mort de Jules-César, et qu'on la prit pour l'ame de cet empereur, ne suivoit-on en cela que l'opinion des Platoniciens. Cette ame, pure de toute tache, retournoit se joindre au corps céleste avec lequel elle avoit autrefois été unie, et devenoit une des divinités subalternes. Ce système pou voit seconder la superstition du peuple, et l'envie que quelques particuliers avoient de flatter Auguste en divinisant son grand oncle.

L'ame d'Anchise n'étoit point dans l'Élysée, mais elle étoit déjà retournée aux astres; elle devenoit une nouvelle divinité. Aussi Énée fait-il à son père un sacrifice, au livre V, et le regarde-t-il comme un dieu : "Manes Acheronte remissos... Visa dehinc cœlo facies delapsa parentis Anchisœ", dit-il encore dans le même livre. C'est Virgile lui-même qui nous apprend, d'après Platon, que les ames reprenoient leur essor vers les astres d'où elles étoient autrefois descendues. C'est ce qu'on lit au quatrième livre des Georgiques, dans ces beaux vers, au sujet des abeilles: His quidam signis, atque bœc exempla secuti, / Esse apibus partem divinœ mentis, et haustus / AEtherios dixêre : deum namque ire per omnes / Terrasque tractusque maris, cœlumque profundum. / Hinc pecudes, armenta, viros, genus omne ferarum / Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitas, / Scilicet huc reddi deindè, ac resoluta referri / Omnia, nec morti esse locum; sed viva volare / Syderis in numerum, atque alto succedere cœlo.

Comment donc Anchise pouvoir-il entretenir Enée dans les Enfers ? Il faut distinguer quatre cboses dans l'homme, suivant quatre vers attribués à Ovide : les manes, le corps, l'ame et l'ombre. Après la mort, ces quatre choses occupent quatre lieux difierens. Le corps est rendu à la terre, l'ombre vole autour du tombeau, les manes sont dans les Enfers, et l'ame s'envole au ciel : "Bis duo sunt homini: manes, caro, spiritus, umbra, / Quatuor ista loci bis duo suscipiunt. / Terra tegit carnem, tumulum circumvolat umbra, Oreus babet manes, spiritus astra petit."

Voici cependant comme on explique ordinairement cette dernière partie du système. Le corps retourne à la terre, l'ame habite les Enfers, ou s'élève aux astres; et, dans ce dernier cas, l'idole ou le fantôme prend sa place aux Enfers; l'ombre enfin est errante auprès du tombeau. C'étoit donc le fantôme ou l'idole d'Auchise qui conversoit avec Enée dans les champs fortunés. Tel est à peu près le système que soutenoit Platon, et que l'on peut recueillir de ses ouvrages et de ceux des Platoniciens.

Voilà la doctrine que Virgile a développée, en vers admirables, dans son sixième livre, et avec beaucoup de clarté et de précision. Servius expose en peu de mots tout ce qui regarde la nature du corps et de l'ame. L'homme, dit-il, est composé de la terre, de l'air, de l'eau et du feu. L'ame est une partie de celle du monde; et l'ame du monde est, ou la divinité, ou uue partie de la divinité. Il paroît que Virgile, dans le sixième livre de l'Énéïde, a suivi le système de Platon en particulier; mais on croit fondé à croire qu'il a suivi celui de Pythagore dans le morceau du quatrième livre des Géorgiques, que nous avons cité. On y lit ces mots : "Deum namque ire per omnes Terrasque tractusque maris, cœlumque profundum." (Le génie de Virgile, ouvrage posthume de Malfilatre, publié d'après les manuscrits autographes, Volume 4, avec des notes et additions de Jacques Charles Louis Clinchamp de Malfilâtre, Pierre Auguste Marie Miger, 1810 - books.google.fr).