Partie X - 22 v’la l’Tarot   Chapitre II - Kabbalisation du Tarot   I - Bateleur . XII - Pendu   

I - Le Bateleur - Anges de la face - Kether - 17 novembre - Métatron - Zacharie le cordonnier - Aleph

XII - Le Pendu - 19 mai - Schemachzaï - Sarah - Lamed

La mort est un commencement

Pic mourait le jour même, 17 novembre 1494, où " les armées de Charles VIII pénétraient dans Florence, acclamées par une foule en liesse ". Pour la plupart, il est né le 24 février 1463, veille du jour kabbalistico-tarotique du 25 février qui pour d'autres serait la véritable date de naissance de Pic (Francis Hermans, Histoire doctrinale de l'humanisme chrétien, Volume 1, 1948, Philippe Monnier, Le quattrocento: essai sur l'histoire littéraire du XVe siècle italien, Volume 2, 1920).

Pic meurt en 1494, dans des circonstances longtemps restées mystérieuses. La rumeur court alors que, trop proche de Savonarole, il aurait été empoisonné par son propre secrétaire à l'instigation des Médicis. Cet empoisonnement est confirmé en 2008 par une équipe scientifique qui analyse les restes exhumés de Pic et de Politien qui fit de son Orfeo un théâtre de la mémoire dédié au pouvoir des Gonzague. Les scientifiques dirigés par Giorgio Gruppioni, professeur d'anthropologie à Bologne, concluent à un empoisonnement des deux hommes à l'arsenic, probablement commandité par Pierre de Médicis et exécuté dans le cercle des proches de Pic, probablement par son propre secrétaire, Cristoforo da Calamaggiore.

On l'enterre à Saint-Marc de Florence et c'est Savonarole qui prononce l'oraison funèbre. Ficin écrit : " Notre cher Pico nous a quittés le jour même où Charles VIII entrait dans Florence, et les pleurs des lettrés compensaient l'allégresse du peuple. Sans la lumière apportée par le roi de France, peut-être Florence n'eût-elle jamais vu jour plus sombre que celui où s'éteignit la lumière de la Mirandole. "

Rodolphe de Gonzague, fils puîné de Louis de Gonzague, Marquis de Mantoue, fut Prince de Castiglione et de Solférino, Général de l'armée des Vénitiens, & mourut en 1494. Il avait épousé Catherine Pic de la Mirandole, fille de Jean-François Ier Pic, comte de La Mirandole et de Concordia, et de Julie Boiardo (fr.wikipedia.org - Jean Pic de la Mirandole).

Dès 1492, des tensions apparaissent entre Ludovic Sforza le duc de Milan et Alphonse II le roi de Naples d'origine espagnole. Ce différent est dû au rapprochement d'Alphonse II avec Pierre de Médicis, prince de Florence. Cherchant de nouveaux alliés, Sforza rend visite au roi de France Charles VIII et lui demande son aide. Charles VIII est intéressé par les terres de Naples dont il se dit l'héritier légitime, car la famille d'Anjou a été chassée par les Aragonais. Charles VIII pénètre en Italie au mois de septembre 1492. En six mois, il traverse tout le pays et bat tous ses adversaires en s'appuyant sur son artillerie.

Les Italiens sont surpris et terrorisés par la façon dont les Français combattent. En effet, ceux qui osent résister sont massacrés. Pierre de Médicis sentant le vent tourner, se place sous protectorat français. Pise en profite pour se révolter et les Florentins chassent leur prince, considéré comme un tyran. Les nobles privés de pouvoirs, souhaitent établir une oligarchie, mais un dominicain nommé Savonarole soutenu par le peuple parvient à installer une sorte de démocratie. Il prêche la réforme de l'Eglise. Pour lui, les Français sont venus punir les Florentins de leurs pêchés. Un grand conseil regroupant 3000 citoyens, est instauré. Cette institution durera jusqu'en 1530.

La descente de Charles VIII inquiète les dirigeants italiens. Ils voient d'un très mauvais œil l'invasion française. Le 31 mars 1495, Venise, Milan, le Pape Alexandre VI, l'Espagne et l'Empire forment une ligue anti-française. Immédiatement, Charles VIII ordonne la retraite de ses troupes. Le 20 mai, l'armée française quitte Naples. Le roi laisse Gilbert de Montpensier comme gouverneur. La retraite française est difficile. Le 27 mai, ils arrivent près du village de Fornoue dans les Alpes. Là les attend l'armée de Gonzague duc de Mantoue et général des armées de la Ligue. La bataille s'engage. L'armée française aurait été écrasée, si la cavalerie vénitienne était venue soutenir l'infanterie au lieu de piller les bagages de leurs ennemis. Ainsi, Charles VIII force le passage, traverse le Taro et reprend sa route. Il ne perdra que 200 hommes. Charles VIII regagne la France, le 15 juillet. Entre temps, Ferdinand roi d'Espagne, a repris Naples. Charles VIII n'a plus le choix. Il signe la paix de Verceil avec Milan (bensacclio.blogspot.com - Les guerres d'Italie).

Pic, " bateleur " de la kabbale

Selon S. Trigano, " au commencement n'était pas le verbe. Bien plutôt, le "début" est habité du silence, d'un espacement de vide : les trois premiers versets de la Genèse, dans lesquels les kabbalistes ont toujours cherché le processus de surgissement de l'Univers. C'est d'une éclipse, d'une disparition du divin, que naît le monde ". La cabale est " la pensée de cette "disparition ". C'est pourquoi, selon C. Wirszubski, la cabale, du moins celle d'Aboulafia, mêle-t-elle une méthode contemplative fondée sur la combinaison des lettres, à des principes " rationalistes " hérités de Maïmonide. C'est, dit-il, " la seule voie viable pour atteindre à l'illumination prophétique ". Pic de la Mirandole conjugua la complexité et le vertige de cette combinatoire, à la signification mystique " révélée dans un éclair d'intuition ".

Le défi de la cabale, que Pic porta en toute clarté en entrelaçant " judaïsme et christianisme, christianisme et platonisme, mystique et magie ".

L'hypothèse de la confirmation du christianisme par les textes et doctrines ésotériques juives était courante avant même les recherches de Pic. Mais celui-ci, par ses lectures approfondies de ces traités et leur recoupement, étaye cette thèse en puisant dans le fonds infini des signes, figures et lectures multipliées qui sollicitent chacun de ces référents jusqu'en leur plus simple syllabe. Pic de la Mirandole avait pour dessein d'utiliser la cabale juive pour confirmer la théologie chrétienne, et non pour proposer un système de pensée et de savoir qui lui eût été contraire. Dans les ouvrages hébreux de " sciences cabalistiques ", écrit-il dans son Discours sur la dignité de l'homme " j'ai trouvé - Dieu m'est témoin -, non point tant la religion mosaïque que la religion chrétienne ".

La place centrale de Pic de la Mirandole dans la cristallisation de la cabale chrétienne, conçue comme ensemble organisé de méthodes de lectures et de déchiffrement des " textes sacrés " hébraïques, se fonde sur sa connaissance, précoce et suffisante, de l'hébreu, cette " langue de Dieu ", de l'araméen, la " langue chaldaïque ", et de la littérature cabalistique juive (Daniel Vidal, " Chaïm Wirszubski, Pic de la Mirandole et la cabale ", Archives de sciences sociales des religions).

Les Anges de la Face

L'idée de voir dans les vivants des attributs divins appartient à la tradition juive et particulièrement à la doctrine de la Merkaba. La mystique juive originelle se divisait en deux grands courants fondés sur deux chapitres fondamentaux de la Bible. Le premier courant, le Maasse Bereschith était centré sur l'interprétation du premier chapitre de la Genèse. Le deuxième courant, le Maasse Merkaba, s'appuyait sur le premier chapitre d'Ezéchiel et développait une contemplation de l'apparition de Dieu sur le trône. Au fil des siècles, le Maasse Merkaba a généré de nombreux commentaires. Parmi eux, le Zohar, source de la Kabbale, herméneutique juive qui a livré une exégèse des quatre vivants. Elle a développe deux thèmes à leur sujet. Le premier met les quatre vivants en relation avec les quatre lettres du tétragramme sacré du nom de Dieu. Le deuxième les intègre comme des degrés de l'arbre des dix séphiroth, l'aigle étant lié au degré supérieur et le taureau au degré inférieur. Mais ce qui appartient à Irénée, c'est d'avoir résumé la tradition relative à la théophanie des prophètes dans une formule christologique. Irénée est le premier père à accorder aux quatre évangélistes cette correspondance aux quatre vivants. Les pères occidentaux vont s'engouffrer dans cette formulation qui passa à jamais dans l'exégèse latine. Par contre, l'attribution définitive des 4 visages des vivants aux quatre évangélistes, et l'ordre dans lequel on pouvait les représenter, fut plus difficile à fixer, et ne trouva son terme qu'avec Grégoire le grand (Philippe Péneaud, Les quatre vivants, Religions et spiritualité, 2007).

Rashi dit que par la prononciation d'un Nom divin les quatre se trouvèrent au Ciel ou réside la Shekinah, la " Présence divine ", c'est-à-dire la Présence Réelle de Dieu, et, en même temps, Metatron, c'est-à-dire le gardien, le Seigneur, l'envoyé, le médiateur, l'auteur des théophanies dans l'univers des sens, l'Ange de la Face.

L'Ange de la Face de Yahweh est déjà mentionné dans l'Ancien Testament en Is. 63, 9 et dans le livre des Jubilées, I, 27, l'Ange de la Présence sert d'intermédiaire entre Dieu et Moïse. La classe d'anges de la Face (ou de la présence) se trouve plusieurs fois mentionnée dans Hymnes VI, 1 3 ; Jubilés I, 27, 29 ; II, 1 , 2,18. Mentionnons par exemple le troisième Livre d'Hénoch, encore appelé Livre des Palais. Lorsque Hénoch est enlevé au ciel, il se transforme en ange et reçoit le nom de Métatron. Cet ange est puissant ; il est appelé Prince de la Face. Dans le Talmud, Métatron a été perçu comme un intercesseur à la fois des anges et des hommes (M. Delcor, Religion d'Israel et Proche Orient ancien, 1976, Pierre Coulange, Dieu, ami des pauvres: etudes sur la connivence entre le Très-Haut et les petits, 2007).

Métatron

Au XIIIème siècle, Jacob ha-Cohen raconte ses visions dans le Sefer ha-'Orah où l'ange Métatron lui révèle à travers des gematriot le sens mystique de la Torah et des préceptes. Métatron comme maître de la gématrie est mieux comparé au Bateleur en anglais car les jeux de lettres kabbalistiques sont dans cette langue kabbalistic juggling et le Bateleur Juggler.

Le Zohar parle de Metatron comme étant la " lumière brillante de la Shekhinah ". Le Zohar raconte que Metatron fut créé avant toutes les autres choses terrestres car il devait personnifier une perfection spirituelle microcosmique, totalement indépendante de la corruption et de la contamination de la Chute ou du Bris des Vases. Dans le Tikkunei Zohar, Metatron est perçu comme étant l' " Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal ", ce qui laisserait entendre, comme nous l'avons lu avec Joseph Caro, qu'en lui sont mélangé les deux mondes, celui de la perfection divine et celui du monde de la brisure des vases.

Nous retrouvons cette identification de Metatron à l'Intellect dans les écrits de Pic de la Mirandole : " Par enfant, chez les interprètes, tu ne dois rien comprendre d'autre que l'Intellect " (Conclusion 769). On retrouve, en effet, dans cette Conclusion l'association " enfant " (na'ar en hébreu) et " intellect " que l'on affecte à Metatron dans les écrits zohariques ou kabbalistiques.

La thèse la plus courante donne donc pour identité à Metatron, Énoch, le fils de Jared. Dieu, afin d'éviter à Énoch de tomber dans le côté du mal, repris son âme en causant sa mort. La Torah nous dit : " Et Énoch marchait avec Dieu, et il ne fut plus car Dieu le prit " (Genèse 5, 24). Après sa mort, Énoch fut transformé en l'Ange Metatron (voir le Livre d'Énoch et Rabbi Yonason Ben Uziel et son Targum Yonason). Le Zohar nous confirme cette transformation : " Après son élévation au ciel, Énoch prit le nom de Métatron et fut placé à la tête de toutes les légions célestes. Au ciel, on le désigne sous le nom de " Jeune Homme ", bien qu'il ait quitté ce monde lorsqu'il était déjà vieillard. " (Zohar II, folio 294b).

Le kabbaliste Joseph Caro se réfère à Énoch sous ces termes : " Il est dit qu'Énoch était cordonnier et à chaque fois qu'il introduisait une aiguille dans une chaussure, il louait le Saint béni soit-Il. Le secret de cette chose est qu'Énoch est Metatron, qui est l'époux de la Reine, et il unit cette dernière au Roi grâce aux œuvres des justes ; il fait monter ces œuvres dans les hauteurs et il fait s'écouler d'en haut un épanchement de bénédictions pour nourrir les mondes " (Maguid Mecharim, Vilna, 1889). La Reine est la Shekhinah, située selon Caro au sommet du monde des anges, et elle est l'épouse de Metatron, le premier archange. Metatron unit donc la Shekhinah son épouse au Roi divin, et en ce sens il n'est que l'intermédiaire et non le Roi lui-même. " Entre le monde de l'unité absolue et le monde de la séparation absolue, il y a un monde qui comporte à la fois un aspect d'unité - il comprend les 10 Sephiroth - et un aspect de séparation... " Et ce monde est Metatron en qui les 10 Sephiroth sont présentes (cabbale.blogspot.com - Métatron).

Rabbi Yossef ben Ephraïm Karo (1488, Tolède (Espagne) - 1575, Safed (Empire ottoman)) est l'une des plus importantes autorités rabbiniques du judaïsme, Talmudiste, législateur et codificateur, en rédigeant le Choulhan Aroukh il devient le plus grand décideur halakhique du peuple juif (fr.wikipedia.org - Joseph Caro).

Zacharie, cordonnier et lumineux

Dans ma Solitude de Philagie, à la fin du second entretien de la vie cachée, qui est au cinquième jour des Exercices, je rapporte un excellent trait de faveur que Dieu fit au Bienheureux Zacharie Cordonnier, à la belle minuit, tandis qu'il allait à la prière : je ne veux pas ici redire toutes les particularités de l'Histoire, ce peu que voici suffira, comme le plus concernant à mon propos. Le Bienheureux Zacharie avait cette sainte coutume, que de veiller et de prier alentour de sainte Sophie à Constantinople ; or une nuit un saint personnage y étant allé pour le même sujet, aperçut ce saint artisan venant le long d'une grande rue, et conduit par une lumière miraculeuse qui l'entourait, qui étant arrivé à la porte de l'église y fit une courte prière à deux genoux, et puis le signe de la Croix sur la porte, qui s'ouvrit aussitôt : quand il fut entré dans le temple, il y pria assez longtemps, et si tôt qu'il en sortit, la porte se ferma. La lumière paraissant incontinent pour donner jour à ce saint homme, qui se retira en son logis : et tout cela fut vu par cet autre qui était là, admirant toutes ces merveilles, et qui par après en fit le récit à ses amis (Paul de Barry, L' Année Saincte, 1641).

Le Zohar parle de Metatron comme étant la « lumière brillante de la Shekhinah ».

Le Pendu

Dans les écrits des Gaonim du Xème - XIème siècles, un opuscule intitulé Schemachzaï et Asa'el nous présente un mélange curieux d'éléments empruntés à la fois à la Bible et au folklore babylonien, au mysticisme talmudique et à la mythique classique. Rien n'est plus instructif pour montrer comment la pensée mystique juive procède, comment elle emprunte, comment elle adapte et comment elle altère.

Les anges Schemachzaï Schemachzaï (ou Semjaza, Semyazza, Samhazai, Shemhazai, Samazias) et Asa'el quittent le ciel pour aller répandre le nom divin jusque chez les mortels les plus corrompus. Ils se rendent auprès de femmes de bas étage pour les convertir au bien. Mais ils sont eux-mêmes pris au piège. Le premier est séduit irrésistiblement par la beauté d'une certaine Ischtahar; mais elle, au contraire, touchée subitement par la vertu qui se dégage de l'ange, acquiert la pureté angélique, il se fait un échange de leurs natures. Ischtahar, avec l'aide du tétragramme, s'élance au ciel et, en récompense de sa vertu, elle est mise au nombre des Pléiades qui sont à leur lever héliaque à la date du 19 mai ou alentour, nous aurons l'occasion d'en reparler.

Schemachzaï est averti par un messager de l'ange de la Face Métatron que le déluge arrive bientôt. Schemachzaï s'inquiète pour ses enfants, Hiva et Hiyya, qui se nourrissent chaque jour de mille chameaux, mille chevaux, mille bœufs et de toutes sortes d'animaux, puis est troublé par son iniquité. Il se réveille à temps pour faire pénitence avant l'arrivée du déluge et il échappe à l'anéantissement; mais en châtiment de la séduction qu'il a tenté d'exercer sur les filles des hommes, il est suspendu les pieds en l'air, entre la terre et le ciel. Asa'el, lui, erre toujours, incorrigé, impénitent et c'est lui qui stimule les femmes à exciter l'impudicité par le luxe et les ornements.

On saisit ici sur le vif un singulier mélange de données empruntées à la mystique chaldéenne et jetées dans un cadre juif. Celte Ischtahar n'est autre que l'Ishtar, l'Astarté des Phéniciens, la Vénus phénicienne, avec cette différence toutefois que Astarté remplit presque à elle seule tout l'Olympe féminin des Phéniciens. Puis, cet élément venu tout droit de la Phénicie ou de la Grèce subit l'élaboration juive. Astarté est réhabilitée au contact des anges elle se sert des procédés cabbalistiques pour prendre son vol vers les cieux, et c'est par la médiation du tétragramme qu'elle va prendre rang parmi les Pléiades. Rappelons ici pour bien préciser ces choses - qu'une légende longtemps accréditée et non encore complètement effacée parmi les Juifs, fait de la résurrection du Christ, l'œuvre du nom ineffable. Jésus aurait durant son vivant fixé ce nom sur un amulette, aurait attaché cette amulette sur la plante de ses pieds, et l'aurait introduite dans la chair du pied droit (S. Karppe, Étude sur les origines et la nature du Zohar, Andrei A. Orlov, The Enoch-Metatron tradition, Volume 107 de Texte und Studien zum antiken Judentum, 2005, Astrologies : Webster's Quotations, Facts and Phrases, 2008).

Concernant sainte Sarah, la femme d'Abraham, Sarah, c'est Çharratu, l'épouse du dieu lunaire Sin. Abraham est un Tammouz, Sarah une Ishtar. Jacob est aussi lunaire parce qu'il a douze fils et soixante-douze descendants.

Au Moyen Âge, les exécutions capitales contre les juifs étaient particulièrement brutales. Ils étaient pendus par les pieds et on lâchait les chiens contre eux. On trouve une description de ces supplices dans les Annales et Chroniques de Colmar (1296). Des illustrations en sont montrées dans le poème de Thomas Murner Entehrung Maria (1515). Un exemple d'exécution de ce type répond à la profanation d'une image de la Vierge à Cambron en Belgique (Mjhurst, www.tarotforum.net).

L'abbaye de Cambron fut fondée le 24 juillet 1148, et le premier abbé, Fastrède, est fêté le 19 mai et le 23 avril. Fastrède est le troisième abbé de Clairvaux. L'abbaye était de l'ordre de Citeaux-sous-Clairvaux, près de Chièvres en Hainaut.

Un juif se convertit, et fut tenu sur les fonts baptismaux par le comte Guillaume de Hainaut qui lui donne un poste à sa cour. On avait coutume de recevoir avec bienveillance à l'abbaye ce Guillaume, filleul du comte de Hainaut Guillaume 1er, dit le Lion, et sergent de la cour de Mous. Le sergent Guillaume ne tarda pas à fournir la preuve du peu de sincérité qu'il avait mise dans sa conversion au christianisme. Les devoirs de son office l'appelaient souvent à Ath; et, comme il passait à Cambron pour se rendre dans cette ville, il avait pris l'habitude de s'arrêter à l'abbaye. Un jour de l'année 1322, qu'il allait remplir un devoir de sa charge à Hérimelz, dépendance de la ville de Chièvres, il se reposa comme de coutume au monastère de Cambron où on l'introduisit dans le quartier des étrangers. Dans une salle voisine, où il pénétra par curiosité, se trouvait une peinture représentant l'Adoration des Mages. A la vue de l'image de la sainte Vierge, ce misérable devint furieux et proféra contre elle les propos les plus injurieux. Bientôt il rentra dans sa chambre à coucher et se jeta sur son lit pour s'y reposer, mais il passa la nuit dans une grande agitation. Le matin, sa rage redoubla et il résolut de tirer vengeance de ce que la Mère de Dieu, disait-il, avait interrompu son sommeil; il proféra de nouveau mille injures, mille imprécations contre la plus pure des Vierges. Sa fureur allant toujours croissant, il saisit sa pique et perça le tableau de cinq coups dont trois à la face et deux à la gorge de l'image de la sainte Vierge. " A l'instant même, disent les auteurs de L'Histoire admirable de Notre-Dame de Cambron, cette image vénérée donna du sang, ce qui effraya tellement le Juif, que, se trouvant hors de lui-même, à la vue de cette merveille, il fit du bruit à épouvanter tous les environs. " Un frère convers, Jean Mandidier, qui travaillait de l'état de charpentier dans la cour voisine, entendant les vociférations de ce forcené, accourut aussitôt, et il fut témoin de ce sacrilège. Armé de sa hache, il s'élance sur le Juif pour lui fendre la tête; mais un autre religieux, Mathieu de Lobbes, survient à l'instant, retient le bras de son frère, et lui représente qu'il vaut mieux instruire l'abbé de l'outrage fait à la Mère de Dieu, attendu que lui seul a droit de justice dans l'abbaye.

Jean XXII, pape d'Avignon, qui avait succédé à Clément VII, reçut les deux envoyés du prélat de Cambron et les écouta avec attention; le fait lui parut si grave qu'il crut devoir en écrire directement au comte de Hainaut pour en obtenir une punition éclatante. Le bon comte Guillaume fit incarcérer son indigne filleul qui fut confronté avec ses deux accusateurs. Il nia audacieusement son méfait, ce qui le conduisit directement à subir toutes les horreurs de la torture ordinaire et extraordinaire. Quelques dures que fussent ces épreuves, sa robuste constitution y résista et sa force morale n'y perdit rien. Il persévéra effrontément dans ses négations; les plus horribles douleurs ne purent lui arracher le plus léger aveu ; force fut de le relâcher : ou le réintégra même dans ses fonctions de sergent de la cour de Hainaut, ce qui fut, disent les chroniques, un scandale affreux. Ce triomphe de l'impunité fait mourir de chagrin le supérieur de l'abbaye où le sacrilège a été commis.

Quatre ans plus tard, en 1327, un miracle étonnant fit grand bruit en Hainaut; le nommé Jean Lefebvre Jehan Li Flamens, vivant aux Estinnes, près Binche, vieillard débile et paralytique, eut la nuit, dit la légende, une vision dans laquelle un ange envoyé par la Vierge, lui commandait d'aller venger son image meurtrie et maculée en l'église de Cambron; et cela cependant que le traître juif se tenait bien coi et se croyait oublié. Un trouvère qui écrivit toute l'histoire chante :

AD lit de celi vint tout droit

0 il endormis se gisoit,

Nostre Dame si l'appella :

- Bien amy Jehan, cœur ten va

A Cambron tost vir mon image

Qui navrée est au visage

C'est bien au visage, à la face, que la Vierge fut atteinte. Mais, disait le pauvre vieillard, comment marcher sans jambes, et combattre sans bras ? - Sois fort d'âme et de cœur, répondait l'ange au paralytique et bientôt Dieu te guérira ! - Ensuite il disparut.

Un second miracle le remet sur ses pieds et lui donne la force de la jeunesse ; il invoque le jugement de Dieu entre lui et le juif qui nie son infamie. Le duel est accordé, le champ clos est tracé aux portes de Mous, et les deux champions, après s'être exercés pendant quarante jours, sont mis en présence. D'un côté s'avance un vieillard débile sur la face duquel la maladie laisse encore des traces; de l'autre se dresse un vigoureux athlète que les douleurs de la torture n'ont pu vaincre: mais le premier a mis sa confiance en Dieu et en sa mère divine, et arrive en.se signant, tandis que le second n'est suivi dans la lice que d'un chien noir qui semble la représentation du démon prêt â prendre son âme. Bref, le juif fort est vaincu par le chrétien faible qui sort triomphant de la lutte. Ce dernier va en pèlerinage remercier Notre-Dame de Boulogne en grande vénération dans le pays, puis il court se jeter aux pieds du Saint Père pour recevoir sa bénédiction et lui demander d'accorder les indulgences à tous ceux qui désormais serviront dévotement la sainte Vierge à Cambron.

Tandis que le vainqueur se livre à ces soins pieux et reconnaissants, le vaincu est livre au bras séculier et condamné à être pendu par les pieds, la tête en bas, et son corps à être dévoré par des chiens affamés (Arthur Dinaux, Aimé Nicolas Leroy, Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique, 1851, Abbé Corblet, Revue de l'art chretien, 1863).

Un conte anglo-normand d'un Miracle de la Sainte Vierge commence par une observation du pape Grégoire sur les Pléiades, laquelle ne se retrouve dans aucune des versions françaises :

De même que les sept Pléiades ne se touchent pas et cependant présentent une lumière commune, de même il y a eu dans le monde bien des hommes religieux qui vécurent à des époques différentes, mais qui ont cherché à plaire à Dieu et à sa très sainte mère par une même dévotion, en une seule et même vertu.

Dans ce conte, un voleur, du nom d'Ebbo, avait l'habitude de se recommander à la Sainte Vierge avant de se livrer au larcin. Un jour il fut pris en flagrant délit et condamné à être pendu. La Vierge vient cependant à son secours et pendant deux jours elle le soutient de sorte qu'il n'endure aucune douleur. Le voleur s'écrie que c'est Marie qui qui le protège, et on le détache de la potence avec la plus grande joie, après quoi il se retire dans un monastère (La Deuxieme Collection Anglo-normande Des Miracles de la Sainte Vierge).